MINORITtS ET NATIONALISMES d'en finir avec la « Babel patoisante de l'Ancien Regime•· II s'agit main tenant d' « uniformiser la langue d'une grande nation de maniere que tous les citoyens puissent sans obsta.cle se communiquer leurs pensees ,. et de detruire du meme coup des erreurs seculaires puisque c c'est surtout l'ignorance de l'idiome national qui tient tant d'individus a une si grande distance de la verite,. (Rapport de Gregoire). La defense nationale apporte des arguments supplementaires, puisque les ennemis de la Revolution risquent de comploter dans des patois inintelligibles ou, pis encore, lntelligibles a l'ennemi exterieur. Mais de toute maniere, 11 etait dans la logique de l'ideologie democratique bourgeoise de ne reconnaltre aucun autre rapport politique que le rapport direct du « citoyen,. atomise avec l'Etat, en supprimant tous les c agglomerats ,., et l'idiome particulier etait un facteur d'agglomeration. En decembre 1793, le Comite de salut public interdit !'usage de l'allemand en Alsace. Des solutions plus energiques sont d'ailleurs proposees : la deportation des Alsaciens ou c une promenade a la guillotine pour operer leur conversion ,. (3). La guerre contre les « idiomes grossiers qui prolongent l'enfance de la raison et la vieillesse des prejuges,. (toujours Gregoire) sera reprise par l'ecole de la nr RepubUque avec tout !'arsenal ideologique emprunte a la Revolution. Sans doute, le processus d'uniformisation etait en cours depuis le XVIII• si~le sous la pression de la necessite des echanges economiques dans le developpement du capitalisme. Mais ce sera la ta.che de l'ecole d'inculquer un « francals elementaire ,. preparant le futur travailleur a la langue du contrat de travail et du commandement, le preparant aussi a se deplacer suivant les lois du marche de l'emploi. Cette langue unitiee, vehiculant les valeurs de la Nation, du centralisme, du travail et de la discipline exclut d'ailleurs fort logiquement toute mention positive des formes d'opposition ouvriere et des luttes sociales. (Les termes concernant la greve, par exemple, n'apparaissent longtemps que dans des expressions empruntes aux parlers locaux.) En meme temps se diffuse une histoire tout aussi elementaire qui a pour mission d'expurger la memoire collective des traces d'une histoire non franr;aise, c'est-a-dire non bourgeoise. (3) Des travaux critiques sur la repression llngulstlque commencent ii paraitre : Le fran~als national (politlque et pratlque de la laDp• oaUonale sous la Revolution), de Renee Ballbar et Dominique Laporte (Hachette, 1974) et un ouvrage collectlf, Une polltlque de la langue (la Revolution fram;ialse et Jes patois) chez Galllmard (1975). 15
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