JOELLE KUNTZ militaires, lesquels revendiquent les circonstances atténuantes pour· n'avoir pas été soutenus assez vite. On retrouvera, dans les tracts du « mouvement des capitaines» des quelques semaines précédant le 25 avril 1974, les traces d'un traumatisme laissé par l'événement dans le corps des officiers : « si, avant 1961, les forces armées n'étaient pas ouvertement atteintes dans leur prestige, ou ne l'étaient pas de f~çon frappante, c'est que les crises internes du régime ne s'étaient pas aiguisées à ce point. Mais à partir de la chute de l'Inde, et surtout, au fur et à mesure que les guerres d'Afrique se prolongeaient, les forces armées ont découvert, non sans stupéfaction de la part de nombreux m1litaires, leur divorce avec la Nation. Les forces armées sont humiliées, dessaisies de leur prestige et présentées au pays comme les responsables suprêmes du désastre ... » En 1961, le même Costa Gomes qui est aujourd'hui président de la République, fait savoir à Salazar qu'il ne pense pas qu'il y ait une issue militaire aux troubles que les tout jeunes mouvements de Libération provoquent dans les colonies. Il n'est pas entendu. Ce désaccord n'est pas un motif de crise au sein de l'armée : il y a quelque chose d'oriental dans la manière d'être et d'agir portugaise qui permet toujours de trouver un biais pour ne pas affronter les situations en face. Costa Gomes s'arrangera de la situation, comme tous ceux qui, avec lui, doutent; il marchandera le possible et l'impossible, loyal serviteur d'une politique qu'il désapprouve, en attendant mieux. N'a-t-il pas, le 18 novembre 1975, salué chaleureusement une manifestation d'extrême-gauche qu'il ne pouvait empêcher, pour en accueillir une autre, socialiste, quelques jours plus tard, après que l'extrême-gauche et parti communiste réunis aient raté leur coup d'Etat? On l'aura donc entendu vanter les mérites de la présence portugaise en Afrique, puis se féliciter de la décolonisation, applaudir le socialisme de M. Cunhal tout en soutenant celui de M. Soares, tenter de les réunir, tout en donnant des garanties à leurs opposants et finir son éblouissante carrière devant une démocratie centriste qui termine par ne plus lui pardonner ses promenades idéologiques. Costa Gomes n'est pas un citoyen banal ni un promeneur solitaire: il parcourt· ces paysages à la tête de l'Etat-major général. Qu'il n'ait pas été démis pourrait symboliser le fait qu'après tout, les autres militaires, sauf quelques-uns, n'y voient pas plus clair ou plutôt pas plus droit. Même s'ils n'ont cessé de vouloir y voir ... 14
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