L'ISLAM ET L'UNION SOVIÉTIQUE par A. Bennigsen LA CONQl]t;:TE RUSSE du Daghestan et du Caucase central s'est heurtée de 1829 à 1859 à une résistance acharnée des montagnards du Caucase conduits par l'imam Chamil, chef de la confrérie religieuse des murides, branche caucasienne de la célèbre N aqchbandiya. Leur épopée, que les musulmans caucasiens conservent jalousement comme une page glorieuse de leur histoire, a été fort diversement interprétée par la science historique soviétique. Elle est tantôt un mouvement de « libération nationale » opposant un peuple «colonial» à l'impérialisme d'une grande . puissance, tantôt un mouvement «clérical et réac- • • uonnaire ». Le point de vue soviétique sur l'histoire des mouvements de libération au Caucase, et en partiailier du muridisme, dérive de la doctrine de Lénine et de Staline sur le problème des nationalités. Celle-ci est fondée pour l'essentiel sur certaines thèses de Marx relatives aux mouvements nationaux, thèses qui, il est utile de le rappeler, ont été élaborées exclusivement en prévision de la révolution prolétarienne en Europe et du renversement du capitalisme. Cette doctrine ne constitue pas un dogme et évolue selon les circonstances et les époques; elle peut être ramenée au principe suivant : chaque peuple vivant en régime capitaliste doit aspirer à l'indépendance et, s'il accède au régime socialiste, à l'union la plus étroite avec les autres peuples socialistes. C'est sur ce principe que Lénine a édifié sa conception de la révolution dans une Russie multinationale : la Russie tsariste, a prison des peuples », devait être battue et démembrée, mais aussitôt après les peuples libérés devaient s'unir en un« ensemble socialiste unique». C'est pourquoi la conception qu'avait Lénine des mouvements de libération nationale n'était pas Biblioteca Gino Bianco seulement ambiguë mais a bien varié selon les circonstances. L'attitude du PC de l'URSS envers le mouvement de libération des peuples de Russie a passé par deux étapes principales. La première dura jusqu'à la . consolidation définitive de la révolution en Russie. Pendant cette étape, les autorités bolchéviques s'en tenaient aux positions extrémistes de la reconnaissance du droit absolu de chaque peuple à la sécession. La seconde, antiminoritaire et russificatrice, commence au moment où le gouvernement s'engage dans une politique de centralisation, donc d'unification des peuples de Russie en un « ensemble socialiste unique». Cette étape fut franchie sous la direction de Staline, qui modifia la doctrine de Lénine. Pendant la période révolutionnaire de 1917-1922, les mouvements de libération nationale étaient considérés, sans aucune réserve, comme progressistes, . populaires et démocratiques. Par conséquent la conquête de la périphérie non russe par les armées tsaristes était une « entreprise impérialiste et colonialiste » ; et son annexion à l'Empire russe un mal absolu. Telles étaient les thèses de l' « école historique» de Pokrovski. Le point de vue officiel sur le caractère progressiste des mouvements de libération des peuples slaves de Russie (Ukrainiens, Biélorusses) con1mence à changer en 1932-1933 ; à partir de ce moment, l'édification d'un État socialiste unique est regardée comme s'insérant dans un processus historique continu ; mais en ce qui concerne les peuples non slaves, l'attitude de l'époque révolutionnaire demeura longtemps encore inchangée. Jusqu'en 1950, la résistance des montagnards caucasiens resta considérée comme un mouvement patriotique et progressi'ste, et son chef, Chamil, •
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