Homme - anno II - n.14 - 7 marzo 1855

Rien d'ailleurs en Russie ne porte ce c::iractère ùe stabilité, de stagnation, de fini, ùe terminé, que l'on rencontre chez les peuples qui ont trouvé par un long travail des formes d'existence adéquates à leur pensée. Ajoutez à CP.la que trois fléaux conservateurs ont presque complètement manqué à la Russie: - le Catholicisme, le droit romain et la souver:iineté de la bourgeoisie. Cela simplifie énormément la <111estion.Nous allons à votre rencontre dans la Révolution future, sans avoir besoin de passer par les marais par lesquels vous êtes passés, sans nous traîner et nous épuiser dans le clair-obscur de ces formes politiques qu'on pourrait appeler: !' entre chien et loup'' - formes qui n'ont jamais rien produit de grand et de fort, que là où clle1; étaient nationales. Nons n'avons aucun besoin de refaire votre longue et grande épopée - qui vous a tellement encombré la route de monuments en ruines, qu'il vous est difficile de faire un pas. Vos effortsi, vos souffrances sont un enseignement pour nou's. L'histoire est très injuste- tardè venientibus - au lieu des ossa- le majorat de l'expérience. Le progrès même n'est qne cette ingratitude chronique. Sans réminiscence, sans obligations envers le passé, nous sommes comme les prolétaires en Europe - les deshérités. De ce monde, nous n'avons reçu qu outrages et souffrances-aussi ses destinées ne nous touchent-elles que médiocrement. L'homme de la police a raison quand il dit "que nous ne nous arrêterons devant rien.'' Nous n'avons rien de commun, ni avec la vieille Russie, ni avec le vieux Monde. Et, par contre, nous avons l'aitdace de l'espérance. Nous n'avons rien fait? Tant mieux! Nous aurons beaucoup à faire! Le temps de notre besogue :.pproche. Et c'est pour cela qu'il ne faut pas qne vons méconnaissiez vos frères Slaves. Le pauvre Pro1étaire, en Europe, doit savoir que le pauvre Paysan russe n'est pas un être vil et abruti, mais un être humain, très malheureux, ayant même intérêt, courbé sous la même fatalité ... ... Le domaine de la Révolution s'étend ... N'avons-nous pas vu la Révolution à Vienne? et le Roi de Prusse, chapeau bas devant son peuple? -Tout cela a passé comme un rêve- mais, citoyens, il y a des rêves prophétiques. - Et ce rendez-vous de toutes les ·émtgrations à Londres, cet. échange d'idées, cet entendement mutuel, ce même niveau qui s'établit, cela n'est pas un rêve. - Non, cela n'e!<t pas un rêve, car I' Anglais nous tend la main ; et, \fous le savez bien : quand l' Anglais donne la main, il ,donne le cœur ! ( Bruyantes acclamations.) ... Et un Russe invité à prendre part à cette commémoration dn mouvement révolutionnaire de Février L.. Est-ce que vous ne voyez pas Jà des indices, - <les signes? Regardez cette salle - regardez ces débris de tous les orages, ces proscrits de tous les pays, ces vétérans de toutes les luttes contre toutes les tyrannies, se réunissant pour fêter une page de -l'histoire de la Révolution - et cela, taudis qu'Elie, la Patrie de •la Révolution, n'a pas le droit de se souvenir solennellement de son passé! tandis que la France sommeille, épuisée, après avoir ,fait rayonner la Révolution iiur toute l'Europe! Grande destinée ,le la France ! révolutionnaire, même par sa ·réaction! - C'est ainsi qu'en luttant contre le Socialisme, elle l'a élevé i\ la hauteur d'une puissance formidable, reconnue et militante. Tout sert la Révolution,_,: car tout sert l' Avenir! Laisson~ aonc ces morts ensevelir leurs morts! Des espérances longtemps 1>ubliéesrenaissent. La grande lutte, - sans qu'ils s'en ûoutent- se livre à notre profit ...... Les Empires et les Empereurs _passeront,. .... mais le Socialisme ne passera pas: Il e~t le jeune HéritiH du 'Vieillard qui s'en va ! LA FRANCE ET LA RÉVOLUTION. J'ai terminé les considé-rations que j'avais à présenter relativement au Christian'isme; mais je crois utile, avant d'aller plns loin, <lerésumer tout ce que f ai dit sur cette matière et de répondre à deux objections que l'on peut me faire. La loi du dépeloppemerit ae l'esptit humain dans les différents âges de l"humanité est celle-ci': d'une part, l'esprit humain se manifeste successivement sous deux formes, d'abord et en premier lieu sous forme religieuse, ensuite et en second lieu sous forme phiJ03o_phique; et, d'autre part, ces deux formes sont absolument contradictoires, en sorte que l'u».e doit nécessairemen't succéder à l'autre et en prendre la place. Or, si nous considérons l'ère moderne, qu'est-ce que nous y voyons? Nous y voyons que le Christianisme incessctmment décline et s'en va, tandis qu'au contrai.re la philosophie, incessamment aussi, grandit en for-ce et aut0ritf :; d'où Ja conclusion que nous touchons en même temps et à la mo'tt du Christianisme et au règne de la Philosophie. Voilà en quelques mots la substance de mon premier article. Voici maintenant le résumé en second. J'ai dit·: la Métaphysique est le fondement de la connaissance lrnmaine, de toutes sciences, car, pour que les scic,nces puissent naitre et se développer, il est indispensable que l'homme possède -trne s-0lution scientifique quelconque sur sa nature, sur la n.tture de l'univers et Dieu, et sur les rapports qui le lient à l'univ-ers et à Dieu. Tel est précisément l'objet de la Métaphysique. Or le Christianisme, par cela qu'il_ fait découler toute vérité de la révélation, est du même coup la négation même de la Métaphysique ; et, à la preuve théorique ajoutant la preuve historique, j'ai montré que la philosophie chrétienne (la "philosophie scholastique) avait immobilisé l'esprit humain tout le temps qu'elle l'avait gouverné. Enfin, au Christianisme opposant la Philo~ophie, j'ai fait voir que cette dernière, en proclamallt la souveraineté de la Raison et en s11bstituant l'observation, le raisonnement par induction et la généralisation, aux vides et stériles argumentations de l'Ecole, avait engendré la métaphysique, et à sa suite toutes les sciences, les sciences morales comme les scien- ~es physiques. Il y a une doctrine de la morale, de la liberté et de la démocratie. Elle est la doctrine qui, aujo 1 rd'hui, fait battre les nobles cœurs, inspire les âme.s généreuses et conùuit au dévouement et au sacrifice; elle est la doctrine du présent et de l'avenir. Or, qu'est-ce qu'est la morale pour • le Christianisme? Une chose secondaire, reléguée qu'elle ,est derrière les t!ogmes et les mystères. D'nri antre eôt~, ' L.JIO}lM R. quels sont les rapports <luChristianisme avec la liberté et la démocratie ? Ceux d'un ennemi éternel ; car le Christianisme, 11'étant au fond que la révélation et l'autorité, répugne essentiellement à la liberté et à la démocratie-, qui sont l'épanouissement et l'application de la souveraineté <lela raison humaine, et partant de toutes les libertés dans tous les ordres et tous les degrés. Faut-il s'étonner, d'après cela, <le la conduite des prêtres catholiques après Février 1848 ? Sommes-nous enfin éclairés sur le compte du Christianisme, plus particulièrement du Catholicisme ? et nous sentons-nous disposés à recommencer vis-à-vi3 de lui, à la Révolution future, les fautes de la dernière. - Tels ont été le sens et le but de mon troisième article. Enfin, eu quatrième lieu, j'ai cherché à établir que le Christianisme est impuissant pour rendre l'homme heureux ici bas, pour le satisfaire ici-bas, pour le satisfaire dans ses intérêts généraux et permanents. En eff t, à quelle condition l'homme peut-il atteindre cette fin légitime ? A la condition qu'il r~garde la terre comme son domaine, q1ùl croie à l'efficacité de ses efforts et de ses travaux, à la perfectibilité de ses facultés et de celles de l'espèce, et à la solidarité des générations entr'elles. Ces_ notions saines et vraies, elles sont filles de la Philosophie moderne. Mais le Christianisme, lui, bien loin de professer la doctrine du progrès, professe une doctrine toute contraire, la doctrine de la chûte, en vertu de laquelle l'homme, pour gagner le souverain bien dans l'antre vie, se sépare et s'isole du monde, se refuse à l'activité pratique et vit dans une stérile contemplation. La comparaison entre les nations philosophiques, si je puis dire air,si, et les nations purement catholiques, a justifié pleinement mes assertions. Ainsi, la philosophie de l'histoire de l'esprit humain, c'est-à-dire la nature des choses comidérées dans leur mouvement et leur succession à travers les âges, - la métaphysique, c'est-à-dire la science de l'homme, de l'univers, de Dieu et de leurs rapports, - la doctrine de la morale, de la liberté et de la démocratie, c'est-à-dire la doctrine qui doit pour toujours affranchir et regénérer le monde, - le bonheur de l'homme, vu dans son essence, c'est-à-dire les intérêts légitimes, et par conséquent sacrés du genre humain, - toutes ces raisons se dressent contre le Christianisme et le condamnent. Je n'ai pas, d'ailleurs, la prétention d'avoir épuisé la matière. A d'autres <le dire mieux et plus que moi. Toutetois, ma démonstration contre le Chtistianisrne est grave, si je ne me trompe point : je la livre aux méditatior:s du lecteur. Mais je prévois deux objections auxquelles je veux répondre. On dit d'une part : une croyance est nécessaire à la société et à l'homme : par quelle croyance remplacerezvous le Christianisme ? Et on dit d'autre part : quels sout vos moyens pour amener la ruine et la suppression de la religion chrétienne. Examinous attentivement chacune -de ces objections. On développe la première dans res termes : la société n'est point une collection d'individualités juxtà-pos!>es; elle est un 'ensemble de droits et de devoirs qui se correspondent réciproquement, en sor,te qu'il n'y a pas de droits sans devoi.rs, ni devoirs sans droits. 'Ûr les noti0os de droit et de devoirs impliquent la notion de la morale. La notion de la \l!Orale implique celle ,d'une sanction. La notion d'une sanction implique celle de Dieu. Droits, devoirs, morale, sanction, Dieu. et leurs cons~uences nécessafres, c'est ce qu'on appelle croyance ; et, d'après cela, on ne comprend pas que la société et l'homme puissent subsister sans croyance aucune. Supposons la société arrivée à cet état matéri"el et économique qu'exaltent certaines théories dites socialistes : la face de notre planète a é-té renouvelée ; les horreurs de h guerre ont fait place aux bienfaits de la paix: plus de divisions, de lattes entre les peuples et les hommes ; partout l"union, l'acoord, l'ha-rmonie: aux travaux stériles et dest-ructeurs ont succédé les travaux productifs : la prod·uction des richesses a augmenté d'unt- manière véritablement miraculeuse ; et, la distribution s'en faisant en raison des besoins, chacun est plrlinement satisfait dans ses instincts, ses appétits et ses passions. A coup sûr, la peinture de l'Eldorado que l'on nous promet n'est point amoi11drie. Eh bien, dit-on, toutes ces merveilles seraient, à elles seules, incapables de soutenir la société ; il y a plus, ciles en seraient la destruction. En effet, non seulement les instincts, les appétits et les passions sont insatiables, mais,mêmé,ils croissent indéfiniment par la satisfaction qu'ils-reçoivent. Qu'est-ce que serait dès lors ce fameux état social où quelques-uns voudraient nous mener ? La lutte effroyable des Ü1Stincts, des appétits et des passions, une violence sauvage, sans fin ni trève. Donc, nulle société possible, quelle qu'en soit d'ailleu~s la forme, sans les notions de droits et de devoirs, de morale, de sanction, de Dieu, etc., sans une croyance en un mot. Et on ajoate : nécessaire à la société, une croyance ne l'est pas moins à l'homme en tant qu'individu. Que d'amèrtumes renferme l'existence ! Que de fois, accablé sous le poids, on s'écrie avec Shakspeare : Heureux celui qui n'est pas né ! Et telle est plus particulièrement la fatale destinée des âmes délicates et tendres, car, accessibles sur un plus grand nombre de points que les âmes grossières, elles souffrent par là même davantage. Vie privée, vie publique, tout leur est ici-bas cause d'affliction ! Comment ! notre existence se terminerait avec notre c<'rps ! Comment! l'homme àroit et prebe DP, recevrait point dans une autre vie la récompense que le monde ne. lui accorde poir1t ! Comment! ce cri de la douleur vers la consolation et la joie ne serait qu'un vain cri ! Oh! uon, non, cela n'est pas, cela ne peut pas être : la justice éternelle et la nature tout entière protestent contre cette funèbre doctrine. Rien n'est plus fondé que ces considérations ; mais elles ne m'atteignent point, par cette raison décisive que c'est en faveur d'une autre croyance, et non du scepticisme et de l'athéisme que je conclus contre le christiauisme. Ce~te croyance, essentiellement philosophique, est la doctrine de la morale, de la liberté et de la démocratie. J'en ai esquissé précédemment quelques traits ; j'en trace d'autres aujourd'hui, afin de la mettre mieux en lumière et de faire comprendre qu'elle contient en soi les éléments constitutifs d'une croyance, d'une doctrine, et que dès lors elle satisfait les besoins impérieux de l'homme et de la société. Je dis: doctrine de la morale .... Qu'est-ce à dire? S'~I ! a cles devoirs imposés à l'homme, il suit qu'il y a m;ri!e. de sa part. dans le cas où il ~es accornplit, et demerite, au contraire, dans le cas où 11 les viole. Or, quel est le spectacle que nous présente ce mon<le? Le bonheur distribué au hazard ; la plupart du temps même, l'homme de bien malheureux. Donc il doit y avoir, il y a une autre vie où le mérite et le démérite recevront ce qui leur est dû. S'il y a une autre vie, tout ne finit point pour nous avec notre corps : doue il y a en nous un élément spirituel et impérissable, donc l'àme est immortelle. Mais si le mérite et le démérite, la récompense et la peine, la vie future, l'immortalité <lel'âme, sont des réalités, c'est que toutes les choses de ce monde sont réglées d'après des loix: absolument morales et justes ; c'est qu'il y a une Providence. La notion de Dieu vient donc s'ajouter aux notions précédemment acquises et les couronner. Telle est, dans son ensemble, mais tout-à-fait sommairement, cette Doctrine <lela morale, de la liberté et <le 111. démocratie. Ainsi, il est évident que, d'une part, je parle au nom d'une croyance, d'une doctrine ; et que, d'une autre part, la doctrine qui proclame la vie future, l'immortalité de l'âme, l'exiEtence de Dieu, la morale, la liberté et la démocratie, est u11e<loctrine assez ample pour répondre à toutes les exigences de notre nature intellectuelle, morale et physique. Il est vrai que, dans cette rtoctrine, il n'y a point place pour les rêveries mystiques ; cependant, quels horizons infinis la foi à la vie future, à !,immortalité de l'âme et à l'existence de Dieu ouvre aux sentiments et aux pensées! et quel but grand, sublime, nous est proposé sur la terre par la morale, la liberté et la tlémocratie ! D'ailleurs, il faut s'expliquer et s'entendre: si ,nous aimons à être bercés, comme les peuples enfants, par les fantômes de la religion, restons dans la religion ; mais si, au contraire, nous nous sentons adultes et majeurs, si nous voulons ma:rcher à la lumière de la philosophie~ acceptons t-outes les comséquences qu'elle porte en soi et disons adleu aux fantômes de la religion. La seconde objection est l'objection des moyens. Qu'est-ce qu'un moyen? C'est un acte à faire, une mesure à pren<lre pour atteindre un bJJt, une fin. La nature d11moyeu est donc déterminée par la .nature du but, de la fin ; et, comme la nature du but, de la fin, se iire elle-même de la nature,de la chose, il suit, qu'en définitive la uature du moyen doit être fondéé sut" la nature de la chose. De quoi s'agit-il ici? D'un objet essentiellement intellectuel et moral. Qu'est-ce que doit être le moyen? De même nature, c'est-à-dire aussi, ess~ntiellement intellectuel et moral. Par coBséquent point de for-ce, point de violence contre la religion catholique et les prêtres ! Vous fermez les églises ! Mais les fidèles, -répondant à l'appel des prêtres, se réunissent dans les maisons particulières, dans les fermes, dans les granges, dans les champs, dans les bois. Vous poursuivez, vous traquez, vous emprisonnez les prêtres ! Mais vous en faites des martyrs, vous enflammez le fanatisme, et chacun, aspirant aux dangers et à-la gloire du ministère ecclésiastique, veut attirer sur soi la persécution. Vous vous attaquez aux pierres, aux monuments, vous voulez effacer jusqu'aux vestiges d'une religion funE"ste au progrès et à la liberté! Mais., lorsque le calme a succédé à la tempête, vous voyez les pie-rres se redresser, les monuments se réédifier, les temples se rouvrir, les chants religieux. recommencer, et l'encens fumer de nouveau. N'est-ce pas là ce que nous enseigne notre passé révolutionnaire? Que le parti démocratique français ait enfin une doctrine: qu'il la formule hautement et carrément, dans tous ses principes, tour.es ses conséquences et toutes 11es applications; que la France .et le monde sachent bien ce qu'il veut et où il tend ; et la France et le monde vien- •sdrnnt à lui, et la tyrannie décemb-riste tombera toute seule. Puis, qu'arrivé au pouvoir, le parti démocratique fran~ais s'appuie sur cette doctrine et se donne pour but de la faire prévaloir, - qu'à cette fin., il en r6pande l'enseignement d'un bout du territ0ire à l'autre, - qu'en face de l'autel catholique il élève en tous lieux la chaire philo:aophique, - que tous connaissent par les lumières de la raison et de la philosophie l~urs droits et leurs devoirs d'homme et de citoyen, et la superstition ne sera bientôt plus. Voilà, selon moi, la .voie.dans laquelle le parti dé-

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