Interrogations - anno III - n. 7 - giugno 1976

VACLAV HAVEL façon l'histotre réelle - cette source insatiable de « chaos », cette cause permanente de désordre, cette gifle insolente à l'ordre établi - peut-elle exister dans un monde dominé par un régime entropique ? En vérité, elle n'y existe pas, du moins vu de l'extérieur : par l'anesthésie de la vie, le temps social s'arrête et l'histoire disparait. Chez nous aussi, il semble, depuis un certain temps, qu'il n'y ait plus d'histoire : lentement mais sürement nous perdons la notion du temps - nous oublions ce qui s'est passé, quand, ce qui venu avant et après - et le sentiment s'emJ:6re de nous, qu'en fait c'est sans importance. L'unique et la continuité aussi disparaissent de la vie ; tout se fond dans une seule image grise d'un cycle sans cesse répété : on dit qu'il ne se « passe rien ». L'ordre mortifiant fut introduit là aussi : la vie est parfaitement organisée et donc parfaitement anesthésiée. La crise de la sensation de progression dans le temps pour la société mène inévitablement à la crise de la vie privée : perdant l'arrière-plan historique de la société et par là-même, l'histoire de la place de l'individu dans cette histoire, la vie privée tombe à un niveau «préhistorique» où le temps est rythmé par des événements tels que la naissance, le mariage ou la mort. Tout se passe comme si la crise de la sensation du temps social plongeait la société en arrière, en des temps préhistoriques, où l'humanité, pendant des millénaires, ne dépassait pas dans sa conscience du temps historique, les limites stéréotypés cosmico-météorologiques de périodes se répétant à l'infini, accompagnées de rituels reltgieux. Le fossé, laissé derrière elles par les dimensions inquiétantes de l'histoire, doit cependant être comblé. Ainsi, le désordre de l'histoire réelle doit être remplacé par l'ordre d'une pseudo-histoire dont l'au-· teur n'est pas la vie de la société, mais le planifi<lf,\teur de service. Au lieu d'événements, il nous propose des pseudo-événements : nous vivons d'un anniversaire à un autre, d'une commémoration à une autre, d'une revue à une autre, d'un congrès unanime à des élections non moins unanimes ; d'élections unanimes à un autre congrès unanime ; de la Journée de la Presse à celle de !'Artillerie et viceversa. Ce n'est pas par hasard que ce genre de substitution de l'histoire nous permet d'avoir une vue complète non seulement du passé mais également du futur, par un simple coup d'œil sur le calendrier. Grâce au contenu bien connu de ces rituels répétitifs, l'information obtenue est égale à celle que nous donnerait une expérience authen• tique. Donc un ordre parfait - mais au prix d'un retour à la préhistoire. Et comportant une rèserve : alors que pour nos ancêtres la répétition de rituels prenàit chaque fois un sens existentiel profond, pour nous ce n'est qu'une routine insignifiante : le gouvernement s'y accroche pour donner l'impression d'un mouvement historique et le citoyen y participe pour éviter les ennuis. C'est le moment où commence à se passer de nouveau quelque chose de visible, de réellement nouveau et d'unique : quelque chose de non planifié dans les calendriers officiels des événements, quelque chose qui ne peut pas laisser indifférent ; quelque chose de véritablement historique, puisque l'histoire redemande à nouveau la parole. 102

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