Laquestiodnupouvoir danslessociétépsrimitives PierraClastres <•> A u couRs des deux dernières décennies, l'ethnologie a connu un développement brillant grâce à quoi les sociétés primitives ont échappé sinon à. leur destin (la disparition) du moins à l'exil auquel les condamnait, dans la pensée et l'imagination de l'Occident, une tradition d'exotisme très ancienne. A la conviction candide que la civilisation européenne était absolument supérieure à. tout autre système de société s'est peu à peu substituée la reconnaissance d'un relativisme culturel qui, renon9&.nt à l'affirmation impérialiste d'une hiérarchie des valeurs, admet désormais, s'abstenant de les juger, la coexistence des différences socio-culturelles. En d'autres termes, on ne projette plus sur les sociétés primitives le regard curieux ou amusé de l'amateur plus ou moins éclairé, plus ou moins humaniste, on les prend en quelque sorte au sérieux. La question est de savoir jusqu'où va cette prise au sérieux. Qu'entend-on précisément par société primitive? La réponse nous est fournie par l'anthropologie la plus classique lorsqu'elle veut déterminer l'être spécifique de ces sociétés, lorsqu'elle veut indiquer ce qui fait d'elles des formations sociales irréductibles : les sociétés primitives sont les sociétés sans Etat, elles sont les sociétés dont le corps ne possède pas d'organe séparé du pouvoir politique. C'est selon la présence ou l'absence de l'Etat que l'on opère un premier classement des sociétés, au terme duquel elles se répartissent en deux groupes : les sociétés sans Etat et les sociétés à Etat, les sociétés primitives et les autres. Ce qui ne signifie pas, bien entendu, que toutes les sociétés à Etat soient identiques entre elles : on ne saurait réduire à un seul type les diverses figures historiques de l'Etat et rien ne permet de confondre entre eux l'Etat despotique archarque, ou (t) Ethnologue. Professeur à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. A publté « Chronique des Indiens Guayaki » 1972, « Le Grand Parler - Mythes et textes sacrés des Indiens Guarani» 1974, « La Société contre l'Etat» 1974. 3
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