Interrogations - anno III - n. 7 - giugno 1976

PIERRE CLASTRES l'Etat libéral bourgeois, ou l'Etat totalitaire fasciste ou communiste. Prenant donc garde d'éviter cette confusion qui empêcherait en particulier de comprendre la nouveauté et la spécificité radicales de l'Etat totalitaire, on retiendra qu'une propriété commune fait s'opposer en bloc les sociétés à Etat aux sociétés primitives. Les premières présentent toutes cette dimension de division inconnue chez les autres, toutes les sociétés à Etat sont divisées, en leur être, en dominants et dominés, tandis que les sociétés sans Etat ignorent cette division: déterminer les sociétés primitives comme sociétés sans Etat, c'est énoncer qu'elles sont, en leur être, homogènes parce qu'elles sont indivisées. Et l'on retrouve ici la définition ethnologique de ces sociétés : elles n'ont pas d'organe séparé du pouvoir, le pout?otr n'est pas séparé de la société. Prendre au sérieux les sociétés primitives revient ainsi à réfléchir sur cette proposition qui, en efl'et, les définit parfaitement: on ne peut y isoler une sphère politique distincte de la sphère du social. On sait que, dès son aurore grecque, la pensée poliltque de l'Occident a su déceler dans le politique l'essence du social humain (l'homme est un animal politique), tout en saisissant l'essence du politique dans la division sociale entre dominants et dominés, entre ceux qui savent et donc commandent et ceux qui ne savent pas et donc obéissent. Le social c'est le politique, le politique c'est l'exercice du pouvoir (légitime ou non, peu importe lei) par un ou quelques-uns sur le reste de la société (pour son bien ou son mal, peu importe ici) : pour Héraclite, comme pour Platon et Aristote, 11n'est de société que sous l'égide des rois, la société n'est pas pensable sans sa division entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent et là où fait défaut l'exercice du pouvoir, on se trouve dans l'intrasocial, dans la non-société. C'est à peu près en ces termes que les premiers Européens jugèrent les Indiens d'Amérique du Sud, à l'aube du XVI' siècle. Constatant que les c chefs , ne possédaient aucun pouvoir sur les tribus, que personne n'y commandait ni n'y obéissait, ils déclaraient que ces gens n'étaient point policés, que ce n'étaient point de véritables sociétés : des Sauvages c sans fol, sans loi, sans roi,. IL EST BIEN VRAI que, plus d'une fols, les ethnologues eux-mêmes ont éprouvé un embarras certain lorsqu'il s'agissait non point tant de comprendre, mals simplement de décrire cette très exotique particularité des sociétés primitives : ceux que l'on nomme 4

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