JOELLE KUNTZ que comme le fait d'une rupture historique dans le phénomène militaire. L'armée portugaise d'avant le 25 avril n'est pas plus fasciste qu'elle n'est communiste sous Gonçalves. Ni « de droite>, ni « de gauche>, elle a vu passer Spinola, Gonçalves, Anturies et Eanes (1), quatre chefs qui représentent chacun une période dans ce qu'on a nommé « le processus >, sans que les changements qui l'ont atteinte et dont il faut certainement rendre compte, l'aient irrémédiablement transformée, c'est-à-dire que ses rapports avec la Politique, passées les fantaisies révolutionnaires de boulevard, restent toujours aussi conflictuels qu'ils l'ont été au long de l'histoire récente du Portugal. , ... Il .a fallu qu'un intellectuel. rappelle, dans un ouvrage récemment paru au Portugal (2) que même Salazar n'avait réussi à échapper à la méfiance des militaires et que tout dictateur qu'il fut, 11dut leur rendre cet honneur que de leur faire la plus belle place dans les institutions du pays : celle de la présidence de la République. On dira qu'il avait vidé ce rô\e de son sens et que le président n'était en fait qu'une potiche soumise en tout au chef du gouvernement. Il n'est pourtant pas indifférent que cette potiche-là ait été mmtaire. S'il tallait un figurant, pourquoi donc le choisir dans une caste que Salazar n'aimait guère alors qu'il y avait maints candidats civils en lice ? Les institutions républicaines n'avalent jamais été abolies par Salazar, qui asseyait au contraire son pouvoir sur un mouvement militaire qui prétendait initialement les restaurer. 0r ces institutions obligeaient à l'élection du président de la République au suffrage universel. Tout se passait donc comme si, inventeur d'un « Etat nouveau > plus que d'une « société noµvelle >, Salazar s'était avant tout préoccupé de l'Etat, en se gardant de représenter une légitimité populaire, laissée, elle, et c'est une nuance de taille, à l'armée, laquelle jouait ce double jeu de gardien de l'ordre auprès de l'Etat et de gardien de la République auprès d'un peuple consentant, ou obligé de l'être. Ce rappel permet de saisir divers phénomènes importants.- Le premier : si l'armée portugaise du temps de Salazar a accepté le système corporatiste de l'Etat, en ce qu'il garantissait l'ordre, après les « désordres i>, de la· République, elle ne fut pas f~- clste, ou assez unie pour l'être, et elle a imposé au dictateur une parodie de ·démocratie - les élections - qui démoritré à (1) Actuelle figure-clef de l'institution, chef d'Etat-major de l'armée ~e terre. (2) Eduardo Lourenço, « Os militares e o poder ,, Arcadia, 19711. 12
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