MARIANNE ENCKELL de la pensée et de l'action. Bakounine écrit au tsar, mais il se laisse bientót emporter comme toujours par sa plume, et c'est pour lui-meme qu'il écrit; les courbettes, la coulpe battue a intervalles réguliers servant de contr(>le, pour ne pas oublier que c'est l'ennemi qui sera le lecteur. Et qu'il ne se trompera pas sur la nature de ce long texte. S'adresser au tsar en l'appelant « tres gracieuse Majesté >, « tres miséricordieux souverain » ne dit rien sur la sincérité du parleur (je ne sais jamais comment parler a un pretre, a un militaire. On dit « Votre Majesté > mais « mon colonel », « mon pere '>. Les altesses, les éminences sont bien loin de celui qui leur adresse la parole.). La confession qu'eüt espérée le tsar, c'eüt été une déclaration d'allégeance, un vrai reniement des fautes passées. Tout ce que son prisonnier lui dit, c'est ceci : rendez-vous compte, j'ai poussé l'impudence jusqu'a comploter contre vous, mais vous ne saurez pas avec qui ; j'ai voulu la révolution, j'ai vécu pour elle, et me voici en train de crever ; c'est une fin trop bete apres cette exaltation, ces enthousiasmes : relachez-moi, je vous laisserai en paix (apres tout, vous n'etes pas la meilleure cible), j'irai me battre ailleurs. C'est Bakounine tout entier que l'on peut lire ainsi. Nettlau, au sujet d'Etatisme et anarchie (1873), constate que ce livre, écrit dans la haine, contient « des opinions éminemment sub-, jectives », « mille vérités flanquées de mille semi-vérités, mille erreurs sur le passé, sur sa propre époque et sur !'avenir, pour ce que nous en savons depuis plus de cinquante ans [que le livre a été écrit), années de recherche et d'expériences qui modifient nécessairement la valeur de presque toutes les opinlons émises en 1873 » (préface aux Obras completas de Bakounine, t. v. Barcelona 1925). Il ajoute qu'il est plus utile a lire pour l'étude de la mentalité de l'auteur que pour les analyses politiques qu'il contient ; a lire comme une conversation, sans vouloir en tirer de ligne a suivre. Bakounine ni dieu ni mattre. Dans ces conditions, il est pour le moins étrange que la premiere partie de la vie de Bakounine (la jeunesse dans l'ar.istocratie russe, l'apprentissage de la philosophie et de la politique, les mouvements slaves et les révolutions de quarantehuit) soit reconstituée par Duelos sur la seule base de la Confession. Un document qui pour lui est si vil, si immoral, comment peut-il etre de bonne foi? Le texte en est résumé, cité, puis retraduit dans son entier, bien qu'il ait été connu depuis cinquante ans en russe et édité en fran~ais (difficile a 119
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