L'HOMME,--VENDREDI, !38 DECEMBRE 1850. -------------- ,-,;=--------------------------------,-------------------------~··,,:,::;-•• L'an dernier, en décembre, eut lieu la même comédie; l'Autriche avait, comme aujourd'hui, la paix dans ses mains, et la RuMie ne pouvait xefuser à sa vieille sœur le cordial acquiescement qu'on lui demandait au nom de l'Europe émue, troublée. L'on sait ce qu'il advint, pourtant, et ce que donna, comme dernière conséquence, la diplomatie de l'hiver : -une campagne de six mois, acharnée, les flottes et les armées en travail constant de guerre, les milliards et les régiments engloutis, et _tout cela pour un pan de ville ruiné ! • Cette diversion pacifique, à ce qu'il paraît, a paru bonne à la sainte-alliance du continent, et l''Jn va re-· nouveler le même intermède, afin qu'au printemps la France et l'Angleterre s'épuisent encore de sang et d'or. L'an dernier, l'Autriche, par le traité du 2 décembre, s'était engagée, s'il y avait obstination russe, et refus officiel, à prêter un concours actif aux forces combinées de l'ouest. Cette déclaration lui valut les deux principautés danubiennes. ,Une fois nantie, l'Autriche interprèta sa signature et ne fit rien, ne vouhnt pas sans doute affaiblir les· gloires de l'Occident. Cette fois, il n'est plus question, en cas de refus péremptoire et formel, de s'engager activement dans l'alliance, mais l'Autriche déclare que, si elle échoue, elle rappellera son ambassadeur de Saint-Pétersbourg, en signe de disgrace pour le Russe ! C'est ainsi que la maison d'Autriche comprend l'amour et pratique le progrès dans les alliances. Elle signe au début un contra_t fraternel pour la guerre et puis le viole, quand elle a pris ses arrhes : au second acle, elle revient à ses chers amis, fait de nouveau son ihème de paix, et menace l'adversaire commun, s'il persiste, de rappeler sa livrée ! Nous comprenons ce jeu de l'Autriche, puissance ruinée, sans vie, sans force et sans autre influence que celle de ses ruses, Formée d'éléments divers, déchirée dans ses entrailles, minée comme une prison assise sur des cariatides humaines, l'Autriche ne peut rien tenter, rien oser qui soit décisif, et la diplomatie tortueusa, louche, ténébreuse ne serait point dans son caractère, sa tradition, ses mœurs, qu'elle y serait condamnée par les nécessités politiques. Elle a bien assez de garder ses gibets et ses cachots! Nous comprenons l'Autriche. Mais il nous est impossi_ble, en vérité, de comprendre le gouvernement anglais qui, depuis deux ans, dupe et victime de ces stratégies diplomatiques, s'y prête encore et va perdre son hiver en protocoles ; il nous est impossible de comprendre, comment M. Palmerston qui est l'aigle de l'at home, n'exige point, avant toute nouvelle tentative, que l'Autriche s'engage, et cette fois sans équivoque, au concours actif et sérieux pour le printemps prochain, au lieu d'accéder à cette misérable conclusion, à cette moquerie : le rappel d'un ambassadeur ! Le peuple anglais, s'il veut la guerre sérieusement, est, il fant le dire, étrangement mystifié ; mystifié à Vienne, mystifié à Paris, mystifié à Londres 1 Et maintenant, quelles sont ces savantes combinaisons qui doivent amener la paix, quand-même? On demande à la Russie, que la mer Noire soit neutre, que toutes les fortifications disparaissent à jamais de la côte, comme les flottes de guerre de ses eaux, que les bouches du Danube soient libres et qu'il y ait des consuls-espions dans ces parages pour dénoncer au besoin les chantiers de construction 'Oud'armement. Sébastopol pris tout entier et rasé, la Crimée conquise, la Russie envahie, de telles conditions ne seraient ' pas acceptées sans débat; et l'on espère que la Russie intacte dans son territoire, n'ayant perdu que la moitié d'une ville,_ après dix mois de siége, on espère que la Russie irritée, mais à peine blessée, passera sous la fourche et sacrifiera son influence, son presLige de deux siècles, parce qu'elle a perdu Malakoff! Les hommes qui connaissent l'ambition du czarisme et les fortes espérances de la race slave, savent très bien qu'une telle démission ne sera pas donnée. La lune de miel ne durera pas longtemps; un dernier fait, d'ailleurs. vient de modifier, profondément, la situation de guerre. Kars, après d'héroïques efforts, et cinq mois de siège, vient de se rendre, par famine ! Les alliés a:ix armées si puissantes, aux flottes si nombreuses, ont laissé tomber cette ville dévouée, cette garnison vaillante. Elles sont mortes d'inanition, l'arme dans la main. Allez maintenant proposer à la Russie les conditions de la défaite ; elle a entamé la Turquie d'Asie, et le clairon sonne, ô peuple anglais, sur le chemin des Indes! CH. R. I A NOS ABONNES. Des difficultés sans nombre nous ont arrêté, depuis notre expulsion de Jersey, et la régularité du servie~ ne nous sera possible qu'après avoir tout aplani. Voilà pourquoi, les deux premières années étant pleines et réglées, nous commencerons la 3ème, au 1er février prochain, dans toutes les conditions d'exactitude et de durée, bien certains que nos amis se prêteront aux recouvrements. Pour que la propagande ne cesse pas nous publierons, dans le mois de janvier, !'Almanach de l'EX'il (1856), et la démocratie européenne y trouvera ses noms les plus aimés, S'adresser pour les demandes au siége de l'Administration. oi6 à lc6 librairie polontiise, 39, Rupert-street, Hayrnarket. ANGLETERRE. Depuis quinze jours personne ne parle plus en Angleterre, saufM. Bright qui assiste à des meetings particuliPrs et continue sa guerre contre la guerre. A ces meetings, ou soirées de tM, l'on applaudit M. Bright, comme un ami de fa famille : mais s'il abordait les grandes plate-formes, même à Manchester, son berceau de gloire, il sel'ait très compromis, tant l'esprit public est décidé contre le Russe. L'esprit public a-t-il tort? Non certainement. La guerre ouverte est à poursuivre jusqu'au dernier écu, jusqu'a,1 dernier sang. Il ne faut pas que le despotisme du Nord puisse éteindre le pen de lumières qui éclairent encore l'Occident. La cause est sacrée dans la donnée de civilisation à défendre. Mais, en vérité, coh1ment l'esprit anglais qui est, dit-on, si libéral et si 1'étifaux gouvernements absolus, comtnent cette voix de la conscience humaine flpplaudit-elle, depuis l'alliance, à la tyrannie qui s'est faite son alliée, mais qui n'en est pas moins la tyrannie? Comment l'esprit anglais qui ost, dit-on, avec la Pologne martyre, avec la Hongrie décapitée, avec l'Italie suppliciée pa~·les rois et les prêtres, comment, cette grande âme de Mtlto~ et <leHampden, ne comprend-elle pas que son aristocratie la trompe, qu'elle a engagé sa fortune, c'est-à-dire ses trésors et son, sang, dans une querelle d'ambitions princières, qµe les pouvoirs sortis du crime et de la trahison ratifieraient demain tous les grands attentats commis contre les Nationalit~s ou_laissésimpunis par l'Europe, et qu'enfin, on ne voudra Jamais, on ne peut pas vouloir que les Patries servent dans la lutte engagée, parce qu'on a peur des Patries! M. Bright a tort dans son c&.ntiqueéternel de paix et de prospérité tranquille; il faut tuer les loups si l'on veut garder le _troupeau : mais le peuple anglais a tort, quanciil veut poursmvre la guerre avec et par les gouvernements despotiques : les tyrans ne sont jamais entr'eux d'irréconciliables ennemis. Ils ont la religion commune, la maladie de la force, et l'Angleterre, avant que l'hiver n'ait donné toutes ses neicres b • l' ~ • ' ' E O ' verra corn ien on a 1ascmee, trompee. ◄ lie restera, comme l'ont dit nos amis, sans un allié, sans un principe! Que pense la Cour de tout cela? Rien. Inquiétude de peuple n'est point son affaire : elle a les garanties du Nord. La Cour est cependant fort perplexe. Un document curieux vient d'être mis au jour, c'est la pétitiol\, à la reine des chefs-officiers de ses gardes. Ces gentlemen demandent qu'on leur octroie l'avancement de faveur, et ils oublient de rappeler au public qu'ils sont non seulement nourris hors ligne, aux frais du budjet, décorés et vêtus comme des Satrapes; ils oublient non seulement les nombreux et considérables priviléges qui les comfortent et les parent, mais ils ont le courage de réclamer contre leurs frères de la ligne qui se font tuer, là bas, comme des héros en Cr~mée! La J?arade )~l?use 1~ bataill_e, et comme il y ~ des pnnces parmi les petlt10nnaires, quoi qu'en disent las voix populaires, le Morning Advertiser, le Daily News,. le Reynold'~, il est fort probable que le trône acquiescera. Cette caserne anglaise est une miniature de l'Inde, au temps de:; Mogols. C'est une hiérarchie de grades qui défie l'absolu des castes, et ses parias sont les masses! Le peuple ~nglais qu~ s'ét:;t!t réveillé, ces jours derniers, sur une question de droit et d honneur, celle des proscrits, le peuple anglais semble de nouveau s'endormir, et cela est grave. Il est impossible, disent les citoyens de ce pays, q:.i'il se trouve, non pas un gouvernement, mais un ministre qui ose demander en plein Parlement l'Alien-Bill contre les étrangers: il n'y aurait qu'un terrible haro dans toute l'Angleterre! Nous aimons cette fierté nationale, mais nous devons déclarer aux fiers Bretons et Saxons que l'Allien-Bill est une con'!ession faite, qu'on le proposera, pour la forme, au p,ulement, et que c'est un dividende de l'altiance, dividende qui sera payé. Le senl moyen de barrer le passage et d'enclouer la batterie-Palmerston, c'était de multiplier les meetings, et d'organiser une ligue nationale, comme celle de Manchester. En agitant le pays, en rappelant toutes ses grandeurs, en excitant toutes ses fiertés, on aurait pu conjurer l'orage et détourner_la honte. Mais si l'on se contente des petits défis et des petites assemblées, on sera surpris par la politiquP.de concession, et l'Angleterre ne sera plus qu'un satellite du continent ! Ù. R. , LE COUP-D'ETAT DE JERSEY. Pendant le cours d'une guerre que l'on dit entreprise pour la défense de la liberté et de la civilisation nous venons de voir des manifestations d'intolérance, de fanatisme et de bru_talit~dirigées con,tre les champions les plus avancés de la hberte et <lnprogres. On est venu jusque chez nous provoquer les sonpçons, les calomnies, les appels à la Lynch Law, et les proscriptions contre les meilleurs des hommes, contre des hommes qui patriotes et exilés avaient un double droit à notre protection et que les plis du di-apea11anglais n'ont pu préserver de l'insulte et de l'outrage. La terre de " liampden, de Milton, de Sydney est, hélas! bien loin encore d'être en réalité une terre libre. La tentative insenséepeut-être devrais-je dire l'atroce conspiration-des Urquhartistes pour détruire la réputation politique de Mazzini et de Kossuth méritait la plus sévère reprobation. Comment une réunion plus ou moins nombreuse d'Anglais a-t-elle pu s'oublier à ce point de prêter l'oreille, ne fut-ce qu'un moment, aux calomniateurs de l'illustre Italien et du grand Hongrois? Il y a à Newcastle-on-Tyne quel~ues demi-douzaines de disciples "des vérités Urquhartistes ' qu'on eut dt\ lestement et ignominieusement expulser du meeting dans lequel ils ont osé accuser publiquement Mazzini et Kossuth. Leurs criailleries ont cessé, ils ne trompent plus personne; et si je reviens à ce sujet, ce n'est que pour remercier M:. Georges Jacob Holyoake d'avoir fait taire les" amis de l'Autriche;" cette Autl'iche maudite, rouge du sang de ses innombrables viètimes ; cette perfide Autriche, infectée de la lèpre du mensonge et du parjure; cette ignoble Autriche, près de laquelle la Russie avec son despotisme effronté paraitrait décence et honnête. " Sauvez-nous, grand Dieu! " comme disent les livres de prières, des coquins et des esclaves, des tyrans et de leurs suppots; mais par dessus tout sauve.a-nous des "amis de l'Autriche!" Plus récemment on a fait retentir des dénonciations contre Mazzini, Kossuth et Ledru-Rollin à l'occasionde leur dernier manifeste. Il est bien entendu que je ne veux pas parler ici de l'éloquente critique écrite par Louis Blanc. 1 e ne parle que du Times, du Post, etc. Des trois signataires du manifeste, Ledru-Rollin est celui sur lequel nos journalistes anti-républicâins ont le plus deversé leur venin. Les grossièretés du Times, du Post, etc., contre un tel homme ne peuvent surprendre personne. Mais, je dois l'avouer, j'ai été surpris de voir le Lloyd's Newspaper faire cause commune avec les insulteurs du tribun français. Ce journal affirme faussement et avec méchanceté que le peuple anglais regarde Ledru-Rollin comme une espèce de Blueskin (l'un des personnages de Jacques Sheppard, roman d'Ainsworth), comme un patriote ~rmé d'une "pince-monseigneur." Ja~ mais on n'avait imprimé une insulte plus grave et plus gratuite. Une réponse adressée à Douglas-J errold a été mise de côté ; manière aisée et brève de se débarrasser de critiques importunes. A Londres, à Birmingham, à Manchester, à Leeds, à Newcastle, à Glasgow, partout enfin où le peuple anglais se trouverait réuni en grand nombre, Ledru-.Rollin serait accueilli avec l'enthousiasme le plus cordial et le mieux senti. Cette comparaison avec "Blueskin" n'est pas moins outrageante pour le peuple anglais que pour l'homme dont le bon vouloir peut devenir un jour si important pour l'Angleterre. La "pince-monseigneur" est une vieille figure de Douglas-J errold par laquelle il a maintes fois désigné le sceptre de M. Bonaparte. Pourquoi le satyrique de Salisbury Square enlève-t-il à l'empereur son instrument convenable et favori pour le mettre aux mains d'un autre ? LedrnRollin repousse un pareil cadeau. Rendons à César ce qui appartient à César. Combien de temps régnru:ait un Bonaparte s'il était privé de son arme ? C'est Douglas-J errold qui, le premier, a salué Bonaparte du titre de Napoléon du Deux-Décembre. Pourquoi ? A cause de ses exploits avec la " pince-monseigneur." L'invasion nocturne et avec effraction du Palais législatif; la violation du sanctuaire de 'la Justice, la profanation du temple de la Liberté, le pillage du trésor public; l'envahissement du domicile privé, l'effusion sur les pavés de Paris du sang et de la cervelle d'hommes, de femmes et d'enfants, voilà des actes qui peuvent attester l'habileté de M. Bonaparte à se servir de la " pince-monseigneur." Douglas-Jerrold s'est-il jamais demandé comment Ledru-Rollin avait été contraint de s'exiler? Il a si vite oublié les événements de Décembre 1851, que vraisemblablement il n'a pas un souvenir plus exact de ceux de Juin 1849. Mais d'autres se rappelleront que lorsque Bonaparte, avec la "pince-monseigneur," s'ouvrait une voie à travers ies murs de Rome pour écraser la République romaine et voler ail peuple romain sa jeune liberté, ce fut alors que LedrnRollin, à la tête d'un certain nombre de dévoués représentants du peuple, risqua sa vie pour sauver l'indépendance de l'Italie et l'honneur de la France. Il échoua, mais il osa et fit tout ce qu'il put, et au-dessus de toute comparaison, sa • gloire est plus brillante que les trophées de ceux qui ont élevé leur réputation sur les ruines de la liberté. Avec l'aide et la connivence de Russel et Palmerston, Bonaparte a réussi,-pour l'éternel deshonneur de la France, la honte de l'Angleterre et la misère indescriptible du peuple romain. Le défenseur des lois et de la liberté a échoué, et on le désigne clanf;l'exil comme but aux flèches de la calomnie. Le voleur de nuit a réussi et s'est assis sur un trône avec sa " pince-monseigneur " dorée en guise de sceptre, et les laquais dorés et les adorateurs du succès s'unissent pour lui témoigner leur respect, - mais Marcellus proscrit est plus heureux que Cél,ar avec des sénateurs à ses pieds. Le temps marche, et en dépit des flatteurs et des méchants l'avenir amènera la justice pour l'empereur et pour l'exilé. Le-coup-d'état de Jersey est plus important et demande plus d'attention ........................ . L'outrage dont Jersey a été le théâtre est trop sérieux pour n'exciter qu'une indignation temporaire. Cet outrage n'est que le précurseur d'une atteinte plus grave au droit d'asile. Le Reasoner a dit : "Nops sommes certains que le peuple anglais ne permettra pas un Alién-Act." Mais le gouvernement, sans prendre grand souci du peuple anglais, fait bien des choses en opposition avec l'esprit des masses et en laisse bien d'autres à faire que réclame la sympathie générale. Il ne faudrait pas trop faire fi des menaces d'Alien-Bill. Certaines personnes qui pourraient faire mieux s'excusent de leur indolent marasme en disant que Palmerston n'oserait outrager ainsi le sens moral et le caractère de la nation britannique. On eût répété à coup sûr Je même argument spectique si, il y a deux mois, quelqu'un eût prédit l'expulsion des PROSCRITS de Jersey. . . . . . • . . . . . . . . . On argue que le Lieutenant-Gouverneur de Jersey n'a pas le droit légal d'expulser les étrangers suivant son bon plaisir. Qu'il ait ou non ce droit, il le prend avec l'appui du gouvernenment britannique et l'expulsion de près de quarante proscrits est un fait accompli. En politique comme en guerre, on est exposé à des surprises, mais c'est une faute inexcusable de ne pas se mettre en .gardecontre une attaque prévue. Nous sommes amplement avertis par les expulsions. de Jersey, par les articles du Times, du Post et par les correspondances de Vienne (écrites peut-être à "Downing street ") prédisant un" alien bill" et une clause spéciale pour la dé-
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