R. L. WALKER en Chine attestent l'existence d'un itinéraire standard. C'est celui qu'a suivi, par exemple, Mme Han Souyin, qui, à son retour de Chine, a résumé ses impressions dans le magazine Holiday de Philadelphie (juin 1957), en un article intitulé « Peking Today ». Chinoise de naissance et écrivain de profession, Mme Han Souyin est très contente de son voyage: La Chine est chinoise [sic], et elle est aussi le miracle de l'Asie. Voilà un pays qui a réussi, dans un temps record, à résoudre le problème de l'abondance pour la plus grande agglomération humaine existant sur terre. La Chine n'est pas seulement chinoise: elle est aussi très vaste ... Le 17 juin 1957, c'est-à-dire au moment même où les lecteurs de Holiday apprenaient que les communistes faisaient régner l'abondance en Chine, Radio-Pékin reconnaissait que, dans une seule province, quinze millions de personnes étaient en train de mourir de faim. Il est probable que l'itinéraire standard suivi par Mme Han Souyin pendant une vingtaine de jours, à travers un continent de six cent millions d'habitants, ne passait pas par cette province-là. Pékin a toujours été saluée comme l'une des plus belles villes du monde. Mme Souyin le confirme : De tous les pays de l'Asie et du reste du monde, on vient la voir. Guidés par l'équivalent chinois de l' Intourist, les voyageurs aiment à connaître les changements qui transfigurent la vieille Chine, le vieux Pékin d'autrefois ! 4 Dommage que la plupart· de ces voyageurs ne soient guère à même de faire la comparaison, faute d'avoir jamais connu « la vieille Chine». Mais ils ne pouvaient choisir un meilleur endroit · que Pékin pour être correctement informés de tout ce qu'il faut savoir et dûment abreuvés des données statistiques nécessaires pour poursuivre leur voyage à travers la Chine nouvelle. Et puis Pékin est le centre par excellence des manifestations de fidélité au régime. Or, les invitations en Chine sont en général datées et les programmes fixés de telle façon que les hôtes ne puissent se dispenser d'assister à l'une des démonstrations ou parades en masse qui figurent au calendrier des réjouissances communistes : 1er mai : fête du Travail ; 1er août fête de l'Armée Rouge ; 1er octobre : anniversaire du Régime, etc. Le journaliste japonais Hitoshi Wada rapporte qu'avec quelques compatriotes il fut en 1955 l'invité de la Chine, à la condition expresse de franchir la frontière au cours d'une période de dix jours désignée à l'avance, mais pas le moins du monde au hasard. Il s'agissait tout simplement d'assurer à la visite du premier ministre indonésien, Ali Sastroamidjojo, le retentissement 4. Han Suyin, ibid., p. 101. Biblioteca Gino Bianco 35 voulu, par la présence simultanée de journalistes japonais transformés pour les besoins de la cause en envoyés spéciaux. (On note ce savoureux détail dans le reportage de Hitoshi Wada, « A Journalist's View of Communist China », Japan Quarter/y, janvier-mars 1950, pp. 17-26.) Les émules chinois de Potemkine De Pékin, les visiteurs font un tour à la Grande Muraille, au centre universitaire des Collines de l'Ouest, et au village modèle de Taïping. Si, par acquit de conscience, ils demandent à voir une prison, on les mène à la prison-modèle dont s'honore la banlieue de la capitale. Serait-ce la seule? Ou est-ce par simple coïncidence que cette même prison a été visitée tour à tour par le professeur indien J. C. Jaïn, de New Delhi; par le journaliste James Cameron, envoyé du News Chronicle de Londres ; par M. Adalbert de Segonzac, correspondant de Ce Soir à Londres ; par le travailliste G. S. Gale, membre de la mission Attlee en 1954 ; et par M. Robert Guillain, du Monde. On peut lire les écrits de ces divers enquêteurs, et bien d'autres témoignages encore; on fait toujours aux hôtes les honneurs de la même prison, où ils sont pilotés par la même personne, laquelle leur donne les mêmes assurances quant aux heureux effets de la « rééducation morale par le travail », et la joie qu'en retirent les prisonniers dont les deux tiers, selon R. Guillain, sont des « politiques ». 5 En Mandchourie, les enquêteurs ont le choix entre plusieurs installations industrielles toutes neuves : certains vont jusqu'à Kharbine voir la célèbre fabrique d'outillage de précision ainsi que le tissage de jute. La plupart se concentrent sur quatre points : Tchangtchoun et son usine d'automobiles n° 1; Moukden (et, dans les environs, son fameux kolkhoze-modèle de Kao-Kan); Fouchoun ; enfin Anchan, avec d'impressionnantes aciéries. A Fouchoun, plusieurs délégations sont tombées par hasard sur le même ouvrier typique; et l'un des narrateurs, James Cameron, remarque, non sans malice : Je croyais parler à une brochure ..• 11en était souvent ainsi... On s'adressait à un paysan, choisi au petit bonheur; et il récitait si évidemment un rôle bien appris, que les questions vous en tombaient de la bouche ; on demandait à voir un village, et l'on se trouvait dans un endroit tellement« nickel» que les routes y conduisant étaient usées par les souliers des délégations qui s'étaient succédé sans fin pour l'admirer. Dans leurs récits, au retour, beaucoup d'enquêteurs n'en incorporent pas moins, faute de mieux, 5. Voir notamment J. C. Jain, Amidst the Chinese People (New Delhi, Atma Ram & Sons) 1955, p. 112; James Cameron, Mandarin Red (New York, Rinehart and Co.), 1955, pp. 104-109; Adalbert de Seaonzac, Visa pour Pékin (Paris, Q91lim11r<1~1956, pp. 142-146; Georae S. Gale, No Plies in China (New York, William Morrow and Co.), 195~ pp. 124126. Outre ses études dans l, Monde, Robert uuillain a p~blié deux séries d'articles dans le Manchester Guardian Weekl,Y (février-mars 1956) et le Saturday Evem·na Post (mai-juin 1956).
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