) Pauvre Angleterre! Combien je déplore ton sort ! La neutralité de l'Autriche est la pire chose au monde. Si elle était ouvertement votre ennemie, vous auriez du moins la chance de la battre, de l'écraser, et d'avoir le terrain libre pour remporter des victoires décisives sur la Russie; mais la neutralité de l'Autriche ne vous laisse même pas la possibilité de vous approcher du terraiu et d'employer les moyens qui p~uvent vous permettre de vaincre - la Russie. On peut hattre un ennemi; on doit respecter une neutralité.armée. Ces Autrichiens ne sont.certes pas sots, bien gu'ils soient l'incarnation de l'immoralité politique; non, ils ne sont pas sots ! Avec vos '' considérati<>ns pour l'Autriche," j'aimerais à savoir ce que veut dire "la poursuite énergique de la guerre", sinon - une plus gTande effusion, toute aussi stérile, du meilleur sang de l'Angleterre '? Pontius Herennius se contenta d'humilier ses ennemis sous les fourches Caudines. Le Czar Alexandre sera plus sage, vous voyant pris par l,es fourcb'es des "considérations pour l'Autriche." Il ne s'arrêtera pas avant la ruine de l'Empire Britannique, digne pourtant d'un meilleur sort. "' Rappelez-vous mes avis. J'ai le droit de dire que mes paroles sur_ ce,tte guerre ont été pesées dans la balance des évènemens, et qn'on ne les a trouvées ni vaines ni en défaut. Je vous le dis : Hâtez-vous de clianger dè politique! Vous n'avez plus une minute à perdrn. Ceci est l'avis d'un ami sincère muis impartial de votre pays. Les nationalités opprimées, au,point où en sont les évènemens, s'inquiétent peu de la direction qu'il vous plaira de prendre. Hélas! l' A.ngleter- .re a plus besoin du secours d'autrui qu'elle ne peut eu offrir aux autres. Nos espérances, à nous, reposent ailleurs. Notre avenir est assuré par l'étendue même de nos malheurs. Nous avons tout subi. Quel malheur nouveau pourrait nous .ccé'lbler? Aucun.. Je défie l'Enfer lui-mêîne de nous faire plus de mal ...... Qui n'a plus rien à craindre a beaucoup à espérer. Ileaucoup de changemens sont possibles, certains changemeus doivent et vont s'opérer; et tout changement nous est une chance. Votre défaite elle-même en est une! Il ne nous faut que de la patience, et nous eu avons-; nous avons l'inépuisable patience d'hommes qui out éprouvé les maux les' plus affreux ..... . Mais toi, Angleterre, chère à mon cœur ! tu as beaÏ1coup à p~rdre: la plus hautai11e position qu'une Nation puisse prendre parmi ses égales, un aveuir, un empire, la Liberté ! Si vous aimez votre patrie, si vous voulez préserver l'avenir de vos enfans, écoutez mes conseils pendant qu'il en est temps encore : Cliangez de poli tique ! Louis KossuTh. LES 1 TE•NE'BRE S· 1 I. Sous ies plus mauvais gouvernements, on a vu 'parfois de grandes lumières se répandre, et surgir quelques hommes de' valeur, représentants isolés qui témoignaient potlr l'espèce. Ainsi, la bassesse de Louis XV fut cq_ntemporaine de l'Encyclopé<lie, et sous Louis XIV, le roi-paon, il y avait Vauban, il y avait Colbert, il y avait Moiière, et quelques autres. Ces phén'omènes-là se produisent quand le desJ>Otismeest vieux ou qu'une partie de la culture humai'né est en floraison, ne serait-ce qu'en un -cotn de l'histoire, comme le cimetière grec ou le Forum de Rome. Les énerg·ies, alors, cherchent la TÎe perdue, à travers lès marbres et les livres; on reconnait Brutus, on salue les Gracques; c'est comme une rènaissance humaine, et si, parmi les hommes de gouvern-ement, il en est un seul qui ait l'esprit é-levé, quels que misérables que soient les institutions et les temps, if se sent vivre, ii marche au de.mi-rayon qui l'éclaire. Ge sont là les pâles aurores de l'histoire : mais vous n'en trouverez jamais après ces cataclysmes violents de la force, où toute lumière s'éteint dans l'e sana- et toute fierté d.ans la peur. Attila ne laisse point d'herbe detrière so-ncheval: derrière sa tente Omar né lâFsse point d'idées. Qne deviendrait un Bonat)arte si, de n·uit-entré dans Ia civilisation avec -ses soldat&, ses espions, ses prêtres, ses .1uges, il Jàis•sait quelque tihe~té s'asseoir <lerr~ère lc:s ~onvives '? Il n'et1 a~mnt pas pônr deux Jours a vivre • dans la paix de ses grandeurs et l'irresponsabilité de ses crimes. Les bornes se feraient tribunes et lni jetteraient la malédiction de~ mères. Ville par ville, rue par rue, les placards crieraient vengeance en ne donnant que les noms des martyrs; les fleurs patleraient sur lu tombe des morts, à la base des colonnes décapitées; les maisons où l'on pleure prendraient le deuil : des prisons il sorfüait des voix qui déchireraient les familles, comme le cri. des ~gonies, ou qui remueraient les masses, comme des clairons ; et si quelques petites fouilles pouvaient couâr, simples tablettes de cet empiré, notes-sangfots, au jour le jour, avant le troisiPme appel, il pleuvrait des balles sur les rl'uileries .... M. Bonaparte et ses complices ~ savent bien ! Aussi, depuis Décembre, tout est baillonné, fermé, scellé : les journaux, ces urnes à poison, ne peuvent épancher que les chroniques de police ou le dithyrambe napoléonien; tout atelier a ses espions, tout étudiant est surveillé comme un Catiiina, et l'immortelle sur les tombes de la Bastille est une cons7;iration. Oui, en toute chose, en toute langue, en toute forme, il pent y avoir <lang·er, provocation, révolte, aussi bien dans la fleur des morts qne clans les chants de la muse. Est-ce que la couronne des tombeaux, la guirlcrnde-souvenir n'est pas un hommage impie, une offrande séditieuse aux révolutionnaires du sacrifice? Est-ce que les Vt>rs ne $Ont pas des flèches armées qui peuvent clouer les rois sous If). couronne, comme des hiboux sur les portes'? Est-ce que l'histoire ne raconte pas les cent p,oèmes héroïques dtJ la liberté, comme· la philosophie nos facultés jmrnortelles? Est-ce que le ciseau du sculpteur fouillant da11s le marbre n'est pas un poignard, quand il en fait jaillir les muscles puissants €•t le regard enflammé d'un Spartacns? Est-ce qu'il n'y a pus un peu <l'appel aux armes dans le Hanz des Va.cites? Est-ce qu'il n'y aurait pas danger. à parler ...... même de l'araignée de Pélisson, puisqu'elle 1 rappelle la Bastille'? ijonc, que toutes les voix se taise11t, que tontes les formes <lu combat et de l'idéal restC'nt voilées, et que toutes les 5.mess'enferment : c'est le ccüvrefeu de l'intcllig·ence humaine! - Sculpteur, laissez là vos blocs divins où dorment les géants de votre fantaisie, et faites des cuvettes pour les mains deM.. Fould .· ... Peintre qui rêviez peut-être la beanté dans la force, la beauté dans hi donleur, l\lddame Rolaud ou Savonarole, attifez vos toiles avec les gtâces de Mme Baroche ... Compositeurs et poë~es, chantez le beau Dunois ou les aigles de Sébastopol. Historiens, rucoutez Biaritz~ et vous, les corbeaux de cette !luit, vous tous, prêtres, usuriers. juges, gendarmes, laquais-préfets on ministres-laquais, veillez aux frontières, veillez aux portes, veillez aux âmes; il y va dn salut de l'empire et de l'empereur l 11. Telle est la loi de nécessité, de nécessïté fahil<-\ qui pèse sur les gouverneme11ts-conspiratiom, sur ces jeunes et mot1strueux despotismes dont l'intrigue fut l'origine et la violence la mère. Inquiets, farouches, pleins <le leur crime, ils ne peuvent rieu supporter, ni la plaiute qui sonne comme la révolte, ni la 'férité qui leur est épouvante, 11i la liberté qui les dénonce, ni la lumière qui les tr..ihit, ni la conscience' qui les juge. Sans traditio:is, sans. racines, sans autre suc nourricier gue le sang de leur victoire, ils n'osent pas se laisser vrvre, un peu au hasatd comme les mon;rchies vieilles : ils se couchent, énormes, sur leur proie et lui ùoiventjusqu'au soufile ..... . Ah! Qu'elle est terrible et sauvage la force qui ' a peur. • Voyez ce qu'elle a fait de ta France depui<S trois ans : cherchez dans cet empire ce qui est sorti, ce qui est éclos, ce qui est monté. Nous ne parlons pas des écumes, des Fortoul, des rrroplong·, des Billault, des Magnan, des .Canrobert; nous laissons de côté le gouvernement et ses antichambres, tout cela est connu : c'est une cohüe de Bohémiens qui se sont mis- des phrmes, de l'hermine, des toques, et qui bafaieBt la scène de leur livrées, 113 s'appellent entr'eux Excellences, comme les Lazzaroni devenus laquais : ils se croient un Sénat : ils ~e réunissent, tout goudronnés d'or. è-l'J des palais splen<lid·es : mais il n'y a 1~, ni responsabilité, ni liberté, ni puissance, ni vie. - Laissons les masqnes ! C'est la France qu'il faut âfudier, qu'il faut sui He dans son labeur quotidien, clans ses œuvres. Eh bien, qu'a-t-elle produit depuis trois années? Où est }e livre p11issant qui la console, où est l'idée nou·velle et pmfon:de qn'ell~ puisse méditer? Hélas! M-. Lamartine écrème ses œuvres, châtre sa gfoire, pour entrer dans les pension11atset les séminaires, avec la carte des Jésuites. Au théâtre d'où l'on a chassé Victor Hugo, lA roi du jour s'appelle 1\1. Dumas fils, un p~tit Crébillon frais et musqué qui fait son drame humain-.- à cette heure si tragique pourtant! - avec de petits. banquiers et de petites amours. , - Et les sciences? Livrées à la culture pauvre, aux recherches isolées, aux dévotions obscures surveillées par la police des religions qui les savent ennemies, repoussées par les pouvoirs, comme influences funestes, et méconnues par les intérêts eux-mêmes en ivresse brutale d'usure ou de monopole, les sciences languissent : les académies gui devraient être les ruches-mères ne s-'ouvrent qu'auX'! frelou'-, aux bourdonnants, et la petite guerre des si;ilonsfait, là, plus de bruit que les découvertes du génie et le grand concert <les idées. Les arts sont en baisse, comme les sciences comme toutes les langues divines. Quelles sont le~ fresques et les toiles du second Empire ? Quelques tableaux d'église, envoyés par l'hypocrisie des majestés ou des altesses ; ('t le fronton de David, excommunié par Sibour, est tombé du Panthéon d,ans les· caves ! 1 , Voilà la ~rance .<lesidées, de l'éternel enseignement, des samtes fièvres, dans toute la nudité de• sa mort. . Est-ce qu'elle e:st appauvrie, défaillante, en dé~ cadence? Est-ce qu'elle n'a plus, la vieille mère, les facultés viriles et. les riches instincts? Est-ce qu'ils sont morts tous les esprits puissânts qui' la remuaient et la faisaient chanter, comme un Israël ' au milieu des peuples attentifs et consolés? Non, la vie circule en ~es flancs robustes, la sève abopde en ses rameaux ; muis elle est sous le suaire et dans l'ombre. Ceux qui l'ont surprise dans son rêre d'idées et qni la tiennent captive, ont peur /du murmure de ses lèvres, comme d'un tonnerre; elle est esclave et dans son acte et clans son verbe. Or, si le grain ne germe et ne fleurit qne sous le soleil, à ' la pensée, semence et rayon, pour qu'elle se lève, il faut la liberté. Le despotisme, voib\ le fossoyeur: - et cette pauvre nation de toutes lt-s misères a-t-elle, du moiris au-dehors, la consohilion sauvage que lui donnaient jadis ses armées? ,.EUe est, de;rnis huit mois, sous Sébastopol, impuissante et défiée. La Prusse la mille, l'Autriche la trompe, ia Rnssie l'attend sous ses pestes, comme autrefois scus ses neiges, et vien.ne la prell)ière défaite, on vi-:rra de nouveau se former et déborder la grande coafüion qui deux fois visita Paris! L'étrauger n'entra jamais chez nous qu'à l'heure des Empires et des ténèbres. Charles RIBEYROLLES. Pianori est mort, tranquille, ferme et froid, comme tous ceux qui osent certaines œu vres suprêmes et terribles : on l'a conduit à l'échafaud, pieds nus, en chemise, et la tête sous le voile noir; tel est le San-Benito des parricides : c'est une puérilité funèbre qui se joue en l'honneur des rois. Autrefois on coupait le poing au condamné, mais nos temps sont si doux qu'aujourd'hui l'on se contente de prendre la tête, et celle de Pianori avait bondi au panin de Samson, que la lèvre murrnurait encore les deux derniers appels de l'àme envolée: Vive la République, vive l'Italie! Torturé par une iustruction aux formes inquisitoriales, et plus tard, après l'arrêt., assiégé par toutes les inflnences de la police qui lui portaient l'espérauce-mensonge, la promesse de vie, Pianori a constamment déclaré qu'il n'avait pas de 'révélations à faire. M. le procureur-général avait affirmé, pourtant. que le coup, partait de Londres. Imbécile <11iciroit qu'on peut embaucher de tels •hommes; comme des • ' Juges .. Le sang de Pianori n'a point suffi à la justice immacn!ée de lVI. Bonapurte. Pendant le procès, 1 l ' , d d , A ' l • on a u contre accuse .eux epec11es-caorruues que n'a pu contrôler la défense, - ninsi faisait-ou au temos de Tibère, - et l'arrêt de mort étallt tombé ëles lèvres de M. Lafosse, les fouilles· de la police ont pubiié "le recours en grâce." '!'rois jours après, le condamné le sig·nait de son sang. Hon dernier pourvoi : c'était l'adieu suprême à la patrie. , Quelles misérubles lâchetés contre un mourant! Mais valets de plume valent moins que valets de bourreau. • C. R.
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