Homme - anno II - n.14 - 7 marzo 1855

• -SCIENCE.- ' -SOLIDARITÉ.- JOURNALDELADEMOCRATIUENIVERSELLE. N8 J 4-. MERCREDI, 7 MARS l 8.55.-2e Année 1 (Jersey), 19, Dorset Street.-Les manuscrits déposés ne seront l ANGLETERRE ET COLONIES: pas rendus. - ÜN s' ABONNE: A Jersey, 19, Dorset street. - A Un an, 8 shillings ou 10 fran es. ,, Londres, chez M. STANISLAS,10, Greek-street, Soho Square.-A Six mois, 4 sh. ou 5 fr. ~e Joua•nal 1un•ait une fels Jta.1• sen1alne. Genève (Suisse), chez ).1. Corsat, libraire, rue Guillaume-Tell. -1 Trois mois, 2 sh. ou 2 fr. 50 c. POUR L'ÉTRANGER: Un an, 12 fr. 50. Six mois, 6 fr. 25. Trois mois, 3 fr. 50 c. Toutes lettres et correspondances doivent être affranchies et Belgique, chez tous les libraires. - A Madrid, chl'Z Casimit CHAQUENUMÉRO: adressées au bureau de l' fmprimerie Universelle à St-Hélier Monnier, libraire. 8 ,pence ou 6 sous. 'I'ou!il les abon11en1e11• 11e paient d'a,•~nee. LA MORDT'UNHOMME. \ I. Un homme vient de mourir, et l'Europe entière est en émoi: lesgouvernements penchés sur les cartes de la guerre relèvent la tête; les bourgeois longtemps effarés chantent l'hosannnh dans l'intérieur des comptoirs et <les banques ; les intérêts, les -égoïsme-;, les peurs entrent en fête, comme si l~ date du 2 mars était celle de la grande paix, et les peuples eux-mêmes regardent du côté de ce grand cadavre. • Pourquoi tout ce bruit, toutes ces émotions, toutes ces ei;pérances ? Un homme est mort, et cet homme était l'empereur de Russie,. Si nous n'étions profondément attachés par les principes, les actes et. les sentiments d'une vie déià longue, à la doctrine républicaine, un pareil spectacle nous serait un argument terrible contre les .empires et les monarchies. ·Qu'est-ce, en effet, que votre sagesse, ô nations 1civilisées ! si vos destinées reposent, heureuses ou ,fatales, sur ce néant qu'on appelle la vie d'un homme, et s'il faut que la mort vous délivre? A.ujourù'hui, vous voilà joyeusement inclinées sur ·un. cercueil .: vous mesurez du reg·ard votre en- •nemi couché dans la mort; vous souriez au cadavre dont la main glacée ne lancera plus les armées et les foudres·; et si demain tel autre tombait aussi, -lui que vous appelez votre f'rovidence ? Il est triste, en vérité, de voir combien l'esprit '<'Uropéen, qu'auraient dû mûrir vingt révolutions, ,est encore enfant, et ce qu'il y a de fragilité dans ·ses institutions, comme dans ses jugements. Nos morts, à nous, n'emportent de la vie que -les derniers adieux et ne laissent que des souve nirs. :Leurs cadavres s'en :vont ·à la terre sans que les institutious les sui'Vent: 1l'histoire les prend, et la République souveraine continue son •œuvre sans jamais trébucher sur les tombes. V oyez ce Vieillard qùi vient de s'éteindre, charo-é d'années, et que nos Assemblées ont connu c~1quante ans comme la probité civique. Dupont de l'Eure est mort le même jour, presqu'à la même heure que Nicolas. Quelle différence errtre les deux carrières, entre les deux mémoires, et quelle leçon! l'empereur et le républicain., jugez-les, pesez-les, et dites-nous ~?iln'y a pas haute folie à laisser encore certains fléaux g·ouverner le monde ·? I vertiges, Alexanûre le batai lieur ? Il y a peu d'hommes, et, il n'y a pas de princes qui. ne cherchent les brillants débuts. Qui vous a dit, enfin, qu'à défaut de Nicolas ou d'Alexandre, vous n'aurez pas à vous garder, demain, des ambitieuses épilepsies d'un Bonaparte? Quand les institutions ne sont rien, et. qu't~n homme est tout, il n'y a .ni trève sûre, m paix pour une heure. Prenez garde a~x. açteµr& à couronne ! Il, Ils disent que le Congrès de Vienne appeller~ le jeune Souverain, et que - les frères en royauté prenant le deuil du mort -- on règlera à l'amiable et en famille sans plus tirer l'épée ni le protocole. Et que fera-t-ou de Sébastopol'? Et qui paiera les deux milliards de la guerre? Qu' '>n laisse la Pologne à son bourreau, cela ne nous étonnera guère~ : sacrifier les peuple~ ~st P1étier et morale de prmces. Mais le Turc, te Sultmi, l'allié de l'Angleterre, de la France et de l'Autriche, sans compter Flore·nce et le Piémont, qu'aura-t-il ea partag·e, de par le contrat souverain? Que lui donnera~t-on à ce pauvre empereur ruiné? Les rayas à tondrè et quelques grands cordons, hochets de sérails et de monarchies: - c'est maig;re ! Non, la guerre ne finir<).pas ainsi, misérablement, par une bassesse.générale, par une trahison commune. L'homme qes Tuileries en a besoin pour ses ambitions, et pour réduire l'Angleterre au dernier néant: Le nouveau 'rzar en a besoin pour ne pas ouvrir so11regne par une lâcheté, qui serait bientôt son arrêt de mort. Ils ne failliront pas à 'leurs destinées, les empereurs! Quant à nous, révolutionnaires, trn 11ouvelhorizon nous est ouvert. L'homme qui avait t~~ la Pologne est mort. Que la Pologne se relève et lui fasse les funérailles qui lui sont ducs : celles de la révolte, celles du sang. L'heure est propice, car cet empereur en tombant laisse un grand vide, et l'Empire en trouble, en ~@nfusion, se pourrait coucher avec loi dans la tombe. :L'homme <4uiavait supplicié . Pestel est mort. Que la Légion de Pestel se rallie, de Pétersbourg aux steppes dernières; ~t hientôt, peut-être, la République Slave vengera le grand martyr! Charles RIBRYROLLES. 'CORRESPONDANCEPARISIENNE. Ah ! l'humanité est taujonrs .profondément païenne ! . Ce Nicol~s a régné près de trente .ans sur :ringt , peuples accouplés et muselés, comme nn troupeau 2 mars, "Lacélèbre brochure belge a éclaté, comme un coup de foudre, d~ns le camp bonapartiste. Le grand soldat de Boulogne et de Strasbourg, analysé, discuté, pourfendu par le cous'in héritier-présomptif, quel scandale dynastique et quel échec militaire ! de buflles ; il a tué par le knout, par la corde, par l'épée, le cachot, le poison, l'exil et l'abrutissement : il a été la cruauté froide, la tyrannie raffinée, la vengeance implacable, la police des âmes, le bourreau des corps. Il a fait verser par torrents le sang et les larmes : il laisse derrière lui des villes et même des patries dépeuplées: il cherchait, enfin, avant de mourir, à saisir une proie dernière, pour apaiser la soif de ses ambitions et de ses ag·onies. Alors, mais alors seulement, voas vous ,êtes émues, ô nations civilisées ! Vous avez craint pour vos intérêts, pour vos équilibres, pour vos opulences lointaines, et vous avez ouvert la grande g·uerre, et maintenant, vous contemplez avec une joie secrète ce césar-géant • ' l ' ' 'Il ' b' ,qm n est p us qu un cesar-guem e : - c est ien; faites un sacrifice à la mort ! , Mais qui vous a ·dit que le fils-héritier ne suivra pas la pensée du père? Qui vous a di.t que ce gouvernement russe, machine org·aoisée, montée icomme une locomotive, n'entraînera pas le jeune homme, et, que les masses pe suivront pas an nom -de la vieille RUtSsie? Qui vous a dit qu'Alexandre Ile pacifique, tant qu'il ne fut gue le préso,mptif, me devjendra _pas sous la couronne, cercle aux Il Pst certaiµ que les révélations de M. Jérôme fils, sur l'expédition de Crimée, ses auteurs et comparses sont une véritable catilinaire contre le Varus de Biaritz. L'aventure que vous aviez dénoncée si souvent est aujourd'hui prouvée, démontrée, condamnée, comme le ,crime cle Décembre, et tout ce qu'il y a rl'esprits ouverts, cl'intelligences faites à la directjon des guerres, se demande, comment l'Angleterre a pu se laisser entraîner à de telles folies. Ce qui donne une portée particulière et plus grave à l'acte d'accusation publié à Uruxelles, c'est que l'inspiration en est profondément napoléonienne, au point ~e vue êle la famille et de la dvnastie. On y répète les leçons d~ l'ancien, le vrai fondateur, et l'on s'y plaint amèrement de cette politique funeste du Napoléon III qui, pour capter l'Autriche aux alliances mortelles, sacrifie toutes les nationalités militantes, et blesse cruellement les instincts fondamentaux du peuple L'auteur craint donc un nouveau divorce entre la grande nation et le-s aventuriers d'Ajaccio! - Pour ainsi prédire on n'a pas besoin de s'appeler ·Cassandr.e. L'effet produit par la. brochure de l'héritier-compétiteur a ~te tel que M. Bonaparte a cru devoir l'atténuer., en faisant publiquement ses préparatifs de départ : les chevaux sont déjà sur les wagons, l'armée de Paris a pris, dans les cafés, le nom d'armée d'Orient (et l'autre 'O Les généraux divisionnaires sont nommés, et le 2 mars qui était hier, on annonçait,· pour aujourd'hui, le grand vol des aigles vers la Méditerranée. Mais voilà que le grain de sable cle Cromwell vient, tou~ à coup, tomber dans la po'.itique : on annonce la mort de l'empereur Nicolas, et la Bourse est toute en joie, comme la petite coulisse. Les fonds montent, les banquiers sont hilares, les courriers, les estafettes, les otclonnances courent sur tous les ch'emins : toute cette société qui repose sur fo vie d'un homme, célèbre la mort d\~n autre l10mme l Voi_làoù en sont les empires. • Cette ~ouvelle empêchera sans doute M. Bonaparte de prolong,·r la oomédie de sen sacr{fice et cle ses futures victoires. Aussi l'oi1 amrnnce cléjà, q11ele sauveur ne partira point,. Canrobert gardera pour la forme ses campements et ses tr.alichées, et le C."G14grèdse Vienne finira la besogne. Voilà les bruits de Bourse. Quant au peuple, il a revu la nouvelle sans trop de douleur.: Ç' çst to1~jot1,rusn de m-oins ,<disaitun ou'Vrier, en regardant les T~ileries. Le parti légitimiste, ou plutwt la cohHe rl'intérêts, d'opin:ons et de vanités grouppés sous cette bannière est dans une consteri1ation pro.f-0nde. Ils -0nt perdu leur Agamemnon! Hommes étranges qui prétendent représenter les siècles et dont toute la politique dépend d'une pleurésie! XXX. Nos amis <le Birmingham nous adressent lalettr.e suivante : Birmingham, 26 Février 1855. Cl1er citoyen, Eloignés par les nécessités de l'exil des grands centre!> de la prQscription, nous nous sommes associés de cœur et rl'àme, ainsi que l'auront fai,t tous les proscrits disséminés dans ,d'au:tres parties de l'Angleterre, à nos. amis de Londres et de iT ersey, dans la pensée révolutionnaire qui ,adû les réunir pour célébrer le 7 e anniversaire de cette date immortelle, glorieuse entre toutes, le 24 Fé.vrier 1848, qni restera inscrite à jamais dans les fastes de l'histoire comme un grand acte et comme une grande espérance ! Nous nous y sommes associés d'une manière plus effective encore, en nous réunissant, Démocrates proscrits et non proscrits habitant Birmingham et ses environs, dans un banquet fraternel. A défaut de la solennité d'une grande manifestation politique, notre fête commémorative, à laquelle assistaient nos femmes et nt>senfants, a emprunté à leur ;présencf! un caractère particulier, en complète harmonie avec le principe générateur de la Révolution qui, embrassant tout dans sa formule égalitaire, émancipe la femme, la place dans la société, l'égale de l'homme, comme elle l'est dans l'humanité en vertu cles lois supérieures de la création • Notre banquet a été ouvert par un toast à la Révoliution de Févrie1·, porté par le citoyen Greppo, puis successivement d'autres toasts ont été portés : Par le citoyen Chevassus, à la Révolution future, au principe d'égalité absovue qu'elle doit se proposer pour but de réaliser:; Par le citoyen Piéri, à la fusion des nationalités en une républiqne démocratique uni-verselle:; Par le citoyen Lobre, au. droit au tra-vail et à la rénovation sociale. La plus complète cordialité n'a cessé d'animer la réunion, les principes développés dans les toasts s'in11pirant tous à la même source, au principe d'égalité comme base et à sa réalisation comme but •de ,toute révolution, ont fait vibrer tous les cœurs du saint enthousiasme qui anima nos pères lorsq11'ils s'écr.ièr.ent·: Périssent nos mémoires., mais que la Révolution .,, accomplisse ! 1Citoyen •rédacceor, •notre but en vous ·adressant ces lignes et en vous priant de leur donner une place dans le plus prochain numéro de l'Homme, est de constater une fois de plus que partout l'esprit républicain veille, qu'il se tient prêt pour l'heure du ~uprême combat, et q1.1e, partout aussi da.ns le calme de la méditation, il prépare les solutions qui assurent les i'ruits de la victoire révolutionnaire. • Agréez rios salutations fraternelles, Par délégation ,de la réunion : '!!ALARMET, E. CHEVAssus, GaErJ'.o., MoaNn', G.·. P.m1u. ...

• L'trOMME. J-•--------------------------------'--------------------- Le meelino- en commémoration de la Révolu- ·tion de Février a eu lieu comme nous l'avions an- .noncé, le 27 courant, à Londres, dans .St. Martiu's Hall. Nous trouvons dans le People's Paper le compte-- rendu de cette fête révolutionuaire à l.iquelle assistaient des proscrits de toutes les 11atious. M alheuTensement, nos colounes seraient envahies et débordées si nous voulions tout trac.luire : ré.solutions et discours. . Les citoyens Ernest Jones, président; James Finlen, Alexandre Hertzen, G.-J. Holyake, A. rralandier, proscrit français, et Kardestki, proscrit polonais, ont tour à tour pris la parole. • On a lu une belle lettre du citoyen Snffi, pros- .c. rit italien. Nous ne pouvons la publier aujour- ,d'hui, l'ayant reçue trop tard, mais nous la donnerons dans notre prochain numéro, ainsi que le ..discours du citoyen rralandier. Voici celui d' Alexandr,e H ertzen Lorsque le comité international m'invita il. prendre la parole, j'hésitai un instant. Je reculai devant la difficulté de parler au nom de la minorité révolutionnaire en Rus~ie, au milieu des .bruits de la guerre, au milieu des.passions frémissantes et d'un ileuil saint et _prnfon<.l. ren fis part llu Comité. Il m'invita encore une fois de la manière la plt1s fraternelle, et j'ai eu comme un re- .mords de cet instant de doute .et de manque de foi. La guerre s'agite et gronde dans un autre monde. Elle expire devant cette porte, devant cette salle où les hommes, proscrits de tons les pays, se réuuissent aux Anglais libres du préjugé du leur, an nom d'un souvenir et d'une espérance, au nom de ceux qui souffrent. - C'est ainsi que les Chrétiens des premiers siècles se réunissaient clans leurs humbles banquets, tranquilles et sereins ... tandis que l'orage déchaîné par les Césars et les Prétorien, secouait les vieux fondements de l'Empire romain. (Ap_plau- <lissements.) Dans cette fête <le la fraternité des peuples, il ne fallait pas qu'une voix russe manqnlt ; car, outre le Tzar, il y a un peuple; ,0utre la Russie officielle et despotique, il y a une Russie souffrante et malhenreuse; outre la Russie du Palais d' Hiver - il y a une Russie des casemates. C•est au nom de cel,e-ci qu'une voix Russe devait se faire entendre ici. J'ai hâte de dire que je n'ai aucun mandat pour représenter l'émigration Russe, - il n'y a pas d'émigratio1\ Russe organisée. Mon mandat- c·est ma vie entière, c'e5t ma sympathie pour le }lenple Russe, c'est ma haine contre le Tzarisme. Oui, citoyens, j'ai la hardiesse de le dire, je crois représenter la pensée révolutionnaire Russe, - parmi vous, j'ai droit à la parole - c'est mon cœur, c'est ma conscience qui me le disent. (Applaudissement prolongés.-Bravos) ! 11 y a six ans que j'ai commencé mes publications sur la Russie Etourcli par une réaction sauvage, on m'écoutait alors avec indulgence. Les temps ont changé; l'esprit martial qui se développa avec la guerre, particulièrement daus quelques feuilles allcman,les, devint despotiquement intolérant. On m'accusa de mes sympathies Slaves. On m'en voulut <le mes espérances, <lemon activité même ... Des articles traversèrent deux fois !'Océan, portant des incriminations; d'autres reçurent .l'immense honneur d'être répétés par le 1llo11iteur de France. Avant nous, on n'a jamais demandé à aucun exilé de détester -sa race, sa nation. A vous, citoyens proscrits, on vous ôte votre présent; à nous, on nou, ôte aussi l'avenir; on veut tuer chez nous jusqu'à l'espérance. Si je haï,sais le peuple Russe, si je dése~pérais de lui, - je ne serais pas ici ... un peuple libre et républicain m'a donné le droit de cité, j'y resterais sans m'occuper d'un pays qui n'avait que des ,persécutions ponr moi. (Applaudissemt:11ts ). Cette confusion est. très étrange. Le règne de Nicolas s'ouvre par une conspiration formidable. 'Il passe sous 'l'arc triomphal de cinq gibets, pour aller se couronner à Moscou. Des centaines <le conspirateurs, la chaîne aux pieds, vont aux mines. Des fournées de jeunes gens les suivent à courts intervalles et disparaissent en Sibérie ... tout cela passe inaperçu ; tandis que la figure insolente du despotisme incârné, réiléc hit sur nous - lee persécutés - un peu de cette haine, qu'il a ~i bien méritée. Un s'obstine à <lire que les éléments du progrès, en Russie, ne .sont qu'u11efiction de qut:lques têtes exaltées. Je sais, citoyens, que :vous croyez à l'existence d'un parti révolutionnaire en Russie: autrement, mon apparition à cette tribune serait -une absurdit-é. Mais la majeure partie des personnes <lites radicales tâche de ne pas y croire ... Ils en ont assez de la solidarité et de la fraternité des peuples brevetés comme révolutionnaires, inscrits sur leurs registres. On ferme les yeux pour :ne pas voir. Si je pense à ee brnve orateur dn genre humain, Anacharsis Clootz, qui tatoua lui-même un de ses cousins, pour qu'un délégué <l'Otahiti ne manquât pas à une des fêtes de la République, il est impossible de ne pas convenir que la fraternité des peuples n'a pas beaucoup marché depuis ce temps. Nicolas nous pe1,<l,nous envoie en Sibérie, nous jette dans les casemates; mais au moins il ne doute pas de notre existence : au contraire, il nous surcharge de ses marques d'attention. -- Vous devez me par,lonner, citoyens, - c'est pour la première fois de ma vie que je cite cette autorit6 comme exemple. Mais on nous <lit que nous antres, par contrP, nous ne croyons ni à la force ni à l'org:inisation actuelle de l'Europe. Certainement non. - Et vous - est-ce que vous y croyez? Le fait est que, so,tant de la prison, revenant de l'exil, le Russe, habitué an culte <lel'.Enrope, s'y précipite avec foi, plein d'illusions, et trouve partout d'autres éditions du Tzarisme, des variations, à l'infini, sur le thêrne Nicolas - et il ose le dire - voilà le grand malheur ! On nous en veut, à nous, témoins depuis les journées de Juin 48, de cette réaction hideuse, dépas~ant tout ce que le pessimisme le plus noir a pu s'imaginer - on nous en veut pour nos sanglots, pou,. des moments <le désJspoir et de rage, daiis lesquels on ne trouve rien dans son âme que des doutes, - sur ses lèvres gue des mots amers et des malédictions. Il fallait les cacher? E.t pourquoi devions-nous court:ser ce vieux mande féodal, ce }non<lede routiue, qui vous écrase les premiers, qui entasse par- ~out les cadavres du p:issé pour arrêter l'avenir. Les rois ont assez perdu par les flatteries et les réticences. - Veut-on que les peuples passent aussi par cet énervement? Supposons même que nos opinions soient exagérées, erronée~, <l'où a-t-on le drnit d1en soupçonner la sincérité ? .C:hn1'en li~it pas aveo les erreurs en les qénonçant comme Echismatiques et Pan slaves - ou, pire encore, en les salissant par des ·allusions i1,fàmes et calomnit:uses. Vous me pardonnerez, citoyens, ces détails; j'en avais le cœur gros. Je n'ai rien répondu aux attaques ; une haute co1'tvenance, un décorum <le délicatesse que vous apprécierez facilemeu t, ni'imposait le silen-ce pendant la guerre. Mais il me semblait impossible de monter à cette tribune, sans a.voir touché ce triste sujet. Maintenant, lais8ant la lutte des Empereurs et des journaux, ,regardons ce qui se passe dans l'intérielll· de ce pays muet qu'on appelle la Rus~ie. Il y a chez nou1<deux courants révolutionnaires : l'un en haut. J'autre en bas. L'un éminemment négatif, dissolvant, détestant ,l'absolutisme, é_parpillé en petits cercles, mais. prêt à former une grande conspiration, actif, remuant. L'autre, plutôt phstique, orga11i11ue,en état de germe, mais somnolent et apathique. Je parle de la jenne noblesse et de la commune rurale, cette alvéole de tout le tissn social, cette monade vivifiante de l'état Slave. Sur leurs épaules, écrasant les uns, exténuant les autres, se dresse le monstre de la Russie officielle, - pyramide vivante, comme je l'ai dit ailleurs, de crimes, d'abus, de concussions - lloudGp'tr le partage du butin, - aboutissant au Tzar, et appuyé sur sept cent 111illemachines organiques à b:iyonnettes. Le Tzarisme ne s'apprivoisera pas, il restera un <langer permanent pour I' Eurnpe et un malheur pour le monde Slave. Il est par sa nature agre~sif, vorace - très pauvre en idées, très peu adroit en organis:ttion intérieure. Il a créé une chose - c'est l'armée. Il doit faire la guerre - c'est son métier, c'est son salnt. Le gouvernement de Pétersbourg n'est pas populaire, il a trop tenu avec les seigneurs, trop avec les Allemands, selon l'expression <lu peuple. La seule idée vivante qui lie les masses au gouvernement - c'est l'unité nationale. Le gouvernement ne l'ignore pas-et l'exploite maintenant. Et ,voilà une des principales raisons pour laquelle il fallait po1·ter la guerre en Pologne. La déclaration de l'indépendance <lela Pologne serait acceptée par le . peuple, non seulement par les petits-russiens, mais par une partie de la grande Russie, comme un acte révolutionnaire, et non comme une agression. Soyez persuadés que le Tzarisme ne craint rien autant que l'indépendance <le la Pologne. Le jour où la République sera restaurée à Varsovie, l'aigle impériale de Pétersbourg se pendra par rune de ses têtes. Je ne m'arrêterai pas à la nécessité historique de cette dictature soldatesque et bureaucratique créée par Pierre Ier. Je pense qu'elle est expliquable pour le passé ; qu'elle était même nécessaire comme châtiment, comme éducation, comme soudage enfin. Mais je pense encore plus qu'elle a fait son temps, que sa continuation est artificielle, forcée. L'impérialisme russe, après 1813, est <l'un·eimproductivité, d'une stérilité étonnante. L'œuvre gouvernementale, depuis Nicolas, est devenue complètement négative - répression, réaction, persécution ... C'est que le lendemain de son avènement au trône, il a vu des honpnes qui l'ont terrifié, et il ne les a jamais oubliés. Etonné par la fermeté et la noblesse des paroles de Mouravieff, il lui <lit~ " Votre parole d'honneur que vous abandonnerez vos projets, et je vous pardonne.'' - " Point de grâce, point d'arbitraire, répondit Mouraviefl:: condamné à mort. C'est pour être indépendants de vos caprices que nous voulions vous renverser." Le lendemain il fut pendu. "Vous avez solennellement juré sur votre poignard, dans une séance de la société, de tuer !'Empereur?'' demanda le président à Pestel. - " Ce n'est pas vrai, répondit-il, j'ai tout. simplement clit que je voulais le tuer. - Il n'y avait ni poignard ni serment; j'ai toujours détesté les scènes mélodramatiques." On le pendü aussi. La corde rnmpt, Pestel tombe dans la neige, se relève et dit : "l\1audit pays où l'on ne sait même pas pendre!" Savoir que des hommes pareils ont existé, non loin du Palais., existent peut-être encore-n'est pas bon pour le sommeil impérial. Nicolas attend depuis 30 ans une demande d'amnistie,-elle ne vient pas. La mort amnistie. Quelles histoires! quelles légendes! , Un autre Mouravieff-il y en avait quatre dans la conspirationcolonel d'état-major, demeurait, après dix années èe travaux forcés, comme colon dans une petite cabane, au fond de la Sibérie, avec deux autres forçats, - le général Youshneffsky et le colonel Abramoff. Il meurt en 1841. Les deux amis clouent un cercueil et portent le défunt à l'église qui était à quelques lieues. Le vieux général aimait Mouravieff comme une mère peut aimer son fils. Pas une parole pendant la route. Arrivé à l'église, il s'agenouilla près du cercueil et cacha son visage. Le sacristain s'approcha de lui après la cérémonie. L'immobilité du vieillard l'étonnait. Le vieillard était mort. Abramoff n'eut pas le courage de retourner dans la cabane, il alla se perdre dans les océans de neige de la montagne ...... Nicolas avait beau étaler une persistance de férocité, une absence <lecœur peu commune contre les hommes, il n'atteignit pas l'idée; au contraire, l'idée devint plus révolufamuaire et plus nationale. Il y a deux ou trois mois qu'un livre remarquable s11r les Russies parut en France. L'auteur, M. Gallet de Kulture, revient de la Russie ; il a vu les choses après moi. Permettez que je cite quelques lignes <lecet ouvrage. (Page 222). "Le Tzar n'a point, sous les vains prétextes d'une protection religieuse à accorder aux Raïas, entamé cette guerre inique. Il est sorti du néant de ses vingt-neuf années de règne - pour une cause décisive, - il ne pouvait plus gouverner. Maître absolu de de tout, il commençait à ne plus l'être de rien. La vieillesse, en s'approchant, lui montrait non seulement la décadence évidente de l'homme, mais celle du principe. Montant comme les marées sous une impulsion uniforme et irrésistible, l'idée de réforme battait la théorie vermoulue du vieux despotisme...... Un parti, <l'ailleurs, s'était formé p·1rmi la noblesse - cette classe redoutable, frondeuse et boudeuse à la fois, critiquant avec amertume et s'isolant par systèmt:, composée d'homme à idées, à énergie, à foi, à rancune, - elle recrutait autour d'elle toute la jeune géné .. ration.'' Parlant d'un rapport de la police secrète, sur l'affaire de Petrochesfüky et <le ses nobles, généreux amis, les conspirateurs de 1849, l'auteur cite textuellement ces considérations présentées par Lipran<li au général Nabonoff: " Les élèves des divers colléges sont imbibés des systèmes les plus extravagants : chaque mot, chaque ligne qui sortent de leur esprit respirent les doctrine~ pernicieuses. C'est en s'abandonnant aveuglément à ces utopies qu'ils se croient appelés à remanier toute la vie sociale, toute l'humanité; et ils sont prêts ,à se faire les apiltres et les martyrs de cette malheureuse déception. On peut s'attendre à tout de la part de gens pareils. Rien ne les arrêtera jamais ; car, dans leur idée, ils ne travaillent pas pour eux-mêmes, mais pour l'humanité, - non pour le présent, mais pour l'avenir." " On ne peut indiquer - dit un homme très éminent de Russie à M. de Kulture - le moment précis de l'avènement des idées révolutionnaires ( en Russie), mais il est proche, et il revêtira une forme nouvelle, spéciale - la forme russe .... Tout le monde s'entendra pour abattre un système condamné par l'esprit des temps - fantôme armé, capable encore ,d'inspirer la u~rreur, mais im}iuissant cléj:t à faire vibrer une seule ~bre daJ1s l'âme humaine. Il y aura ensuite de grandes luttes, les hommes <le pr•>grès vornlront faire du nouveau, une partie des Slavophiles reviendra à l'ancienne Ri:ssie - et le peuple prendra en main la hache de Robespierre, il abattra les blasons et les têtes.'' Voilà, citoyens, ce qui se fait sous la croûte de glace, sous l'aspect uniforme <ln despotisme boréal. Descendons maintenant dans les profondeurs de cette mer sombre et regardons quels sont là les forces et les orages qui peuvent mettre en mouvement les océ:rnides populaires. • D'abord, il faut vous dire que non seulement on a douté de l'existence cl'un parti révolutionnaire en Russie - qui par nécessité se tient à l'ombre, mais ·on .:i douté aussi de l'or~anisation commun:ile, c'est--à-dire <le la manière d'être de 50 millions d'individus à deux pas <lel'Allemagne. Haxthausen a écrit trois volumes sur ce sujet, c'était un réactionnaire- on ne l'a pas cru. 1\foi j'en ai parlé, on ne m'a pas cru, je suis un révolutionnaire. Notre commune rurale, par une de ces anomalies qui paraissent être de l'ironie clans l'histoire, a une base très lar""e et émint:mment socialiste - il ne s'agit pas <ledroits politiqu~s - dans tonte la Russie, il n'y a que S. M. Nic0las qui soit un citoyen actif et qui ait ses droits politiques-il s'agit des droits administratifs et sociaux - du self:.gouvernement dans les affaires communales et <lu partage <le la terre. Je ne répéterai pas ce que j'ai <lit tant de fois sur l'organisation de la commune ~t ses av~ntages, je veux vous montrer au contraire son grand mconvén1ent. Le paysan russe est un mineur éternel, il n'est jamais sur ses propres jambes; dans tons les cas il s'appuie siu la commune, s'abrite derrière elle. L'rndividu est absorbé par lil commune. l\Iettre d'accord la liberté individuelle avec la commune - c'est tout le problème du Socialisme. Les Etats- Unis de ,'Amérique ne l'ont pas résolu, la commune slave encore moins, c'est un embryon sans conscience - et il ne sera appelé à uue véritable existence, que par l'individu clemandant la plénitude de ses droits comme perso1me, sans perdre ses droits c0mme membre de la commune. Eh bien, ce levain révolutionnaire manquait à la commune patriarcale, elle pouvait encore pour longtemps s'arranger avec le Tzar, d'autant plus qu'il a peu d'avantage à empiéter sur ses droits .... mais il y a une loi hist~rique qui pousse les despotismes eux-mêmes à provoquer les révolutions. Le servage introduit peu à peu au XVIIe siècle, acquit au XVIIIe une extension terrible - plus d'un tiers de toute la population agricole a été réduite à l'état misérable des .glebœ adscripti du Moyen-Age. Le peuple se leva maintes fois : plus <le cel\t miile hommes étaient sur les bords du Volga sous Stenko Rasin. Le Tzar Alexis pendit <lesmilliers d'insurgés. Le trône de Catherine II chancela, pendant des mois, secoué par Pougatcheff. PoQgatcheff amené dans une cage à lfoscou fut exécuté, l'ordre triompha, les serfs étaient vaincus. -Alexandre s'arrêta le premier. stupéfait devant la mons· truosité du servage; il comprit le mal sans tl'O\iver aucun remède, il n'osait ni l'encourager ni l'abattre. Le crime a été commis, le Tzar était lié -aux seigneurs, le peuple ahéné de lui par le servage. La voix impériale ne pouvait plus l'atteindre ... et lorsq11e Nicolas -ce Tzar omnipotent, lorsqu'il osa au mois <l'avril en 1842 donner un conseil timide à la noblesse de s'arra.nger à l'amiable avec les paysans; le Ministre de l'Intérieur Peroffsky ajouta un tel commentaire que les mots pâles de Nicolas disparurent complètement. La circulaire ministérielle enjoignait aux préfets de juger c0mme rebelles les paysans qui regarderaient comme obligatoire, les augustes conseils de l'empereur. Une lueur de liberté passa auprès du malheureux serf-et disparnt. Une rumeur vague. et comprimée se répandit par le pays et resta. Les révoltes partielles, les assassinats de seigneurs - si communs en Russie - devinrent plus fréquents. Dans Je gouvernement de Si:nbirsk les paysans firent une battue en forme <lesgentillâtres. Dans le gouvernement de Samboff, les paysans de diverses communes Si réunirent et allèrent de maison seigneuriale à maison seigneuriale armés de piques, de haches, et portant <lela paille - ils poursuivaient leur chemin, silencieux et graves; - une femme d11peuple, piecls nus, les cheveux épars, marchait devant eux; elle chantait le$ psaumes qu'on chante auit enterrements -et elle les chantait lom1ue les châteaux brûlaient avec les familles seigneuriales. J'ai beauco•1p vécu avec le paysan russe - et non ieulement, je l'aime profondément, mais je le connais beaucoup. Enfant, je demeurai chaqul:) été dans les domaines de mon père; exilé, j'eus sept années pour l'étudier depuis l'Oural et le Volga jusqu'à Novgorod. Eh bien, je vous jure qne le paysan de l'intérieur de la Russie est moins avili, moins esclave que toute l'aristocratie de Pétersbourg, '}Ue tout l'entourage de l'empereur. Custine l'a remarqué <le même que Haxthausen et le savant Blurius. C'est par l'insurrection des paysans serfs, ou par leur émancipation que commencera l'avenir révolutionnaire et social de la Russie. Le paysan russe ne veut rien entendre d'une émancipation dans le prolétariat, et il a raison - mais de plus, il aura aussi la terre. La noblesse la plus rétrograde serait contente <le donner la liberté aux paysans et de retenir toute la terre. Pestel, le grand révcrlutionnaire russe, disait à ses ;unis dami une des séances de la société " vous pouvez vous défaire de l'empereur, vous pouvez proclamer la République si vous le voulez - peu de chose changera. Il n'y aura pas de révolution populaire, nationale, chez nous, si on ne touche pas à la propriété territoriale de la noblesse. Il faut la terre au paysan!•' Cela était dit avant 1825 ; maintenant le gouvernement et la noblesse ont compris qn'ii " faut la terre au paysan.'' On a déjà fait des tentatives de partage, P.nréduisant le paysan charitablement au minimum. Cela n'a pas eu de suite. Le par. tage est indiqué par les faits mêmes et par le génie national. Le paysan ne veut que la terre communale, ne veut que le sol • qu'il a marqué par sa sueur, qu'il a e:on1uis par le saint droit du travail. Il ne demande pas plus. Le paysan russe ne croit pas que la terre puisse appartenir à un autre qu'à la commune. li lui est plus facile <lecroire que lui, individu, appartient à la commune, que de penser que b terre ne soit pas la propriété inaliénable de la commune. C'est. extrêmement grave. Car, au bout du compte, toutes les questions sur la propri~té sont des questions religieuses, basées sur des croyances, sur <les dogmes. Avec la foi s'en va la chose. Maintenant pensez à cela : eùtre le paysan qui croit que la terre appartient à la commune, et la jeune noblesse qui ne croit pas à ses titres à la possession - il n'y a rien que la force brutale, un conservatisme igaorant et stupide, l'inertie de l'habitude. Pa~ de grandes traditions, pas de formes séculaires pour soutenir le trône de Pétersbourg, pour se rendre vénérable. L'Etlise grécorusse est trop humble et trop céleste pour se mêler des affaires de ce bas monde - elle n'a pas oublié sa Bysance - elle laisse à César ce qui est à César-sans trop s'inquiéter qui est César. L'impérialisme <lePétersbourg a cela de particulier qu'il ne se fait pas monarchie, il n'est qu'absolutisme. Il a beau s'habiller ,en Pape Oriental, en caporal prussien, en Tzar mongol - il n'est rien que le représentant de h foree matérielle et d'_unen~- eessité historique qui passe.

Rien d'ailleurs en Russie ne porte ce c::iractère ùe stabilité, de stagnation, de fini, ùe terminé, que l'on rencontre chez les peuples qui ont trouvé par un long travail des formes d'existence adéquates à leur pensée. Ajoutez à CP.la que trois fléaux conservateurs ont presque complètement manqué à la Russie: - le Catholicisme, le droit romain et la souver:iineté de la bourgeoisie. Cela simplifie énormément la <111estion.Nous allons à votre rencontre dans la Révolution future, sans avoir besoin de passer par les marais par lesquels vous êtes passés, sans nous traîner et nous épuiser dans le clair-obscur de ces formes politiques qu'on pourrait appeler: !' entre chien et loup'' - formes qui n'ont jamais rien produit de grand et de fort, que là où clle1; étaient nationales. Nons n'avons aucun besoin de refaire votre longue et grande épopée - qui vous a tellement encombré la route de monuments en ruines, qu'il vous est difficile de faire un pas. Vos effortsi, vos souffrances sont un enseignement pour nou's. L'histoire est très injuste- tardè venientibus - au lieu des ossa- le majorat de l'expérience. Le progrès même n'est qne cette ingratitude chronique. Sans réminiscence, sans obligations envers le passé, nous sommes comme les prolétaires en Europe - les deshérités. De ce monde, nous n'avons reçu qu outrages et souffrances-aussi ses destinées ne nous touchent-elles que médiocrement. L'homme de la police a raison quand il dit "que nous ne nous arrêterons devant rien.'' Nous n'avons rien de commun, ni avec la vieille Russie, ni avec le vieux Monde. Et, par contre, nous avons l'aitdace de l'espérance. Nous n'avons rien fait? Tant mieux! Nous aurons beaucoup à faire! Le temps de notre besogue :.pproche. Et c'est pour cela qu'il ne faut pas qne vons méconnaissiez vos frères Slaves. Le pauvre Pro1étaire, en Europe, doit savoir que le pauvre Paysan russe n'est pas un être vil et abruti, mais un être humain, très malheureux, ayant même intérêt, courbé sous la même fatalité ... ... Le domaine de la Révolution s'étend ... N'avons-nous pas vu la Révolution à Vienne? et le Roi de Prusse, chapeau bas devant son peuple? -Tout cela a passé comme un rêve- mais, citoyens, il y a des rêves prophétiques. - Et ce rendez-vous de toutes les ·émtgrations à Londres, cet. échange d'idées, cet entendement mutuel, ce même niveau qui s'établit, cela n'est pas un rêve. - Non, cela n'e!<t pas un rêve, car I' Anglais nous tend la main ; et, \fous le savez bien : quand l' Anglais donne la main, il ,donne le cœur ! ( Bruyantes acclamations.) ... Et un Russe invité à prendre part à cette commémoration dn mouvement révolutionnaire de Février L.. Est-ce que vous ne voyez pas Jà des indices, - <les signes? Regardez cette salle - regardez ces débris de tous les orages, ces proscrits de tous les pays, ces vétérans de toutes les luttes contre toutes les tyrannies, se réunissant pour fêter une page de -l'histoire de la Révolution - et cela, taudis qu'Elie, la Patrie de •la Révolution, n'a pas le droit de se souvenir solennellement de son passé! tandis que la France sommeille, épuisée, après avoir ,fait rayonner la Révolution iiur toute l'Europe! Grande destinée ,le la France ! révolutionnaire, même par sa ·réaction! - C'est ainsi qu'en luttant contre le Socialisme, elle l'a élevé i\ la hauteur d'une puissance formidable, reconnue et militante. Tout sert la Révolution,_,: car tout sert l' Avenir! Laisson~ aonc ces morts ensevelir leurs morts! Des espérances longtemps 1>ubliéesrenaissent. La grande lutte, - sans qu'ils s'en ûoutent- se livre à notre profit ...... Les Empires et les Empereurs _passeront,. .... mais le Socialisme ne passera pas: Il e~t le jeune HéritiH du 'Vieillard qui s'en va ! LA FRANCE ET LA RÉVOLUTION. J'ai terminé les considé-rations que j'avais à présenter relativement au Christian'isme; mais je crois utile, avant d'aller plns loin, <lerésumer tout ce que f ai dit sur cette matière et de répondre à deux objections que l'on peut me faire. La loi du dépeloppemerit ae l'esptit humain dans les différents âges de l"humanité est celle-ci': d'une part, l'esprit humain se manifeste successivement sous deux formes, d'abord et en premier lieu sous forme religieuse, ensuite et en second lieu sous forme phiJ03o_phique; et, d'autre part, ces deux formes sont absolument contradictoires, en sorte que l'u».e doit nécessairemen't succéder à l'autre et en prendre la place. Or, si nous considérons l'ère moderne, qu'est-ce que nous y voyons? Nous y voyons que le Christianisme incessctmment décline et s'en va, tandis qu'au contrai.re la philosophie, incessamment aussi, grandit en for-ce et aut0ritf :; d'où Ja conclusion que nous touchons en même temps et à la mo'tt du Christianisme et au règne de la Philosophie. Voilà en quelques mots la substance de mon premier article. Voici maintenant le résumé en second. J'ai dit·: la Métaphysique est le fondement de la connaissance lrnmaine, de toutes sciences, car, pour que les scic,nces puissent naitre et se développer, il est indispensable que l'homme possède -trne s-0lution scientifique quelconque sur sa nature, sur la n.tture de l'univers et Dieu, et sur les rapports qui le lient à l'univ-ers et à Dieu. Tel est précisément l'objet de la Métaphysique. Or le Christianisme, par cela qu'il_ fait découler toute vérité de la révélation, est du même coup la négation même de la Métaphysique ; et, à la preuve théorique ajoutant la preuve historique, j'ai montré que la philosophie chrétienne (la "philosophie scholastique) avait immobilisé l'esprit humain tout le temps qu'elle l'avait gouverné. Enfin, au Christianisme opposant la Philo~ophie, j'ai fait voir que cette dernière, en proclamallt la souveraineté de la Raison et en s11bstituant l'observation, le raisonnement par induction et la généralisation, aux vides et stériles argumentations de l'Ecole, avait engendré la métaphysique, et à sa suite toutes les sciences, les sciences morales comme les scien- ~es physiques. Il y a une doctrine de la morale, de la liberté et de la démocratie. Elle est la doctrine qui, aujo 1 rd'hui, fait battre les nobles cœurs, inspire les âme.s généreuses et conùuit au dévouement et au sacrifice; elle est la doctrine du présent et de l'avenir. Or, qu'est-ce qu'est la morale pour • le Christianisme? Une chose secondaire, reléguée qu'elle ,est derrière les t!ogmes et les mystères. D'nri antre eôt~, ' L.JIO}lM R. quels sont les rapports <luChristianisme avec la liberté et la démocratie ? Ceux d'un ennemi éternel ; car le Christianisme, 11'étant au fond que la révélation et l'autorité, répugne essentiellement à la liberté et à la démocratie-, qui sont l'épanouissement et l'application de la souveraineté <lela raison humaine, et partant de toutes les libertés dans tous les ordres et tous les degrés. Faut-il s'étonner, d'après cela, <le la conduite des prêtres catholiques après Février 1848 ? Sommes-nous enfin éclairés sur le compte du Christianisme, plus particulièrement du Catholicisme ? et nous sentons-nous disposés à recommencer vis-à-vi3 de lui, à la Révolution future, les fautes de la dernière. - Tels ont été le sens et le but de mon troisième article. Enfin, eu quatrième lieu, j'ai cherché à établir que le Christianisme est impuissant pour rendre l'homme heureux ici bas, pour le satisfaire ici-bas, pour le satisfaire dans ses intérêts généraux et permanents. En eff t, à quelle condition l'homme peut-il atteindre cette fin légitime ? A la condition qu'il r~garde la terre comme son domaine, q1ùl croie à l'efficacité de ses efforts et de ses travaux, à la perfectibilité de ses facultés et de celles de l'espèce, et à la solidarité des générations entr'elles. Ces_ notions saines et vraies, elles sont filles de la Philosophie moderne. Mais le Christianisme, lui, bien loin de professer la doctrine du progrès, professe une doctrine toute contraire, la doctrine de la chûte, en vertu de laquelle l'homme, pour gagner le souverain bien dans l'antre vie, se sépare et s'isole du monde, se refuse à l'activité pratique et vit dans une stérile contemplation. La comparaison entre les nations philosophiques, si je puis dire air,si, et les nations purement catholiques, a justifié pleinement mes assertions. Ainsi, la philosophie de l'histoire de l'esprit humain, c'est-à-dire la nature des choses comidérées dans leur mouvement et leur succession à travers les âges, - la métaphysique, c'est-à-dire la science de l'homme, de l'univers, de Dieu et de leurs rapports, - la doctrine de la morale, de la liberté et de la démocratie, c'est-à-dire la doctrine qui doit pour toujours affranchir et regénérer le monde, - le bonheur de l'homme, vu dans son essence, c'est-à-dire les intérêts légitimes, et par conséquent sacrés du genre humain, - toutes ces raisons se dressent contre le Christianisme et le condamnent. Je n'ai pas, d'ailleurs, la prétention d'avoir épuisé la matière. A d'autres <le dire mieux et plus que moi. Toutetois, ma démonstration contre le Chtistianisrne est grave, si je ne me trompe point : je la livre aux méditatior:s du lecteur. Mais je prévois deux objections auxquelles je veux répondre. On dit d'une part : une croyance est nécessaire à la société et à l'homme : par quelle croyance remplacerezvous le Christianisme ? Et on dit d'autre part : quels sout vos moyens pour amener la ruine et la suppression de la religion chrétienne. Examinous attentivement chacune -de ces objections. On développe la première dans res termes : la société n'est point une collection d'individualités juxtà-pos!>es; elle est un 'ensemble de droits et de devoirs qui se correspondent réciproquement, en sor,te qu'il n'y a pas de droits sans devoi.rs, ni devoirs sans droits. 'Ûr les noti0os de droit et de devoirs impliquent la notion de la morale. La notion de la \l!Orale implique celle ,d'une sanction. La notion d'une sanction implique celle de Dieu. Droits, devoirs, morale, sanction, Dieu. et leurs cons~uences nécessafres, c'est ce qu'on appelle croyance ; et, d'après cela, on ne comprend pas que la société et l'homme puissent subsister sans croyance aucune. Supposons la société arrivée à cet état matéri"el et économique qu'exaltent certaines théories dites socialistes : la face de notre planète a é-té renouvelée ; les horreurs de h guerre ont fait place aux bienfaits de la paix: plus de divisions, de lattes entre les peuples et les hommes ; partout l"union, l'acoord, l'ha-rmonie: aux travaux stériles et dest-ructeurs ont succédé les travaux productifs : la prod·uction des richesses a augmenté d'unt- manière véritablement miraculeuse ; et, la distribution s'en faisant en raison des besoins, chacun est plrlinement satisfait dans ses instincts, ses appétits et ses passions. A coup sûr, la peinture de l'Eldorado que l'on nous promet n'est point amoi11drie. Eh bien, dit-on, toutes ces merveilles seraient, à elles seules, incapables de soutenir la société ; il y a plus, ciles en seraient la destruction. En effet, non seulement les instincts, les appétits et les passions sont insatiables, mais,mêmé,ils croissent indéfiniment par la satisfaction qu'ils-reçoivent. Qu'est-ce que serait dès lors ce fameux état social où quelques-uns voudraient nous mener ? La lutte effroyable des Ü1Stincts, des appétits et des passions, une violence sauvage, sans fin ni trève. Donc, nulle société possible, quelle qu'en soit d'ailleu~s la forme, sans les notions de droits et de devoirs, de morale, de sanction, de Dieu, etc., sans une croyance en un mot. Et on ajoate : nécessaire à la société, une croyance ne l'est pas moins à l'homme en tant qu'individu. Que d'amèrtumes renferme l'existence ! Que de fois, accablé sous le poids, on s'écrie avec Shakspeare : Heureux celui qui n'est pas né ! Et telle est plus particulièrement la fatale destinée des âmes délicates et tendres, car, accessibles sur un plus grand nombre de points que les âmes grossières, elles souffrent par là même davantage. Vie privée, vie publique, tout leur est ici-bas cause d'affliction ! Comment ! notre existence se terminerait avec notre c<'rps ! Comment! l'homme àroit et prebe DP, recevrait point dans une autre vie la récompense que le monde ne. lui accorde poir1t ! Comment! ce cri de la douleur vers la consolation et la joie ne serait qu'un vain cri ! Oh! uon, non, cela n'est pas, cela ne peut pas être : la justice éternelle et la nature tout entière protestent contre cette funèbre doctrine. Rien n'est plus fondé que ces considérations ; mais elles ne m'atteignent point, par cette raison décisive que c'est en faveur d'une autre croyance, et non du scepticisme et de l'athéisme que je conclus contre le christiauisme. Ce~te croyance, essentiellement philosophique, est la doctrine de la morale, de la liberté et de la démocratie. J'en ai esquissé précédemment quelques traits ; j'en trace d'autres aujourd'hui, afin de la mettre mieux en lumière et de faire comprendre qu'elle contient en soi les éléments constitutifs d'une croyance, d'une doctrine, et que dès lors elle satisfait les besoins impérieux de l'homme et de la société. Je dis: doctrine de la morale .... Qu'est-ce à dire? S'~I ! a cles devoirs imposés à l'homme, il suit qu'il y a m;ri!e. de sa part. dans le cas où il ~es accornplit, et demerite, au contraire, dans le cas où 11 les viole. Or, quel est le spectacle que nous présente ce mon<le? Le bonheur distribué au hazard ; la plupart du temps même, l'homme de bien malheureux. Donc il doit y avoir, il y a une autre vie où le mérite et le démérite recevront ce qui leur est dû. S'il y a une autre vie, tout ne finit point pour nous avec notre corps : doue il y a en nous un élément spirituel et impérissable, donc l'àme est immortelle. Mais si le mérite et le démérite, la récompense et la peine, la vie future, l'immortalité <lel'âme, sont des réalités, c'est que toutes les choses de ce monde sont réglées d'après des loix: absolument morales et justes ; c'est qu'il y a une Providence. La notion de Dieu vient donc s'ajouter aux notions précédemment acquises et les couronner. Telle est, dans son ensemble, mais tout-à-fait sommairement, cette Doctrine <lela morale, de la liberté et <le 111. démocratie. Ainsi, il est évident que, d'une part, je parle au nom d'une croyance, d'une doctrine ; et que, d'une autre part, la doctrine qui proclame la vie future, l'immortalité de l'âme, l'exiEtence de Dieu, la morale, la liberté et la démocratie, est u11e<loctrine assez ample pour répondre à toutes les exigences de notre nature intellectuelle, morale et physique. Il est vrai que, dans cette rtoctrine, il n'y a point place pour les rêveries mystiques ; cependant, quels horizons infinis la foi à la vie future, à !,immortalité de l'âme et à l'existence de Dieu ouvre aux sentiments et aux pensées! et quel but grand, sublime, nous est proposé sur la terre par la morale, la liberté et la tlémocratie ! D'ailleurs, il faut s'expliquer et s'entendre: si ,nous aimons à être bercés, comme les peuples enfants, par les fantômes de la religion, restons dans la religion ; mais si, au contraire, nous nous sentons adultes et majeurs, si nous voulons ma:rcher à la lumière de la philosophie~ acceptons t-outes les comséquences qu'elle porte en soi et disons adleu aux fantômes de la religion. La seconde objection est l'objection des moyens. Qu'est-ce qu'un moyen? C'est un acte à faire, une mesure à pren<lre pour atteindre un bJJt, une fin. La nature d11moyeu est donc déterminée par la .nature du but, de la fin ; et, comme la nature du but, de la fin, se iire elle-même de la nature,de la chose, il suit, qu'en définitive la uature du moyen doit être fondéé sut" la nature de la chose. De quoi s'agit-il ici? D'un objet essentiellement intellectuel et moral. Qu'est-ce que doit être le moyen? De même nature, c'est-à-dire aussi, ess~ntiellement intellectuel et moral. Par coBséquent point de for-ce, point de violence contre la religion catholique et les prêtres ! Vous fermez les églises ! Mais les fidèles, -répondant à l'appel des prêtres, se réunissent dans les maisons particulières, dans les fermes, dans les granges, dans les champs, dans les bois. Vous poursuivez, vous traquez, vous emprisonnez les prêtres ! Mais vous en faites des martyrs, vous enflammez le fanatisme, et chacun, aspirant aux dangers et à-la gloire du ministère ecclésiastique, veut attirer sur soi la persécution. Vous vous attaquez aux pierres, aux monuments, vous voulez effacer jusqu'aux vestiges d'une religion funE"ste au progrès et à la liberté! Mais., lorsque le calme a succédé à la tempête, vous voyez les pie-rres se redresser, les monuments se réédifier, les temples se rouvrir, les chants religieux. recommencer, et l'encens fumer de nouveau. N'est-ce pas là ce que nous enseigne notre passé révolutionnaire? Que le parti démocratique français ait enfin une doctrine: qu'il la formule hautement et carrément, dans tous ses principes, tour.es ses conséquences et toutes 11es applications; que la France .et le monde sachent bien ce qu'il veut et où il tend ; et la France et le monde vien- •sdrnnt à lui, et la tyrannie décemb-riste tombera toute seule. Puis, qu'arrivé au pouvoir, le parti démocratique fran~ais s'appuie sur cette doctrine et se donne pour but de la faire prévaloir, - qu'à cette fin., il en r6pande l'enseignement d'un bout du territ0ire à l'autre, - qu'en face de l'autel catholique il élève en tous lieux la chaire philo:aophique, - que tous connaissent par les lumières de la raison et de la philosophie l~urs droits et leurs devoirs d'homme et de citoyen, et la superstition ne sera bientôt plus. Voilà, selon moi, la .voie.dans laquelle le parti dé-

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