Interrogations - anno III - n. 7 - giugno 1976

POUVOIR ET SOCIETE PRIMITIVE sérieux cette dernière propriété sociologique des sociétés primitives. La séparation entre chefferie et pouvoir signifie-t-elle que la question du pouvoir ne s'y pose pas, que ces sociétés sont a-politiques ? A cette question, la « pensée , évolutionniste - et sa variante en apparence la moins sommaire, le marxisme (engelsien surtoùt) - répond qu'il en est bien ainsi et que cela tient au caractère primitif, c'est-à-dire premier de ces sociétés : elles sont l'enfance de l'humanité, le premier âge de son évolution, et comme telles incomplètes, inachevées, destinées par conséquent à grandir, à devenir adultes, à passer de l'a-politique au politique. Le destin de toute société, c'est sa division, c'est le pouvoir séparé de la société, c'est l'Etat comme organe qui sait et dit le bien commun à tous et se charge de le leur imposer. Telle est la conception traditionnelle, quasi générale, des sociétés primitives comme sociétés sans Etat. L'absence de l'Etat marque leur inco.mplétude, le stade embryonnaire de leur existence, leur a-historicité. Mais en est-il bien ainsi? On voit bien qu'un tel jugement n'est en fait qu'un préjugé idéologique, d'impliquer une ..conception de l'histoire comme mouvement nécessaire de l'humanlté à travers des figures du social qui s•engendrent et s'encha1nent mécaniquement. Mais que l'on refuse cette néo-i.héologie de l'histoire et s~n continuisme fanatique : dès lors les sociétés primitives cessent d'occuper le degré zéro de l'histoire, grosses qu'elles seraient en même temps de toute l'histoire à venir, inscrite d'avance en leur être. Libérée de ce peu innocent exotisme, l'anthropologie peut alors prendre au sérieux la vraie question du politique : pourquoi les sociétés primitives sont-elles des sociétés sans Etat? Comme sociétés complètes, achevées, adultes et non plus comme embryons intrapolitiques, les sociétés primitives n'ont pas l'Etat parce qu'elles le refusent, parce qu'elles refusent la division du corps social en dominants et dominés. La politique des Sauvages, c'est bien en effet de taire sans cesse obstacle à l'apparition d'un organe séparé du pouvoir, d'empêcher la rencontre d'avance sue fatale entre institution de la chefferie et exercice du pouvoir. Dans la société primitive, il n'y. a ·pas d'organe séparé° du pouvoir parce que le pouvoir n'est pas séparé de la société, par ce que c'est elle qui le détient, comme totalité une, en vue de maintenir son être indivisé, en vue de conjurer l'apparition en son sein de l'inégalité entre maîtres et sujets, entre le chef et la tribu. Détenir le' pouvoir, c'est l'exercer ; l'exercer, c'est dominer ceux sur qui il s'exerce : voilà très précisément ce dont ne veulent pas (ne voulurent pas) les sociétés primitives, voilà pourquoi .,

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