Homme - anno II - n.14 - 7 marzo 1855

• L'trOMME. J-•--------------------------------'--------------------- Le meelino- en commémoration de la Révolu- ·tion de Février a eu lieu comme nous l'avions an- .noncé, le 27 courant, à Londres, dans .St. Martiu's Hall. Nous trouvons dans le People's Paper le compte-- rendu de cette fête révolutionuaire à l.iquelle assistaient des proscrits de toutes les 11atious. M alheuTensement, nos colounes seraient envahies et débordées si nous voulions tout trac.luire : ré.solutions et discours. . Les citoyens Ernest Jones, président; James Finlen, Alexandre Hertzen, G.-J. Holyake, A. rralandier, proscrit français, et Kardestki, proscrit polonais, ont tour à tour pris la parole. • On a lu une belle lettre du citoyen Snffi, pros- .c. rit italien. Nous ne pouvons la publier aujour- ,d'hui, l'ayant reçue trop tard, mais nous la donnerons dans notre prochain numéro, ainsi que le ..discours du citoyen rralandier. Voici celui d' Alexandr,e H ertzen Lorsque le comité international m'invita il. prendre la parole, j'hésitai un instant. Je reculai devant la difficulté de parler au nom de la minorité révolutionnaire en Rus~ie, au milieu des .bruits de la guerre, au milieu des.passions frémissantes et d'un ileuil saint et _prnfon<.l. ren fis part llu Comité. Il m'invita encore une fois de la manière la plt1s fraternelle, et j'ai eu comme un re- .mords de cet instant de doute .et de manque de foi. La guerre s'agite et gronde dans un autre monde. Elle expire devant cette porte, devant cette salle où les hommes, proscrits de tons les pays, se réuuissent aux Anglais libres du préjugé du leur, an nom d'un souvenir et d'une espérance, au nom de ceux qui souffrent. - C'est ainsi que les Chrétiens des premiers siècles se réunissaient clans leurs humbles banquets, tranquilles et sereins ... tandis que l'orage déchaîné par les Césars et les Prétorien, secouait les vieux fondements de l'Empire romain. (Ap_plau- <lissements.) Dans cette fête <le la fraternité des peuples, il ne fallait pas qu'une voix russe manqnlt ; car, outre le Tzar, il y a un peuple; ,0utre la Russie officielle et despotique, il y a une Russie souffrante et malhenreuse; outre la Russie du Palais d' Hiver - il y a une Russie des casemates. C•est au nom de cel,e-ci qu'une voix Russe devait se faire entendre ici. J'ai hâte de dire que je n'ai aucun mandat pour représenter l'émigration Russe, - il n'y a pas d'émigratio1\ Russe organisée. Mon mandat- c·est ma vie entière, c'e5t ma sympathie pour le }lenple Russe, c'est ma haine contre le Tzarisme. Oui, citoyens, j'ai la hardiesse de le dire, je crois représenter la pensée révolutionnaire Russe, - parmi vous, j'ai droit à la parole - c'est mon cœur, c'est ma conscience qui me le disent. (Applaudissement prolongés.-Bravos) ! 11 y a six ans que j'ai commencé mes publications sur la Russie Etourcli par une réaction sauvage, on m'écoutait alors avec indulgence. Les temps ont changé; l'esprit martial qui se développa avec la guerre, particulièrement daus quelques feuilles allcman,les, devint despotiquement intolérant. On m'accusa de mes sympathies Slaves. On m'en voulut <le mes espérances, <lemon activité même ... Des articles traversèrent deux fois !'Océan, portant des incriminations; d'autres reçurent .l'immense honneur d'être répétés par le 1llo11iteur de France. Avant nous, on n'a jamais demandé à aucun exilé de détester -sa race, sa nation. A vous, citoyens proscrits, on vous ôte votre présent; à nous, on nou, ôte aussi l'avenir; on veut tuer chez nous jusqu'à l'espérance. Si je haï,sais le peuple Russe, si je dése~pérais de lui, - je ne serais pas ici ... un peuple libre et républicain m'a donné le droit de cité, j'y resterais sans m'occuper d'un pays qui n'avait que des ,persécutions ponr moi. (Applaudissemt:11ts ). Cette confusion est. très étrange. Le règne de Nicolas s'ouvre par une conspiration formidable. 'Il passe sous 'l'arc triomphal de cinq gibets, pour aller se couronner à Moscou. Des centaines <le conspirateurs, la chaîne aux pieds, vont aux mines. Des fournées de jeunes gens les suivent à courts intervalles et disparaissent en Sibérie ... tout cela passe inaperçu ; tandis que la figure insolente du despotisme incârné, réiléc hit sur nous - lee persécutés - un peu de cette haine, qu'il a ~i bien méritée. Un s'obstine à <lire que les éléments du progrès, en Russie, ne .sont qu'u11efiction de qut:lques têtes exaltées. Je sais, citoyens, que :vous croyez à l'existence d'un parti révolutionnaire en Russie: autrement, mon apparition à cette tribune serait -une absurdit-é. Mais la majeure partie des personnes <lites radicales tâche de ne pas y croire ... Ils en ont assez de la solidarité et de la fraternité des peuples brevetés comme révolutionnaires, inscrits sur leurs registres. On ferme les yeux pour :ne pas voir. Si je pense à ee brnve orateur dn genre humain, Anacharsis Clootz, qui tatoua lui-même un de ses cousins, pour qu'un délégué <l'Otahiti ne manquât pas à une des fêtes de la République, il est impossible de ne pas convenir que la fraternité des peuples n'a pas beaucoup marché depuis ce temps. Nicolas nous pe1,<l,nous envoie en Sibérie, nous jette dans les casemates; mais au moins il ne doute pas de notre existence : au contraire, il nous surcharge de ses marques d'attention. -- Vous devez me par,lonner, citoyens, - c'est pour la première fois de ma vie que je cite cette autorit6 comme exemple. Mais on nous <lit que nous antres, par contrP, nous ne croyons ni à la force ni à l'org:inisation actuelle de l'Europe. Certainement non. - Et vous - est-ce que vous y croyez? Le fait est que, so,tant de la prison, revenant de l'exil, le Russe, habitué an culte <lel'.Enrope, s'y précipite avec foi, plein d'illusions, et trouve partout d'autres éditions du Tzarisme, des variations, à l'infini, sur le thêrne Nicolas - et il ose le dire - voilà le grand malheur ! On nous en veut, à nous, témoins depuis les journées de Juin 48, de cette réaction hideuse, dépas~ant tout ce que le pessimisme le plus noir a pu s'imaginer - on nous en veut pour nos sanglots, pou,. des moments <le désJspoir et de rage, daiis lesquels on ne trouve rien dans son âme que des doutes, - sur ses lèvres gue des mots amers et des malédictions. Il fallait les cacher? E.t pourquoi devions-nous court:ser ce vieux mande féodal, ce }non<lede routiue, qui vous écrase les premiers, qui entasse par- ~out les cadavres du p:issé pour arrêter l'avenir. Les rois ont assez perdu par les flatteries et les réticences. - Veut-on que les peuples passent aussi par cet énervement? Supposons même que nos opinions soient exagérées, erronée~, <l'où a-t-on le drnit d1en soupçonner la sincérité ? .C:hn1'en li~it pas aveo les erreurs en les qénonçant comme Echismatiques et Pan slaves - ou, pire encore, en les salissant par des ·allusions i1,fàmes et calomnit:uses. Vous me pardonnerez, citoyens, ces détails; j'en avais le cœur gros. Je n'ai rien répondu aux attaques ; une haute co1'tvenance, un décorum <le délicatesse que vous apprécierez facilemeu t, ni'imposait le silen-ce pendant la guerre. Mais il me semblait impossible de monter à cette tribune, sans a.voir touché ce triste sujet. Maintenant, lais8ant la lutte des Empereurs et des journaux, ,regardons ce qui se passe dans l'intérielll· de ce pays muet qu'on appelle la Rus~ie. Il y a chez nou1<deux courants révolutionnaires : l'un en haut. J'autre en bas. L'un éminemment négatif, dissolvant, détestant ,l'absolutisme, é_parpillé en petits cercles, mais. prêt à former une grande conspiration, actif, remuant. L'autre, plutôt phstique, orga11i11ue,en état de germe, mais somnolent et apathique. Je parle de la jenne noblesse et de la commune rurale, cette alvéole de tout le tissn social, cette monade vivifiante de l'état Slave. Sur leurs épaules, écrasant les uns, exténuant les autres, se dresse le monstre de la Russie officielle, - pyramide vivante, comme je l'ai dit ailleurs, de crimes, d'abus, de concussions - lloudGp'tr le partage du butin, - aboutissant au Tzar, et appuyé sur sept cent 111illemachines organiques à b:iyonnettes. Le Tzarisme ne s'apprivoisera pas, il restera un <langer permanent pour I' Eurnpe et un malheur pour le monde Slave. Il est par sa nature agre~sif, vorace - très pauvre en idées, très peu adroit en organis:ttion intérieure. Il a créé une chose - c'est l'armée. Il doit faire la guerre - c'est son métier, c'est son salnt. Le gouvernement de Pétersbourg n'est pas populaire, il a trop tenu avec les seigneurs, trop avec les Allemands, selon l'expression <lu peuple. La seule idée vivante qui lie les masses au gouvernement - c'est l'unité nationale. Le gouvernement ne l'ignore pas-et l'exploite maintenant. Et ,voilà une des principales raisons pour laquelle il fallait po1·ter la guerre en Pologne. La déclaration de l'indépendance <lela Pologne serait acceptée par le . peuple, non seulement par les petits-russiens, mais par une partie de la grande Russie, comme un acte révolutionnaire, et non comme une agression. Soyez persuadés que le Tzarisme ne craint rien autant que l'indépendance <le la Pologne. Le jour où la République sera restaurée à Varsovie, l'aigle impériale de Pétersbourg se pendra par rune de ses têtes. Je ne m'arrêterai pas à la nécessité historique de cette dictature soldatesque et bureaucratique créée par Pierre Ier. Je pense qu'elle est expliquable pour le passé ; qu'elle était même nécessaire comme châtiment, comme éducation, comme soudage enfin. Mais je pense encore plus qu'elle a fait son temps, que sa continuation est artificielle, forcée. L'impérialisme russe, après 1813, est <l'un·eimproductivité, d'une stérilité étonnante. L'œuvre gouvernementale, depuis Nicolas, est devenue complètement négative - répression, réaction, persécution ... C'est que le lendemain de son avènement au trône, il a vu des honpnes qui l'ont terrifié, et il ne les a jamais oubliés. Etonné par la fermeté et la noblesse des paroles de Mouravieff, il lui <lit~ " Votre parole d'honneur que vous abandonnerez vos projets, et je vous pardonne.'' - " Point de grâce, point d'arbitraire, répondit Mouraviefl:: condamné à mort. C'est pour être indépendants de vos caprices que nous voulions vous renverser." Le lendemain il fut pendu. "Vous avez solennellement juré sur votre poignard, dans une séance de la société, de tuer !'Empereur?'' demanda le président à Pestel. - " Ce n'est pas vrai, répondit-il, j'ai tout. simplement clit que je voulais le tuer. - Il n'y avait ni poignard ni serment; j'ai toujours détesté les scènes mélodramatiques." On le pendü aussi. La corde rnmpt, Pestel tombe dans la neige, se relève et dit : "l\1audit pays où l'on ne sait même pas pendre!" Savoir que des hommes pareils ont existé, non loin du Palais., existent peut-être encore-n'est pas bon pour le sommeil impérial. Nicolas attend depuis 30 ans une demande d'amnistie,-elle ne vient pas. La mort amnistie. Quelles histoires! quelles légendes! , Un autre Mouravieff-il y en avait quatre dans la conspirationcolonel d'état-major, demeurait, après dix années èe travaux forcés, comme colon dans une petite cabane, au fond de la Sibérie, avec deux autres forçats, - le général Youshneffsky et le colonel Abramoff. Il meurt en 1841. Les deux amis clouent un cercueil et portent le défunt à l'église qui était à quelques lieues. Le vieux général aimait Mouravieff comme une mère peut aimer son fils. Pas une parole pendant la route. Arrivé à l'église, il s'agenouilla près du cercueil et cacha son visage. Le sacristain s'approcha de lui après la cérémonie. L'immobilité du vieillard l'étonnait. Le vieillard était mort. Abramoff n'eut pas le courage de retourner dans la cabane, il alla se perdre dans les océans de neige de la montagne ...... Nicolas avait beau étaler une persistance de férocité, une absence <lecœur peu commune contre les hommes, il n'atteignit pas l'idée; au contraire, l'idée devint plus révolufamuaire et plus nationale. Il y a deux ou trois mois qu'un livre remarquable s11r les Russies parut en France. L'auteur, M. Gallet de Kulture, revient de la Russie ; il a vu les choses après moi. Permettez que je cite quelques lignes <lecet ouvrage. (Page 222). "Le Tzar n'a point, sous les vains prétextes d'une protection religieuse à accorder aux Raïas, entamé cette guerre inique. Il est sorti du néant de ses vingt-neuf années de règne - pour une cause décisive, - il ne pouvait plus gouverner. Maître absolu de de tout, il commençait à ne plus l'être de rien. La vieillesse, en s'approchant, lui montrait non seulement la décadence évidente de l'homme, mais celle du principe. Montant comme les marées sous une impulsion uniforme et irrésistible, l'idée de réforme battait la théorie vermoulue du vieux despotisme...... Un parti, <l'ailleurs, s'était formé p·1rmi la noblesse - cette classe redoutable, frondeuse et boudeuse à la fois, critiquant avec amertume et s'isolant par systèmt:, composée d'homme à idées, à énergie, à foi, à rancune, - elle recrutait autour d'elle toute la jeune géné .. ration.'' Parlant d'un rapport de la police secrète, sur l'affaire de Petrochesfüky et <le ses nobles, généreux amis, les conspirateurs de 1849, l'auteur cite textuellement ces considérations présentées par Lipran<li au général Nabonoff: " Les élèves des divers colléges sont imbibés des systèmes les plus extravagants : chaque mot, chaque ligne qui sortent de leur esprit respirent les doctrine~ pernicieuses. C'est en s'abandonnant aveuglément à ces utopies qu'ils se croient appelés à remanier toute la vie sociale, toute l'humanité; et ils sont prêts ,à se faire les apiltres et les martyrs de cette malheureuse déception. On peut s'attendre à tout de la part de gens pareils. Rien ne les arrêtera jamais ; car, dans leur idée, ils ne travaillent pas pour eux-mêmes, mais pour l'humanité, - non pour le présent, mais pour l'avenir." " On ne peut indiquer - dit un homme très éminent de Russie à M. de Kulture - le moment précis de l'avènement des idées révolutionnaires ( en Russie), mais il est proche, et il revêtira une forme nouvelle, spéciale - la forme russe .... Tout le monde s'entendra pour abattre un système condamné par l'esprit des temps - fantôme armé, capable encore ,d'inspirer la u~rreur, mais im}iuissant cléj:t à faire vibrer une seule ~bre daJ1s l'âme humaine. Il y aura ensuite de grandes luttes, les hommes <le pr•>grès vornlront faire du nouveau, une partie des Slavophiles reviendra à l'ancienne Ri:ssie - et le peuple prendra en main la hache de Robespierre, il abattra les blasons et les têtes.'' Voilà, citoyens, ce qui se fait sous la croûte de glace, sous l'aspect uniforme <ln despotisme boréal. Descendons maintenant dans les profondeurs de cette mer sombre et regardons quels sont là les forces et les orages qui peuvent mettre en mouvement les océ:rnides populaires. • D'abord, il faut vous dire que non seulement on a douté de l'existence cl'un parti révolutionnaire en Russie - qui par nécessité se tient à l'ombre, mais ·on .:i douté aussi de l'or~anisation commun:ile, c'est--à-dire <le la manière d'être de 50 millions d'individus à deux pas <lel'Allemagne. Haxthausen a écrit trois volumes sur ce sujet, c'était un réactionnaire- on ne l'a pas cru. 1\foi j'en ai parlé, on ne m'a pas cru, je suis un révolutionnaire. Notre commune rurale, par une de ces anomalies qui paraissent être de l'ironie clans l'histoire, a une base très lar""e et émint:mment socialiste - il ne s'agit pas <ledroits politiqu~s - dans tonte la Russie, il n'y a que S. M. Nic0las qui soit un citoyen actif et qui ait ses droits politiques-il s'agit des droits administratifs et sociaux - du self:.gouvernement dans les affaires communales et <lu partage <le la terre. Je ne répéterai pas ce que j'ai <lit tant de fois sur l'organisation de la commune ~t ses av~ntages, je veux vous montrer au contraire son grand mconvén1ent. Le paysan russe est un mineur éternel, il n'est jamais sur ses propres jambes; dans tons les cas il s'appuie siu la commune, s'abrite derrière elle. L'rndividu est absorbé par lil commune. l\Iettre d'accord la liberté individuelle avec la commune - c'est tout le problème du Socialisme. Les Etats- Unis de ,'Amérique ne l'ont pas résolu, la commune slave encore moins, c'est un embryon sans conscience - et il ne sera appelé à uue véritable existence, que par l'individu clemandant la plénitude de ses droits comme perso1me, sans perdre ses droits c0mme membre de la commune. Eh bien, ce levain révolutionnaire manquait à la commune patriarcale, elle pouvait encore pour longtemps s'arranger avec le Tzar, d'autant plus qu'il a peu d'avantage à empiéter sur ses droits .... mais il y a une loi hist~rique qui pousse les despotismes eux-mêmes à provoquer les révolutions. Le servage introduit peu à peu au XVIIe siècle, acquit au XVIIIe une extension terrible - plus d'un tiers de toute la population agricole a été réduite à l'état misérable des .glebœ adscripti du Moyen-Age. Le peuple se leva maintes fois : plus <le cel\t miile hommes étaient sur les bords du Volga sous Stenko Rasin. Le Tzar Alexis pendit <lesmilliers d'insurgés. Le trône de Catherine II chancela, pendant des mois, secoué par Pougatcheff. PoQgatcheff amené dans une cage à lfoscou fut exécuté, l'ordre triompha, les serfs étaient vaincus. -Alexandre s'arrêta le premier. stupéfait devant la mons· truosité du servage; il comprit le mal sans tl'O\iver aucun remède, il n'osait ni l'encourager ni l'abattre. Le crime a été commis, le Tzar était lié -aux seigneurs, le peuple ahéné de lui par le servage. La voix impériale ne pouvait plus l'atteindre ... et lorsq11e Nicolas -ce Tzar omnipotent, lorsqu'il osa au mois <l'avril en 1842 donner un conseil timide à la noblesse de s'arra.nger à l'amiable avec les paysans; le Ministre de l'Intérieur Peroffsky ajouta un tel commentaire que les mots pâles de Nicolas disparurent complètement. La circulaire ministérielle enjoignait aux préfets de juger c0mme rebelles les paysans qui regarderaient comme obligatoire, les augustes conseils de l'empereur. Une lueur de liberté passa auprès du malheureux serf-et disparnt. Une rumeur vague. et comprimée se répandit par le pays et resta. Les révoltes partielles, les assassinats de seigneurs - si communs en Russie - devinrent plus fréquents. Dans Je gouvernement de Si:nbirsk les paysans firent une battue en forme <lesgentillâtres. Dans le gouvernement de Samboff, les paysans de diverses communes Si réunirent et allèrent de maison seigneuriale à maison seigneuriale armés de piques, de haches, et portant <lela paille - ils poursuivaient leur chemin, silencieux et graves; - une femme d11peuple, piecls nus, les cheveux épars, marchait devant eux; elle chantait le$ psaumes qu'on chante auit enterrements -et elle les chantait lom1ue les châteaux brûlaient avec les familles seigneuriales. J'ai beauco•1p vécu avec le paysan russe - et non ieulement, je l'aime profondément, mais je le connais beaucoup. Enfant, je demeurai chaqul:) été dans les domaines de mon père; exilé, j'eus sept années pour l'étudier depuis l'Oural et le Volga jusqu'à Novgorod. Eh bien, je vous jure qne le paysan de l'intérieur de la Russie est moins avili, moins esclave que toute l'aristocratie de Pétersbourg, '}Ue tout l'entourage de l'empereur. Custine l'a remarqué <le même que Haxthausen et le savant Blurius. C'est par l'insurrection des paysans serfs, ou par leur émancipation que commencera l'avenir révolutionnaire et social de la Russie. Le paysan russe ne veut rien entendre d'une émancipation dans le prolétariat, et il a raison - mais de plus, il aura aussi la terre. La noblesse la plus rétrograde serait contente <le donner la liberté aux paysans et de retenir toute la terre. Pestel, le grand révcrlutionnaire russe, disait à ses ;unis dami une des séances de la société " vous pouvez vous défaire de l'empereur, vous pouvez proclamer la République si vous le voulez - peu de chose changera. Il n'y aura pas de révolution populaire, nationale, chez nous, si on ne touche pas à la propriété territoriale de la noblesse. Il faut la terre au paysan!•' Cela était dit avant 1825 ; maintenant le gouvernement et la noblesse ont compris qn'ii " faut la terre au paysan.'' On a déjà fait des tentatives de partage, P.nréduisant le paysan charitablement au minimum. Cela n'a pas eu de suite. Le par. tage est indiqué par les faits mêmes et par le génie national. Le paysan ne veut que la terre communale, ne veut que le sol • qu'il a marqué par sa sueur, qu'il a e:on1uis par le saint droit du travail. Il ne demande pas plus. Le paysan russe ne croit pas que la terre puisse appartenir à un autre qu'à la commune. li lui est plus facile <lecroire que lui, individu, appartient à la commune, que de penser que b terre ne soit pas la propriété inaliénable de la commune. C'est. extrêmement grave. Car, au bout du compte, toutes les questions sur la propri~té sont des questions religieuses, basées sur des croyances, sur <les dogmes. Avec la foi s'en va la chose. Maintenant pensez à cela : eùtre le paysan qui croit que la terre appartient à la commune, et la jeune noblesse qui ne croit pas à ses titres à la possession - il n'y a rien que la force brutale, un conservatisme igaorant et stupide, l'inertie de l'habitude. Pa~ de grandes traditions, pas de formes séculaires pour soutenir le trône de Pétersbourg, pour se rendre vénérable. L'Etlise grécorusse est trop humble et trop céleste pour se mêler des affaires de ce bas monde - elle n'a pas oublié sa Bysance - elle laisse à César ce qui est à César-sans trop s'inquiéter qui est César. L'impérialisme <lePétersbourg a cela de particulier qu'il ne se fait pas monarchie, il n'est qu'absolutisme. Il a beau s'habiller ,en Pape Oriental, en caporal prussien, en Tzar mongol - il n'est rien que le représentant de h foree matérielle et d'_unen~- eessité historique qui passe.

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