16 cesse réaffirmée, et Moscou élabore une nouvelle doctrine des mouvements nationaux dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. · A la place du manichéisme stalinien, qui ne laissait au monde colonial ou sous-développé le choix qu'entre le communisme et le capitalisme et jugeait du caractère progressiste ou réactionnaire d'un mouvement politique ou social d'après ses relations avec l'URSS, des doctrines plus nuancées· apparaissent qui impliquent la reconnaissance d'une troisième voie - celle de la paix. Ces doctrines reposent sur les principes suivants : 3 - Les mouvements nationaux antiimpérialistes des pays coloniaux ou semi-coloniaux sont progressistes, quelle que soit leur direction - ouvrière ou bourgeoise. - La valeur d'un gouvernement ou d'un mouvement anticolonialiste n'a plus pour seul critère ses rapports avec la Russie, les voies de la libération et du socialisme étant· multiples. '. Ces théories ont permis à l'URSS de reconnaître le caractère progressiste du gouvernement Nasser, de faire de l'imam du Yémen, autocrate de droit divin, un « souverain national», et d'oublier en général les aspects racistes et religieux du nationalisme arabe. Mais ces avances au monde musulman extérieur étant inconciliables avec les persécutions intérieures, il fallait reconsidérer les rapports de la Russie avec ses allogènes. La réhabilition de Chamil en a été une des plus éclatantes manifestations. Elle fut l'œuvre d'un savant daghestanais, G. D. Danjalov, qui y consacra un article intitulé « Du mouvement des montagnards sous la direction de Chamil » 4 • La réhabilitation porte essentiellement sur les points suivants : - Le muridisme n'a jamais été un mouvement féodal, comme le prétendaient divers historiens (notamment l'homonyme de l'auteur, A. Danjalov 6 ) mais prenait au contraire appui sur les paysans libres (uzdens)·. Chamil a été l'ennemi impitoyable des féodaux, qu'il « supprimait » physiquement. Il libérait leurs esclaves, partageait leurs terres ~t proclamait aussi l'égalité de tous devant la loi chariyat. · - Celle-ci n'est pas, comme on l'a prétendu abusivement dans l'ère stalinienne, une « manifestation de fanatisme réactionnaire », mais une législation presque progressiste, qui a permis à Chamil de détruire les structures féodales et patriarcales du Daghestan. La lutte de l' Imam contre les âdat, les coutumes rétrogrades, et contre les éléments opposés à l'unification du haut Caucase, a donc été progressiste et positive. Par voie de conséquence, Chamil lui-même, loin d'être un tyran 3. Sovietskoié -Vostokovédénié [L'orientalisme soviétique], j~vier 1956 ;·et_Partiïnaïa Jizn [La vie du.Parti], aoftt _1_956. 4. Vopros.v Istorii, n° 7 de 1956, pl). 67-72. . - . 5. Voprosy Istorii, n° 9 de 1950. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL .. fanatique, était wi grand homme d'État et un législateur avisé, un excellent patriote enfin. - Contrairement aux affirmations « ridicules » de l'époque stalinienne, il n'y a jamais eu collusion entre Chamil et la Turquie. G. D. Danjalov cite, à l'appui~ ces paroles de Chamil : « Le sultan et les Turcs ne sont pas de bons musulmans ; ils sont pires que les Kafirs ... · S'ils tombent entre mes mains, je les couperai en_morceaux ... » 6 - Le muridisme de Chamil a été avant tout une réaction contre les atrocités de la colonisation tsariste. - Bien que le muridisme fût fondé sur la doctrine mystique et ascétique soufie du tarikat et qu'il eût .le caractère d'une guerre sainte (djihad), le mouvement était progressiste. Plus encore, « la résistance des montagnards, en affaiblissant les forces tsaristes, apportait une aide précieuse au mouvement ouvrier russe et international, dont le tsarisme était le pire ennemi ». Et G. D. Danjalov de se référer, lui aussi, à Marx, qui saluait en ces termes les victoires des montagnards sur les armées russes : « Les braves Tcherkesses ont de nouveau infligé quelques défaites graves aux Russes. Peuples, voyez par leur exemple de quoi sont capables _l_es hommes libres qui veulent le demeurer éternellement.» La réhabilitation du muridisme prouvait ainsi qu'à l'intérieur de l'URSS l'évolution idéologique proclamée au xxe Congrès se traduisait dans les faits. L'URSS pouvait dès lors se dire « puissance islamique» et c'était un moyen de conquérir le monde musulman. Mais c'était aussi une arme à deux tranchants qui a très vite joué contre ceux-là mêmes qui l'utilisaient. Le retour à l'esprit de l' « internationalisme léniniste » impliquait, certes, la condamnation du colonialisme tsariste russe, mais à travers le tsarisme c'était toute présence russe, même communiste, à la périphérie qui était condamnée. Les concessions, très limitées d'ailleurs, au nationalisme musulman ont entraîné une série de réactions antirusses dans l'intelligentsia nationale, certaines revêtant des formes dangereuses. Ainsi, dans la république d'Azerbaïdjan, on a rendu justice aux « nationalistes-bourgeois, liquidés par Staline », puis le Soviet Suprême local a proclamé que le turc azeri était la seule langue officielle et administrative de la République, excluant ainsi le russe utilisé conjointement avec l'azeri depuis trente-cinq ans. Devant ce déchaînement subit des exigences nationales, les autorités, conscientes du danger, ont à nouveau modifié leur attitude et la « recondamnation » de Chamil a été le premier indice d'un retour aux méthodes staliniennes, qui se révèlent irremplaçables. Mais cette fois les autorités se heurtèrent à une opposition énergique des savants et intellectuels caucasiens musulmans. 6. En 1950, A. Danjalov écrivait, se référànt naturellement à Marx et à Engels : « Chamil était un agent aveugle des intérêts turcs. »
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