-SCIENCE.- ' -SOLIDARIT:è.- JOURNADLELADEMOCRATUIENIVERSELLE. N~ J 3. MERCREDI, 28 FEVRIER l 855.-2e Année Ce Jou1•1ul.l 1•a.rait une Cei8 pat• 11e1nah1e. Toutes lettres et correspon~ances doivent être affranchies et adressées au bureau de l' fmprimerie Universelle à St-Hélier Il est de mode, aujourd'hui, presque dans tous les camps, d'insulter à la Révolution de Février et de l'ensevelir sous ses malheurs. Ceux qui l'ont exploitée, trahie, vendue, l'appellent la granrle catastrophe: c-'e~t la logique des apostasies. Ceux qu'elle avait saisis et châtiés dans leur règne insolent et bas, la dénoncent comme le crime du siècle: c'est la logique des intérêts. D'autres-oublieux qu'ils sont,-· l'accusent comme la Mère des stérilités et des ruines ...... La Révolution de Ffvrier, malgré tous ces anathêmes, restera la date, la grande date de nos temps ; et tout esprit qui veut se reridre compte en saisira facilement les beautés sérieuses, les forces austères et nouvelles. Cette journée du 24 Février ne fut pas seulement une bataille, une lutte héroïque du peuple et qui peut laisser à l'histoire une épopée de guerre. Ce côté de !'Energie, du Sacrifice, des Armes, fut brillant; et bien peu l'on en compte, à travers les siècles, de ces Heures sacrées où les Foules civiques s'entraînent à la mort, pour que, de leur sang qui fume, naisse l'Idée qui monte. 1vlais la Révolution de Février n'est pas toute entière dans la prise d'armes heureuse, dans le succès de guerre, dans l'acte éclatant qui la consomma. Elle fut de plus une Souverai11eté ; elle fut aussi une Religion : les deux phs grandes choses de l'histoire et de la vie. Elle fut une Souveraineté. Jusques là, qu'était le Peuple ? Il payait de son sang comme soldat~ de ses sueurs comme ouvrier, et, comme contribuable, sm sa faim. Depuis plus d.'un demi-siècle, il n'avait pas mis sa main libre dans les urnes. Il était le grand anonyme rles merveilles que le tr:ivail enfante ; il était le forçat de nos 11rivilèges et de nos gloires. • Tout-à coup, en quelquP.1>heures, fille de la victoire la République arrive, portant dans ses bras les grandes urnes de la Souveraineté qui est la Vie ; et si les mains noires de poudre avaient alori:<pu jeter les bulletins, la Révolution aurait eu ses vraies destinées. Toujours est-il que le prmcipe de l'universel et libre suffrage était conquis et proclamé. La France entrait en plei11e puissance d'elle-même. Au milieu de l'Europe des aristocraties et des rois, n'était-ce rien que cette nouveauté ? n'y avait-il pas un ensei;_{nement fécond, un appel puissant, dans cette métamorphose de la servitude en liberté rayonnante, dans ce pa,sage de l'ombre obscure à la pleine lumi.ère ? Les principes de force et de vérité qui tombent dans la famille humaine ne seraient-ils pour les peuples quP. des aërolithes? Elle est encore une Religion. Que fit le Peuple de Février en pleine ivresse de victoire? Souverain armé de la Force, il ne transporta pas, il ne tua pas ; il brûla les deux poteaux, l'échafaud et le trône ; mais il garda la foi publique, sévèrement, religieusement: il subit les contrats qui l'accablaient, sauf à débattre et plus tard à modifier - jusqu'à l'égalité - par les voies légales ... Il fut la Conscience active des philosophes qui ont développé la régie humaine. et, pour la première fois dans le monde, on vit les instincts d'un peuple en équation avec les idées. La Révolution de Février fut donc une bataille héroïque, une souveraineté vivante et de plus une religion. Soldat, citoyen et penseur l'homme-peuple était né. De Février, voilà les grandeurs : ne les oublions jamais ; elles seront l'essence et la fleur de l'avenir. • De la Révolution de Février voici, maintenant les malheurs. Elle eut à son berceau tous les rois-mages de l'ancien monde ; les épées, les toques, les écharpes de la monarchie s'inclinèrent, et les puissances de la Yeille, apostasies du lendemain, ayant caché leurs livrées, s'abritèrent sous ses cocardes. Donc, première èause d'avortement : la faiblesse de quelques-uns et la trahison des autres. Malheur plus grand, et faute emportant la mort ! la Révolution ne pratiqua pas la Solidarité qui était le devoir et qui était le salut: penchée sur ses livres sybillins, elle se concentra dans les études qui dévorent, et ses gouvernements qui la suivaient d'un œil inquiet ne l'appelèrent pas à la propagande armée des frontières. Ils étaient d'ailleurs inspirés par l'esprit de paix, qui est l'esprit de vie dans les conditions réglées, mais qui sera l'esprit fatal, tant qu'il y a,ira des tyrannies sous les pourpres! Enfin, les problêmes de la Révolution furent écartés et restèrent ferm~s : la loi n'y voulut point entrer. Faute terrible entrè toutes ! car les problêmes reviennent, toujours, quand ils s'appellent la misère, l'ignorance, le travail, la faim, et, comme les vapeurs d'orage, ils se con- (Jersey), 19, Dorset Street.-Les manuscrits déposés ne seront I ANGLETERREET CoLONTES: pas rendus. - ON s'AnONNE: A Jersey, 19, Dorset street. - A Un an, 8 shillings ou 10 fran es. Londres, chez M. STANISLAS1, 0, Greek-street, Soho Square.-A Six mois, 4 sh. ou 5 fr. Genève (Suisse), chez IVI.Corsat, libraire, rue Guillaume-Tell. -1 Trois mois, 2 sh. ou 2 fr. 50 c. Poun L'ÉTRANGER: Un an, 12 fr. 50. Six mois, 6 fr. 25. Trois mois, 3 fr. 50 c. Belgique, chez tous les libraires. - A Madrid, chez Casimir CHAQUENUMÉRO: '.l'ous les t1Jho1111e111e:ns se 11aient tO'a,.anC!e. Monnier, libraire. 3 pence ou 6 sous. densent sur nos têtes pol)r retomber, tôt ou tard, en pluie de sang et de feu. Surveiller les hommes, rester fidèle aux principes acquis et regarder en face tous les problèmes, telle sera l'œuvre, telle sera la tâche du sr.cond Février qui n'est pas loin. Non, il n'est pas loin : car les luttes s'irritent, les hasards accourent, et la France est inquiète sous son linceuil. Quelques-uns la croient tombée dans toutes les décadences, et demandent ce qu'elle a produit depuis trois ans ? • Elle a produit cent mille martyrs, sa protest~tion vivante, et elle engendre toujours ! Quelle est.la dynastie dans l'histoire, quel est le dieu tombé qui eût, jamais, pareil cortége à son deuil? Clrnrles RrnEYROLLES. 6e ANNIVERSAIRE DE· FÉVRIER. Au nom de la commission des proscrits de Jersey, le citoyen Bianchi a ouvert la séance. Le citoyen Amie! prend la parole : PROSCRITS,CITOYENS DE TOUTES LESNATIONS, De to11tes les Révolutions qui se sont accomplies dans le monde depuis les premiers âges juequ'à nos jours, aucune ne s'est montrée plus sévère pour ses défenseurs et ses apôtres que celle dont nous célébrons Jaujourd'hui, loin de la patrie, le sixième anniversaire. Où sont, en effet, ceux qui l'ont préparée par ! 'activité des propagandes, commencée par l'énergie des combats et glorifiée par l'héroïsme des'îongues captivités? Et ceux, plus nombreux encore, qu'elle a spontanément convertis à son culte, en les pénétrant de sa lumière, et qui l'ont servie, à l'heure du danger, jusqu'au devoir suprême de la lutte ? Les uns, ses privilégiés, agonisent dans les bagnes lointains, q.u errent, misérables, sur les chemins de l'exil, et les autres, le petit nombre, subissent, muets, le plus terrible des châtiments, l'oubli populaire. Quant à la République, rn fille, vous savez ce qu'elle est devenue entre les mains du brigand de Décembre. Etudions les causes de cette immense infortune. Sondons les secrets cle nos malheurs. Les enseignements du passé sont l'éducation de l'avenir. La Révolution, citoy~ns, qui est permanente dans l'humanité, n'l jamais tort; elle porte avec elle sa justification; elle est le droit à l'état abstrait, qui veut passer dans le rlomaine des faits. Elle s'accuse toujours par une plainte du peuple et se pose comme la négation formell<!, radicale, absolue, d'un ordre de faits établis et comme une protestation des tendances du pouvoir qu'elle vient renverser. D'où il suit que toute Révolution est négative par essence. Elle vient c;hasser une idée en pouvoir. Son premier acte est une négation. Elle détruit d'abord, elle édifie ensuite. L'affirmation contradictoire qu'elle implique est subséquente. Jetez lts yeux sur le passé et vous venez que toutes les révolutions constatent la réalité de cette loi. Citoyens, le problème de l'émancipation de l'homme compte plusieurs moments dans la durée des âges. L'idée chrétienne affranchit le corps, mais laissa la raison captive en lui imposant la foi. Le Moyen-Age, reprenant la tS.che inachevée du grand supplicié, la poursuit à travers les bûchers, le sang et les proscriptions; l'activité de la recherche, l'acharnement de la lutte ne cesse qu'après avoir établi, sur des bases indestructibles, la souveraineté de la Raison. Luther tua d'un même coup, par sa négation célèbre, la religion et le gouvernement, le pape et le roi. C'est lui qui a décapité Louis XVI. Voilà donc l'homme Jihre dans ses deux éléments : la mission de la première Révolution française consistera à faire passer du domaine de l'abstraction dans celui des faits les conséquences de ce principe. La Grande époque, comme nous l'appelons, n'a pas fait autre chose, elle a décrété que l'homme était libre. La Révolution du XIXe siècle, la Révolution prochaine, celle dont les nations sont en travail, doit faire des hommes une collectivité d'égaux. Voilà le caractère que la série historique et scientifique assigne à la Révolution future. Voilà la signification du 24 Février. Voilà le sens de ce mo~: République, que tout le monde prononçait et que si peu ont compris. Hélas! c'est pour cela que nous l'avons perdue et qu'elle nous a jetés à l'écart, nautoniers inhabiles, quelques-uns avec le remords, le plus grand nombre avec l'amertume de nos fautes, de nos erreurs, de nos compétitions absurdes. Le 24 Fé\ rier était une -question de travail. On en fit une question de Gouvernement et de suffrage universel. Dans son admirable instinct, le peuple de Paris le comprit mieux que les hommes que la destinée avait appelés au ponvoir, quand, dans • la fièvre même de la victoire, il demanda seulement du travail.- On lui jeta un bulletin de vote; on lui laissa la misère. Révolution incomprise, Révolution perdue. Dans l'ordre des faits industriels et sociaux, elle n'a rien nié, rien affirmé.- Dans l'ordre politique elle rétablit le gouvernement, la première chose que la liberté exclut, que la raison condamne. Quand donc comprendra-t-on que lorsque tout le monde est irouvernement, comme en plein suffrage universel, il n'y a plus de gouvernement. Bannie du pouvoir, la Révolution se plaint dans les clubs, se forme des organes puissants dans la Presse, s'étudie, se formule, se connaît dans son principe, ses moyens, son but. - Sous le nom de Socialisme, elle est fusillée par le Pouvoir dans les rues de Paris, aux lugubres journées de Juin 1848. Alors, les intérêts qu'elle menace se montrent implacables dans la démence des représailles. Ils arment la loi de Jeurs fureurs et la transportation sans jugement est créée. Juin est légitime dans l'esprit de la Révolution, c'est la faute de Février. Honneur à ceux qui l'expient sans l'avoir commise! Mitraillée dans la rue, chassée de son asyle favori, le club populaire, poursuivie dzms la Presse, elle se fait idée et vole invisible surl'aîle des vents. Elle visite et conquiert toute la France· Au 10 décembre, l'esprit révolutionnaire des campagnes se venge des hommes de Février et de Juin et donne l'investiture du pouvoir à un homme nouveau sur la scène de 48, mais qui, au prestige d'un nom, joignait l'avantage immense cl' une réputation de socialiste. L'esprit du vote était bon, je vous jure, le choix du sujet seul était mauv:iis. Le pe1\ple n'est pas habile; d'ailleurs, ce n'est pas lui, j'imagine, qui avait placé au beau milieu de la Constitution, cette embûche qui avait nom la Présidence. Citoyens, le 10 decembre a engendré le Deux-Décembre. Cette génération est trop sensible pour que je m'y arrête. Il est certain que si Bonaparte n'avait pas habité l'Elysée, il n'aurait jamais couché aux Tuileries. Mais le succès même du DeuxDécembre atteste à mes yeux Je progrès et la puissance invincible cle la Révolution. Voyez-vous, en effet, M. Louis Bonaparte obligé d'affirmer, pour consommer SOI)crime, la Révolution qu'il voulait terrasser? En relevant le 1;uffrageuniversel et en puisant à la source de 93, il a pris, devant les masses ignorantes, une attitude vraiment révolutionnaire. C'est tellement vrai, citoyens, que la résistance n'a été 01·ganiséeet soutenue, à Paris, que par la fraction intelligente de la Démocratie, la masse, toujOlll'$ loyale, n'apercevant pas la trahison. Je ne suis pas de ceux qui attribuent les grands événements aux p~tites causes. L'appât si habile, jeté aux aviù.es espérances de la Révolution, a plus fait pour le succès du Coupd'Etat que les balles et les canons des soldats ivres; car, enfin, rien ne résiste au Peuple, qnand il se lève en masse pour la conquête de ses libertés ou le maintien dP ses droits. - P,rnrquoi ne s'est-il pas levé? Ah! pourquoi? ... J'en ai dit la raison. Arrêtons-nous un moment encore sur cette date néfaste, si riche en crimes et en enseignements. Constatons un fait historique de la plus grande importance et qui montre clairement Je caractère que j'ai déjà attribué à la Révolution moden,e. Je veux parler de J'acte qui caractérise le désistement de la Bourgeoisie, dt\ parti de la jeune Révolutiou. - Oui, citoyens, le bourgeois s'est fait réacteur en Décembre. L:t Bourgeoisie, qui a un passé si glorieux dans l'histoire, qnî a vaincu la Féodalité, en opposant la commune à la tourelle, le roi aux vassaux; proclamé la liberté de conscic11ceet posé les bases de la Philosophie moderne ; subordonné Je Gouvernement au pays ; fondé l'égalité devant la loi; établi la souveraineté de l'opinion; fait 89, 1830, 1848, la Bourgeoisie a reculé devant les conclusions de la Révolution et s'est réfugiée, grelottante, .avec l'attirail de ses intérêt~, sons la guérite sanglante de Bonaparte. Elle qui avait vaincu le despotisme de l'autel et du trône, s'est courbée, humiliée, devant le tyran de Décembre, cédant le pas au Prolétariat, phalange immense du travail et de la misère, personnifianant la Révolution. - Autre élément puissant de succès pour l'attentat de Décembre. Ajoutez à cela les protestations véhémentes de l'opinion et de la conscience ; l'énergie dé la résistance à Paris et sur plusieurs points de la France ; les ruisseaux de sang et les scandales de l'orgie des Boulevards; la chûte de toutes nos libertés, le meurtre de la République, l'emprisonnement. en masse des Républicains, et vous aurez tout le drame; vous aurez en esprit, en chair et en os le Coup d'Etat du 2 Décembre 1831. Citoyens, j'afiirme la l'tévolution sociale, sur les ruines de Décembre et sur les ténèbres de l'Empire qui pèse actuellement sur la France. Je parle de la bonne, cette fois, de celle qui doit substituer les choses aux principt'S reconnus par la science é~onomique. Il était au pouvoir de Bonaparte d'en ajourner à peutêtre un demi-siècle la réalisation si, au lien de lui disputer le passage, il lui avait cédé peu-à-peu. - Les Révolutions sont des monstres qu'on n'apprivoise que par des faveurs; n'accordez rien ou essayez de résister, elles vous dévorent. Ni 1vfarengo, ni Austerlitz n'ont pu sauver !'Empereur des lauriers, comment voulezvous que la honte de Sébastopol préserve celui-ci? Préparonsnous - une révolution connue est une révolution faite. - Cc n'est plus qu'une affaire d'exécution. Pour connâître un être, il ne suffit pas de c'onstater ce qu'il est à un moment donné de son développement; il faut étudier et préciser la loi de son dcvenfr. Appliquant cette loi à l'humanité, on s'aperçoit que, sa loi étant le progrès, elle court vers - !'Egalité fraternelle - La Révolution prochaine doit imprimer aux tendances gétÙlrales de !•Epoque une impulsion vers ce but. La science économique tient à notre service la série des mesures qu'il faut appliquer pour faire un immense bond vers nos destinées futures. - Elle a posé les bases de la liquidation sociale, la plus grande opération rlu siècle. N'hésitons pas. -A nos droits la bourgeoisie a mêlé des griefs - Que les destins s'accomplissent! En avant! En avant! notre tendance, c'est notre loi. Les châteaux forts sont bien tombés, sous le souffle des idées, plutôt que sous le marteau de 93. - Les extrêmes se touchent; en abattant les châte3Ji1x, on a ébranlé h chaumière. Rien n'attriste le regard comme la chaumière au milieu de la grâce et de la magnificence de la nature : Qu'elle disparaisse et se transforme. Rien n'afflige l'âme comme les haillons, sous les rayons dorés du soleil. Que la misère soit bannie; qu'il n'y ait de pauvre que celui qni ne voudra pas travailler, quand le droit sera sur toutes les têtes. ' Rien ne balafre le droit comme les haies et les murs mitoyens, sur la surface clu sol. Que ces obstacles disparaissent - comme l'air, la terre veut être libre. Libre, je ne veux plus être gouverné. Ce terme m'offense. Je veux contracter : Plus de gouvernement. Travailleur, j'ai tout créé; tout m'appartient. Je ne veux plus être le vassal d'un vil instrument de travail - il est à la communauté. - Rendez-le, possesseurs illégitimes. Producteur et consommateur j'ai droit à tout le produit de mon travail - je le veux, c'est là ma part de propriété. La machine, que j'ai inventée, ne doit plus agir contre mes intérêts; c'est mon aide a11xbras puissants, au zèle infatigable: entre vos mains rapaces et oisives, elle est devenue mon ennemie ; elle a réduit 11101s1alaire, elle m'enflamc, elle m'avilit. - Rétablissons la paix entre ces deux amis : Que la machine appartienne à la corporation.
L' li OMM E. ...,..~~----~---------------------------- Ce qne je veux, ce sont mes droits, tous mes droits Pt je les com1ais; quiconque me relient un centime, sur le prix ùc mon travail, me l'O]e. Donc plus d'intermédiaires, s'engraissant de mes sueurs, plns d'e::Dloitcurs'--plus d'oisifs - le travail pour tous, éli1,!Ïnation des ·fonctions improductives. La science m'a fait hom::1e et a ao-randi le domaine de mon être; je st:is citoyen du mo:1dc; je 1lai plus cl'cnnemis, je ne vois que des frères autour de moi; plus de frontières. Li hertit absolue de la rela!ion. Plus de douanes : gratuité clc ]'échan 6e. Plus de conquêtes: soli<hrité <le,;peuples.- l~lus de guerres, inviolabilité de la vie humaine. Citoyens de toutes les nations, géants de la littérature, piJ:1niers de la pensée, publicistes, savans, artisans, prolétaire:,, titans de la production, âmes ardentes qu'enflamme l'amour du droit et qui portez comme moi la chaîne du malheur et le grand souci de !"avenir, voilà, voilà ce que l:i. révolution nouvelle nous demande et voilà ce que n'a p'tS su lui donnn le 24· Février, ce grand réveil des penples - suivi d'une si amère mystification. Mais les moytns, me dira-t-on? lis sont trouvés, indiqués, traci's, - Je plan, le devis, tout est dressé, tout est prêt; lisèz. signez et c,éculez, quand l'heure sera venue. En atten:lant, regardez Bonaparte, sombre fossoyeur, nous déblayer lui-même le ~ol. 0 puissance invincible àc la R~volution ! L:t déccntralis:it ion, la transformation de la propriété, substitutio:1 de l'oïg:inisme économique au mécanisme politique et gouvernemental, attaquent de front, sans doute, certaines idées, d'autant pins chères, qu'elles protégent des intérêts. Je sais d'ailleurs ce qu'il en coftte toujours à un homme de se ~éparer brusquement <les idées qu'il a nourries et défendues, même quand le temps, ce grand logicien, les condamne et les jette, guenille_s de l'esprit, dans le cimetière du passé. Je sais tout cf:la; mais on ne peut pas échapper au sac:·ificc. Au milieu du tourbillon ']Ui nous emporte vers les riantes perspectives de l'avenir, pouvons-nous rester traînards dans les ornières du pas~é ? Que! est celui de nollS qni n'attache pas honneur :i &trc attelé au char du progrès? Quel est • celui de nous qui ne soit pas jaloux d'éviter à son pays les malheurs qui suivraient une nouvelle incarn~tion de 1848 ? QnJl est CP.luide nous qui voudrait encourir le terrible reproche historique : Il 11'arien appris, rien oublié? l\Iais que parlé-jt: de mouvement à des hommes tels que vous, moi, votre prosélyte, moi qui ai tont :ippris de vous; qui ne pensais pas encore, que vous luttiez déjà; vous qui, de 1830 à 1848, avez porté sur vos épaules le dangereux farde<1ude la Révolution; vous qui, travC'rsant le pouvoir, avez pu commettre des fautes, mais qui êtes resti>s purs <letout acte de félonie; vous qui illustrez notre passé et qui honorez notre infortune: Oh! ce n'est pas à vous, certrs, que s':idr<'ssent n!es encouragements ni mes conseils. Je parle ici à la collectivité révolutionnaire, le langage de la Révolution, lc!le qu'elle est défbie par h science, telle que je la comprends, telle que je la désire, telle que nous la ferons en restant unis. Vive la Révolution sociale qui, seule, i1,augurera le règne de la· République et de la Liberté ! Après ce discours où les idées, à notre avis, affluent un peu mêlées, mais où éclate un grand et loyal sentiment, le citoyen Pianciani, proscrit iuilien, a pris la parole en ces termes : CITOYENS Si h rais/ln n'avait assez démontré déjà que la Répuhliq ne est l'avenir nécessaire de l'humanité, le 24 Février, cette date glorieuse dont nous célébrons ici l'anr,ivcrsaire, devrait suffire pour en convaincre les plus incréclules. Une monarchie de dix-huit ans, forte de son origine, car elle sortait d'une révolution, populaire en cela qu'elle r.!présentait la négation du droit divin et de la conquête, puissante par ses armées, par son argent, p:ir la prospéritf matérielle du pays, celte monarchie, quand le peuple l'a voulu, est tombée dans un jour. On a dit que la France ne s'attendait pas à la République ; elle s'y atteaclait d'instinct, répondrai-je; mais en tout ca~, ce ne serait qu'une preuve de plus de ma proposition. Le peuple voulait améliorer son sort, une monarchie lui faisait obst<1clc, il l'a repoussée du pied et il a trnuvé la République. Le plus grand nombre d'e!itre vous, eitoyem, a vu le grnnd spectacle que la France a <lonné en cette circonst:rnce; plus de soldats, plus de gendarmes, pins de mouchards; s?.ns oppression, sans violence, sans astuce, l'ordre et la p:iix régnaient partout. Les priwns se vinaient en attendant que les tribunaux criminels vinssent à se former. La religion, j'en conviens, est un fre.in puissa11t aux mauvais penchants, mais la religion, selon moi, la vraie religion est la religion républicaine. Pendant que cela arrivait en France, jetons un coup cl·œil sur l'.E•irope. On avait proclamé à Paris la République en Février, et dans le mois de Mars,]' Italie se levait toute entière; la Croati?. réclamait sa nationalité, la Hongrie ses droits. l'Allemagne sa liberté: la Pologne frémiss:-tit, la Prusse, la Belgique menaçaient; et Virnne, h ville des Césars, elle-même, renvoyait son empereur. Pourquoi n'a-t-on pas proclamé la République en même temps ~ur tous les points de l'Enrope? Cela a été une faute, j'ai eu occa~ion de le dire il y a quelqnes jours. ::v[ais b cause de cette faute, c'est que la diplom:itic s'était interposée entre la vérité et l'lrnmanité; c'est, vous me permettrez bien de le dire, que le :Manifeste de "Lamartine av:üt séparé la France des antres nations. Au lieu de faire de la révolution. on a Ctit de la légalité quaud même, au lie\\ de reconnaître les droits des peuples on a rcspc,cté les traités de la S:.iiute-Alliance. et on a fait l'aumône des ateliers nationaux au !bu de faire la justicP par d-:s armées humanitaires. La Révolution pouvait avoir son Austerlitz et son l\larengo, elle a en les journées de Juin. Oui, citoyens, sans cela nous serions tous en Répnù lique, les Etats- Unis de]' Europe seraient constitués moins l'esclavage en bas et le privilége en haut, et pour ravoir oublié, on cherche à préseut à rtfairc un congr~s de Vienne. Permettez que je dévelol!pe mon· idée sur la marcb~ révolutionnaire. Une Révolution n'est selon moi qu'une étape dn progrès, d"oi:l il pose un jalc,n pour les conquêtes à venir. Toutes les fois qu'une nouvelle révolution perd son temps à refaire ce qm a été fait, elle en donne à la réaction pour s'organiser; toutes les fois qu'elle ne part pas du jalon que la précédente a posé, elle perd de sa force, elle en donne 'à la ré:tction et lui ass~Ji·e un triom1ihe momentané. .Je ne veux pas parler <in mon<ru ancien. Le Chr:~ti:misme, l'inv,,sion des barb:ires ont été scion moi plus qu'une révolution, ils out été un cataclysme: pas une étape, mais t:::e ère. Le monde est entré clM:sune Yic nouvelle. L'i11dividuaLrn1c était le principe de l'ancien monde; lois, intérêts, politiqne, religion, tout s'iacarnait en 'lui. L'empire 1'oma:n qui s'étendait rnr toute la terre n'était à vrai dire qu'u1:e ~rande indivi<l1.ia!ité<lui s'appelait Rernc. ,.. N otrc princiric à nous est la co!lcct:Yité. Le rapport Lh Ïindivi.ln it la Collectivité, voilà le problème à résou<:r~. D~ set solution surgira pi'Obablemcnt une ère nouvelle dont le principe sera l:i comrnu1nuté. M:,is ce temps est encore loin selon awi, et je v.onx parler lht présent. Le progrès trouvait dans sa marche pour obstacle les restes de l',:ncicn individualisme qui était représenté p<trticulièrement dans le princip~ de i·autorité. Autorité rcli 6i-:!use par la révé7 lation et le prêtre, autorité politiqiic p:ir le goureraement et le roi. autorité économique par la p~·opriété-monopole et le capit:d acca p:1 r:>ur. Le Progrès touSours logique dans sa 1m,rche a commencé à saper le vieil é,lifice par sa base et il a attaqn6 l'autorité religieuse. !.fais il n'a pas manqué <leposer son jalon eu avant. La révolution religieuse s'eet faite en Allemagne, elle s'est accomplie en Angleterre; son jalon a été la suppression de la monarchie : Cromwell. La France a eu ]'honneur de planter le drape:m <lup,ogrès à sa nouvelle étape, mais ::\firal'eau, Danton, Robe$pierrc n'ont nas discuté Luthrr, ils ont suivi C,·ornwell. ' Cette grande révolution avait aussi jeté ses jalons pour celle qui devait la suivre. Ces jalons s'appelaient le 4 Aoüt, l'abolition de tous les droits féodaux, le 19 novembre, décret de la Convention promettant secours à tous les -peuples contre leurs gouvernements, le H juin, Constitution de S3 présentée à l' acceptation du peuple. C'e~t de là que la nouvelle TI.é·,qlution devait p:irtir. Il ne s'a;-(s,ait pas de répéter les Etats généranx et on ne devait pas s'arrêter :tu décret du 25 septembre 92. Il y avait, il est vrai, à balayer les vieux restes dont on avait encotnb•·é le sol, mais à cela avait suffi le souille populaire. Le lendemain du 24 Févri<'r, il n'y avait plus de roi en France, et le prêtre, cet éternel hy;io·crite, souillait de ses bénédictions l'arbre {le la République. La ltévolution avait autre chose à faire, Pt, je le répète, c'était 93 qui devait êtrt son point cle départ. Il fallait accepter cc grand !cg$ de la première Ré·:olution, moins la terreur. li fallait se dire encore une fois: la Républiqne bat monn<tie sur la place de la Révolution, mais cette fois, la h1che révolutionn:iire ne devait p:is tomber sur des têtes, el!e devait abattre les privilèges. Car la nécessité de sa propre défense peut seule contraindre la ~oeiété à suppri1:1er un in.Jividu: ]'individu a droit à vivre; mais la justice lui impose de tuer le privilége; cette pl:tnte parasite est destinée à périr. Le c:i<l:wre du mort cn,poisonne l'air et tue les vivants, le sang du jnsticié jaillit quel,1uefois et aveugle le meurtr:cr. Le privilégc al.attu fertilise 1~sol sur lequel il tombe. Le programme de la nouvelle Hévolution était inscrit sur le drapeau des Lyonnais : Vivre en travaillant ou 1J(Ouriren combattant. Q,1'en a-t-on fait de cc programme ? On lui a donné une phrase : "le è.roit au travail." On l'a fait représenter par un homme, " Albei-,." La phrase a été méconnue clè!s le commencement, ouhliée aprè~, - l'homme est à Delle-Isle, martyr du devoir, et Bonaparte est aux Tuileries, offr:mt aux tranilleurs la médaille du Dix-Décembre. Ce· brave pcnplè français! il avait tressailli de joie en se voyant encore une fois à la tête du mouvement européen. Il tendait aux antrPs ses mains durcies p:.ir le travail, et offbdt son salaire à la Révolution. On a restreint dans les limites de la France une question tout humanitaire; on a permis à ce brave peuple <le discuter quelques mois au Luxembourg, et puis on l'a mitràil!é, on l'a fusillé, on l'a déporté; Cavaignac, après lui Bonaparte,: et la Révolution a étl perdne. Mais la Révolution en t:>mbant, par cette loi invariable dont je vous parlais, a posé son jalon pour la route de l'avenir. Elle l'a po~é au Treize-Juin; il s'appelle" Solidarité des peuples.'' Pourquoi, se diront quelques-uns, revenir sur le passé? Pourquoi rappeler des fautes qui ne sont pas des crimes, car la générali,é des hommes qui les ont commi•cs aimait sincèrement la Lib-.'rté et la République? Pourquoi acenser une Révolution que ses enHemis ont si lâchement calomniée? l\foi, accuser la Révolution de Férrier ! .Jamais. Elle restera coin me le pins grand acte c!e ce siècle, et je m'incline <lev,,nt elle comme devant ma mère iliaisje dis, et j'ai le droit de le dire, car la Révolution est humnnitaire, le peuple français a fait la Révolution, les fautes des individus l'ont perc\ue. .J'ai le droit de le dire, car qui de i.ous n'a pas commis qucl'lue faute clai,s sa vie politique ? Qui de nous voudra refuser la main à un frère quand il en parle dans l'intérêt du parti, dans i'inté:·êt de ;'humanisé? J'ai le droit de le dire, j'en ai le ,Jevoir, car les kçons du passé sont ]·enseignement de l'av~nir, et l'avenir est, com1:1e le di,~it dernièrement un de nos amis, b GRA:rnE DATE, notre héritage, notre bi:'n à tous. C'est de l'avenir que je m'occupe quand je parle du passé ; et son devoir est selon moi de partir du jalon que la dernière Révolntion a posé, pour accomplir ce qu'elle n'a pns pu faire; de greffer la révo!utio11 économique sur la solidarité des penp!cs, d'accomplir, en un mot, la révolution sociale. Et parce que nous voulcns cela, on nous traite de fous; c'est le sort de tous les pionniers de 1'hu11rnnité. 1Ioï,e était un fou ; le Chri,t a été appelé fou; Campanella, Colomb, Salomon de Caus, Rousseau, des fons! Vous rnycz, citoyens, que nous sommes en bonue compagnie. Nous sommes des fous, parce que nous nous sacrifions à la Yérité d'un principe. N otrc folie se nomme co11-cience, et je la préfère il CC'tte sagesse qui n'l,t qne fom·berie, hypocrisie, mensonge. J'aime mieux être fou avec Lamennais que sag-e avec le ca:dh1al Antonciii; j'aime mieux êlle fou comme Rubu·t Blum t{Uesage comme Ilayn:111 et Vindisehgraëtz. On nous appelre les paunrs, les impuiss;:nts. Oui, nous sommes p~uvres, et c'est notre honneur; nous sommes pauvres, car ceux-là même qui or,t as~cz pour vine n'ont pas souvent a~scz pour secomir l:!s misères de leurs camarades, poar ai<ler la cause, et cet~l•panYrcté est aussi douloureuse <Jtie l'autre. :1!ais cc ne sont ni les riches ni les puissants de la terre qui font les révolutions: S1 )a1taeus n'était qu'un esclave. Nous n'avons pas à notre disposition les million~ de la B:mque pour payer les prétoriem ; mais nous avons des richesses à promettre aux peuples, à ce prolétariat-multirnde, auquel nos ennemis ne donncn't que honte', mépris, misère, esclavage, no.us pouvons promettre,-nous, les pauvres,- lumière, bonheur, liberté. . Nous, les impuissants, nous n'avons ni le plomb qui tue, ni le for qui ench:be; m:iis nous avons la vérité pour force. Nous ponvons rlire aux masses : brisez vos fers, vous en avez la force ; jetez-les à la tête de vos oppresseurs, vous en avez le droit, et vous finirez de souffrir: et le jour où elles nous écouteront, avec cll<!snous serons les plus forts. Mais cc jour, ce lendemain est le jamais, dit la réaetion. 1'foi, cc lcnc!cmain, je l'appelle aujourd'hui, car dans la vie des peuples les anHées sont dC'sminutes, les lustrt)S sont des heures. Nous sommes des brouillons, nous gâtons le8 affaires des gouvernements établ;s, nous de,;rions nous taire. Nous tain•! Est-ce que les inté,êts des gouvernements nous rcgrrdrnt ? Rst-ce que Je nommé Sir Robert Peel croirait nous cffnyer par ses menaces? Nous taire en ce moment! lorsqu'appuyés sur une fatale cxpé 0 rien cc nous pouvons dire aux peuples: " tant que vous aurez le ----- ·--------- d~spotis;,1r, vo~s n't:~l,1;ii,2rez ni à la gu0rre ni à la banqueroute, nt ~ la boucherie, ni à !a spoiiation : ce n'est '}Uela République .qui pem voHs assurer la paix et la richesse.'' Nous <kvri:ms nons t.1ire ! quand la terre de la Crimée est ro_ugie <1u sang des r!1fants du peuple, <lenos enfants, de nos frcres, e'. quand 1101,s pouvons dire à l'autocrate de Russie: "ne vous réjou:~su: pas trop <les cimetières que vous faites, b Révo!ution est à l'arriùre-gardc, et le peuple vei)••era un J. ourses t • • • 1 1•· 0 en ants v1c1nnt>s Le impuissance des reis." Le ~ociafüme, efl\ayc; oui, le Socialisme défiguré plr les calo_mmt!s~ll' la ~e~ct1on con~re_ lesqn 7l_lcson n'a pas assez proteste peut. etre. ::\iais le Soc1al1sme-venté, le Socialisme-justice n'off.-aye aucune âme honnête. Le Socialismc-Liberté-Eo-alité- ~•'ra_,erni.~n'j1~ouvantera que ceux qui préfèrent le privilège au uro1t, les mterets au devoir; et ceux-là nous voulons bien les épouvanter. Nous voulons épouvanter par le Socialisme comme le Christianisme a épouvanté le Paganisme, comme la Réforme a épouvanté la Cour de Rome, comme la Révolution de 89 a épouvanté le~ privilégiés de la Cour. Citoyens, ne nous _laissons pas impos~r par des panîques, par des mcn~ces, par ~es insultes! ne nous la!ssons décourager ni par nos sou!lrances m par nos nnsères.-A I œuvre ! à l'œuvre incessante! :ux armes! pourrai-je di:·e; aux armes de la propagande pour hater le moment d'en vcmr à celles de l'action ; et quand c_c_momcn: ~e~·avenu, aux armes! pour faire une Rél'olution pohtHJue qui soit le moyen d'accomplir la Révolution sociale, et alors, - alors surtout, en arme:;! car ce n'est pas assez de conquérir, il faut que le Peuple défende ses co11q11êtes. Que la date quf: nuns cétébroug soit pour nous un double enseignement. Qu'elle nous apprenne par le 24 Février comment un peuple -pout faire une révolution, par ses consé-1uenc.es ce qu'il doit faire pour son afformissement. V1vE LARBPUBLIQUEUNIVI:RSELLE,nf::,fOC!tATIQUEET SOCIALE! Après ce discours, qui est la logique de la Révolution voici une magnifique haraogue où les formes et les idée: sont lumière et foudre. Le citoyen Victor Hugo: PROSCRITS, Si la révolution, inaugurée il a sept ans à pareil jour à )'Hôtelde-Vil!e <)e~aris,, avait suivi so'.1 cou,:s naturel, et n'avait pas été, pour ams1 dire, des le lenr.cmam mt:me de son avènement déto:irnée de ~on but; si la_réaction d'abord, Louis Bonaparte' ensuite, n'ava_1ent pas détrmt la _1épublique, la réaction par ruse et lent empoisonnement, Louis Bonaparte par eecalade nocturne, effraction, guet ..apens et meurtre; si, dès les jonrs éclatants de Février, la R-îpublique avait montré son drapeau sur les A(pes_ ~t sui: :e R~ii~ et jeté au nom de la France à l'Europe ce en : L1bertc. <{UJeut suffi à cette épo'q11e,vous vous en souvenez tOU$,pour consommer sur le vieux continent le soulèvement de tous les peuples et achever l'écroulement de tous les trônes. si la France, appuyée sur la g,-nnde épée de 92, eût donné aide' connne elle le devait, à J'It:ilie, à la Honi-rie, à la Pologue à J~ Prusse, à l'Allemagne, si, en un mot, l'Europe des peupl;s eût succ~dé c~ IU8 à l'.E:trope des rois, voici qt~elle serait aujour• d'hu1, apres sept annecs de !tberté et de lun11e1·e, la situation du continent. On verrait ceci : Le continent serait un seul peuple; les nationalités vivraient de leur vie propre dan~ la vie commune; l'Italie apparti~ndrait à l'Ita_lie, la _P~logne app~rtiendr~it à la Polo~ne, la Hongrie 3ppart1endra1t a la Hongrie, la I• rance appartiendrait à ]' Europe J'Emope appartiendrait à l'Humanité. ' Pius de Rhin, fleuve allemand ; plus de Baltique et de mer N ::>ire,lacs russes; plus de Méditerranée, lac françdis; plus d' Atlautique, mer anglaise; plus de canons au Sund et à Gibraltar• plus de kamn:l:rlicks aux D:irdanelles. Les fleuves libres Je~ détroits libres, les océans libres. ' Le groupe européen n'étant plus qu'une nation, ]'Allemagne s~rai_tà la France,_ 1: Fra1'.ce ~~rait à l'It~lie ce qu'est aujourd hlll la N ormand1e a 1a P1carc11e et la P1r.ard1e à la Lorraine• pins de guerre, par conséquent plus <l'armée. A11 seul point d; Y\lf: financier, bénéfice net par an pour l'Europe: quatre milliards (1). Pius de frontières, pins de douanes, plus d'octrois; Je lib:·e échange; flux et ref1ux gigantesque de numéraire et cle dcnré,•g, industrie et commerce vingtuplés, bo111fication annuelle pour la richess_e du continent: au _moins dtx milliards. Ajoute:r. les 'i uatre n11lliards de la suppression des armées, plus deux milljar!h au moins gagnés à l'abolition dE:s fonctions parasites sur tout le continclll1 y co111prisla fonction de roi, cela fait tous les ans un levier de seize milliards pour soulever les questions économiques. Une liste civile du travail, une caisse d'amortissement de la misère épui,,ant les b:is-fonds <lu chômage et du salariat avec une puissance de seize milliards par au. Calc11lez cette énorme pi'O<luction de bien-être. Je ne développe pas. Une monnaie contiacntale, à double base métallique et fiduciaire, ayant pour point d'appui le e<1pit:i.lEurope tout entier et pour moteur l'activité libre de deux c2nts millions d'hommes, cette monnaie, une, remp!acen•rait et résorberait toutes le~ absurdes variétés moné,aires d'aujourd'hui, cfligics de princes, fig·ures des mbères; val'létés qui sont autant de caus~s d'appauvriss('mcnt; car, <lans le va-N-vient monétai,c, multiplier la variNé, c'est multiplier le frottement; n1Ultiplier le frottem:!nt, c'est diminuer la cireulatio11. .En monilaie, connne en toute chose ci:-culation, c'est unité. ' La fratc·rni:é engen~rerait la solidarité: le crédit de tous ser:iit la propnGté de chacun, le trnYail de chacun, la gar:intie de tou,. Liberté d'aller et vrnir, liberté cle s'associe,·, liberté de posséd~r, liberté d'enseigner, Hberté de p,1rlcr, lihu-iil d'écrire, llbnté de penser, liberté d'ain,C'r, liberté de croire. toutes les libe1tés ferai en r faisceau autour du citoyen gardé par el les et devenu inviolable. Auem1e voie de fait; contre qui gue ce rnit; même pour amener le biPn. Car à quoi bon? par la ~euic force des choses, par la simple augmentation de la lumière, par le seul fait du plein jour succécl,:nt il la pénombre n:onarchiquc et sacen:o:ale, l'air serait devenu irrespirable à l'ho!Jlme de force, à l'homme de fraude, à l'hcmme de mensonge, à l'homme rie proie, à l'exploitant, au parasite, ;iu sabreur, à l'usurier, à l'ignorantin, à tout ce qui voie clans ics crépuscules avec l'aîlc de la chauve-souris. L:i vieille pénalité se serait dissoute comme it: rcs:e. La guerre étant moi te, 1 échafaud, qui a la même racine, aurait séché et di:,paru de lui-rnéme. Toutes les forme~ du glatl'e se :,crait!nt évanouies. On en serait à douter que la créature humaine ait jamais pu, ait jama;s o,,é mettre à mort la créature humaine, même dans le passé. Il y aurait, dans la galerie ethnographique du LouHe, un rnortier-Paixhans sous verre, un canon- Lancastre sous verre, une gu' llotine sous verre, ,me pot<:ncc sous verre, et ]' (ln irait po.r cm·iosité voir ,rn musércm ces bêtes féroces <le l'homme comme on va v-oir à la ménagtrie les bêtes féroces <leDieu. On dirait : c'est donc cela, un gibet! comme on dit : c'est donc cela, un tigre ! (I) Pour la France, plus de füte civile, plus de clergé payé, plus de magistratu:e inamovible, plus d'admini•!r:ition ccntrali- ~ée, plus d'arn,éc permanente ; bénéfice net par au : huit cents. millions. Deux millions par jour.
11 • I' /~ H \1 f.' f U ,\1 !H r,. -·----------------------------------- On rcrrait partent le cerveau qni pense, le bras qui agit, la lnatière qui obéit; la machine serv~nt l'homme; les expérimentations sociales sur tme vaste échelle; toutzs les fécondations merveilleuses <luprogrès par le progrès; la science aux prises avec la création; des ateliers 'toujours ouverts dont la misère n'auraitqn'à pousser la porte pour devenir le travail; des écoles toujours ouvertes dont J•ignoranéc n'aur:i.it qu'à pousser la porte pour devenir la lumière; des gymnases gratuits et obligatoires où les aptitudes seules marqueraient les limites de l'enseignement, où l'enfant pauvl'e recevrait la même culture que l'enfant riche ; des scrutins où lA.femllle voter:lÏt comme l'homme; car le vieux monde du passé trouve la fcmllle bonne pour !es responsabilités civiles, commerciales, pénr.les ; il trouve la femme bonne pour la prison, pour Clichy, pour le b:1gne, 11our le cachot, pour ]'échafaud; nous, nous trouvons la femnie boune pour la dignité et pour Ja liberté ; il trouve !a femme bonne pour l'esclavage et pour la mort, nous la trou,·ons bonne pour ia vie; il admet la femme comme personne publique, pour la souft'rance et pour la peine, nous l':idmettons oomme p~rsonHe publique pour le droit. Nons ne disons pas: nme èe pre:11ière qualité, l'hon.1nc; âme de deuxième qudité, la fra1me. )lo,:s proclamons la femme uotre égale avec le respect de plus. 0 f,muie, mère, compagne, sœur, éternelle mineure, éternelle esclave, éternelle sacrifiée, éternelle martyre, nous vous relèverons! De tout ceci le vieux monde nous raille, je le sais. Le droit de la femme, p.rncbmé par nous, est le sujet principal de sa guîté. Un jour, à J' .\..~semblée, 1111 interrupteur me cria : c'est ,urtout :ivec ç,1, les femmes, que vous nous faites rire. - Et vous. lui répondis-je, c'est surtout avec ça, les femmes, que vous nou~ fait~s pleurer. Je reprend-s, et j'achève cette esquisse. Au faîte de cette sp1endeur universelle, l'Angleterre et la France Tayonneraient; car elles sont les aînées de la civilisation actuelle ; elles sont au dix-ncuviè1::e siècle les deux nations mères; elles éclairent au genre humain ca m:irche les deux routes du réel et du possible; elles portent les deux flambeaux, l'une le fait, l'autre l'idée. Elles rivaliseraient sans se nuire ni s'entrdver. Au fond, et à voir les choses de la hauteur philosophique, -permettez-moi cette parenthèse - il n'y a jamais eu ..entre elles d'autre antipathie que ce désir d'aller au delà, cette impatience de poussPr plus loin, cette logique de marcheur en av:rnt, cette rnif de l'horizon, cette ambition de progrès indéfini qui est toute la Frn1~ce et qui a quclqucfoi~ importuné I' Angleterre sa vo;sine, volontiers satisfaite des résultats obtenus et épouse tranquille clu fait accompli. La France est l'.1dversaire de l'Angleterre cowme le mieux est l'en11e1:1idu bien. Je continue. • Dans la vieille cité du dix aoftt et du Yingt-de-ux septembre, déclarée désormais la Ville d'Europe, Urbs, une colo~sale assem-- blée, l'assemblée des Etats-Unis d'Europe, arbitre de la civilisation, S.Jrtie clu suf:ragc universel de tous les peuples du coutinent, traiterait et règlerait, en présence dr ce maje$tueux mandant, juge clffinitif, et a1•cc l'aide de la presse universelle libre, toute~ les questions de l'humanité et ferait de Paris au centre du monde un vole.in de lumière. Citoyens, je le dis en passant, je ne crois pas à l'éternité de ce qu'on appelle aujourd'hui les parlements ; mais les parlements, générateurs de liberté et d'unité tout en6emble, sont nécessaires jusqu'au jour. jour loint:i.in encore et voisin <le l'idéal, où, les complications politiques s'étant dis-soutes dans la simplification du travail universel, la fo:·mule: Le ·~101Ns DE oouvr:RNCl!ENT, ross!BLi; recevant une applic:i.tion cle plus en plu~ complète, les lois factices ,iyant toutes disparu et les lois naturelles demeurant seules, il n'y aura plus d'autre assemblée que i'assemblée des cïéatenrs et des inventeui•s, ·découvrant et promulguant la loi et ne la fais:int p:is, l'assemblée de l'intelligence, Je l'art et de h science, l'Institut. L'Institut transfiguré et rayonnant, produit d'un tout autre mode de nominqtion, délibérant publiquement. Sans nul doute, l'Institut, dans la perspective des temps, est l'unique assemblée future. Chose frappant-e et .que j'ajoute encore en passa11t, c'eH la Convention qui a créé l'Institut. Avant d'exp;rer, cc sombre aigle des révolutions a déposé sur le généreux sol de France l'œuf mystérieux. qui contient les aîles de l'avenir. Ainsi, pour résumer en pe!.i cle mots les quelques linéalllents que je viens d'indiquer, et beaucoup de détails m'échappent, je jette ces idées au hasard et rapidement, et je ne t:-acc qu'un à-peu-près, si la révolut:on de 1848 avait vécu et porté ses fruits, si la république fut restée debout, si, de république franp1se, e:lc fut dévenue, comme la logique l'exig~, république européenne, fait quô se serait aceompli alors, t:erles, en moins d'une année et presque ~an~ secousse ni déchir(•m<'nt, sous le souffle du gra;1d vent <leFévrier. citoyens, si ies chot·es s'étaient passées de ia ~orle, que seBit aujourd'hui l'Europe? une famille. Les 11a:ioi1s sœurs L'homn e frère de l'ho:11rnc. On ne serait plus ni frauçais, ni prnssien, ni e~pagnol; Oil serait européen. Partout b sérénité, t'.ictivité, le bi_.11.être, la vie. Pas d'antre lutte, d'un bout à l'autre <ln conti11l'nt, que la lutte <'.u bien, èu beau, du granrl, <lujuste. du vrni et de l'utile domptant l'obstacle et cherclnnt l'idéal. Parto11t cette immense victoire 4u'o11 appelle le travail dans cette immense clarté qn'ou appel;e la paix. Voilà, citoyens, >'i la rôvolu\lou eut trioillphé, voilà, en raccourci et en abrégé, le 8pectacle que llOUSdonnerait à cette heure l'Europe des peuples. Mais ces ch ,s~s ne se sont point réalisées. Heureusement on a rétabli l'ordre. Et, au lieu de cela, quP. voyons-nous? Ce qui est debout en ce moment, ce n'est pas l'Europe des peuples: c'est l'Europe des rois. Et que fait-elle, l'Europe de~ rois? Elle a la force; elle peut ce qu'elle veut; lrs rois sont libres pnis,1,i'ils ont é1ouffé la libcr:é; t'Europe des rois est riche; elle a d..!smillious, ede a de~ milliards; cHe n'-a qu'à ouvrir la vemc des peuples pour en faire jailiir du sang et de l'or. Que fait- elle? ciéblaie-t-dle les emoutwlrnres des fleuves? abrège-telle la route de l' Iude? rclie-t-ellc le Pacifique à l'Atlantique? perce-t-elle l'isthme de Suez? coupe-t-eile i'isthmc de Panama? jette-t-elle clans les profondeurs de t'Océan le prodigieux fil électrique qui r:itt:ichera les contillents aux continents par l'idée devenue écl<1ir,et qui, fibre colossale de la vie universelle, fora du globe 1111 cœur énorme ayant pour battement la pensée de rhomme? à quoi s'occupe l'Europe des rois? accoa1plit-clle, maîtresse <lu monde, quelque grand et saint travail de progrès, de civiiisation et d'humanité? à quoi dépense-t-t'lle les forces gigantesques du continent dont elle dispos1::? que fait-elle 1 Citoyens, efle fait une guerre. Une guerre pour qui? Pour vous, peuples ? Non, p•Jur eux, rois. Quelle 6 11erre? Une guerre misérable par l'origine : une clef; épouvantable par le début: Balaklava; formidable par la fin : l'abîme. Une guerre qui part du risiolc pour aboutir à l'horrible. Proscrits, nous avons déjà plus d'une fois p'arlé rl.ecette guerre, et nous sommes condamnés à en parler longtemps encore. Hélas! je n'y songe, <;uant à moi, que le cœnr serré. 0 .Frauça1s qui m'entourez, la France avait 1me armée, une année, la première tlu monde, une armée admirable, incomparable, forméè aux grandes guerres par vingt ans cl'Afrique, une armée, tête de colonne du genre humain, e~pèce de lllarseillaise i'ivaote, aux strophes hérissées de bayonnettes, qui, mêlée au • souffie de la Hh10lution, u\ ùt c•nqu',l f:.irC' c!i::ntt•r ses cla:rùns pour faire il l'instant rnG1nct0it:b.:r ,•11 pon,sière ~u. le C'.llllinent tous ]es vjeux. se~ptr2'i Pt 1~, .es !e:, v1:-;idc•s ch:iî;1( 1 ~.;: cP:~e ari~1:.!c, où e~t-cllc? qu'est-clic c!, 1·,•nue? Citoy,•li~, :'.\[. B:rnap1,•e l'a pri,e. Qu'en &-t-il fait? d':tbord il l'a envdopi;ée daus l<! linceul de son crime ; ensuite il lui a cherché uue tombe. li a trouvé la Criméé. Car cet homme est poussé et aveuglé pa:· ce qu'il a en lui de fabl et par cet instiuct de la destrnction du vieux monde r1ui est son âme à son insu. Prnscdts, détournez un momqit vos yetL'<de Cayenne où i! y a amsi un sépulcre, et regardez là bas à l'Orient. Vous y avez de~ frères. L'année française et 1'11rmécanglaise sont là. Q,u'est-cc que c'est que cette tra:ichéc qu'on ouvre deYant cette ville tartare? cette tranchée à deux pas de laquelle coule le ruisseau de sang d'Tnkermann, cette tranchée où il y a des hommes qui passent la nuit debout et qui ne peuvent se coucher parce qu'ils sont dnns l'eau jusqu'aux genoux ; d'autres qui sont couchés, mais dans un dcmi--mètre de boue tJ ui les recouvre entièrement et où ils mettent une pierre pour que leur tête en sortP; d'autres qui sont couchés, mais dans la neige, sous la neigE-, et tJni se réveilleront demain les pieds gelés, d'autres qui sont couchés, mais sur la glace et qui ue se réveilleront pas; d'autres qui marchent pieds !IUS par un froid de dix degrés parce qu'ayant ôté leurs soulier~, ils n'ont plus la force de les remettre, d'autres couverts de plaies qu'on ne panse pas ; tous sans abri, sans feu, presque sans aliments, faute de moyens <le transport, ayant pour vêtements des hailhns mouillés devenus glaçons, rongés de clyssenteries et de typhus, harcelé; de sorties, criblés tle bombes, réveillés de l'agonie par l:i mitraille, 'et ne cessant d',}t1,edes combattants que pour redevenir des mourants; cette tranchée, où l'Angleterre à l'heure qu'il est, :i entassé trente mille soldats, où la France, le 17 décembre, -- j'ignore le chiffre ultérieur, - avait couché quarante-six mille sept cents hommes, cette tranchée où, en moins de trois mois, quatre vingt mille hommes ont disparn, cette tranchée de Sébastopol, c'est la fosse des deux armées. Le creusement ,le cette fosse, qui n'est pas finie, a déjà coûté trois milliards . La guerre est un fossoyeur en gr:rnd qui se fait payer cher. Oui, pour creuser la fosse des deux armées ù' A.Hgletcrre et de France ( 1), la Francz et l'Anglete:rre, en comptant tout, y compris le capital des flottes englouties, y compris la dépression de !'industrie, du commerce et du crédit, ont déj;i th~pensé trois milliards. Trois milliards! avec ces trois mil1iarcls on eût complété le réseau des chemins de fer anglais et françai~, on eût construit le tunnel tubulaire de la Ylanche, mrilleur trait d'union des <leux peuples que la poignée de main de lord Palmerston et de l\I. Bo11:1parte qu'on nous montre au-dessus de nos têtes avec cette légende: A LA BONNE ror; avec ces trois milliards, on eut drainé toutes les bruyères de :France et d'Angleterre, donné de l'eau ~a!ubre à tontes le~ villes, à tous les villages et à tous les champs, assaini la terre et l'homme, reboisé dans les deux pays toutes les pentes, prévenu JHr conséquent les inondatio11s et les débordements, empoissonné tous les 1cuves de façon à donnt!r au pauvre le saumon à un sou la livre, multiplié les ateliers et les écoles, exploré et ei.:ploité partout les gisements houilliers et minéraux, doté toutes le~ communes de pioches à vapeur, ense:ne11cé les millions d'hectares en friche, transformé les égouts en puits d'engrais, rendu les disettes impossibles, mis le pain dans toutes les bouches, décuplé la production, décuplé la consommation, décuplé la circulation, centuplé la richesse! -il mut mieux prendre-je me trompe -· ne pas prendre Sébastopol ! Il vaut mieux employer ses milli:ird~ à faire périr ses armées! il vaut mieux se ruiner à se suicider! Donc, devant le continent qui frissonne, les deux :irmées agonisent. Et pendant ce temps-là, que fait" l'empereur Napoléon HI?·, J'ouvre un journal de l'empire, (l'orateur déploie un journal) et j'y lis: "Le carnaval poursuit ses joies. Ce 11e ~ont que fêtes "et bals. Le deuil que la Cour a pris à l'occasion des morts des "reines de Sardaigue sera suspendu vingt-quatre heures pour ne "pas empêcher le bal qui va avoir lieu aux Tuileries." Oui, c'est le bruit d'un orchestre que nous entendons dans le pav:llon de !'Horloge; oui, le Moniteur enrégiltrc et détaille le quadrille où ont" figuré leurs .i\Iajestés;" oui, I empereur danse, oui, ce Napoléon danse, pendant que, les prunelles fixées sur les téni'!bres, nous regardons, et que le monde civilisé, frémissa1rt, regarde avec nous Sébastopol, ce puits de l'abîme, ce tonneau som- (l) Les détails lugubres abondent. En voici 'luelques-uns pris au hasard: Correspondance particulière. - (Constantinople 5 février.) - " Les maladies dominantes, et les plus graves dans les hôpitaux, sont les dyssenteries et les congélations.· Les dyssenteries ont une intensité incroyable; j'ai vu un malheureux officier changer huit fois de draps en quelques heures.'' Balaklava 30 janvier. - " Un petit cours d'eau vient des montagnes à Balaklava et se rend à la mer. C'est à peu près la seule èau potable; c'est précisémt!nt cette eau qui a été la cause de maladies atroces, d'espèces d'empoisonnements inexplicah]Ps. En tout son cours, cc filet d'eau a reçu des détritus sans nombre et 1oansnom: carcasses de chevaux, entrailles de besti:rnx, cadavres même, parfois, etc. Vous devinez le résultat de cette imprévoyance .................................................................... . Le bois manque; c'est nne rude privation. On a distribué du charbon ; il en est résulté de fâcheux accidents. Deux officiers d'arlillerie, entre antres, ont été asphyxiés sous leur tente." Devant Sébastopol, 8 janvier. - " Les pleurésies, les fluxions de poitrine, les rhumatismes, et les pulmonies ont paru parmi nous, et quoique la diarrh.'.ie et la dyssenterie soient moins intenses, les cas de scorbut augmentent co11sidérablement. Hier, 7 janvier, le 63e régiment n'avait que sept hommes sous les armes. Le 46e n'en avait que trente. Une forte comp:ignie du 90e a été réduite à. J,,4 hommes par ll's épreuves <lela semaine dernière, et le régiment auquel elle appartient, quoique cité pour sa bonne sauté, :1 eu 50 morts en une 'lninzaine. Les Gardes écossa:s qui comptaient 1562 hommes au commencement uecomptent plus que 210 hommes à la parade, y compris les domestiques et caporaux. Tous ]e6 régiments ont subi dJs pertes analogues." ( Times, 2Djanvier 1855.) "L'armée anglaise a cessé d'être une armée. Elle n'en porte qup le nom. Des 5G,000 hommes que le gouvernement anglais a envoyés en Orient, il ne reste plus, en ce moment, que 10,000 ou 11,000 hommes, et encore ne sont -ils pas tons capables de porter les armes. Je dois ajouter, de plus, qu'il y :L 10,000 malades dans les hôpitaux de Constuntinople, et 1,000 clans les ambulances de Balaklava; les autres ne sont plus ....................................... . Le 63e régiment est parti le 21 janvier pour Balaklava, d'où il s'est embarqué pour Scutari. Il était fort de 30 hommes, officiers, ét:it-m3jor et soldats compris, escorte à peine [uffisante pour accompagner le drapeau. Lors du débarquement en Crimée, ce rég-iment compt:üt 970 hommes : il avait reçu depuis un renfort de 30\ hommes. Il n'y avait qu'UN sergent pour représenter une compagnie entière de grenadiers, qui était forte de 120 hommes ! (Times, 17 février 1855) . b.-e où Yiennent l'une après l'autre, pâles, échevelé<'~,versant dans le gout~·rc leurs trésor~ et leurs enfants, et rccom:neuçant to1:- jours, la F;-ancc et i'Angleterre, ces deux D;ma'itles anx yeux Han0;!ants ! Pomtant 011 annonce que "l'empereur'' va partir. l'ourla Crimée_! est-ce_ possible? Voici que la pudeur l1li viendratt et qu'il amait con~cience de la rougeur publique? On nous le montre brnndiss:mt vers SSii:istopol le sabre de Lodi, chaussant les bottes de sept lieues de \Vagram, avec Troplong et Baroche éplo~és pendus aux <lenxbasques de sa rcdingotte grise. Que veut dire ce v:i-t-cn guerre? - Citoyens, uu souvenir. Le matin du coup ~l'Etat', apprenant que la lutte commençait, }I. Bonaparte s'écria: Je veux a!lcr partager les d·rngers de mes braves soldats! Il y c;~t pro:>ab!e:n<•1ltlil quP!que Baro~he ou quelque Troplong qui s eplora. RH•n 11e put le rC'trn1r. Il partit. fi tr:iverna ], s Champ~--Elysé,'s et les Tn:Ic•rif's entre deux triples h.1irs cle bayonncttes. J◄:n débouchant des Toileries, il ,·:iîr:1 rn<' de !'Echelle. Rue de J•J,:chelle, ct•:a signifie rui' clu Pil0ri; i1 y av,1it là autrefo.;s, ('n ~flet_une échelle on pilori. Dans <''·ttc l'll(', fi aperçut de la foule, tl vit le geste menaçant du peuple; 1111 ouvrier lui cr:a: à ba, le trdtrc ! Il pâlit, tourna bride, et rentra à 1'Elysfr. Ne nous clonnon~ donc- pïs les émotions du départ. S'il p:H"t, la porte des Tuileries, comme celle de l'Elysée, reste entrebaill&e derrière lui; s'il part, ce n'est pas pour la tranchée où l'on a<ronis_e,ni_po~r la ù1~ècheoù l'on .meurt. ~e premier coup de caion qui lui criera: a bas le traitre! lm fera rebrousser chemin. Soyons tranquilles. Jamais, ni dans Paris, ni en Crimée, ni dans l'histoire, Louis-Bonaparte ne dépassera la rue de !'Echelle. Du reste, s'il part, l'œil de l'histoire sera fixé sur Paris. Attendons. ~itoyens, je viens d'expos~r devant vous, et je circonscris la pernture, le tableau que présente l'E,1rope aujourd'hui. Ce que serait l'Europe républicaine, je v.:ius l'ai dit: cc qu'est l'Europe impériale, vous le voyez. Dans cette situation générale, la situation spé-:iale de la Franee, la voici : Les finances gaspillées, l'avenir grevé d'emprunts, lettres è.e change signées DEUX-Df:GE!\ll3P.Eet LOUIS llONAPARTE et par conséquent sujettes à protêt, ]' Autriche et la Prusse ennemies avec des masques d'alliées, la coalition des rois, latente mais visible ; les rêves de démembrement revenus, un million d'hommes prêt à s'ébranler vers le Rhin au premier signe du czar, l'armée d'Afrique anéantie. Et pour point d'appui, quoi? l'Angleterre ; un naufrage. Tel est cet effrayant horizon aux deux extrémités duq,uel se dressent deux spectres, le spectre de l'armée en Crimée, Je spectre ~lela république en exil. Hélas! l'un de ces deux spectres a au flanc le coup de poignard de l'autre, et le lui p:irdonne. Oui, j'y insiste, la situation est si luguorc que le parlement épouvanté ordonne une enquête, et qu'il sem'ble à ceux qui n'out pas foi en l'avenir des peuples prov:dentiels que la France v.:i. périr et que l'Angleterre va sombrer. Résumons. La nuit partout. Plus de tribune en France, plu., de presse, plus de parole. La Russie sur la Pologne, ]'Autrich~ sur la Ho11gric, l'Autriche '3ur Milan, l'Autriche sur Venise, Ferdinand sur Naples, k pape sur Rome, Bonaparte sur Paris. Dans ce huisclos de l'obscurité, toutes sortes d'actes de ténèbres; exactions sp~lia_tions, bngandag.es, transportations, fusillades, gibets; e1; Cnmee, une guerre altreusc; des c11davrcs d'années sur des cadavres de nations; l'Europe cave d'égorgement. Je ne sais quel tragique flamboiement sur l'avenir. Blocus, villes incendiées, bomharde111ents, famines, pestes, banqueroutes. Pour les intérêts et les égoïsmes le commencement d'un sam<-e qui peut. Révoltes obscures des soldats en attendant le réveil des citoyens. Etat de cho~es terrible, vous dis-je, et cherchez-en l'issue. Prendre Séb~sto~ol, C_'<;slta_ guerre sans fin; ne _ras, prendre Sébastopol, c est I hum1hat1on sans remède. Jusqu'a preMent on s'était ruiné pour la gloire, maintenant on se ruine pour l'opprobre. Et que deviendront, sous ce trépignement de césars furieux, ceux des peuples qui survivent/ Ils pleureront jusqu'à leur dernière larme, ils paieront jnsqu'à leur dernier sou, ils saigneront jusqu'à leur dernier enfant. Nous sommes en Angleterre, que voyons-no\is autour de nous ? partout des femmes en noir. Des mères, des sœurs, des orphelines, des veuves. Rendez-leur donc ce , 1u'elles pleurent, à ces femmes! ~'oute l'Anglet~1-re est sous un crêpe. En France il y a ces deux immenses demis, l'un qui est la mort l'autre, pire, qui est l'ignominie; l'hécatombe de Balaklava et l~ bal des Tuileries. Proscrits, cette situation a un nom. Elle s'appelle" la société sauvée. " Ne l'oublions pas, ce nom nons le dit, reportons toujours tout à l'origine. Oui, cette situation, toute cette situation sort du "grand acte" de décembre. Elle est le produit du parjure du 2 et de la boucherie du 4. On ne peut pas dire d'elle du moins qu'elle est bâtarde. Elle a une mère, la trahison, et un père, le massacre. Voyez ces deux choses qui aujourd'h,ü se touchent comme les deux doigts de la main de justice divine, le guet-apens de 1851 et la calamité de 1855, h catastrophe de Paris et la catastrophe de l'Europe. 1\1.Bonaparte est parti de ceci pour arriver à cela. Je sais bien qu'on me dit, je sais bien que M. Bonaparte me dit et rne fait dire par ses journa.ux: - Vous n· avez à la bouche que le deux-décembre! Vous répétez toujours ces choses-là! à quoi je réponds : - Vous êtes toujours là! Je suis votre ombre. Est-ce ma faute à moi si l'ombre du crime est un spech·e? Non ! non! non ! non! ne nous taisons pas, ne nous lassons pas, ne nous arrêtons pas. Soyons toujours :v,, nous aussi, nous qui sommes le droit, la justice, et la réalité. Il y a maintrnant :ru dessus de la tête de Bonaparte deux linceuls, le linceul du peuple et le I inccul del' armée, agitons les sans relâche. Qn'on entende sans cesse, qu'on entende à travers tout, nos voix au fond de l'horizon! ayons la monotonie redoutable de l'océan, <le l'ouragan, de l'hiver, de la tempête, de toutes les grandes protestations de la nature. Ainsi, citoyens, une bataille à outrance, une fuite sans fond de toute~ les forces vives, un écroulement sans limites, voilà où en est cette malheureuse société du passé qui s'était crue sauvée en effet parce qu'un beau matin elle avait vu un aventurier, son conquérant, confier l'ordre au sergent-de-ville et l'abrutissement au jésuite! Cela est en bonnes mains, avait-elle dit. (~u'en peuse,t-elle maintenant? 0 Peuples, il y a des hommes de malédiction. Quand ils promettent la paix, ils tiennent la guerre, quand ils promettent Je salut, ils tiennent le désastre, quand ils promettent la prospérité, ils tiennent la ruine, quand ils promettent la gloire, ils tiennent la honte. Quand ils prennent la couronne de Charlemagne, ils mettent dessous le crâne d'Ezzelin; quand ils refont la médaille de Césa_r,c'est avec le profil de Mandrin; quand ils recommencent l'e:npire, c'est par 1812; quand i!s arborent un aigle, c'est une orfraie; quand ils apportent à un peuple un nom, c'est un faux nom, quand ils lui font un serment, c'est un faux serment, quarid ils lui annoncent un Austerlitz, c'est un faux Austerlilz; quand ils lui donnent un bai~er, c'est le baiser de Judas; quand ils lui offrent un pont po:::r passer d'une riye à l'autre, c'est le pont de la Bérézi..:a.
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