A. BENNIGSEN les tendances nationalistes xénophobes et antirusses, encore vivaces parmi les peuples musulmans de l'Union. Le Caucase du Nord en soi n'était plus dangereux après la « liquidation » de quelques républiques musulmanes en 1944, mais un foyer possible de danger existait en Azerbaïdjan et en Ouzbékistan, les deux républiques spirituellement et culturellement les plus proches de l'islam traditionnel, celles aussi qui, aux yeux des dirigeants de Moscou, étaient les plus vulnérables aux influences extérieures. · La campagne de dénigrement. du muridisme commence en juillet 1950 avec l'intervention de Mir Dja'far Abbassovitch Baghirov, premier secrétaire du comité central du PC d'Azerbaïdjan, qui marque indubitablement une étape capitale de l'attitude· des autorités soviétiques à l'égard des mouvements musulmans de libération. Le 17 juillet 1950, Baghirov prononça devant les intellectuels azerbaïdjanais, réunis en congrès à Bakou, un important discours reproduit dans le Bakinski Rabotchi du 18 juillet 1950 et dans le Bolchévik de Moscou (n° 13, juillet 1950) sous le titre « De la nature du mouvement muride et de Chamil >>. Le but politique immédiat de ce discours était de toute évidence la répression définitive des tendances séparatistes antirusses qui s'étaient répandues pendant la guerre au Caucase et avaient provoqué la « liquidation » de certains peuples musulmans du Caucase : Tchétchènes, Ingouches, Balkares et Karatchaïs. Baghirov pose le problème sous deux. aspects : le muridisme et l'islam ; ·les mouvements de résistance hationale et la conquête russe. · Parlant du caractère relatif que le marxismeléninisme accorde au problème national, Baghirov déclare : .. ; Lénine et Staline nous enseignent que les mouvements nationaux ne sont pas tous des mouvements progressistes et libérateurs. Certains sont réactionnaires, contraires aux intérêts du mouvement révolutionnaire, freinant .l'évolution de la conscience de classe des travailleurs. L'.histoire connaît de nombreux cas où les conquérants étrangers, les colonisateurs ou les impérialistes créaient et soutenaient divers mouvements auxquels ils prêtaient un caractère national ou religieux, afin de mieux atteindre leurs objectifs et de combattre leurs adversaires. Beghirov donne ensuite ,une -Lanalyse historique du muridisme et, contrairement au marxisme classique, dénie à l'islam.:en ~général toute valeur progressiste : D'une intolérance extrême envers les « infidèles », l'islam a été, dès l'origine, largement exploité par les potentats arabes dans leurs guerres de conquêtes en vue d'asservir les autres peuples. Les Arabes menaient leurs guerres de conquêtes sous le drapeau de la « guerre sainte », pour le triomphe de la foi contre les « infidèles ». Ils imposaient l'islam par le fer et par le feu aux peuples asservis. Comme toute autre religion, l'islam, aux -mains des exploiteurs, exige de ses fidèles une soumission absolue Biblioteca Gino Bianco 11 à leur destin et à leurs oppresseurs. Le terme même islam signifie « soumission » et musulman-muslim, • soumis. Baghirov poursuit : Dans un tel climat politique, la secte muride - la plus fanatique de l'islam - ne pouvait que devenir un instrument particulièrement efficace au service de la réaction et du colonialisme ... Conformément aux préceptes du Coran qui dit : « Combats les infidèles et sois cruel envers eux », le muridisme sanctifie le meurtre et le pillage. C'est une manifestation de fanatisme, d'anéantissement de la personnalité, une école de cruauté, d'asservissement de la pensée et de la conscience humaine, c'est la transformation de !'.homme en un instrument aveugle aux mains des classes dominatrices et exploiteuses. Le muridisme est la ·manifestation la plus belliqueuse de l'islam, qui a poussé le fanatisme religieux jusqu'à ses plus extrêmes limites sous la forme de la « guerre sainte » contre les « infidèles ». Esquivant l'analyse des causes objectives de la résistance des peuples du Caucase à l'impérialisme russe, Baghirov s'efforce de réduire 1~ rôle du muridisme au seul aspect d'un instrument entre les mains des Turcs et du colonialisme anglais. Cet expédient lui permet de décrire tout aussitôt Chamil comme un « agent turc et anglais» : . ... Chamil: était dès les débuts en contact étroit avec la Turquie et agissait conformément aux intérêts de cette dernière. Mais Baghirov ne se contente pas de cette accusation infamante selon lui : - ... Le mouvement dirigé par Chamil n'avait pas le caractère de lutte nationale. Chamil ne se proposait pas comme objectif la libération des peuples montagnards. Il n'a pas été élu imam par le peuple ... Les murides étaient isolés du peuple et lui étaient opposés. Le muridisme fut la domination d'un petit groupe de fanatiques sur la masse des paysans daghestanais ... Le mouvement de Chamil n'était ni populaire, ni progressiste, ses buts étaient tout autres. Il visait à séparer le Caucase de la Russie, attirait une grande quantité de troupes russes et aidait par là les ennemis de la Russie, Angleterre, France et Turquie, en leur créant des conditions favorables en Crimée. A la fin de son rapport Baghirov tire des conclusions qui montrent clairement que toute son argumentation se propose des buts politiques très actuels. ... Comment expliquer qt1e chez nous, le muridisme caucasien jouisse jusqu'à présent d'un tel prestige, soit si idéalisé et si faussement interprété? Cela résulte de conceptions antiscientifiques, de l'objectivisme bourgeois chez les uns et des manifestations de nationalisme bourgeois chez les autres. Et Baghirov conclut en rappelant que l'islam en général et le muridisme en particulier repré-
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