L'HOMME.-SAMEDI, 1er DÉCEMBRE 1855. les artisans de ténèbres, les mauvaises c:hauves-souris qui voudraient de leur vol sinistre nous voiler la clarté du jour. Obscurantistes, obscurantins, saluez votre bon parrain qui vous a trouvé votre nom, le franc, le véridique Hutten. Le chevalier Ulrich Hutten est en effet le principal auteur des Epistolœ, le vainqueur des dominicains, intrépide héros de la Presse qui brisa l'inquisition allemande, désarma Rome, la veille du jour où Luther devait l'attaquer. En 1513, avant la publication des Epistolœ, la simple robe de drap blanc était un objet de terreur. En 1515, après la publication, on eu riait, on s'en moquait, enfants et chiens couraient après. On se demaudait, même à Rome, pourquoi ces ignorantes bêtes avaient imposé si longtemps. On s'en voulait d'avoir eu peur. L'effrayant fantôme, empoigné par le courageux chevalier, secoué de sa main <lefer, avait paru ce qu'il était, une guenille, un blanc chiffon, à épouvanter les oiseaux. C'est la première victoire de la Presse, et certes une des plus grandes. C'est la première fois que le vrai glaive triomphe du glaive spirituel, de la matière et des sots. La noble armée de la lumière, des amis de l'humanité, apparut dans toute l'Europe marchant une et majestueuse, sous le drapeau de la Renaissance. En Allemagne, Suisse et Pays-Bas, les fondateurs de la critiq,ie, Erasme, Reuchlin, ·Mélanchthon; les illustres imprimeurs les Amerbach et les Froben; les poètes des villes impériales, l'âpre Murner, le bon Haussachs, le cordo1mier de Nuremberg; le dictateur de l'art allemand, le grand Albert Dürer. En Angleterre, les jmistes, Latimer, et Thomas Morus qui prépare son Utopie. En France le grave Budé, qui va fonder le Collége de France, le jeune médecin Rabelais et l'école pantagruéliste, lè vénérable Lefebvre qui, six ans avant Luther, enseigne le luthéranisme. Variétés infinies d'écoles et d'esprits divers, qui s'accordent pourtant, qui tous nous sont chers à deux titres. Tous voulurent le libre eirnmen, tous eurent horreur de la violence, de la cruauté, du sang, tous eurent un tendre respect ùe la vie humai11e. Parti sacré de la lumière, de l'humanité' courageuse! Philosophes, voilà nos ancêtres, les pères vénérables du dix-huitième siècle, les légitimes aïeux de celui qui devait défendre Calas et Sirven, briser la torture dans toute l'Europe et l'échafaud des protestants. Il faut faire connaître ce chevalier Hutten, qui, malgré le pape et l'empereur qui ordonnent le silence, vient d'ébranler toute la terre de ce terrible éclat ùe rire. L'empereur passe au parti d'Hutten, le nomme son poète lauréat, et le front du bon chevalier est Ùécoré du laurier virgilien par la main d'une belle demoiselle allemande, fille du savant Peutinger, conseiller de Maximilien. Hutten, né en l 488, mort en 1525, dans sa trèscourte vie, fut une guerre, un combat. Et cet homme de combat fut, comme il arrive aux vrais braves, un homme de douceur pourtant, un cœur bon et pacifique. C'est le jugement qu'en portait le meilleur juge des braves, l'intrépide et clairvoyant Zwingli, quanù il le reçut à Zurich : " Le voilà clone, ce destructeur, ce terrible H uttelJ. ! lui que nous voyons si affable pour le peuple et pour les enfants. Cette bouche d'où souffla sur le pape ce terrible orage, elle ne respire' que douceur et bonté." " Grand patriote! dit Herder, hardi penseur ! enthousiaste apôtre du vrai ! il ~tait de force à soulever la moitié d'un monde!" L'Allemagne du seizième siècle qui formulait profondément, lui n trouv6 son vrai nom : l' Eveilleiir du genre humain. Il y a du coq, dans Hutten, de cet amant ùe la lumière qui la chante en J)leine nuit; dès deux heures, trois heures, longtemps avant l'aube, il l'appelle quand nul œil ne la- voit encore, il la pressent dans les ténèbres d'un perçant regard de désir. Il chanta pour la Renaissance, pour les libertés de la pensée. Il chanta pour la patrie allemande et la résurrection de l'Empire. Il chanta pour les conquêtes ùe la Justice future, pour le triomphe dn droit et de la Révolution. Fils du Rhin, comme Reuchlin, Mélanchthon, (et Luther même l'est par sa mère), Hutten eut dans le sang la vive et mâle hilarité de ce vin généreux, loyal, qui pousse l'homme aux choses héroïques. Mais celui-ci est tout cln Rhin, toute lumière et sans mysticisme. Sa réforme n'est point spéciale, exclusivement religieuse. Elle embrasse toute vie allemande, tout point de vue national ; elle veut ,me autre société, elle s'allie au peuple, à' la foule. Elle ne s'enferme point dans la bible juive. Voilà l'homme et sa grandeur. Maintenant, mettons à côté tontes les misères de l'étudiant allemand, tous ses ridicules. Hutten, c'est l'étudiant, ùe la naissance à la mort, Il naît au point le plus guerrier de l'Allemagne, dans les forêts qui séparent la Franconie de la Hesse. Son père, noble chevalier, décide que la frêle créat,ue ne pourrait porter la lance ; il sera prêtre. Mais Hutten décide autrrJment. Dès quinze ans, il saute sur les murs, et se met en possession du hasard, de la faim et de la misère. Le voilà étudiant. Le malheur, c'est que les études du temps lui font horreur. Entre les deux scolastiques de la tMologie et du droit, il choisit la poésie. Aux menaces ùe sa famille, il répond en vers charmants qu'il a pour but de n'être rien. Mon nom, dit-il, sera Personne. Il n'est rien et il est tout ; personne, c'est dire tout le monde, la voix impersonnelle des foules. Sur toute grande route d'Allemagne, en toute ville impériale, aux places, aux académies, vous auriez eu l'avantage de rencontrer noblement déguenillé avec sa longue rapière, le chevalier poète Hutten. Il vivait de dons, de hasards, couchait trop souvent à la belle étoile. Deux choses mettaient à l'épreuve sa délicate complexion, les duels, les galanteries. Celles-ci, dès le premier, coûtèrent cher à sa santé, comme il l'explique lui-même. Sauf ces échappées fâcheuses aux pays maudits de Cythère, c'était l'autre amour qui possédait son cœur, l'amour de la mère Allemagne et du saint empire germanique. Quiconque souriait à ce mot, était sûr d'avoir affaire à l'épée d'Hutten. :Et non-seulement l'Empire, mais l'empereur Maximilien ne 110uvait être nommé devant lui qu'avec le plus profond respect. Des Français s'en moquaient à Rome. Hutten, sans faire attention qu'ils étaient sept contre lui, les chargea, et il assure qu'il les mit en fuite. Lui qui véritablement ne haït jamais per. sonne, il croyait haïr la France. C'est un des premiers types de nos amusants Teutomanes, des étudiants chevelus, que nous voyons représenter Siegfriù, Gunther et Hildebrand. Race innocente de bons et véritables patriotes ! Ils ne saveot pas combien nous sympathisons avec eux ! combien nous leur savons gré de ce grand cœur pour leur pays ! Vaines barrières ! Eh! croient-ils donc que Molière, Voltaire ou Rousseau nous soient plus chers que Beethoven? Pour moi, lorsqu'en Février je vis sur nos boulevards se déployer au vent de la Révolution le saint drapeau de l'Allemagne, quand sur nos quais je vis passer leur héroïque légion, et que tout mon cœur m'échappait avec tant de vœux (hélas ! inutiles), étuis-je Français ou Allemand ? Ce jour, je n'eus pas su le dire. Hutten, après sa victoire, alla voir de près les vaincus. Il repassa en Italie, vît Rome attentivement, et, sa vue s'agrandissant, il conçut enfin le pape comme ennemi de la chétienté. Il écrivit tout un volume d'épigrammes sur la ville " où l'on fait commerce de Dieu, où Simon le Magicien donne la chasse à l'apôtre Pierre, où les Caton, les Curins, ont pour successeurs des Romaines ; je ne dis pas des Romains." La meilleure satire, sans nul doute, fut la publication qu'il fit du livre de Laurent Valla sur la fausse donation de Constantin au pape, ce faux solennel de la papauté, hatdiment souter111,défendu, tant qu'on put le faire dans l'ombre, avant la lumière de l'imprimerie. A qui l'éditeur dédie~t-il cette publication mortelle à la cour de Rome, qui fut le plus grand encouragement ùe Luther ( celui-ci l'avoue)? A un philosophe sans ùoute, à un libre esprit, dégagé de tout préjug~, à un de ces lrnmanistes à m0itié payens, à ces cardinaux idolâtres, comme Bembo ou Sadolet qui ne jurent que par Jupiter? Bien mieux à Léon X. Il revenait de l'Italie qui, sur ses ruines et son tombeau, venait de donner le chant de }'Arioste. Vieux avant l'âge, de fatigue, de misère et de maladies, il ét?.it rentré à son misérable donjon de Stcckelberg, dans la ForêtNoire, noble petit manoir sans terre qui ne nourrissait pas son maître. Il vivait d'esprit, de satire, du· bonheur de s'imprimer lui-même, de sa l'resse, de ses caractères. Chaque jour, il écoutait mieux les conseils <lesamis sages, hommes pratiques, expérimentés, qui vons conseillent toujours de suivre lâchement, et de faire comme les autres. Le Léon X de l'Allemagne, le jeune archevêque Albert ùe Brandebourg, électeur de Mayence, l'appelait comme son hôte, son conseiller et son ami. C'est pour lui qu'Hutten a écrit son traité fort curieux sur la grande maladie du temps, ùo11t lui-même avait tant souffert, et dont le gaiac l'avait, dit-il, sssez bien guéri. Mais nulle maladie, nulle gangrène, nul ulcère pestilentiel, ne pouvait se comparer à cette cour de Mayence. Nous en parlons aujourù'hui savamment, ayant le détail de la sale cuisine où l'évêque marmitonna l'Allemagne pour l'élection ùe Charles-Quint. J'avais deviné ce honteux et malpropre personnage sur le désolant portrait qu'en a tracé Albert Dürer dans ses cuivres véridiques, terribles comme le destin. Ce brocanteur de l'Empire avait alors entrepris ùeux affaires de banque ; la vente des indulgences et celle de la couronne impériale, que la mort probable de Maximilien allait bientôt mettre à l'encan. Il trouva piquant, utile d'attirer chez lui le malade, pauvre affamé, oiseau plumé, qui, l'aile à moitié brisée, avait besoin d'un refuge, et qui, tel quel, n'en était pas moins encore l'éveilleur d·u rnonde et la granùe voix ùe la Révolution. Le prélat machiavéliste calculait parfaitement qu'un tel hôte allait le couvrir des attaques de l'opinion. Contre l'indignation publique il allait avoir réponse, contre toute injure méritée. ·' Voleur, vendeur d'orviéta11." Oui, mais protecteur <l'Hutten. " Associé des usuriers et chef du grand maquerelage." D'accord, mais hôte d'Hutten, ami des Muses, patron des libres }Jenseurs, des savants. Hutten lui-même, qu'en <lisait-il? Le pauvre diable n'avait pas l'esprit tout à fait en .repos ; on le sent par la longue, très longue, interminable lettre, qu'il écrit pour s'excuser à un ami de Nuremberg. Il lui prouve facilement que sa situation est intolérable, que la pire vie est celle du chevalier de la faim dans ,m manoir désert de la Forêt-Noire. Mais il prouve beaucoup moins bien que de la cour de Mayence il agira mieux sm l'opinion, qu'il va gagner à la bonne cause les princes, les nobles, etc. Il tâche de tromper et de se tromper. "Ah! sije pouvais, dit-il, parler, vous tout dire!. ..... " Ce qui reste net, c'est qu'Hutten, ayant tué le mauvais latin et la scolastique, ayant estropié pour jamais les dominicains et rendu l'inquisition impossible en Allemagne, avait fait beauconp ; il lui fallait une halte pour se reconnaître. Il s'arrangeait avec lui-même et se donnait des prétextes pour faire comme François 1er., pour faire aussi son Concordat avec ce pape de Mayence. De quoi celui-ci riait clans sa barbe, croyant avoir confisqué l'aigle dans son poulailler. A tort. Un tel patriote avait le cœur trop allemand pour rester sur cette boue. Au premier cri de Luther, il s'éveilla brusquement, P.t sans s'allier autrement avec le pieux docteur, il alla prendre asile, chez le chevalier Seckingen, vengeur des opprimés et défenseur des faibles, dont on appelait le château l'hôtellerie de la justice. J. MICHELET. L'HOJJ.IME. A LONDRES Dép6t et Vente du Journal au , numéro, chez : M. Stanislas, 10, Greek Street, Soho, librairie·polon:iise, M. Holyvake, 147, Fleet Street. M. Sims, I6, Eaton Street, Upper Eaton Square. Et cliez les marcliandsdejournau.1:. Collecfü>nscomplètes de l'HOMME. - Prix: 1re et 2e années, .f:l 4s. - Une année seulement, lQs.-S'adresser à M. Zeno Swi~toslawski, 4, Bathman's Buildings, Soho Square, Londres. Ou à Jersey, Imprimerie universelle, 19, Dorset Street. AVT ~ Toutes les Annonces pour le .1Jll. •~•journal l'HOMME doivent être adressées 10, Greek Street, Soho. (Librairie Polonaise). B COLIN Bachelier ès-lettres, ancien professeur de 1 ,l'Université de France, donne des leçons de français, de latin, de grec, de littérature et de mathématiques élémentaires.-S'adresser 19, Great Chapel Street, Soho Square, à Londres. A LOUER PRÉSENrrEMENT Une Maison ou partie de Maison garnie A APPELEE BU DE LA RUE, Contenant environ huit appartements, étables et jardin, et un terrain de cinq vergées qu'on est libre de louer ou de ne pas louer. - Le tout est situé clans la paroisse de St-Laurent, à deux milles et demi de la ville. - S'adresser chez Monsieur MALZARD, Clear-View Street, à St-Hélier. - La mème personne a des charbons de première qualité de Newcastle: 24 sh. la charge ou 28 sh. le tonneau, par demi-charge ou quart de tonneau. HO'fEL DU PROGRÈS.-CAFÉ RESTAURANT, Tenu par J. LORGUE, proscrit français. - Dîner à la carte à tonte heure, 21, Great Chape] Street, Oxfort Street, Soho Squ::ire, à LONDRES. J o BONNERT, TAILLEUR, Fait et fournit à des prix modérés. - 35, Gerrard-street, Soho square, à Londres. A FONTAINE MENUISIER, IO, Char- ' _ 1 lotte Street, Fitzroy Sq. à Londres, ci-devant 19, Upper 'Rathbone Place. M AÎ\ irrEL App::ir~enant au,corps des ponts-et- • lV.l chaussces de } rance, donne des leçons de mathématiques, 'de construction, de nivellement, de levées de plans et de dessin linéaire et architectural, 129, Bishopsgate Street (W ithout).-London. GUTEL TAILLEUR DE PARIS, ;_wofesseut• de coui»e, 43, Belmont Road, St.-Hélier, Jersey. ;_, ______________________ _ Publié à l' Imprimerie universelle, 52, Greek street, Soh(\. par Zeno Swietos:1awski.
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