N. VALENTINOV peuvent se passer de l'autorité des chefs, des oracles, des personnalités fermes, actives et fortes ». C'est une idée dont Que faire? est entièrement , , , penetre. Tchernycl1evski s'était donné pour tâche d'entourer d'une atmosphère d'apothéose la minorité active des révolutionnaires créateurs d'histoire. Son roman a été écrit dans une cellule de la forteresse Pierre-et-Paul et, avant de paraître dans le Contemporain, il a passé par les mains de l' administration pénitentiaire, de la commission d'instruction, puis de la censure habituelle. Tchernychevski était plus que jamais obligé d'être prudent, de s'exprimer par allusions et, bien entendu, d'appeler ses héros, non pas des révolutionnaires mais des « gens nouveaux », des «types nouveaux ». Malgré son extrême prudence et ses demi-mots, il était parvenu, dans toute la mesure où le lui permettait sa langue fade, à composer une sorte d'hymne solennel en l'honneur des révolutionnaires. Lorsque la censure tsariste eut compris, le roman avait déjà paru. Décrivant ses «hommes nouveaux», Tchernychevski disait : « Chacun d'entre eux est un homme grave qui n'hésite pas, ne recule pas et sait prendre une affaire en main de telle sorte qu'elle ne lui échappe plus. » Les révolutionnaires ne sont pas des gens comme les autres : ils constituent un type particulier. Ils se distinguent profondément du milieu qui les entoure. « Ils sont tous sur le même mode», et chez eux « tout est sur le même mode>>. « Ils voient tout à leur façon : la morale, le confort, la sensibilité, le bien. » Il y a des personnalités particulièrement fortes, et l'auteur trace « une légère esquisse de l'une d'elles » en la personne de Rakhmétov. « Il est plus sérieux que nous tous ensemble. » C'est « une nature supérieure, que vous et moi ne saurions égaler ». Cette « race » particulière, pour laquelle la révolution (la « cause commune» comme l'appelait Tchernychevski) est « une nécessité qui emplit la vie ». L'importance de ces caractères « supérieurs » et «bouillonnants » est énorme. Ce sont eux qui mènent vers les « buts élevés». c C'est par eux que la vie de tous s'épanouit. Sans eux elle s'étiolerait, tournerait à l'aigre. Ils sont peu nombreux, mais ils permettent à tous de respirer. Sans eux, les gens étoufferaient. Ils sont comme la théine du thé, comme le bouquet d'un grand vin, c'est d'eux que vient le parfum (de la vie), ils sont la fleur des meilleurs, le moteur des moteurs, le sel du sel de la terre ... Ce type est né et se multiplie rapidement Dans quelques années, dans très peu d'années, on leur criera : sauvez-nous. Ce qu'ils diront, tous l'accompliront. » Tout cela n'est pas réuni sur une page. C'est, pour se dissimuler à la censure, répandu parmi les 450 pages du roman. Il faut rassembler soigneusement les phrases éparpillées pour comprendre où Tchernychevski veut en venir et ce qu'il prêche. Lénine, écrit Kroupskaïa, aimait beaucoup cette œuvre: << J'étais étonnée de voir avec quelle attention il lisait ce roman et comme il en remarquait les traits les plus subtils. » C'est en termes bien pâles Biblioteca Gino Bianco 107 et incolores que Kroupskaïa décrit l'intérêt de Lénine pour Que faire? Malgré près de trente ans de vie commune, il y avait dans son mari bien des choses qu'elle ne comprenait pas et elle voyait une petite flamme, des «traits >> de curiosité, là où brûlait un brasier. « Le roman de Tchernychevski m'a profondément labouré. J'y ai passé non quelques jours, mais des semaines. C'est alors seulement que j'en ai compris la profondeur. C'est une chose qui charge pour toute la vie. >> La charge était restée. Le Que faire? de Lénine fut en quelque sorte la suite de celui de Tchernychevski. 12 Extérieurement, il n'y a entre les deux livres rien de commun. L'un est un traité romancé en grisaille, l'autre est un appel passionné, un manuel révolutionnaire. Mais l'essence des deux ouvrages est la même, le souci est le même. Le second livre, dans sa substance profonde, est pénétré des idées du premier. Lénine a transposé la thèse de Tchernychevski sur le «moteur des moteurs », sur la mission des hommes nouveaux qui ne laissent pas la vie s'étioler, qui savent prendre en main la cause révolutionnaire, qui luttent opiniâtrement pour que leur parole soit« accomplie par tous». Lénine habille les héros de Tchernychevski en « révolutionnaires professionnels » dont la seule occupation sera de « faire la révolution ». A cette fin, ils doivent être éduqués dans les idées les plus destructrices du marxisme orthodoxe. Ils doivent prononcer leur réquisitoire devant le peuple entier, non pas avec la nonchalance du petit «artisan », mais avec passion, à l'échelle «industrielle», comme l'avaient toujours ardemment souhaité Tchernychevski et toute la rédaction du Contemporain. Les «hommes nouveaux », les révolutionnaires doivent, selon Lénine qui a suivi en cela Tchernychevski, être omniprésents. Ils doivent aller « dans toutes les classes de la société comme théoriciens, propagandistes, agitateurs, organisateurs ». Au moment nécessaire, ils doivent« dicter [je souligne : dicter] un programme d'action aux étudiants qui bougent, aux zemstvos mécontents, aux sectes religieuses troublées, aux instituteurs humiliés, etc., etc. ». Ils sont comme un souffle qui passe sur la masse informe. Ils doivent être prêts à tout, y compris « le déclenchement et la conduite de l'insurrection armée du peuple entier ». Lénine pense, tout comme Tchernychevski, que sans les Rakhmétov on ne peut faire un pas. « Sans une dizaine de chefs de talent (il n'y en a pas par centaines), éprouvés, professionnellement préparés, instruits par une longue pratique, bien d'accord entre eux, aucune classe dans la société contemporaine ne peut mener fermement la lutte. » « Ne savez-vous donc pas quels miracles peut accomplir dans l'action révolutionnaire l'énergie non seulement d'un petit groupe, mais même d'un individu isolé? )) 12. Le livre de Lénine a été imprimé à Stuttgart chez le social-démocrate Di tz membre du Reichstag. Dans sa jeunesse, Dietz avait vécu à Pétersboura t, ouvrier à l'imprimerie du Conte,nporain, avait pris _part à la composition du Que faire? de Tchernychevski. Curieus rencontr typoaravhiaue des deux Que faire?
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