Homme - anno II - n.50 - 24 novembre 1855

L'HOMME.-SAMEDI, ~4 NOVEMBRE 1855. Aussi, remarquez bien quel est le but commun assigné aux efforts du parti, dans l'appel qu'on lui adresse? .C'est la forme républicaine,-qu'on demande, il est vrai, organisée par le peuple et pour le peuple ; mais elle fut censée aussi organisée par le JJeuple, et on la disait organisée ponr lui, cette forme républicaine qui, depuis la révolution de :Février jusqu'au coup-d'Etat de Décembre, a couvert tous les désastres de la liberté et prêté son nom à tous les genres de tyrannie ! Nous jouissions de la forme républicaine, et même organisée eu apparence par le peuple puisque le suffrage universel avait parlé - lorsque les ateliers nationaux, si follement établis, furent brutalement dissouts, ces ateliers nationaux, œuvre à jamais lamentable d_u républ~cain Marie, qui donnaient au pe111)lcl'aumône quaud il demandait le travail, et que la calomnie attribua si impudemment au socialisme, contre lequel ils furent organisés ! Nous jouissions de la forme républicaine, lorsqu'en Juin, le sang du peuple fut versé à flots dans Paris. Nous jouissions de la forme républicaine, lorsqu'après s'être levés vingt fois de suite dans la. séance du 4 Mai, et avoir crié vingt fois de suite, d'une voix forte, le bras étendu : Vive la République ! les meneurs de la réaction en vinrent à arracher le pouvoir des urnes à la vile multitude! Et il était répubUcain, ce général Cavaignac qui, donnant le signa~ des transportations en masse, laissa Paris en proie à des vengeances de sauvage ! Et c'était en q11alité de président d'une Répuhlique que Louis Bonaparte, le parjure dans le cœur, mais non encore sur les lèvres, envoyait des soldats français écraser la République romaine ! Vous devez vous en souveni!, vous, Mazzini, qui reçutes pour ainsi dire dans vos bras l'Italie expirante ! Et vous ne pouvez l'avoir oublié vous, Ledru Rollin, exilé aujourd'hui pour avoir courageusement protesté alors contre cet abominable attentat ! Non, non, la forme 1·épttblicaine n'est pas le but; le but, c'est l'homme, que l'excès de la pauvreté dégrade, rendu à la dignité de la nature humaine ; c'est l'homme dont l'intelligence, à l'heure qu'il est, vacille et s'éteint dans les ténèbres, admis au grand banquet de l'éducation ; c'est le trav11.illeurmis en possession des fruits de son travail ; c'est, en un mot, l'affranchissement du peuple par l'aboJitio11 de ce double esclavage : l'ignorance et la misère. La forme républicaine n'est qu'un moyen, nécessaire sans doute, admirable, et qu'au prix de tout le sang de nos veines, nous devons chercher à conquérir, mais qu'il ne faut pas un seul instant séparer du but, encore moins •prendre pour le but lui-même, sous peine de voir une République fausse se substituer à la République vraie, et un entassement de ruines n'aboutir qu'à des déceptiorn. mortelles. Et voilit pourquoi je n'aime guère ce mauvais vouloir témoigné à la discussion. S'abstenir des vains discours, c'est fort bien; écarter les chicanes puériles, on ne saurait mieux faire. Mais au moins faudrait-il être conséquent. Il y a je ne sais qnoi d'étrange dans une fièvre d'action muette qui s'épanche à tout propos en manifestes sonores, et c'est mal prêcher le silence que de sonner le tocsin l Pour moi, je suis opposé autant qu'homme qui vive ~ ces guerres de rhéteur qui perdirent le 13as-Empire; mais je crois qu'en bien des cas, la parole c'est la lumière ; que tenir les yeux fixés sur le soleil appartient aux aigles et aux républicains, et qu'on doit laisser l'amour des ténèbres aux hiboux et aux tyrans. • Je sais bien-et je me hâte ile leur rendre cette justice -que Kossuth, Ledru Rollin et Mazzini n'entendent aucunement proscrire la discussion le lendemain ile la ·victoire ; mais ils paraissent vouloir c1ue, jusque là, ou l'éctute. Eh bien, je pimse, tont au con traire, que depuis longtemps déjà cette discussion aurait dû avoir lieu entre nous sans bruit, sans étalage, cordialement, et une fois 11our toutes. La nécessité de cette méthode, sa possibilité, ses avantages, ses limites, ont été e~posées dans la lettre que je cite plus haut: je n'insisterai pas. Seulement, je ferai observer que rien n'est plus propre à faire con1battre en commun des hommes intelligents que la communauté de le1ns vues relativement aux suites de la victoire. "Le sabre ile lVIahomet frappait en silence; " mais Mahomet, prophète et demi Dieu dans l'esprit des siens, n'avait à rendre compte de ses projets et de ses JJensées qu'à luimême: qui donc oserait dire aux républicains : "Je suis Mahomet ; suivez-moi : l)as de discussion, la discipline • il n'y a qu'à se taire et à frapper?" ' , A_ussi bien, à quoi bon remonter jusqu'à l\Iahomct? Loms Bonaparte était là ! Mais si devenir, a11 point de vue des procédés de la lutte, ses plagiaires est l'unique moyen ~ui nous reste de le combattre efficacement, je dams fort que toutes les chances ne continuent à être pour lui, lui l'incontrôlable possesseur cles trésors de la France, le r.entre d'une formidable organisation 11réparée cle longue date, et le très taciturne chef d'une armée qui on l'a vu en Décem brr, frappe beaucoup et ne parl~ guère ! Ah ! ne nous méprenons pas ainsi sur les origines et la nature de notre pouvoir. Ce qui constitue la force du vieux monde n'est pas seulement ce qui constitue celle du monde nouveau. Notre JJOuvoir est dans l'esp~cc de mort douleureuse et sentie où s'agitent tous les damnés de la terre ; donc il faut faire briller à le1ns yeux les idées qui contiennent la vie. Notre pouvoir est dans les sympathies de toutes les nobles intelligences : donc il fout leur tenir le langage qui leur est 11roprc. Notre pouvoir est dans la justice de notre cause : donc il en faut écrire sur notre drapeau les formules lumineuses. Les temps sont difficiles, je l'avoue, parce que Je despotisme veille à presque toutes les frontières, essayant rl'arrêter la, pensée au passage. Mais Kossuth, Ledru Rollin et lVIazzini auraient-ils publié leur manifeste, s'ils ignoraient qu'il n'est pas de deuanes dont ne se joue l'infatigable contrebande de l'esprit humain ? Le peuple, d'ailleurs, a aujourd'hui besoin qu'on lui montre clairement ce que vaudront les mouvements auxquels on hi sollicite. Pour l'Italie, pour la Hongrie, la question est simple, elle l'est bien moins pou la Frannce. Le peuple n'y prendra JJas aisément une épée, si on prélui laisser un bandeau sur les yeux. Il s'est déjà tant retourné sur son lit de douleur sans trouver le repos ! Il a déjà versé tant de 11angpour n'arriver qu'à changer de maîtres ! • Mais quoi! à côté du JJeuple qui a faim, voici labourgeoisie qui a peur. Les calomnies répandues contre nous ont peuplé son imagination de mille noirs fantômes ; c'est l'imprévu surtout qui l'épouvante, l'imprévu ! Et de là vient €J.Uecertains acceptent l'empire, même en le détestant. Or, croit-on lever ces obstacles que ces inquiétudes nous opposent, en faisant planer sur le lenùemain de la Révolution un vague plus effrayant mille fois que les affirmations les plus hardies ? Et n'a-t-on à offrir aux esprits effarés, pour leur rendre le calme, que l'image d'un "sabre qui frappe en silence?" C'est peu. La préoccupation du lendemain nous est commandée au point de vue de nos dissirlences mêmes. Car, toute entente préalable à cet égard étant écartée, qu'arriverait-il si la situation se trouvait .ippartenir à des hommes ne représentant qu'une fraction du parti? Cette fraction ne pourrait-elle pas, de très bonne foi si l'on veut, et très honnêtement, mais avec une violence proportionnée à ses. convictions, se servir de la force contre les autres fractions rivales? Nous aurons, dites-vous, pour parer à tout, la souveraineté du peuple. Illusion. Quand une crise révolutionnaire vient d'éclater, est-ce que la volonté nationale peut se déclarer sur l'heure? Est-ce que toute Révolution n'a pas un provisoire à traverser ? Est-ce que la direction des événements ne dépend pas en grande 1rnrtie des hommes qui, dans ces moments <letransition suprême, sont investis de la force? Est-ce qu'il n'est pas naturel de penser que, dans le cas d'une crise profonde en France, les circonstances seraient de nature à réquérir sur le champ l'action d'un pouvoir très rigoureux ? Et qu'arriverait-il, je le demande encore, si ceux qui veulent le plus trouvaient trop dangereux ceux qui veulent le rnoins1 ou viceversa ? Lisez !'Histoire! A combien de m;ilentendus sanglants n'eussent pas échappé les Montagnards et les Girondins, si, à la veille de la bataille, il leur eût été donné de mieux se pénétrer et se comprendre ! Malheureusement, une fois enveloppés dons la fumée du combat, étourdis de son tumulte, enivrés de sa violence, ils crurent voir partout le spectre de la trahison ; non contents de porter les débats sur les points qui réellen1ent les divisaient,. ils se lançèrent comme autant de flèches acérées toutes sortes d'accusations imaginaires; ils se soupçonnèrent réciproquemens de vouloir la perte de la République que, tous, ils aimaient d'un égal amour, et ils creusèrent ainsi sous leurs piP.ds un abime où ils tombèrent un à un, jusqu'à ce qu'à son tour la Révolution y disparût engloutie. La mélancolique prédiction de Vergniaud était réalisée; Saturne avait dévoré ses enfants ! Tournez encore quelques feuillets ùu livre : vous y lirez comment à la suite de Février 1848, le général Cavaignac, républicain, employa sa ùictaturc à décimer le parti républicain, et comment une partie de l'armée fit feu sur l'avant-garde. On le nierait en vain- et c'est une des appréhensions <1uenous avons à dissiper :- il y a là un péril, et il importe d'en tenir compte, non certes pour y puiser un motif de reculer ou d'hé:sitcr, mais pour aviser à le prévenir, et en conclure que, s'il faut agir, il faut aussi prévoir. Un dernier mot. Le manifeste de Kossuth, Ledru RoiJin et Mazzini renferme le passage suivant : " Honte à celui d'entre nous qui, en se séparant de l'œuvre commune, désertera ,l'armée qne le cri •de ses frères sonffrants pousse vers la batailJe, pour s'isoler dans l'orgueil stérile <l'nn programme exclusif! Celui-là peut être un sectaire, mais ce n'est pas l'homme de la grande Eglise." Pas de programme exclusif, en effet, et concours actif, dévoué, courageux de chacun à la cause de. tous, voilà ce <1ue,pour mon compte, je demande avec autant d'ardeur que les citoyens Kossuth, Ledru Rollin et l\Ia2zini. 111:ais je ne sattrais crier anathème au culte, même solitaire <le la vérité. Quand l'isolement d'un llhilosophe, ami du 1)euple, vient de la candeur effarouchée d'une conscience rigide qui dédaigne la popularité, répugne aux concessions et ne se fie, ponr'la délivrance des opprimés, qu'à la force latente des choses servie par l'étude, on peut bien taxer ce philosophe d'erreur et le bli\mer de trop <l'orgueil ; mais, s'il est désintéressé dans ses croyances, s'il souffre pour ce qu'il croit être la vérité absolue, san erreur certes u'a rien de criminel, et son ougueil rien de honteux. J'ajoute que dans le Etiamsi omnes, ego non, il y a presque toujours eu quelque chose d'héroïque. Lorsque Galilée soutenait, seul contre tous les catholiques réunis, que la terre tourne autour du soleil, il n'était pas de la grande Eglise ....... des papes. Ce fut sa gloire et non sa honte! En outre, il est des mots qui sonnent mal dans la bouche d'un républicain. Ceux qui parlent tant des sectaires, devraient se souvenir que c'est justement sous ce nom que la plupart des apôtres ùu progrès furent persécutés par les hommes da passé, prêtres ou rois. Les Vaudois et les Albigeois voulaient qu'on pratiquât la haute morale de l'Evangile : sectaires. Wicklef osa traiter le pape d'antechrist : sectaire. J ead Russ attaqua 1es vices du clergé, les indulgences, la communion sous une seule espèce, forme théologique de l'inégalité : sectaire. Luther fut un sectaire jusqu'au jour où, devenu l'ami des princes et leur complice, il JJersécuta comme sectaires le malheureux Car~stadt et l'intrépide 1Yiunzer. Qui.sait ? Si nous cherchions bien, peut-être trouverions nous que, 11lusrécemment, sous le règne de Louis Philippe par exemple, ceux qui, en trés petit nombre alors, aspiraient à la République, étaient, eux aussi, des sectaires ! Croyez-moi, laissons au vieux monde sa grammaire sombre et la forme de ses anathèmes. Les excommunications, au nom de la grande Eglise, ne sont plus de mode, surtout depuis que le Vatican ne sait que faire de ses foudres. En résumé, l'Organisation, mais pas de contrefaçon impériale, même pour la lutte.- L'Union, mais dans la sphère des principes, d'abord.- La guerre au présent, mais pas de voile jeté sur le lendemain.- L'action, mais au. service de la pensée. Louis BLANC. L'H01'.I1'.IE. A LONDRES Dépôt et Ve~te du Joul'nal au . , , numero, chez : M. Stamslas, 10, Greek Street, Soho, librairie pol,:,naise. M. Holyvake, 147, Fleet Street. M. Onwhyn's, I, Catherine Street, Strand. M. Sims, I6, Eaton Street, Upper Eaton Square. A Pieaùilly, n. 233. Collecticrns complètes de l'HOMME. - Prix : 1re et 2e années, .Ll 4s. - Une année seulement, 12s.-S'adresser à M. Zeno Swi'ttoslawski, 4, Bathman's Buildings, Soho Square, Londres. Ou à Jersey, Imprimerie universelle, 19, Dorset Street. A_ v•~ Toutes les Annonces pour lo •~•journal l'HOMME doivent êtro adressées 10, Greek Street, Soho. (Librairie Polonaise). A LOUER PRÉSEN'l1EMEN'1 1 Une Maison ou partie de Maison garnie A APPELEE BU DE LA RUE, C~nlenant_ environ huit appartements, étables et jardin, et un terram de emq vergées qu'on est libre de louer ou de ne pas louer. - Le tout est situé dans la paroisse de St-Laurent, à deux milles et demi de la ville. - S'aclresscr chez ?lifonsicur MALZARD, Clear-Vicw Street, à St-Hélier. - La même personne a des charbons de première qualité de Newcastle: 24 sh. la charge ou 28 sh. le tonneau, par demi-charge on 11uartde tonneau. HOrl1EL DU PROGRÈS.-CAFÉ RES'l1 AURANrr, Tenu par J. 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