__ J __________________________________________________________ _ CORRESPONDAN.CE D'EURE-ET-LOIR. ·25 janvier 1855. Un des symptômes 'les plus significatifs de 1a déca- ,,dtnce impériale est la nécessité des reculades. Il y a -quelque temps, les pa'.}'sans d'Eure-e.t-Lo-ir qui ,s'étaient levés au nombre de sept à huit mille, s'étaient emparés .d'une ville, celle-de Dreux, et marchaient sur Chartres pour délivrer leurs amis, au nom de la misère, - avaient été battues par des troupes envoyées contrn eux. Malgré le cri de Vive l' Empereur attribué à ces insurgés par les feuilles bonapartistes, l'affection pour l'homme de Dé- •cembre n'était pas tellement vive parmi les paysans, qu'ils .-n'aient lutté d'abord à force ouverte, puis par l'inertie, grand nombre d'entre eux furent arrêtés, quelques-nus .transportés à Paris pour être de là dirigés sur l'Afrique et .sur Cayenne, et parmi eux les plus dévoués à la République, d'autres enfermés dar1s la prison de Chartres, . d'autres dans celle de Dreux, puis condamnés à quelques années de prison pour rébellion, attroupements, etc.- Ces· mesures de rigueur furent loin de calmer l'agitation ; ellts la tléveloppêrent au contraire, si bien qu'après avoir .destitué le sous-préfet de Dreux, on destitua le prefet d'Eure-et-Loir " à cause de l'excès de rigueur qu'il avait déployé." Cela ne satisfaisait pas la population. On voulait revoir ~es voisins, ses parents, ses amis, emmenés on ,ne sait où. Le nouveau préfet, ne se sentant pas de force à lutter .contre l'orage avec le peu de troupes mis à sa disposition •( trois bataillons d'infanterie et cinq escadrons de cavale- •rie), obtint du ministre de l'intérieur non pas un,~ comm11tation cle peine pour les condamnés, mais leur mise en .liberté et celle de tous de lenrs camarades emmenés à • Paris. Il était temps, car déjà les incendies s'allumaient, la désertion se faisait parmi les soldats disséminés de vilJage en village, et les épaulettes des officiers disparaissaient une à une. Les prisonniers ont donc été rendus, tous, sans excep- .tion et accueillis dans leurs villages avec enthousiasme : mais, quelqu'habileté qu'on ait déployée pour faire croire à un bon sentiment du préfet, ou à un acte de générosité de l'Empereur, ce n'est pas au cri rle : Vive l'Empereur ! que les prisonniers. ont été reçus, mais au cri de : Vive la paille, vive le pain à bon marché, à bas les agioteurs! A.ujour<l'hui, l'émotion n'est pas calmée : les nouve::Lux venus n'ont pas rapporté de paroles de reconnaissance, et le préfet est obligé de réclamer encore de nouveaux ren- ,forts qu'on ne peut lui envoyer. l.ttendons les événements. CORRESPONDANCEPARISIENNE. 27 janvier 18.55. Les affaires ne s'améliorent pas en ·Crimée. Toujours ,d-e fa pluie, du vent, de la neige, et toujours aussi même inaction de la part des alliés et mêmes sorties de nuit de la part des.Russes ; sorties toujours repoussées, il est vrai, ce qui, pour le dire en passant, est dans la nature même de ce genre d'opérntions qui ne peuvent jamais avoir pour objet d'établir sérieusrnzent 30 ou 50 hommes au milieu des tranchées ennemies, et ne peuvE>nt avoir d'autre but que d'épuiser l'assiégeant à foroe de fatigues et d'insomnies; mais sortits qui, en tout cas, repoussées ou non, prouvent l'indomptable opiniâtreté de notre ennemi. Il n'y a rien à ajouter au tableau lamentable que le Times déroule chaque jour de l'armée anglaise. Mais il ne faut pas croire, malgré les éloges très courtois donnés aux Français, que ceux-ci ne souffrent pas aussi très • cruellement. Ils se maintiennent mieux que leurs braves alliés, grâce à leur excellente constitution militaire et à une fort bonne administration. Mais la situation est plus forte que le ,courage et l'énergie du soldat. On peut en juger par ce seul fait : il circule dans les salons de Paris un état, régiment par régiment. cle toutes les pertes subies par l'armée française, depuis son départ de France, et ces pertes en tués, morts, prisonnirrs de guerre, rentrés en France comme incurables sans doute, et évacués sur les hôpitaux de l'intérieur, s'élèvent au chiffre effroyable de 44,000 hommes ! Suivant 111d1octeur, médecin en chef cl'un cles principaux hôpitaux de Paris, et qui revient de Crimée, r.e chiffre /élevait même, au 17 décembre dernier, jour de -son départ sans doute, à 46,700 !... D'un autre côté, l'harmonie entre les généraux qui pourrait tendre à diminuer les dangers d'une pareille situation, est loin d'être complète. Le général Forey, à qui revenait le commandement à titre d'ancienneté, après la mort de M. de Saint-Arnaud, 'déteste Canrobert, et se .montre profondément lilessé de se voir relégué en sous ordre a11troisième ou quatrième rang, quand il prétendait au premier, et Pélissier lui-même, riéjà général quand . Canrobert était encore chef de bataillon, est parti avec fureur. A Paris, on n'est pas plus favorable au général en chef, -tt les familiers de la cour en parlent fort cavalièrement ; c'est le mot d'ordre du maître sau-s doute. Le pauvre • Canrobert devient donc le bouc que l'o:n charge de toutes les iniquités ... C'est lui qui est cause des lenteurs et de toutes les indécisions de la campagne. Nul ne songe à Saint-Arnaud, ce hardi joueur, qui dort paisiblement dans la pénombre des Invalides ... Quelques généraux ér.rivent, dit-on, de là-bas, qu'il ne faut pas se faire d'illusions, et qit'il faut traiter - mais traiter devant Sébastopol est impossible ponr l'honneur des alliés ; on ne peut, c'est la questio1i à résoudre, que traiter dedans. C. C. I~ossutla sui· l'Alliance Piemontaise . Le gouvernement piémontais vient d'entrer dans l'alliance des Puissances Occidentales. L'Angleterre et Louis Napoléon, plus la Turquis, désespérant de pouvoir lutter avec succè:;: contre le _Czar, ont crié à la Sardaigne : " Au secours, Cassius, ou nous succombons! " et le complaisant Cassius s'est élancé, et tout va bien ....... .. la Turquie est exclue des conférences, où on la vend, où on l'achète. N'importe ; elle entrera dans un accès de joie frénétique en apprenant ce grand événement: la Sardaigne s'est engagée à aider la France et l'Angleterre~ pour quoi faire? Est-ce "pour ouvrir le Bosphore au_Czar," dans l'intérêt de "l'équilibre européen? " • Le protecteur N° 6 en perspective ! Trois fois trois Hurrahs pour la Maison de Savoie! Singulière afütire ! Le curieux en cela, c'est de voir le fils de Charles-Albert embrassant Franeois-J oseph. Bravo, diplomates ! Bravo, jongleurs! Voici, enfin, un coup dont moi-même, malgré la haine que je vous porte, je dois m'avouer satisfait. Il y a trois éléments de forces en Italie: l'Autriche, la force brutale étrangère; l'Italie, la nation ; et le roi de Piemont; car, après tout, il a un parti. Le fils de Charles-Albert s'est changé en Autrichien. Des trois adversaires, il n'en reste plus que deux. Il n'a plus de parti, pas un homme sous la voûte azurée de ton ciel bleu, pas un homme dans tP.sbelles vallées, ô Italie ! Réjouis-toi, pauvre rossignol captif; la malédiction des divisions s'est retirée de dessus tes bosquets fleuris, ô Italie! sois seulement une par l'esprit, et le reste viendra, doit venir. 111:azzini,que ces nouvelles soient un baume pour tes blessures, ami. Réjouissons-nous, tt remercions - non pas la Diplomatie qui -croyait porter un coup mortel aux aspirations de ta chère Italie - mais Celui qui, ,dans la sagesse de sa Providence, a fait des pires ennemis de la Liberté - Bonapartistes, Anglais, Hapsburgh, Diplomates, - les involontaires instruments de la réalisation de nos espérances. Non, ce n'est pas à ce point de vue que les Anglais regardent cet événement, et que les Libéraux eux-mêmes i;'en réjouissent. Ils ne s'applaudissent pas du résultat imprévu, mais bien de l'œuvre telle que leurs diplomates s'imaginent l'avoir accomplie. Essayons rie porter un faible rayon de lumière dans ces somb1·es brumes cles mystifications diplomatiques. Pour comprendre le véritable état de la question, il faut avoir une idée exacte de la -position politique du Piémont. Le Piémont, faible par le peu cl'éteudue de son terriloièe et le chiffre pe11élevé de sa population, a, en outre, le désavantage d'être enclavé entre la France et les possessions autrichiennes en Italie. Dans tout conflit entre ces deux puissancts, le Piémont sert de grande route à leurs opérations militaires, sans qu'il lui soit possible <le jamais garder la neutralité. Quancl ces deux antagonistes combinent un moment leur politique, le Piémont ne saurait éviter d'obéir à leurs ordres. C'est une partie de paume, où la France et l'Autriche sont les joueurs, et le Piémont la balle. Le Piémont est à l'Europe cc que Monaco est au Piémont et ce que fut le royaume de l'île de Man à l'Angleterre. C'est le domaine cle la Maison de Savoie, mais son titre de royaume est nne plaisanterie. Pourtant les princes de la Maison de Savoie aspiraient à être quelqne chose de plus que simples propriétaires cl'uu petit château on fermiers à bail. Ils aspiraient à être <le vrais souverains, au lieu de se borner à en porter le titre. Ils n'avaient qu'un moyen d'atteindre ce but, c'était de·• relier à leur ambition dynastique les aspirations invincibles de l'Italie vers son indépendance nationale. '' • Il fallait être ou roi d'Italie, de la moitié ou du quart de l'Italie, ou un squire, un petit seigneur campagnard, un grand Monaco, si ce n'est un exilé. Telle était la seule altzrnativ-e pour la Maison de Savoie. Il y a des Républicains en Italie. Leur nom est Légion. Il y a des hommes de conviction ; et d'ailleurs, commer,t un Romain, un Vénitien, un Gêuois, pourraientils 11epas être républicains? Néanmoins, il n'y a pas de place dans le cœur de l'homme pour cleux passions d'égale force. L'une doit dominer l'autre; et le sentiment prédominant dans tout •eœur italien, c'est la haine de la domination étrangère, Qu'ils soient monarchistes ou républicains, avant tout et par dessus tout, jls veulent être une Nation indépendante et réaliser leur devise" l'Italie pour les Italiens." Quiconque leur présentera une chance de voir s'accomplir leurs aspirations, ils le suivront füt. il roi. La Maison de Savoie le sait bien ! ]\fais cette passion cl'indépendance nationale implique la nécessité d'une irréconciliable hostilité· contre l'envahisseur étranger, l'Autriche. La Maison de Savoie le savait bien. C'est pour cela que Charles Albert arbora la bannière tricolore, pour abriter son ambition. les homme.; réfléchis savent bien c~ qu'il convoitait et ce qu~ le fit échouer; mais, en Italie, bien des carnrs ardens ne virent et ne se rappellent que l'étendard tricolore, l'emblême de l'indépendance . L'éclat de ce souvenir se reflète sur Victor Emmanuel, le royal propriétaire du Piémont. Le seul lien imagiaable entre lui et l'Italie, c'était la croyan·ce dans son antagonisme naturel avec l'Autriche. Cette croyance était le plns riche trésor <lela Maison. Ce lien brisé, ce n'est pas seulement le lien avec l'Italie rompu, c'est aussi le lien entre le roi de Piémout et son propre peuple. Les Piémontais et les Sardes sont, avaut tout et par dessus tout, Italiens, cœ11rs et âmes. L'habitude a pu rendre monarchistes plus-ieurs d'entr'eux; mais le roi Victor Emmanuel doit savoir que leur royalisme ne repose pas tant sur la préférence qu'ils rlonneraient en principe aux institutions monarchiques sur les institutions républicaines, qu â la persu1siou où ils sont que les ressources d'un gouvernement établi et d'une armée organisée mettent la dynastie de Savoie en position de leur offrir, quand elle le voudra, une chance de jettr les Autrichiens hors l'Italie. C'est à coup sl'.ir une erreur. 1847 et 1848 l'ont prouvé. Les Lombard,; et les Vénitiens out été vainqueurs des Autrichiens aussi longtemps qu'on leur a laissé l'enthousi11sme ardent d'hommes q1li brisent les chaines de l'esclavage. Quand ils rattachèrent leur cause à celle de Charles Albert, ils succombèrent avec lui. Des hommes combattant pollr changer de maitres ne sont pas moitié si ,,aillans que s'ils combattàient pour la Liberté. Rien n'affaiblit un m-0uvement national comme d'en faire l'iustrument d'trne ambition. Quoiqu'il en soit, ceci est un fait: l'attachement des Piémontais et des Sardes pour leur roi se basait sur la supposition que la canse de la Maison de Savoie s'était • identifiée avec celle de l'Italie; d'autant plus qu'ils ~avent bien que, sans indépendance vis, à-vis de l'étranger, la Liberté et les Constitutions ne sont qu'une plaisanterie, et qu'ils savent aussi que le Piémont, tel qu'il est, ne saurait être indépendant de l'Etranger. Le roi Victor Emmanuel, en abjurant son antagonisme contre l'Autriche dans les mains de Bonaparte l' Autrichien et de l' Autrichienne Angleterre, insulte les sentiments italiens de ses plus dévoués sujets. Cela, nul Italien ne l'oubliera ni ne le pardonnera. Il a rompu le charme de feur affection. C'est un homme perdu. C'e,;t surtout vis-à-vis de ses sujets gênais. Ceux-ci sont Républicains; ils ne peuvent être que Républicains. Du passé d'une nation sort son-caractère national; et il ne dépend pas d'u,ne infamie dit'lomatiqne - comme celle cles Diplomates de 1815 envers Gênes, - de la déraciner des cœurs. Oh! Angleterre, Angleterre! ce nom de "Gênes" laissera toujours un souvenir de honte sur toi. Jusqu'en 1797, Gênes était une Rép1Jb-lique. L'iniqne hostilité de l'Angleterre contre la grande Révolution française ayant transformé les Républicains français en conquérants, la France conquit l'Italie et déclara, en 1805, Gênes réunie à la France. Gênes se rendit aux Anglais commandés par Lord W. Bentinck, en 1814. Il n'eut pas à vaincre un ennemi, mais à délivrer un ami de la conquête étrangère. Anglais, avez-vous lu la proclamation de votre général en entrant à Gênes, le 26 avril 1814 ? " Le désir unanime de la Nation génoise étant du reprendre leur ancienne forme Je gouvernement, la République, sous laquelle ils joui&saient de la liberté, de la prospérité et de l'indépendance ; et le principe dirigeant des Puissances alliées étant de rendre à chacun ses anciens droits et priviléges, la République de Gênes est désormais rétablie !" Ainsi parlait Lord Bentinck, an nom de l'honneur de l'Angleterre, le 26 avril 1814; et pourtant, un mois après, rien qu'un mois, le 30 mai, Gênes, sur la proposition de l'Angleterre, fut vendue au roi de Piémont par le second article secret du traité de Paris ; traliison qui fnt consommée par le congrès de Vienne. Vainement Gênes protesta-,- vainement, elle invoqua les protocoles cl' Aix-la-Chapelle qui garantissaient solennellement l'indépendance de la République de Gênes! Cela fut exécuté. Oh! c'est une honte! Que les Anglais relisent l'écrasante harangue de sir J aines Mackintosh à la Chambre des Communes, le 27 février 1815. Voilà ce que vaut" la foi des traités." et cette secrète diplomatie si active aujourd'hui, et toujours aussi morale! Ualt5diction ! Exécration de l'humanité sur ses œuvres ! Ainsi fut fondée la domination du roi de Pié-mont sur les Gènois. Qui peut croire qu'un pareil acte ait dû leur arracher leurs sentiments républicains? Ils sont répu~ blicains. Le roi cepend .ut gouvernait une Gênes rêsignée, et cette résignation venait de œ qu'il avait su relier à son
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