Interrogations - anno III - n. 7 - giugno 1976

VACLAV HAVEL soudain le bloc monolithique du pouvoir se décompose en individus différenciés qui ont gardé certes l'ancien langage commun, mais qui désormais s'en servent pour des accusations personnelles. Quant à nous, interloqués, on nous apprend que nombre d'entre eux (ceux qUi ont perdu la course au pouvoir) n'ont jamais cru aux objectifs fixés et ont failli dans leur réalisation, alors que d'autres < ceux qui l'ont gagnée) croient véritablement à ces objectifs et sont seuls aptes à les réaliser avec succès. Plus le calendrier officiel de la pseudo-vie est construit pendant des années avec rationalité, d'autant plus irrationnelles seront les irruptions de l'histoire réelle : toute son « irrépétibilité » réprimée, son caractère unique et imprévisible et tout son mystère si longtemps refoulé apparaissent soudain. Si, pendant des années, nous n'avions pas connu la surprise du quotidien, nous vivons alors l'unique grande surprise, et elle en vaut la peine. Le « désordre » de l'histoire, longtemps réprimé par un ordre artificiel, soudain jaillit au-dehors. Comme si nous ne connaissions pas cela ! Comme si nous n'avions pas vu cela tant de !ois dans notre pays ! La machine qui semblait infaillible s'effondre en une nuit. L'équipe au pouvoir qui donnait l'impression d'être capable de rester inchangée jusqu'à la fin des jours (puisqu'il n'existe pas, dans ce système d'élection unanime de forces capables de la remettre en question) se décompose soudainement. Et nous autres spectateurs, nous découvrons que la réalité était différente de ce que nous croyions. L'instant où une tornade pareille s'abat sur le monde aux structures de pouvoir figées, n'est pas nécessairement, pour nous autres spectateurs de l'extérieur, un objet d'amusement. Même si c'est indi• rectement, nous sommes également concernês : n'est-ce donc pas cette pression souterraine et irrésistible de la vie,· de ses besoins sociaux constamment brimés mais indestructibles, de ses intérêts, de ses contradictions et de ses tensions qui ébranlent toujours le pouvoir ? Et pourquoi alors s'étonner que la société s'éveille toujours à nouveau dans des moments pareils, qu'elle s'attache à eux, qu'elle les perçoive d'une manière aiguë, qu'elle les lais~ agir et qu'elle essaie d'en profiter. Ces secousses éveillent presque toujours certains espoirs ou certaines craintes. Elles ouvrent, réellement ou en appar rence, un champ de réalisation pour des forces et des aspirations diverses. Presque toujours elles accélèrent les mutations diverses de la société. POURQUOIs'étonner lorsque le carcan ·éclate et la lave de la vie jailJit à la surface, que l'on y trouve, à côté d'efforts raisonnables pour redresser les torts antérieurs, de la soif de vérité, du désir de changement, aussi des éléments d'une haine viscérale, d'une colère vengeresse et un désir fiévreux de satisfaction immédiate pour compenser l'humiliation endurée ? Le caractère disproportionné, par rapport à la situation de ce désir, est en grande partie le fruit d'un vague pressentiment qu'en !ait cette flambée arrive trop tard, à un 104

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