Z. BRZEZINSKI leur mieux pour parer à un retour offensif de la domination soviétique. Les polono-marxistes sont loin d'être un groupe homogène. Il y aurait quelque simplisme à établir des catégories bien tranchées en partant des conflits d'opinion et des débats actuels; cependant il est possible de discerner trois tendances principales, lesquelles, dans certains cas, se chevauchent : celle des « scientistes », celle des « humanistes » et celle des « apparatchiki ». La première englobe principalement des enseignants et des chercheurs scientifiques de profession ; peu nombreux, ils sont fermement décidés à restituer au marxisme son caractère positif et sociologique, en le dépouillant de la gangue dogmatique qui caractérise, par dessus tout, le communisme d'obédience moscovite. A cet effet, ils sont prêts à utiliser les instruments d'analyse empruntés aux psychosociologues, économistes, historiens et behaviouristes occidentaux, persuadés qu'ils sont que le marxisme, rendu à son véritable domaine, triompherait par sa valeur intrinsèque de toutes les disciplines rivales. Les « humanistes » sont nombreux parmi les intellectuels polonais, particulièrement chez les écrivains. Ils proclament que le marxisme est essentiellement une poursuite de la justice sociale et que l'expérience soviétique, en s'attachant aux moyens du pouvoir, a perdu de vue les objectifs foncièrement humanistes de Marx. Le communisme doit donc, par dessus tout, chercher à retrouver son esprit humanitaire et renoncer à construire un heureux avenir sur les tombes de ses victimes. Les « humanistes » partagent avec les « scientistes » l'idée que le marxisme soviétique s'est attaché trop exclusiv·ement aux institutions créées par lui : n'est-il pas allé jusqu'à s'identifier avec l'action politique et le dogmatisme d'un Staline? Un pragmatisme pur et simple n'est pas nécessairement contraire au marxisme. Beaucoup de polonomarxistes sont même disposés à admettre que les expériences sociales qui réussissent organiquement et sont psychologiquement appréciées par les êtres humains qui y prennent part, satisfont aux critères marxistes de « réalité » et d' « humanité », et, de ce fait, sont marxistes par définition. Les formules mises en avant par Gomulka, tout au moins jusqu'à ces derniers temps, semblent résulter d'un mélange singulier des deux tendances « scientiste » et « humaniste ». La troisième tendance, celle des « apparatchiki », mérite-t-elle vraiment l'étiquette marxiste? Elle ne se recrute guère que chez les gens en place dont les mobiles divers sont essentiellement conservateurs. Les uns craignent de se voir évincés de leurs postes, d'autres de s'aliéner les bonnes grâces de l'URSS et tous, de déclencher une catastrophe dont les conséquences seraient désastreuses, non seulement pour la Pologne (ce que personne ne souhaite parmi les polono-marxistes) mais encore pour les apparatchiki personnellement. Ceux-ci se recrutent surtout parmi les secrétaires de Parti dans les villes et les villages ainsi que les fonctionnaires su~alternes du Comité central et de certains comités provinciaux. BibliotecaGinoBianco 323 Quelles que soient l'ampleur qu'ait revêtu le débat des écoles polono-marxistes et l'attention que lui ait accordée la presse mondiale, le voyageur en Pologne ne peut guère éviter de se rendre compte d'une chose : c'est que le marxisme est, dans l'ensemble, discrédité. Il l'est, à coup sûr, parmi les masses ; il l'est, de même, chez la majorité des intellectuels. Il existe partout l'impression diffuse que la prospérité occidentale est liée aux principes, dynamiques du libre contrat et de la libre entreprise et que la solution aux maux dont souffre la Pologne (crédits étrangers mis à part) consiste à étendre la sphère de l'initiative privée. Il y a mieux. A Varsovie même, l'on se targue comme d'une distinction sociale d'être un travailleur « indépendant » ( tirant ses ressources de la « prywatna inicjatywa » et non pas de quelque sinécure bureaucratique). Il est vrai qu'en même temps, et de façon quelque peu inattendue (mais probablement non sans raison, étant données les conditions actuelles du pays), la plupart des Polonais semblent admettre que, même en cas de complète liberté dans le choix d'un système économique, la propriété d'État continuerait à se maintenir dans une large mesure, surtout dans la nouvelle industrie lourde, les communications et les transports. Quant à l'idée d'une économie complètement cc socialisée » - selon l'exemple du système soviétique où l'entreprise est réduite au minimum - elle est presque universellement rejetée, que ce soit par les économistes qui en discutent, par la grande majorité des intellectuels cc marxistes », ou par la masse populaire dans son ensemble. En fait, la plupart des polonomarxistes admettent que les concessions récemment accordées à la petite entreprise (commerce de détail, artisanat, paysannerie, etc.) ne sont pas, en termes généraux, un recul stratégique comme la NEP, mais un trait spécifique du socialisme polonais destiné à se préciser dans l'avenir. Quant à ce que seraient exactement la voie polonaise vers le socialisme - et le socialisme lui-même en tant que système définitif - personne n'est bien au clair là-dessus ; on reste dans le domaine des formules vagues et nébuleuses. Chacun sait bien, par contre, ce que le socialisme n'est pas : il n'est pas, au premier chef, ce que Staline en a fait. La Pologne est-elle totalitaire f Ayant tout récemment visité l'URSS, l'autet1r de ces lignes ne pouvait manquer d'être frappé par certains traits de l'existence quotidienne en Polog11e : par l'étendue du franc-parler dans la • • f A • conversation pr1vee et meme, en une certaine mesure, dans les propos publics de la presse et de la radio ; par l'âpreté d'un théâtre satirique qui n'épargne ni l'URSS ni les communistes polonais ; par la vitalité que n1anifeste l'Église ; par la complète absence d'étalages provocants, de slogans impératifs, d'étoiles soviétiques et de drapca~x rouges. Devant ces symptômes de partielle dépolitisation, une question vient immédiatem nt à l'esprit : peut-on consid~rer comme véritabl ment sottmi e à un
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