Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

QUELQUES LIVRES l'ennemi de la paix, de la démocratie et du socialisme ... En Blum sont réunis le dégoût de Millerand envers le socialisme, la cruauté de Pilsudski, la lâcheté combinée avec la soif de sang de Noske et la haine féroce de Trotski envers l'Union soviétique ... La classe ouvrière ne peut pas ne pas clouer au pilori ce monstre - monstre au point de vue moral et politique. Elle ne peut pas ne pas condamner, ne pas repousser avec horreur et dégoût Blum-le-bourgeois, ... l'assassin des ouvriers de Clichy, Blum-le-policier, Blum-la-guerre. Comment M. Bourgin concilie-t-il ces aménités, dictées par Staline, contresignées par « ce vieillard • • • touJours en vie», avec sa reconnaissance personnelle [sic], etc.? Il est dit dans l'évangile selon Matthieu : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. >1 SYLVAIN MEYER N.d.l.R. Gérard La/erre rendra compte du livre de Mme van der Esch, proprement dit, dans notre prochain numéro. Brève rencontre JACQUES LANZMANN : Cuir de Russie. Paris, J ulliard, 1957, 208 pp. RÉCIT de voyage aux rives de la mer Noire par un journaliste communiste qui s'est mêlé à des touristes faisant, sur un bateau grec, une croisière organisée. L'auteur a passé huit jours dans l'Union soviétique, il a vu en hâte Odessa et des lieux de villégiature, Ialta, Soukhoum et Sotchi sur la Riviera caucasienne. C'est peu, mais ce fut suffisant pour le libérer de quelques idées fausses dont il avait plein la tête et pour le convaincre de réviser certaines notions mensongères que son parti lui avait inculquées. Il a vu la pauvreté, le dénuement, la médiocrité, l'ennui où vivent les travailleurs du pays soi-disant socialiste, après quarante ans de ce régime. Il semble avoir compris que de nouveaux profiteurs et privilégiés se prélassent dans un système original d'exploitation de l'homme par l'homme qui tend à se perpétuer. _Bref, cela ne ressemble pas à l'idée qu'il s'en faisait et il l'écrit sincèrement, mais mal, au risque de s'aliéner ses amis en France. Le hasard a voulu qu'il tombe sur des Arméniens parlant français comme lui, avec beaucoup de verdeur, et là il n'a pas seulement vu des aspects extérieurs de la réalité soviétique, il a entendu un cri populaire de dégoût et de révolte dont il se fait l'écho. Ces Arméniens francisés avaient vécu à Marseille et ils se sont laissé séduire, après la guerre, par la propagande soviétique qui les incitait à exiger le rapatriement au pays de leurs pères. La plupart des jeunes étaient nés en France ·et, dans l'ignorance où se complaisent les gens en matière de communisme expérimental, ne pouvaient se douter de ce qui les attendait là-bas. Quand ils découvrirent à leurs dépens les agréments d'un État bureaucratique et policier plus oppressif et odieux que tout autre, il était trop tard : « Les Biblioteca Gino Bianco 337 Arméniens se prirent à haïr le régime actuel et ses fonctionnaires... 11 leur arriva des ennuis. Il plut des coups, des peines de prison, puis il y eut les camps, des fusillades ... » Maintenant, ceux qui survivent rêvent de Marseille et de ses musettes, ils maudissent le soi-disant pays du socialisme et noient dans la vodka leur désespoir. Malheureusement, avant de rapporter son témoignage, M. Lanzmann prétend infliger au lecteur cent pages impossibles à lire de ses impressions touristiques et aventures égrillardes. 11 faut les sauter pour en venir à ce que le livre promet, où interviennent encore des coucheries dont on n'a que faire. Le style, où transparaît un effort pitoyable pour inventer des métaphores neuves, décourage plutôt la lecture. Enfin, au moment même où l'auteur s'initie à l'a.b.c. du sujet, il a encore la prétention de faire la leçon, en bon communiste invétéré de l'école stalinienne. Aux Arméniens qui exhalent leur désillusion, leur amertume, qui parlent de persécutions, de déportations, il répond : « Mais du temps des Tsars, c'était bien pis. » Qu'en sait-il? Et de quels tsars? Il confond sans doute le règne d' Ivan le Terrible et celui de Nicolas II. C'est à peu près comme s'il imputait à Louis-Philippe les procédés de gouvernement en vigueur sous Louis XI. Si le tsarisme s'est effondré en mars 1917, ce ne fut évidemment pas sans raisons; encore faut-il savoir de quoi l'on discute. M. Lanzmann ignore, par exemple, que Véra Zassoulitch tira plusieurs coups de revolver sur le général Trépov., gouverneur de Pétersbourg (en 1878, c'était sous Alexandre I 1), et fut acquittée par le tribunal : sans quoi il n'oserait pas risquer sa comparaison avec le tsarisme. On n'a vu qu'en régime soviétique torturer et exterminer des millions de travailleurs qui n'avaient tiré sur personne. Aucun tsar n'a déporté des populations entières, sans épargner les vieillards et les enfants, comme l'a fait Staline, et aucun n'a disposé des moyens de la technique moderne qui ont rendu possible le despotisme totalitaire. On pourrait indéfiniment poursuivre le parallèle entre le passé tsariste et le présent soviétique : ce ne serait pas souvent à l'avantage du présent et surtout ne justifierait jamais le prix payé en vies humaines, en horreurs inhumaines, en dégradation d'un peuple naguère révolté sous le knout et maintenant soumis devant les parvenus du stalinisme prêts à tous les crimes pour se maintenir au pouvoir. M. Lanzmann se donne bonne conscience en racontant que <t quarante millions de Français ... ne bougent pas de chez eux » pendant les vacances. Outre qu'il se moque du monde avec une rare impudence, en quoi cela compenserait-il le rétablissement de la torture par Staline, les camps de travaux forcés, le passeport intérieur et le livret de travail qui ramènent les prolétaires soviétiques à l'état de servage? Mais quant aux vacances des Français, ce qu'en dit M. Lanzmann n'inspire guère confiance dans la véracité de son argumentation en faveur du capitalisme soviétique. B. SoUVARINB

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