Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

Chronique FALSIFICATIONS POUR DES RAISONSqui leur sont propres, les successeurs de Staline ont jugé que le défunt était allé un peu loin dans l'art des falsifications historiques et documentaires. Rayer de_ l'histoire de la révolution russe les principaux protagonistes bolchéviks, presque tous les compagnons de Lénine, et supprimer leurs écrits ainsi que la documentation qui les mentionne, mettre au pilon la plupart des ouvrages publiés durant les vingt premières années du régime soviétique, retirer de la circulation les dictionnaires et encyclopédies indésirables pour les remplacer par d'autres conformes aux derniers mensonges officiels, forger de toutes pièces une glorieuse biographie imagh,aire de Staline et déshonorer en les calomniant ses innombrables victimes, c'était déjà beaucoup. Mais aller jusqu'à censurer les œuvres sacrées de Lénine, c'était enfin trop. La « direction collective» du Parti communiste de l'URSS, donc de l'État soviétique, a décidé d'entreprendre une cinquième édition des Œuvres de Lénine en 55 volumes et, en attendant, de « compléter » la quatrième édition par trop incomplète, en 35 volumes, par 5 tomes supplémentaires. Un tome 36 a été publié récemment, qui permet d'apprécier les intentions et les procédés des nouveaux maîtres. Le futur tome 37 comprendra les « Lettres à la famille )), le tome 38 les « Cahiers philosophiques )), le tome 39 des « Cahiers sur l'impérialisme » et le tome 40 des « Matériaux sur la question agraire ». Ce tome 36 paru contient des textes datés de 1900 à 1923, la plupart déjà publiés soit dans les trois premières éditions des Œuvres, soit dans les Recueils Lénine, soit dans des revues historiques ou doctrinales. Staline avait jugé bon, après coup, de les mettre sous le boisseau. Il y a là des lettres à P. Axelrod, G. Plékhanov, Th. Dan, A. Bogdanov, G. Alexinski, M. Gorki, G. Zinoviev, L. Tychko, K. Radek, G. Safarov, N. Boukharine, A. Chliapnikov, A. Kollontaï, Bela Kun, L. Kamenev, E. Sklianski, A. Enoukidzé, N. Ossinski, etc. Parmi ces correspondants, les cinq premiers (socialistes) étaient devenus des adversaires politiques, presque tous les autres (communistes) ont été mis à mort par ordre de Staline. Aucune lettre à L. Trotski ne figure dans ce tome, et cela suffit assez à caractériser l'entreprise : la vérité historique et la véracité documentaire n'intéressent pas plus les successeurs de Staline qu'elles ne souciaient Staline lui-même, il ne s'agit seulement que d'utilité politique. Les dirigeants communistes d'aujourd'hui ont leurs raisons d'exhumer certains textes ou de n'être pas gênés par certains autres, ces raisons n'étant pas les mêmes que celles de Staline. Dire que la correspondance avec Trotski fait défaut est une façon sommaire de noter que manquent quantité de documents, BibliotecaGinoBianco HISTORIQUES entre autres la plupart des lettres à Zinoviev, à Kamenev, à Boukharine, à Riazanov, à Racovski, à bon nombre de personnalités éminentes, victimes de la manie homicide de Staline. Illustration des procédés staliniens qui discréditent cette édition comme la précédente : on y trouve par exemple un article de Lénine paru en 1919 dans les Isvestia en réponse à un paysan qui croyait à une divergence qe vues entre Lénine et Trotski. « Le camarade Trotski a déjà répondu », écrit Lénine en démentant le « mensonge monstrueux » de ce prétendu désaccord ; « pour ma part, je confirme pleinement les déclarations du camarade Trotski. Il n'y a aucun désaccord entre nous... Je contresigne des deux mains ce que dit le camarade Trotski ». Sur quoi une note explicative commente : « L. D. Trotski - ennemi le plus acharné du léninisme )),qui a fait semblant d'approuver la politique du Parti pendant quelque temps ... Cela montre bien en quel mépris les dirigeants communistes tiennent leurs lecteurs. Le dénigrement systématique et le mensonge par omission voulue se manifestent encore dans deux autres livres récents : V. I. LÉNINE, Correspondance militaire (1917-1920), Moscou 1956, et Exploits guerriers des détachements de l' Armée rouge, Moscou 1957. Exclure de ces recueils les noms et les textes de Trotski, de Sklianski et de leurs compagnons d'armes, le tour de force égale ceux de Staline en matière de falsification historique. Il reste cependant aux historiens sérieux la ressource de consulter à l'étranger, dans certaines bibliothèques, les cinq volumes de documents : Comment s'est armée la Révolution, Moscou 1923, 1924, 1925, compilés par les collaborateurs du chef de l' Armée rouge avant la toute-puissance de Staline. Il faut signaler enfin la réédition à Moscou des Dix jours qui ébranlèrent le monde, de John Reed, avec les préfaces si élogieuses de ·Lénine et de Kroupskaïa, ouvrage supprimé par Staline après onze éditions en russe. Il n'existe aucun autre récit aussi complet et aussi vivant des journées révolutionnaires de novembre 1917 par un témoin oculaire de tendance communiste. Aussi l'a-t-on réimprimé à l'occasion du quarantième anniversaire du coup d'État, mais avec une Pos~face expliquant que Trotski était en réalité contre l'insurrection et n'avait pas confiance dans la victoire du prolétariat, car il professait « la théorie défaitiste de la révolution permanente ». C'est le cas de dire : tout commentaire serait superflu. * 'f 'f POURTANT, il ne devrait pas être superflu d'attirer l'attention des personnes compétentes sur l'importance intellectuelle et politique qu'aurait eue la publication, hors de l'Union soviétique, des textes

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==