VACLAV HAVEL D Ns nos usines et nos bureaux on travaille dans la discipline ; le travail des citoyens donne des résultats visibles dans l'augmentation progressive du niveau de vie ; les gens se font construire des maisons, achètent des voitures, conçoivent des enfants, s'amusent, vivent. Evidemment, tout cela ne devrait pas nécessairement signifier grand chose quant au succès ou l'échec de votre politique : après toute période d'effervescence sociale, les gens reviennent toujours à leur travail quotidien parce qu'ils veulent vivre : ils le font en fin de compte pour eux-mêmes et non à cause de tel ou tel gouvernement en place. Mais les gens ne font pas que travailler, consommer et vivre comme ils l'entendent. Ils font plus : ils se fixent publiquement des objectifs de production qu'ils remplissent et dépassent ; ils participent tous aux élections et élisent à l'unanimité les candidats proposés ; ils militent activement dans diverses organisations politiques, prennent part à des réunions et manifestations ; ils soutiennent tout ce qu'on leur demande de soutenir ; aucun signe de désaccord sur l'action du gouvernement. On ne peut plus passer aussi aisément ces faits sous silence. Il faut se demander sérieusement : n'est-ce pas la confirmation que vous avez rempli avec succès Je programme que votre direction s'était fixé : gagner le soutien de la population et consolider la situation dans le pays ? Tout dépend de ce que l'on entend par consoli.dation. Si les statistiques diverses, les rapports administratifs ou policiers sur 'l'activité politique des citoyens et autres choses semblables constituent Je seul critère, on pourra bien entendu diffic!lement douter de la consolidation de notre société. Mais si l'on entendait par consolidation quelqÙe chose de plus, à savoir l'état intérieur réel de la société ? Si l'on Si? posait des questions sur d'autres sujets, peu~tre plus subtils, moins tacilement quantifiables, mais non moins importants pour autant ? Je pense à ce qui, du point de vue de l'expérience individuelle humaine, se cache en fait derrière ces chiffres. Si l'on se posait des questions comme celles-ci : qu'a-t-on fait pour le renouveau moral et spirituel de la société, pour Je développement de dimensions réellement humaines de la vie, pour élever l'homme à une plus grande dignité, pour son accomplissement libre et authentique dans le monde ? Que découvrons-nous, si nous nous détournons ainsi de la simple observation de manifestations extérieures vers l'ensemble de leurs causes et conséquences intérieures, leurs relations et significations, bref, vers ce champ plus caché de la réalité qui donnerait alors un sens humain commun à ces manifestations. Pouvons-nous encore, après cela, considérer notre société comme consolidée ? J'ose affirmer que non. J'ose affirmer qu'en dépit d'une apparence attrayante, Join d'être intérieurement consolidée, notre société sombre au contraire dans une crise .sans cesse plus profonde, une crise à bien des égards plus dangereuse que tout autre et que nous n'avons pas connue dans notre histoire moderne. 86
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