VACLAV HAVEL suggestive. Je veux parler du mandat d'arrêt préalable contre tout ce qui est intérieurement libre et donc contre tout ce qui fait partie de la culture au sens profond du terme. Je parle du mandat d'arrêt contre la culture lancé par votre gouvernement. Quelle en est la signification ? Où cela mène-t-il ? Quel sera son Impact sur la société ? Je reprends un exemple : comme vous le savez, la plupart des revues culturelles d'avant 68 ont cessé de paraitre ; si certaines ont survécu c'est parce qu'elles ont été obligées d'être pareilles aux autres, et que cela n'a presque pas de sens de les consulter. Et le résultat ? A première vue pas grand-<:hose : la société continue à fonctionner, même sans toutes ses revues littéraires, artisti• ques, théâtrales, philosophiques, historiques et autres, dont le nombre, même du temps de leur parution, ne répondait pas aux besoins latents de la société mais qui existaient et qui jouaient leur rôle. A combien de personnes ces revues manquent-elles aujourd'hui ? Quelques dizaines de milliers d'abonnés, donc une partie très restreinte de la société. Néanmoins il s'agit d'une perte d'une portée infiniment plus grande qu'il ne parait du point de vue quantitatif. Sa portée véritable est, une fois de plus, cachée, difficilement perceptible. La liquidation de telle revue - une revue théâtrale théorique par exemple - n'est pas seulement un appauvrissement concret pour ses lecteurs, ni même simplement un rude coup porté à la culture théâtrale. Elle représente, avant tout, la liquidation d'un moyen de prise de conscience pour la société et en tant que telle, une intervention dans le réseau complexe d'échange et de trans• formation des ressources qui maintiennent en vie cet organisme stratifié qu'est la société moderne, un coup porté à la dynamique spontanée des processus dans cet organisme, une perturbation de l'harmonie, de la complémentarité et de l'équilibre des diverses fonctions correspondant au degré atteint par la structuration intérieure. Et de même qu'un manque prolongé d'une vitamine - qui ne représente du point de vue quantitatif qu'un composant négligeable de la nourriture de l'homme - peut cependant rendre malade l'homme, de même la disparition d'un seul journal peut causer, à long terme, à l'organisme social des dommages incomparablement plus grands qu'il ne parait à première vue. Qu'en est-il lorsqu'il ne s'agit pas d'une seule mais en fait de toutes ces revues? On peut en effet facilement démontrer que le sens véritable de la connaissance, de la pensée et de la création, n'est jamais entièrement épuisé par la signification que ces valeurs prennent pour le cercle de personnes « physiques » dans le monde stratifié de notre société civilisée, qui à l'origine est «physiquement» en contact avec elle d'une manière active ou passive. Ce nombre est presque toujours plus restreint dans les sciences que dans les arts. Et pourtant, la connaissance dont il peut, par la suite, à travers de nombreux inter• médiaires, toucher très profondément toute la société, de la même manière que nous touche « physiquement » la politique qui tient compte de la menace atomique, alors que la majorité d'entre nous 98
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