Homme - anno II - n.52 - 7 dicembre 1855

L'HOMME.-SAMEDI, 7 DÉCEMBRE 1855. ___________________ _,,,__ __ _ _ _ _____________ -:-· .. Dans notre dernier nutnérô, nous avons pnblié ttlle protestation signée par plusienrs proscrits contre une correspondance de Glascow attaquant l'honneur du citoyen Talandier. Nous avons reçu, depuis, nne deuxième protestation du Comité international, et une lettre du citoyen Massy dans le même sens. Nous les constatons, de grand cœur : mais nous ne pouvons les publier; le journal n'appartient qu'aux affaires générales. ' , VARIETES. UNE NOUVELLE LANGUE. Avez-vous vu les caves misérables de Lille et de la Flandre, l'humide habitation où le pauvre tisserand, dans cc sombre climat d'éternelle pluie, envoie, ramène et renvoie le métie'r d'un mouvement automatique et monotone ? Cette barre, qui, lancée, revient frapper son cœur et sa poitrine pulmonique, ne fait-elle rien, je vous prie, qu'uu tour de fil? ... Oh! -,-oici le mystère. De ce va-et-vient sort nn rhythme; sans s'en apercevoir, le pauvre homme à voix basse commence un chant rhythmique. A voix basse! Il ne faudrait pas qu'on l'entendît. Ce chant n'est pas un chant d'église. C'est le chant de cet homme, à lui, sorti de sa douleur et de son sein brisé. Mais je vous assure qu'il y a plus de soleil maintenant dans cette cavf' que sur la place de Florence; plus d'encens, d'or, de pourpre, que dans toutes les cathédrales de Flandre ou d'Italie. " Et pourquoi pas un chant ll'église? Est-ce révolte?" -Point. Mais c'est que l'Eglise ne sait et ne peut chanter, et elle ne peut rien pour cet homme. Il faut qu'il trouve lui-même. Elle perdit le rhytltme avec Grégoircle-Grand, et elle ne le retro11ve pas pendant mille a11s.• Elle en reste au plein-chant; c'est sa condamnation. Ce tisserand buissonnier de la banlieue d'une grande ville n'a garde de chanter haut. Il est trop jalousé dn fier et souverain métier des tisserands, du corps autorisé qui vient de temps à autre lui briser tout .dans sa maison. Il est humble, comme la terre, le terrier où il vit. La cloche du métier ne sonne pas pour lui. le noble carrillon de la ville qui réjouit les autres de quart en quart, au contraire lui sonne aux oreilles : " Tu n'es rien, tu seras battu ... Tu n'as pour toi que Dieu." Dieu le reçoive donc ! Dieu entend tout et ne déclaign& rien. Qu'il entende ce chant à voix basse, chant pauvre et simple, _petit chant de nourrice. Dieu seul ne rira pas. Si, par malheur, quelque autre l'entend au soupirail, il rit, hoche la tête : Chant de lolo, à bercer les enfants ! Voilà le nom trouvé. Le lollard est ce pauvre imbécile au chant de vieille ou de nourrice. Il fait la nourrice et l'enfant, s'imaginant être le faible et dénué nourrisson aux genoux de Dieu. Hérésie musicale ! grande et contagieuse, je vous le dis. Car plus d'un, le dimanche, fuyant les cathédrales, ira furtivement surprendre aux caves ce petit chant qui fait pleurer. Il vous semble très doux, et il co11tient un dissolvant terrible, une chose qui fait frémir le prêtre, qui le brise, renverse ses tours, ses dômes, toutes ses 1rnissances, qui nivelle la terre avec les ruines des cathédrales anéanties. C'est la réponse de Dieu au tisserand : " Chante, pauvre l1omme, et pleure ... Ta cave est une église ... Tu as péché, mais tu as bien souffert. Moi, j'ai payé pour toi, et tout t'est pardonné." Inutile de dire que ce chanteur est poursuivi à mort. Où trouver assez de supplices, de fer, de feu, de grils ou <l'estrapades, de tenailles à tenailler? Un bâillon ! surtout, un haillon ! Autrement, il continuera dans les flammes. Comment étouffer cette voix? ... Oh! une voix mise dans le monde, on ne l'étouffe plus. Celle-ci s'en va de tous côtés. L'art muet s'en empare; le Forgeron d'Anvers, dans sa cuve bouillante où saint Jean est plongé, a peint ce maigre tisserand; sa voix même, il l'a peinte, et • son faible rhant à voix basse. La réponse de Dieu qui est le fonù de ce chant, elle passe, P.lle file~ quoi qu'on fasse, de bouche en bouche. C'est toute la théologie <tllernande. Dès 1400, un petit livre de ce temps l'enseignait aux enfants. Aux Pays-Bas Wesel, Stanpitz en Allemagne, répandent cette consolation au quinzième siècle. C'est d'eux que l'a recue Luther. Luther est un lollard, le chanteur, nou du chant étouffé, à voix basse, mais d'nn chant plus haut que lp foudre, Et il y a encore une autre différence. C'est que ces clrnnts mystiques et solitaires du moyen-âgé étaient trempés <lepleurs. Mais voici 1111 chanteur dans la voix héi-oique duquel rayonnent le soleil et la joie. 0 joie bien méritée! et que ce grand homme avait bien raison d'être joyetn ! Quelle révolution eut jamais une pl11snoble origine ? 11dit lui-même comment la chose lui viut, et comment il eut le courage d'exécuter ce que son éducation lui faisa.it regarder cornme la " plus extrême misère." Il eut pitié du peuple. Il le vit ma11géde ses prêtres, dévoré de ses nobles et sucé de ses rois, n'envisageant rien après cette vie de souffrances qu'une éternité de souffrances, et s'ôtant le pain de la bouche pour acheter à des fripons Je rachat de 'énfer, Il eut pitié tlu peuple, et têtt·ouva dans la tendresse de son cœur le vieux chant du lollard et la consolation : " Chante, pauvre homme, tout t'est pardonné! La Pucelle, à ceux qui lui demandaient la cause qui lni mit les armes à la main, répondit: " La pitié qni était an royaume de France. " Luther eût répondu : La pitié qui était au royaume de Dieu," Ce ne fut pas un verset de saint Paul, un vieux texte si souvent reproduit sans action, qui renouvela le monde. Ce fut la tendresse, la force du grand cœur de Luther, son chant, son héroique joie, Foi, espérance, charité, ce sont bien trois vertus divines. Mais il faut bien ajouter cette vertu rare et sublime des cœurs trés purs, rare même chez les saints. Faute d'un meillenr 110111, je l'appelle la joie La condamnation de tout le moyen-âge, de tous ses grands mystiques, est celle-ci : Pas wn n'a eu la joie. Comment l'auraient-ils eue ? C'étaient tous des malades. Ils ont gémi, langui et attendu, Ils sont morts dans r attente, n'entrevoyant pas même les âges d'action et de lumière où nous sommes arrivés si tard. Ils ont aimé beaucoup, mais lem amour si vague, plein de susceptibilités suspectes, ne s'affranchit jamais des pensées troubles. Ils restèrent tristes et inquiets. Au contraire, la bénédiction de Dieu qui était en Luther apparut en e;eci surtout, que, Je premier des hommes depuis l'Antiquité, il eut la.foie et le rire héroïque. Elle brilla, rayonna en lui, sous toutes les formes. Il eut ce grand don au complet. La joie <le l'inventeur, heureux d'avoir trouvé et heureux de donner, celle qui sourit dans les. dialogues de Galilée, qui éclate d'un naif orgueil dans Linnée, dans Keppler. La joie du combattant au moment <les batailles, sa colère magnifique, d'un rire vainqueur, plus fort que les trompettes dont Josué brisa Jéricho. La joie du vrai fort, du héros, ferme sur le roc de la conscience, serein contre tous les périls et tous les maux du monde. Tel le grand Beethoven, quand, vieux, isolé, sourd, d'un colossal effort, il fit l'Hyrnne à la Joie. Et par-dessus ces joies ile la force, Luther eut celles du cœur, celles de l'homme, le bonheur innocent de la famille et du foyer. Quelle fa;;ille plus sainte et quel foyer plus pur ?... Table sacrée, hospitalière, où moi-même, si longtemps. admis, j'ai trouvé tant de frnits <lirins dont mon cœur vit enoore ! ... Avec son petit Jean Luther, je m'en allais suivant Je bon docteur au verger où, tendrement, gravement, il prêchait les oiseaux, ou bien encore dans les blés mO.rs qui le faisaient pleurer de reconnaissance et d'amour de Dieu. Voilà l'homme moderne, et votre père à tous. Reconnaissez-le à ceci. La joie était absurde au moyen âge qui bâtit tant de choses yaines, qui, savant architecte, édifia aux nues ces tours et ces châtaux qu'apporte et remporte le vent. La joie est rais@nnable au temps moderne dont la main sô.re construit de vérités l'immuable édifice dont le pied est assis en Dieu, dans le calcul ei ln nat1ue. Si le vrâi n'est plus vrai, si la géométrie est fausse, alors cette maison tombera, La raison seule et la révolution, la science, ont seules droit à la Joie, Mais, à quelque degré de sérieux, de fermeté virile qu'arrive notre âge en sa via sacra, reconnaissons et bénissons le point de départ, vraiment touchant, humain, d'où nons primes l'essor, la bonne et forte main du grand Luther qui dans son verre gothique nous versa le vin du voyage. Ce vin fut l'assurance que celui-ci donna à l'homme, qui 1e releva et le !nit en chemin. Cent fois on avait dit au pauvre peuple qui avait tant souffert, qu'il était pardonné. Luther le jura, se fit croire, et le monde, raffermi des vaines terreurs, se lança dans l'action. Comment le peuple n'eût-il cru cette voix pure et forte. loyale, qui est celle du peuple? Tous croient, tous sont joyeux. On s'embrasse sur les places, comme on fit plus tard par toute l'Europe pour la. prise de la Bastille. Un chant commeuce, d'une incroyable joie. la Marseillaise de ' Luther: " Ma forteresse, c'est mon Dieu." Il fit les airs et les paroles. Et il allait de ville en ville, de })lace en place et d'auberge en auberge, avec sa flûte ou son luth. Tout le monde le suivait. Les ennemis le lui reprochent ; ils disent en dérision : " il allait par toute l'Allemagne, nouvel Orphée, menant les bêtes." Cet homme était si fort. qu'il eût fait chanter la mort même. L'Allemagn~ déchirée, mutilée, sciée, comme Isaïe, l'Allemagne se mit à chanter. La misérable France, écrasée sous la meule, où elle ne rendait que du sang, e;hante aussi comme l'Allemagne. Le poëte ouvrier Hans Sachs salue ce puissant " rossignol, dout le chant emplit la chrétienté." Albert Dürer consolé, fait cent œuvres joyeuses qui expient.Nlelancolia : le petit saint Christophe, plein <l'amour, emportant son Dieu ; le ferme et fier saint Paul, qui lit, appuyé sur l'épée, la grande épée biblique, enfoncée dans la terre ; saint Marc écoute, frissonne <leterreur et de joie, montrant ses blanches dents ; saint Pierre, avec ses clefs, vaincu, ha.isse la tête et n'est plus qu'un portier. Voilà les jeux et les chansons, le Noël de la Renaissanct. Pour lui, qui a changé le mo_nde,le grand Luther, 11e réclame rierl que son titre tli noblesse : chanteur et men.. diant. " Que personue ne s'avise de mépriser devant moi les pauvres compagnons qui vont chantant et disant ,le porte en porte : Panem propter Demn ! Vous savez comme dit le psaume : " Les princes et les rois ont chanté ... " Et moi aussi, j'ai été un pauvre mendiant. J'ai reçu du pain aux portes des maisons, particulièrement •à Eisenach, dans ma chère ville." J. MICHELE'!'. NOUVEAUX PRIX D'ABONNEMENT, Pour une Année : Angleterre..... .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . 12 - ou 15 fr Iles de la Manche.................... 12 Belgiq11e .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . . .. .. . .. . 12 Suisse ................................. 12 Prusse ................................. 12 Villes auséatiques.................... 12 Etats allemands...................... 12 Pour les autres pays ................. 16 - ou 20 fr Tous les abonnements se paient d'avance. Les lettres et correspondances doivent être affranchies et adressées : - à l'Administration du journal L'HOMME, 2, Inverness Place, Queen's Road, Bayswater, à LONDRES. SOUS PRESSE : LE COUPD'ETATDE JERSEY. E~i:pulsion·,ze trente-si.r Proscrits.-Révélations et éclaircissements, • PAJt CHARLES HUGO et FRANÇOIS-VICTOR HUGO. L'B01'11'IE. A LONDRES Dépôt et Ve~tc du Journal au , , numero, chez : M. Stanislas, 10, Greek Street, Soho, librairie polonaise. l\f. Holyvake, 147, Fleet Street. 1\1, Sims, 16, Eaton Street, Upper Eaton Square. Et citez les marcliands dejournaux. Collecti0ns complètes de l'HOMME. - Prix : 1re et 2e années, .;El 4s. - Une année seulement, lQs.-S'adresser à M. Zeno Swiçtoslawski, 4, Batbman's Buildings, Soho Square, Londres. Ou à Jersey, Imprimerie universelle, 19, Dorset Street. av·I...,_ Toutes les Annonces pour le lJl. ~•journal l'HOMME doivent être adressées I0, Greek Street, Soho. (Librairie Polonaise). B COLIN Bachelier ès-lettres, ancien professeur de 1 l'Universiti! de France, donne des leçons de français, de latin, de,grec, de littérature et de mathématiques élémentaires.-S'adresser I9, Great Chapel Street, Soho Square, à Londres. A LOUER PRÉSENTEMEN'r Une Maison ou partie de Maison garnie À APPELEE BU DE LA RUE, Contenant environ huit appartements, étables et jardin, et un terrain de cinq vergées qu'on est libre de louer ou de ne pa~ louer. - Le tout est situé dans la paroisse de St-Laurent, à deux milles et demi de la ville. - S'ailresser chez Monsieur MALZARD, Clear. View Street, à St-Hélier. - La même personne a des charbons de première qualité de Newcastle : 24 sh. la charge ou 28 sh. le tonneau, par demi-charge ou quart de tonneau. HOTEL DU PROGRÈS.-CAFÉ RESTAURANT, Tenu par J. LORGUE, proscrit français. - Dîner il la carte à tonte heure, 21, Great Chape! Street, Oxfort Street, Soho Square, à LONDRES. A FONTAINE MENUISIER, IO, Char- • _ , lotte Street, Fitzroy S11. à. Londres, ci-devant !9, Upper Rathbone Place. Publié lt ]'Imprimerie universelle, 52, Greek street, Soh°" par Zeno Swietoslawski.

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