Les dernières lettres recnes de Crimée port~nt la date du 23 janvier. "Les sorties des~Russes se succèdent toujours avec une opiniâtr~té, un acharnement terrible. Les troupes russes vienncgt très souvent attaquer les alliés jusque dans leurs tranchées. Dans une de ces meurtrières attaques, trois officiers français et plusieurs sol<lats ont été tués. On ajoute aussi que parmi les morts de l'ennemi, on,aurait trouvé un aide-de-camp de l'empereur Nicolas, la poitrine percée de deux balles. La tactique des Russes semble avoir pour objet, momentanément dn moins, de harceler l'armée assiéµ;eante. Ils savent parfaitement qu'il ne peut se faire rien de s?riet1x entre_ les de~x. armées, taut que les plmes et la neige marntienclront les terres dans le déplorable état où elles se trouvent encore. Le sol est littéralement converti en marais, et pour faire n;anœu vrer rles bataillons et de l'artillerie, il faudrait s'eufoncer jusqu'à la ceinture! Les ingénieurs anglais, chargés de la construction du chemin de fer de 13aluclava, sont arrivés avec tout le matériel nécessaire et 250 ouvriers anglais; on a également recruté il Constantinople des ouvriers croates et indigènes, et déjà ils ont commencé les travaux préparatoires <le ce chemin, sur lequel on ne fora circuler, bien entendu, que des charriots traînés par des chevaux. On pense que ce chemin de fer exigera plusieurs mois de longs et âpres travaux. Dans un ordre du jour publié par Canrobert, ordre qui semble fait à dessein pour relever le courage abattu du soldat, il est dit que l'effort des assaillants, dans la sortie du 15, a été supporté par la compagnie <le grenadiers (capitaine Bouton), et par la 1re compagnie (capi1aine Castelnean). Ces dtux capitaines ont été tués ;\ la tête de leur troupe. Dans cette même affaire, le chef de bataillon Roumejoux, du 74e, " luttant de sa personne sur le parapet et appelant ses hommes à soutenir l'honuenr du drapean," a été grièvement blessé. L' Ei:ening Journal, feuille anglaise qui, assuret-on, est assez bien renseig·née, publie une dépêche de Vienne, datée dn 8 février. Cette dépêche, si elle se eonfüme, est de la pins haute gravité. En voici la, teneur : '' Une sortie de la g·arnison de Sébastopol a eu " lieu Je i3 janvier, et a causé une grande perte '' aux Français. " Les Zouaves se sont mutinés et ont demandé " leur 'retour de Crimée.' " Qnatre cents des mutins sont arrivés en- " chaînés à Constantinople, et vont être expédiés •' à rroulon." Italie. La proclamation de la République, à Rome, fut nn des plus o-rands événements <le cette année18,1,8-1849 quib a été si féconde en Révolutions héroïques, sur le vieux continent, et c'est un des souvenirs les plus chers à l'exil. Aussi les pr0scrits de toutes les nations que _la tempête a jetés aux grèves de Jersey, se sont-1~s réunis en famille pour célébrer cet illustre. anmversaire, et l'un de nous, un enfant de Rome, un représentant à la Constitnante, u11 soldat de la République assassinée, a porté la parole en son nom. Vo:ci. le discours plein d'âme et <le mouvement du citoyen L. Pianciuni. CITOYENS, Il y a six ans, à pareH jour, à pareille henre, cent quarante-trois citoyens se trouvaient réunis à Rome, clans un des salons de la C.:hancellerie apostolique. 'La plus grande partie venai.t tles prisons, de l'exil, où la vengeance cléricale les avait retenus de longue.-s années. Ces {>chappés dts bagnes cle Grégoire XVI étaient alcrs les élus <lu Peuple. Le Pape les avait excommuriiés en- ' core une fois. Tous les monuments de la Rome papale entou-:-aient l'assemblée et semblaie11t la menacer. Le Vatican d'un côt6 - l'ancienne p::qiauté, la papauté de Grégoire VII et des Borgia, h papuuté <le la violence et de la débauche, - le Quirinal de l'autre - la pap1,uté mo<lerne, celle Je l'intrig11e et de la lâcheté. Au fond, était le Saint-Of.i.ce, cc sombre édifice où le sang ruisselle dPs murailles; é<lifi::ernr lequel plane cette hideuse figure d'un Pie _(Pie \'), ùont l'église romaine a fait un saint pour a,·oir fait égorger quelques millions d'hommes. Pourtant ijOUs nons i-:er,tions forts; nous 11epo1 Jvions pas oublier que la terre que 11011fsoulions s'était appelée jadis le Champ-de-il1ars. " Ces hommes qui ont si longtemps plié sous le joug des Papes n'oseront pas le hriser ; cette puissance qui dure depuis c,nze siècles, ils n'oseront pas s'y attaquer; ce pouvoir devant lequel se sont age11ouilléR les plus orgueîlleux souverains, ils 11eseront pas de force à l'abattre." Voilà ce qu'on se disait. On se trompait. Ces hommes n'étaient plus des sujets, ils étaient les mandataires du Peuple; il$ savaient qu·· la vérité est plus forte que le temps, qu'on ne saurait prescrire contre elle, et que la justice des Peuples n'est p1s obligée aux concessions que l'usurpation impose aux princes. Sur cent quarante-trois votes, il n'y en eut que cinq qui furent favorables au maintien de la Papauté; il n'y en eut que vingt-deux qui purent imaginer pour Rome une autre forme de gouvernement que la forme républicaine. La République ïut proclamée par le vote nominal de cent vingt et une vcix. Partisans de la légalité quand même, vous pouvez être satisfaits, le Pape avait été condamné dans sa propre chancellerie ! Citoyc1Js, j'ai fait peu de choses pour la cause de l'humanité ; malgré mon bon vouloir, je sui:-; peut-être destiné :'t faire encore très peu pour elle, mais quant à cet acte, je serai toujours fier d'y a,·oir participé . .A mes deruicrs moments j • pourrai me dire: ma vie n'a pas été toutà-fait inutile, j'ai signé la déchéa11ce du Pape, j'ai proclamé la République romaine. Car voyez-vous, citoyens, la Papauté, selon moi, est le plus grand fléau qui·pèse sur la terre. La Papauté est le soutien de toutes les antres tyrannies. Elle ne se contente pas <l'opprimer les corps, elle tue l'ùme. Le Pape est souverain, inquisiteur, prêtre et juge. Il s'ap.Pe!le Dieu· et se fait hourreau. .Les autres tyrans vous pendent; mais ce n'est pas assez pour le Pape : il s'acharne sur l'àme d11pendu ponr la jeter de sa main sacerdotale dans les flalllmes éternelles. Et quand nous pouvions nous délivrer de ce fléau, devions-nous hésiter? Quelqu'un a dit que notre démarche avait été impolitique, qu'on devait attt11dre. Mais est-il tlor1c permis de se croiser les bras quaml les lois de justice commandent; est-il permi, de transiger avec la force des principes ? Si la Révolution italienne a fait une faute, ce n'est pas, selon moi, de s'être trop hâtée, c'est, au contraire, d'avoir trop tardé. . Notre force est la vé'rité, notre conduite doit être la sincérité, et la Révolution italienne a commis une foute quand elle a commencé à faire de la diplomatie. La diplomatie est bonne pour la réaction. Toutes les fois que la Rhulution vouclra en faire, elle ser,1 perùne : souvenez-vous de L::imartine ! S'a 5·e11ouiller devant un pape auquel on ne croyait pas, aller à la messe pour faite la cour à Pie IX, et crier vive le roi po1n avoir des soldats, voilà des fautes, des fautes commist:s par la Hé\'olution italienne, et qui ont été suivies d'une terrible expiation. l\Iais, il fant le dire, nous en avons encore commis une autre : 11ousn'a,·ons pas assez tôt compris le devoir que la solidarité impose aux 11ations. Dès qu'un peuple fait un pas dans la voie du progrès, le devoir des autres est <le l'y suivre. S'ils hésitent, cc n'est pas s(•ulement son a,·enir qu'ils compromettent, c'est le leur propre. La République ,ivait été proclamée en France, et les Italiens combattaient encore sous le drapeau d'un Pape et d'nn Roi ; il fallait accepter le graud principe, l'accepter loyalement, le proclamer hautement, réunir les deux drapeaux sur le sommet des Alpes ; la République eut fait de là le tour dn monde; C.:ette faute a été cruellemellt punie. La Hongrie insurrectionnelle nous a abandonnés ; l'Allemagne révolutionr.aire 11ous a opprimés, et quand nous nous sommes tournés vers la France, 11ous n'y avons plus trouvé de Républiqu·e. Terrarnée dans lPs journées de Juin, elle avait été assassinée aux Tuileries, sur les pontons, dans la transportation. Au lieu de la liberté, nous avons trouvé le sabre du général Cavaignac, C't, ,,près, le plumet tl'nn Bonaparte. Quelques mois plustôt, nous aurions eu un Marceau en Italie, nous avons eu un Oudi11ot. Oui, citoyens, la soiirl.arité des peuples n'a été enteudne par aucune n:.1tio11en 184:3. Pourtant il y en a eu une dans laquelle une minorité ;,énércuse l'..t proclamée généreuscme11t, lui a sacrifié son passé, sa liberté. Cc principe qu'aujourd'hni nous 1léfo1dons tons, qui cor,stitue la force de l'aYenir <le l'humanité, il fot compris par les lwmmcs dü Treize-Juin: honneur à ces hommes! L'Italie n'oubliera jamais cette journée. Ce souvenir a été gravé 1laus son cœur par la reconnaissance en caractères indélébiles. Elle pourra oublier fille la France a souffert qu'on lui jette un moment sur le dos la tléfroqne cle gendarme 11cla Sainte-Alliance, mais elle se souviendra tonjours du Treize-Juin, de ces lion:mes de cœur qui ont accepté la prison et l'exil plutôt que tl'ab:wtlonner notre. cause qui (itait e,ellc <le la justice. Malheurcuse111ent, la réaction les a calomniés ces hommes, et même plusieurs de nos amis qui ont rendn, qui rendent, et rendront toujouïs de grands services ù la cause cl~mocratic1ue ; de nos amis, de nos camarades (l'exil <1uirendent j11stice aujourd'hui à l'-es. prit du Treize-Juin ne le comprirent pas assPZ alors. Ah! si cela 11efut pas ar:·ivé, Napoléon ne SPrait pas aux Tuileries, uous n~ serions pas ici, la liberté règnerait dans l'Europe entière. On a appelé le Trci2e-J uir, une démonstration, on l'a regardé comme une émeute, comme un inciclent de la lutte, mais c'était une graude étape daus la marche du progrès, vuisque la, question révolutionnaire, de natio11alc qu'elle étaît avant, devenait humanit:tire. On a plaisanté sur ie Conservatoire des Arts-et-Métiers, mais l'alliance des peuples cherchant son point <l'appui sur le sauctuaire du travail, c'est là, à mon idée, l'avenir de l'humanité. On s'est moqué des représentants, des défenseui·s du droit que les baynnnettes poussaient par les fenêtres. Eh bien, croyez-moi, le jour n'est 11as loin où ils rentreront var la po1te. L•j peuple fut chassé du Champ da Mars par la mitraille; pru de mois après, ses boulets lui ouvraie11t la porte dC's Tuileries. La République est morte, répète la réaction, dans son orgie cfo répression; non, elle n'est pas morte, le droit ue meurt jamais, la force brutale ne peut que l'assoupir. La République dort à présent à Rome comme ailleurs; elle se révciilcra. bientôt, je l'espère, et à son réveil, elle ne s·appellera plus la République Romaine, elle s'appellera la République Italienne. Quand en Italie surgira encore la République, elle ne craindra pas d'avoir à combattre les armées des autres nationalités ; unie aux autres peuples, elle accomplira le grand œuvre de la Républic1ue universelle. La République, à son réveil, ne sera pas obligée par égard pour les susceptibilités des autres gouvernements, de faire de la Démocratie, du Socialisme, sans oser en prononcer la forruule ; on pourra proclamer hautement le principe qui sera inscrit sur le drapeau sous lequel tous les peuples combattront. Ainsi, citoyens, qua11clje vo11s invite à boire à lamémoire de l'événement Jont nous célébrons l'anniversaire, ce n'est pas seulement au salut cle la République Romaine, c'est au salut de la République Italienne, de la République universelle, démocratique et sociale. Il y a là de nobles sentiments et des vérités sévères; mais ~ quoi bon le malheur et l'exil, s'ils ue· doivent être justice et s'ils ne portent enseignement? - Oui, des fautes ont été commises à Paris, ·comme à Rome, un peu partout. Nous nous sommes tons trompés, chacun à notre heure. Aujourd'hui, le devoir, le devoir pressant, c'est que toutes les consciences vraiment acquis~s à la Révolution s'unissent et travaillent fraternellement. Ne l'oublions pas, la date, la graude date, c'est l'avenir ! Dans cette réunion, le citoyen Cahaigne a fait entendre aussi quelques paroles inspirées par un sentiment élevé et qui rappelaient aux révolutionnaires les grands devoirs - le sens moral et l'énerg·ie, dèlns les œnvres, comme dans la foi. ~ ous sommes heureux, du reste, d'avoir à signaler cette énerg·ie sur des poi!lts bien difforent:,. Ainsi, taudis qu'on faisait acte de propagande à Jersey, voici le très remarquahle et très vig-oureux appel que les républicains de Gênes adressaient anx soldats français venant de Rome et traversant le Piémont. " Soldats français, "Vous traverserez nos contrées au milieu cl'un silence de deuil; il n'y nura pour vous ni sourire d'amitié, 11ifleurs tlu souvenir jetées à vos pieds, ni adieu fraternel: nulle trace de teutlress1.; ou de regret. Vous n'aurez d'autre accueil que celui des flatteries officielles. Et cela, solJats français, parceque vous retournez en France, la poitrine couverte <leùlessures e:t cl~ décorations bénies par le Pape mais m·;udites par le Peuple ! parcequ'on vous a envoyés trahir notre Nation, qui n<? saurait vous sourire aujourd'hui. "Et maintenant, refoulant dans nos cœ11rs l'indignation res<;entie par tous ll0S frères Italiens, 11ousvous diro11s: ".:,oiclats Français ! - Nous avons pitié de vous, car, vous aussi, vous êtes ma !heureux. Nous voud riofis vous serrer la main fraternelleme11t, mais votre main est tachée du sang de nos amis, de nos enfants, des enfants d'une Nation qui, sans vos bayonnettes liLerticides, se serait dl',·anchie de la double oppression des Prttres et des Tyrans. " Vous passrz au milieu des veuves et clC'sorphelir,s que vous avez fait~. Détournez vos yeux, car vous rencontrerez à cha<]ue pas les visages pâlis des hommes que vous avez arrachés à leurs familles pour les livrer à la misère et à l'exil ! "Vous aussi, vous êtes malheureux, car vo•JS êtes tombés avec les libertés 11:lissantes que vous étouffiez, et vous n',tvez pas, comme nous, pour e,om;olation, la fierté des vit:times, la dignité de la défaite. "v· 011s, les enfants dt Vo:taire et c1ela Révolution, vous nous avez imposé le Pape, l'Inquisition, les tortures et les_ cr.chots ; en échange, vous allez trouver, fumant encore, dans votre patrie, le sang du Deux-Décembre ! Vous allez,
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