Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

100 les autres sociétés de classe, était « dominée » non par une classe mais par une caste, et que cette domination fût fondée non sur la possession des moyens de production ou l'appropriation de la plus-value agricole, mais sur la connaissance de l'astronomie, nous sommes encore en droit d'attendre qu'on explique un phénomène montrant, sur le plan de la sociologie de classe de Marx, une nouveauté déroutante. Or Marx, sur aucun .de ces points, ne propose la moindre explication scientifique. Était-il trop fier - ou trop prudent - pour justifier par des arguments superficiels une position déterminée en fait par des considérations politiques ? En 1864, Marx reprend son activité politique ; et de ces mêmes années soixante date l'offensive des anarchistes contre les conséquences « despotiques » du socialisme d'État. Ces faits ne suffisent pas à expliquer pourquoi Marx recula devant la question de la structure de classe de la société orientale, puisque telle fut son attitude dès les années cinquante ; mais on peut se demander s'ils n'ont pas eu pour effet d'accroître la gêne que cette question lui avait inspirée dès le début. Les partisans du socialisme d'État se proposaient d'établir un régime qui, tout en étant plus puissamment organisé [ managerially more powerful] que tout régime occidental antérieur, serait en mên1e temps plus étroitement soumis au contrôle des citoyens. Le problème posé par cette dualité de buts n'échappa pas à Marx. Ses commentaires sur la Commune de Paris, plus tard si effrontément travestis par Lénine, le montrent clairement. Rejetant tout à coup l'idée que l'État socialiste doit être fort, Marx préconisait un système de contrôle si profondément anti-autoritaire que les anarchistes l'accusèrent d'avoir adopté leur programme. 33 L'activité ultérieure de Marx, 33. Dans une lettre datée du 5 octobre 1872, Bakounine formulait comme suit le jugement des anan::histes : « L'effet de l'insurrection con1munaliste fut si formidable partout que les marxiens eux-mêmes, dont toutes les idées avaient été renversées par cette insurrection, se virent obligés de tirer devant elle leur chapeau. Ils firent plus : à l'encontre de 1'1 plus simple logique, et de leurs sentiments véritables, ils proclamèrent que son programme et son but étaient les leurs. Ce fut un travestissement vraiment bouffon, mais forcé. » (James Guillau1ne : L'Internationale -Documents et Souvenirs (1864-1878). \Tol.II, Paris, 1907, p 192.) BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL et notamment le fait qu'il se soit abstenu de rendre accessibles ses idées essentielles sur le socialisme d'État, confirme combien la question du pouvoir dans l'État socialiste le mettait mal à l'aise. 34 En évitant d'aborder de front, voire en embrouillant la question de classe dans l'État asiatique agraire et administratif [agro-managerial], Marx fit preuve dans ses études comparatives de la même gêne que dans son analyse de la question du pouvoir dans l'État « socialiste » industriel et administratif [industrial-managerial]. Ses motifs étaient sans doute complexes et 9n ne connaîtra peut-être jamais le fond de sa pensée à ce sujet. Mais une chose est certaine. Le premier des « socialistes scientifiques », après avoir adopté la conception d'ensemble d'une société orientale, fut aussi le premier paralysé par ses implications sociales. Violant ses propres principes scientifiques, Marx refusa obstinément de reconnaître que dans cette société, et sous les conditions d'un pouvoir étatique total, c'est la bureaucratie qui constitue la classe dominante. (Traduit de l'anglais) KARL A. WITTFOGEL 34. En 1875, Marx expédia à Bracke son commentaire critique sur le projet de programme socialiste qui devait être présenté au Congrès unitaire de Gotha, en demandant que ce texte soit communiqué à Gcib, Auer, Bebel et Liebknecht. Le document fut retourné à l'auteur sans avoir étt montré à Bebel. Celui-ci, quoique devenu président du parti unifié, semble avoir ignoré son existence jusqu'en 1891, lorsqu'il fut enfin rendu public. (Karl Marx : Critique of the Gotha Programme (New York, 1938), pp. 34, 40; Karl Kautsky : Aus der Frühzeit des Marxismus. Engels Briefwechsel mit Kautsky (Prague, 1935), pp. 269 et 265.) Dans sa critique du progra1nme de Gotha, Marx se montra sévère, notamment à l'égard des lassalliens aux.quels le groupe Bebel-Liebknecht se préparait à s'unir. Si ce. texte avait été publié immédiatement après 1875 et sous sa forme origiaelle, il aurait probablement menacé l'unité nouvellement acquise de_ l'organisation. lAais rien n'empêchait Marx de publier l'essentiel de ses idées, en omettant les polémiques partisanes. Engels, dans son Anti-Dühring, n'hésita pas à démolir des opinions chères à nombre de sociaux-démocrates éminents, et Marx revenait sans cesse, dans les discussions, sur ies p::,ints fondamentaux de sa doctrine économique. Marx estimait-il inutile d'insister autant sur ses vues politiques parce qu'il était convaincu que les forces « irrésistibles » du déve'foppement économique se chargeraient d'en prouver le bien-fondé? Sans nul doute, l'économie politique était l'opium de Marx, mais ses analyses de la phase initiale du socialisme montrent qu'il était conscient du problème politique inhérent. ,

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