L'armépeortugaise : rupturetcontinuité JoelleKuntz (•) LES JEEPS militaires s1llonnent encore les vllles portug'1ses, remplis de troufions habillés de neuf, casques luisants, bottes cirées et lacets bien serrés. Ils sont discrets sous le commandement, c'est-à-dire qu'ils obéissent à quelqu'un d'autre qu'eux-mêmes, dépourvus désormais de l'arrogance que leur donnait facilement le sentiment qu'ils avaient d'être chacun d'eux, individuellement, une parcelle du salut de ·1a nation. S'ils étaient alors affublés d'une gloire qu'ils n'avaient ni méritée ni demandée, s'ils s'étaient vus baptisés de « peuple en armes , et en avalent retiré quelque fierté, ils avalent pu néanmoins apprendre quelle responsabilité pesait entre leurs mains, sous chaque mitraillette, dès lors qu'ils détenaient .eux-mêmes, ou leur tout proche supérieur hiérarchique, le droit de tirer ou de ne pas tirer. Ces soldats-là, au bout du compte, n'ont pour ainsi dire jamais tiré, c'est-à-dire que ce « peuple en armes» glorieux à bon marché, n'a jamais fait usage de sa puissance de feu, n'a ·jamais marqué par le sang une révolution qu'on prétendait lui faire !aire. A Lisbonne, à Leiria, à Porto, ces-pauvres troufions tiraient en l'air dans les manifestations ou pleuraient quand les ordres ne venaient pas ... Aujourd'hui, les lacets neufs de leurs bottes astiquées figurent le bon ordre d'une institution qui a repris ses habitudes, nommé ses chefs et dispensé ses hommes de penser par euxmêmes le destin de la nation. On regarde passer les jeeps avec plus d'indifférence. A pre·mière vue, l'armée portugaise d'avant le 25 avril 1974 et l'armée portugaise d'après le 25 novembre 1975 ont tant de qissemblance que le temps qui sépare ces deux épisodes pourrait presque mieux apparaitre comme une continuité logique (•) Journaliste· et essayiste suisse. Auteur de « Les fusils et les urnes • Le Portugal d'aujourd'hui», 1975. n
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