PIERRE CLASTRES compte, une politique d'alliance ou d'hostilité avec ses voisins, qu'il n'aurait de toute manière aucun moyen d'imposer ses buts à la société puisque, nous le savons, il est dépourvu de tout pouvoir. II ne dispose, en fait, que d'un droit, ou plutôt d'un devoir de porte-parole : dire aux Autres le désir et la volonté de la société. Qu'en est-il, d'autre part, des fonctions du chef non plus comme préposé de son groupe aux relations extérieures avec les étrangers, mais dans ses relations internes avec le groupe luimême ? Il va de soi que si la communauté le reconnait comme leader (comme porte-parole) lorsqu'elle affirme son unité par rapport aux autres unités, elle le crédite d'un minimum de confiance garantie par les qualités qu'il déploie précisément au service de sa société. C'est ce que l'on nomme le prestige, très généralement confondu, à tort bien entendu, avec le pouvoir. On comprend ainsi fort bien qu'au sein de sa propre société, l'opinion du leader, étayée par le prestige dont il jouit, soit, le cas échéant, entendue avec plus de considération que celle des autres individus. Mais l'attention particulière dont on honore (pas toujours d'ailleurs) la parole du chef ne va jamais jusqu'à la laisser se transformer en parole de commandement, en discours de pouvoir : le point de vue du leader ne sera écouté qu'autant qu'il exprime le point de vue de la société comme totalité une. Il en résulte que non seulement le chef ne formule pas d'ordres, dont il sait d'avance que personne n'y· obéirait, mais qu'il ne peut même pas (c'est-à-dire qu'il n'en détient pas le pouvoir) arbitrer lorsque se présente par exemple un confllt entre deux individus ou deux familles. ·Il tentera non pas de régler le litige au nom d'une loi absente dont 11serait l'organe, mais de l'apaiser en faisant appel, au sens propre, , aux bons sentiments des parties opposées, en se référant sans cesse à la tradition de bonne entente léguée, depuis tou,1ours, par les ancêtres. De la bouche du chef Ja111issentnon pas les mots qui sanctionneraient la relation de commandement-obéissance, mais le discours de la société elle-même sur elle-même, discours au travers duquel elle se proclame elle-même communauté indivisée et volonté de persévérer en cet être indlvisé. L Es socIÉTÉSprimitives sont donc des sociétés indivisées (èt pour cela, chacune se veut totalité une) : sociétés sans- classes - pas de riches exploiteurs des pauvres -, sociétés sans division en dominants et dominés - pas d'organe séparé du pouvoir. Il est temps maintenant de prendre complètement au 6
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