Interrogations - anno III - n. 7 - giugno 1976

VACLAV HAVEL tielle du monde naturel, une pratique toujours plus complète, constante et habile de diverses formes d'adaptation au monde extérieur comme seul système de défense efficace. La peur n'est évidemment pas le seul matériau de construction de notre structure sociale actuelle. Elle reste cependant le matériau essentiel sans lequel ne pourrait être atteinte cette apparente unité, cette discipline, cette unanimité que les documents officiels présentent comme la consolidation de la situation. Se pose alors la question : de quoi en fait les gens ont-ils peur ? des procès ? de la torture ? de la perte de leurs biens ? de la déportation ? des exécutions ? Bien sûr que non. Ces formes les plus brutales d'oppression du citoyen par le pouvoir social - du moins dans nos conditions - ont été emportées par l'histoire. La pression d'aujourd'hui a des formes plus raffinées, mieux choisies et même si les procès politiques existent toujours (et leur manipulation par le pouvoir est connue de tous), ils ne représentent qu'une menace extrême alors que le poids principal de cette pression se manifeste dans la sphère des conditions d'existence. Ce qui ne change pas grandchose quant au fond. On sait qu'il s'agit moins d'une menace matérielle absolue que de sa valeur relative. Plus que ce que l'homme perd objectivement, il s'agit de savoir quelle importance subjective cela a pour lui, dans l'horizon du monde dans lequel il vit, dans son échelle de valeurs. Donc, la crainte pour l'homme d'aujourd'hui, par exemple, de perdre la possibilité de travailler dans sa spécialité, peut être aussi forte et le conduire aux mêmes actes que lorsque, dans d'autres conditions historiques, il était menacé de perdre ses biens. La méthode de pression sur les conditions d'existence est même, dans un certain sens, plus universelle : en effet, il n'y a pas chez nous de citoyen dont l'existence (au sens le plus large du mot) ne pourrait être atteinte : chacun peut perdre quelqut:! chose et donc chacun a des raisons d'avoir peur. La gamme des choses que l'homme peut perdre est variée, depuis les privilèges les plus divers de la couche au pouvoir et de toutes les possibilités particulières découlant du pouvoir, en passant par la possibilité d'avoir un travail tranquille, de l'avancement et de gagner sa vie, bref, de pouvoir travailler dans sa branche, de faire des études, jusqu'à la possibilité de vivre, au moins, avec un niveau de sécurité juridique limitée, comme les autres citoyens, et de ne pas se retrouver dans cette couche spéciale pour laquelle ne sont même pas valables les lois qui s'appliquent aux autres, c'est-à,.dire parmi les victimes de l'apartheid politique tchécoslovaque. Oui, chacun peut perdre quelque chose,· même le dernier des manœuvres peut être déclassé, avoir un travail plus pénible et gagner moins ; même lui peut regretter amèrement si, à une réunion ou dans un café, il dit ouvertement ce qu'il pense. NATURELLEMENT, ce système de pression sur les moyens d'existence, couvrant parfaitement toute la société et chaque citoyen - que ce soit comme menace quotidienne concrète ou comme possibilité géné88

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