Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

A. G. HORON pendant de l'Angleterre, on assistait sur son territoire à un afflux d'expéditions, de fouilles, de travaux anglais, puis surtout américains, dont la liste est interminable : ils ont véritablement · renouvelé notre connaissance de la protohistoire mésopotamienne, depuis· le plus ancien village néolithique déterré à Jarmo au Kurdistan jusqu'aux premiers temples sumériens récemment déblayés à Eridu dans l'extrême Sud. A tout cela la France n'a pas beaucoup contribué. Ce qui est pire, les savants français n'ont pas toujours su, ou pu, se tenir simplement au courant des résultats obtenus à l'étranger* (ainsi que s'en plaint André Parrot lui-même, dans le deuxième volume de son Archéologie Mésopotamienne). Il en va de même pour l'archéologie palestinienne, où jadis les Français étaient au premier rang, depuis le père Vincent jusqu'à feu de Neuville, grand fouilleur en même temps que diplomate. C'est encore aux Anglais, aux Américains, et maintenant aux Israéliens, qu'on a laissé le soin de démontrer l'importance de la Palestine en préhistoire autant qu'aux époques historiques. Il est donc très heureux que la France ait profité, entre les deux ~guerres, de son bref mandat au Liban et en Syrie pour y mettre en chantier des recherches et publications - limitées, il est vrai, et d'un rythme un peu lent, mais d'un résultat magnifique, décisif même. Les fouilles de Montet et Dunand à Byblos, de Schaeffer à Ras-Shamra, de Parrot à Mari étaient en passe de transformer l'archéologie française du Levant en clef de voûte de l'orientalisme tout entier. Il y a là une position à retrouver, à développer. Et en effet, les nouveaux chantiers de Ras-Shamra promettent de fournir tout autant que ce qu'ils ont déjà donné. AINSI, la France est capable de grandes choses là où elle se donne la peine de soutenir et coordonner l'effort de ses savants. Il serait donc prématuré de parler d'un déclin intrinsèque de la science française. Il s'agit de tout autre chose : d'une défaillance de la volonté dans cet organisme social sans lequel l'esprit scientifique ne peut rien réaliser de durable. La France de la IIIe République, aux environs de 1900, avant 1914, et entre les deux guerres, a produit de grands talents et de grandes idées dans le domaine en question. Qu'on songe à l'envergure et à l'originalité du « saharien » Émile Gautier, géographe, explorateur, historien, sans qui le passé et même le présent de l'Afrique du Nord resteraient peu compréhensibles ; ou au génie imaginatif et à l'immense érudition de Victor Bérard, qui à travers l'une des plus étonnantes odyssées de l'intelligence moderne a su ressusciter tout un monde méditerranéen et levantin disparu, dont pourtant dérivent les grandes civilisations classiques. Les autres pays n'ont produit personne qui les dépasse ; encore ne citons-nous que deux noms, là où une douzaine au moins pourraient figurer. • Voir la note au bas de la paie 93. BibliotecaGinoBianco 87 Le xxe siècle en France n'a pas été moins riche en talents individuels que le XIXe ou le XVIIIe. Le malheur est qu'ils ont dû faire œuvre individuelle. En un temps où le monde, y compris le monde scientifique, organisait collectivement toutes ses activités et en décuplait ainsi la puissance, fût-ce au prix de la profondeur, la France laissait son génie, et plus concrètement ses hommes de valeur, se tirer d'affaire comme ils pouvaient. Le phénomène est trop connu pour qu'il faille y insister; il s'est manifesté sur tous les plans de la vie nationale. La négligence de la France envers elle-même est passée en proverbe : on a cru pouvoir toujours « se débrouiller))' chacun pour • SOl. Certes, il est des exceptions remarquables, de belles œuvres collectives, soutenues directement ou non par l'État : jadis l'école sociologique er ethnologique de Durkheim, qui a fait un excellent travail d'équipe; plus récemment l'archéologie syrienne, dont on a déjà souligné la portée et le caractère concerté ; ou sur un autre plan, le Musée de l'Homme, qui fut et reste une institution à certains égards sans rivale dans le monde. Exceptions qui confirment la règle : en général, le gouvernement et le public ont accordé peu d'attention aux sciences eurafricaines, et par voie de conséquence les Universités et instituts scientifiques eux-mêmes n'ont pas donné un soutien suffisant aux recherches - faute de moyens matériels, d'élasticité administrative, de coordination intellectuelle. MALHEUR des temps, durcissement d'un monde devenu trop matérialiste? La situation " des sciences dans certains pays parmi les plus «modernes)> contredirait cette philosophie trop facile. Si la science « moderne » souffre de quelque chose, c'est d'un défaut inverse : trop d'organisation sociale ou politique, pas assez d'imagination individuelle. Sous ses dehors de nonchalance, hérités d'une tradition d'amateurisme aristocratique, la science anglaise, richement dotée, n'a cessé de s'identifier aux idéaux et intérêts de l'Empire, à inspirer et à servir ces intérêts, malgré - ou grâce - aux affectations les plus extrêmes de détachement intellectuel. L'effort soutenu, laborieux, pas toujours original mais pratiquement efficace des AngloSaxons dans les études bibliques, le sémitisme et l'islamisme, a forgé une des armes principales de la politique impériale britannique. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet ; mais rappelons seulement que le Panarabisme est pour l'essentiel « made in Britai11 ))' produit d'une collaboration entre le Colonial Office et la science anglaise. En Allemagne, on constatait une véritable symbiose entre la science et la nation. Fait trop connu et trop souvent dénoncé pour qu'il faille le démontrer ici. Il n'est pas facile de déterminer si ce so11t les savants allemands qui ont capitulé, corps et âme, devant l'État raci te et totalitaire, ou si plutôt la science allen1ande n'était pas respon-

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