L' li ij 11~1E. ~-·------------------'--------------------- DISCOURS DEMCa OBDEN. Mercredi dernier a eu lieu à Lf'eds un des meetino-s fermés Ïes plns nombreux qui se soient ja~ais vus en Angleterre: Si'-': mille person,nes r assistaient. Dans ce meetmg, JU. Cobden, depute de la ville de Leeds, a adressé à ses constituants un discours qui occupe en ce moment toute la polémique de la presse anglaise, et dont voici les priucipaux passages : En ce qui regarde la guerre elle-même, J\Iessieurs, ma première objection à cette guerre a été l'illusion trompeuse et j'oserais presque dire frauduleuse qui l'a rendue populaire dans ce pays. (Ecoutez ! écoutez! - Non ! 11011 !) Je Yeux dire que les sentiments clu peuple ont été exaltés jusqu'à l'enthousiasme en faveur de cette guerre, parce qu'on a entretenu en lui la croyance qu'elle aurait des conséquences que je savais bien, que je sentais bien litre très éloignées eles intentions de ceux qui la faisaient. (Ecoutez! écoutez!) Messienrs, y a-t-il quelqu'un ici qui osera nier qu'il y a douze on quinze mois, quand a eu lieu la première excitation en faveur de la g 11erre avec la Russie, que Ja voix du peuple ne s'est pas prononcée pour la guerre dans l'idée dominq.nte qu'elle avait pour but de donner la liberté aux nationalités qui se débattent sur le continent et qu'elle aurait pour effet d'urrêter les prétentions de la Russie à envahir la Hongrie, conquérir la Circassie et opprimer d'antres peuples ? Queh1u'un oserat-il nier c1ue l'opinion dominante était, qu'en <léchrant la guerre à la Russie, nous avions inscrit sur notre <lrapeau la résurrection de la Pologne? (Oui! oui! non! 1101!1) D'après ce que disait mou noble ami, lord Dudley Stuart, dans 'a chambre des Communes, je sais très-bien que lui et c,mx qui votaient avec lui, croyaient que cette guerre avait pour bnt la liberté de Ja Pologne et la restauration <les autres nationalités <léchues. Quant à moi, Me:ssiems, je n'ai jamais envisagé la guerre sous cet as- }Ject, car je n'ai jamais cru qu'elle aurait de telles conséquences. (Ecoutez! écoutez!) Cette guerre n'écait, selon moi, qu'une guerre politique: une guerre politique, c'est-à-dire une guerre de <liplomates et d'hommes d'Etats et non une guerre entreprise au nom <'le la nationalité ou, de la liberté. Cette guerre, c11 d'autres termes et en peu de mots, est une guerre où >lous avons un despote pour allié, un despote pour client, et où depuis un an nous essayons, sans succès, <l'avoir .pour allié un autre despote............. (Cris nombreux : La guerre est-elle juste ? ) J'allais justement répondre à cette accusation que quel- .ques-uns même de mes amis ont éleYée contre moi, et d'après laquede je serais hostile à la guerre parce qu'elle n'e.,t pas ju~te. Je l'ai déjà dit à la chambre des Communes, et mon ami M. Bright. l'a répété très éloquemment (grognements contre 11. Bright). <lans cette g11erre e11tre le gonveruement-i-usse et le gouvernem(!nt turc ; le tlroit est ,lu côté de la Turquie. La Russie ;1, la première, envahi la Turquie : tlonc, si la Turquie ~e voulait, elle avait un casus belli évident po•H dédarer la gnerre à la Russie. !lais Yoici la réserve que je fais : l'att:ique de h Russie contre la Turquie n'est pas une attaque contre nous (grognements) ; bien que nous ayons eu le droit, si cela nous plaisait, de "nous mêler ùe cette querelle et de prendre 1iarti pour la Turquie, cependant uous ue sommes pas en tout temps ot>ligés <l'aller au secours rie. tous les pays qu'on attaque, parce que, si ce principe était le nôtre, il nous forcerait à al1er en guerre partout où il y aurait une querelle, en nous mettant du côté que uous croirions celui ile la justice. (Non, non!) Soit! Alors je conclus que _vous n'adoptez pas pour principe de faire la guerre dans tpus les cas où une autre nation serait victime d'uue attaque injuste. Cette doctriuc serait hazardeuse à l'extrême : elle ferait peser sur nous des responsabilités qui, j'en ai peur, seraient au-dessus tle nos forces. (Ecoutez !) Quiconque a visité la Turquie sera d'accord avec moi sur ceci q11'il y a dans ca pays u11 gouvernement qui ne représente pas la mljorité de la populatio~ gouvernée, et ici j'en appelle aux idées <lémocratiqnes des persounes présentes. Vous avez en Turqnie douze millions d'habitants dont huit millions sont chrétiens et quatre millions musulmans. Les derniers oppriment les premiers et les privent de tous leurs priviléges. Un Turc peut commettre sur un Chrétien toute espèce de cruauté : s'il n'y a pas <le témoin musulman, il n'y a pas de punition pour le crime. Quiconque a étG en Turquie confirmera mes paroles quand je vo1Js dirai que si Yous consultiez toute la population de la.Turquie par le s11ifrage universel, vous auriez dans la question cle la guerre, une forte rnajorité contre vous et en faveur de l'e~pereur de Rus3ie.(Non ! non! grognements.) Il u'y a pas tle doute à cela. (Nouveaux grognernrnts.) Qu.elles sont les plaintes continuelles qne nous entendons de tout6!s parts? On nous dit que les Chrétiens grecs. sont tous hostiles aux Anglais : nous avons été forcés de les chasser <le Balaklava à causic <le cette hostilité. Les -Grecs résidant en Angleterre ont été accusés d'une telle hostilité qu'on les a avertis d'être plus réservés dans l'expression de leurs sympathies e11 fa\'eur ile la Ru~sie. Y oilà des faits ; C't, i1ans ces clifficilc,•5conjectures, je Yous prie <l'e11peser les conséquences. ,Ce srrnt l:t de graves difficultés. Il ,ne s'agit pas d'un élat de choses où le peuple et le gouvernC'ment sont unis et homogènes : ncus avons en Turquie même un en:iemi aussi déterminé que la Russie. Cette question <'les cliss.ensions intérieures de la Turquie, on veut h régler rnaintenrmt, et comment? la proposition que fait notre gouvernement cl'accord avec le gouvernement français est celle-ci : au lit'u de la Russie se mêlant seule de protéo-er la population chrétienne <le la Turquie, on vEut que le; cinq grandes puissances aient toutes le droit d'i_nterveuir. l\1ais cette solution même ne fait yue compliquer la question : des prétentions pell\·ent s'élever d'autre part et nous ne 'pourrons pas !es repousser ·comme nous avons n~poussé_ l'aggression rnsse. (Ecoutez!) Sans doute quelque autre puissance voudra dans le débat sa petite pint de bénéfice (rires). A coup sûr, c'est ·bien clans u,1 intérêt égoïste que la Russie s'est mêlée dee affaires nationales de la Turquie : mais èn adoptant le même principe qu'elle, ne voyez-vous pas que vous justifiez sa conduite aux yeux <ln monde? Je n'aime pas la position qne nous ayons prise pour une antre raison : ·c'est que nous traitons seulement avec les gouvernemen_ts, non ave_c les peuples. (Approbation.) N ons ne nous soucions pas d'intervenir dans un pays, qun ,Hl nctre intervention a pour but le bien d'une nation maltraitée par son gouvernem{'nt. Sommes-nous intervenus quand les Français étaient à Rome, quan<l les Rnsses étaient en Hongrie, alors qu'un gouvernement coupable mettait un peuple sons ses pieds et essayait de l'écraser? Aiusi, quand nous intervenons clans nn pays, nous nous mettons toujours du côté du gom·crnement contre le peuple. Il peut y avoir politiq 11e à cela, mais la justice 11'a rien à y voir. Il y a bien des choses à dire pour et cnntre sur (,ette intervention eu Turquie. Allonsnons faire la même chose que l'empereur de Russie? Voilà quant à la justice de la guerre. Quant à sa conduite, tons· nos amis ici reconuaitront q11'il ne peut y avoir un plus misérable exposé de notre système d'administration militaire, une plus évidente et plus déplorable démonstrntion de nos foutes ? Comment n ·a-t-on pris aucun renseigni.inent sur la condition actuelle et sur la f?rce de Séhastopol? L'envoi de notre armée là-bris a été '· un saut dans les ténèbres'' (a leap in the dark), une faute complète. La faute n'a pas été seulement dans l'estimation de la force de Sébastopol ; elle a été dans le départ pour Sébastopol, en quelque circonstance qu'il se fit (écoutez! écoutez!) Nous sommes allés à mille lieues de chez nous attaquer un empire contenant soixante millions d'habitauts; et, contre une armée de six ou sept centmille hommes, 11ous en avolls envoyé une de vingt ou trente mille! 'Et c'est avec cela que qnelques organes de la presse ont parlé d'anéantir cet empire! C'est une idée ridiGuie et puérile, avouons-le L\ppcobation). Selon moi, la prétention de ruiner Sébastopol était le résultat d'ulle méprise. La méprise, on l'a reconnue : on a dit que c'ét-1it 1111 saut dans les ténèbres! 1\Iaintenant la principale question pour les Ar1glais est de savoir comment se tirer de ce mauvais pas. 8i nous voulons poursuivre la lutte jmqu'au bout, j~ di::, que le système suivi jusqu'ici par le gouvernement est tout à fait insuffisant. (.\pprobation.) Il faut que nous levions une armée immense, que nous trouvions d'immenses ressources et que nous continuions la guerre sur une toute autre échelle. Messieurs, je pense qu'il y a uu autre moyen de tirer nos braves soldats de ce mauvais pas et je crois qwe, sans écouter nos propres passions, sans nous arrêter trop longtemps à <les espéraTIGes exagérées, nous devons éviclemment considérer la situation de ces braves et ne pas créer d'obstacles à la restauration de l.a paix et à la rentrée de nos vaillants soldats dans leurs foyers. Quand on les ramènerait maintenant de Sébastopol, je donnerais à ces soldats le même tribut d'éloges ot de gloire que s'ils avaient réussi, car ils auraient, clans leur tentative infructueuse, souffert dix fois autant que s'ils avaient triomphé daus nn coup de main. Eh bieu ! ri·estre pas possible de conclure une paix solide et honorable? Et en ce moment même les négociations entamées par le gouvernement ne pou.rraient-elles amener cette paix? " Mes amis qui sont derrière moi ont l'intention de " proposer à ce meeting une résolution réclamant du gou- " vernement une énergique continuation de la guerre. Je " leur dirai franchement que si la guerre doit être pour- " suivie, comme ils le clésirerft, ce doit être dans un " esprit tout différent <le celui qui l'a dirigée:; jusqu'ici. Je "blâme donc la résolution qu'ils proposellt: elle est trop " vague pour la g11erre, trop absolue pour la paix. Et, " dans les circonstances actuelles, elle ne peut q11'empê- " cher la soli1t1on désirnble. Nos troupes, en Crimée, " souffrent des mi~ères inouies, EL c'est,\ l'admiuistration " qu'il faut attribuer ces ~ouffrances. Le gouvernement '· u en\'Oyé là bas de braves soldats, l'élite du pays ; il " les a jetés Sùr une côte inconnue, sans conn 1ître les " forces qn'ils allaient avoir à combattre, sans plus s'oc- " cuper de pourvoir à leurs besoins <J_usei c'étaient autant " de forçats (convicts) doat il désirait se débarrasser. " " Maintenant, je demande si nous yui sommes ici chez " nous, bien à notre aise, nous ne devons pas prendre garde " à un appel q11ipeut empêcher la conclu!<ion d'u11e paix " honorable? Supposons que Séb,,stopol soit pris. l,ord "J ohù Russell a ù(iclaré que l'Angleterre 11'avait pr:s " l'intention de l'occuper d'une façon perm mente, pas --------···------·- " plus gne l'intention ile s'emparer d'une partie quelconq11e '· du territoire russe. Dans ma ferme conviction, 01111e '"veut détruite 8ébastop.ol que par point d'liom1eur, ponr " i'.!tre à même ,le <lire: " nous a\'ons pris S(·bastopo!. " ":Ensuite on l'abaudonnera. (Appr-0bation el rires.) Je " vous demande de ..cousidérer quelles seraient les consé- " quences de la ruiut- de Sébastopol. On pourrait faire " saut~r la ville me .par rue, maison par maison, mais "·selon toute probabilité, ce ne serait pas sans une perte " de dix mille hommes po11r les armées alliées. C'est " donc notre strict devoir de considérer si l'objet qu'on " veut atteindre vaut un tel sacrifice, puisq11e le but rie " cette guerre n'est pas la diminution du territoire russe." (Cris énergique : Non, non! - Oui, oui! Ou répète toujours que dans cette question le graml principe de la Justice est engagé. Si cette idée abstraite du droit est la nôtre, nous faucln-t-il donc prendre f,it et cause dans toutes les luttes qui peuvent su·rgir? La guerre actuelle est une guerre. cle politique, calculée tout bonnement ponr notre d6feuse et pour rien autre chose. Nouo ne nous b:1ttons pas en faveur de la Turquie, mais à cause de cette idée que si la Russie parvenait à subjuguer la Turquie, elle pourrait éventudlement nous attaquer (applaudissements ). Voilà la vraie raison. Il y a des hommes qui viennent nous dire qu'il y a là une grande question de droit, que 11011sommes les juges et que nons faisons un grand .acte ~e justice en punissant un grand criminel. Eh bien! s'il y a ici des personnes assez candides pour pirtager cette opiuion sur nous, je suis anglais, moi aussi, et je leur démontrerai que nous sommes les hommes les moins propres à être juges dans une part-ille matière. Üll entend dire cle toutes parts ciue la Russie a pris le territoire des Jrntions qni l'avoisinent. Eh! 1\Iessieur~, comme Anglais, je rougis pour moimême de ce fait que j'ose affirmer : c'est que pour un mille carré de territoire que la Russie a pris à cl'autres par la force des armes, depuis 50 ans, nous, Anglais, nous avons pris cinq milles· carrés ( approbation et rires). Je suis heureux <le voi-r prendre la chose d'aussi bonue humeur. Nous ne devons pas craindre en Angleterre de dire la vérité, et nous arriverions bien vite au rlespotisme, du j-0ur où celui q\li la dit ne serait plus écouté. On a allégué aussi que la Russie avait tout récemment envahi le territoire turc. C'est un fait singulier néanmoins qne, pendant tout le règne <lu Czar actuel, la Russie n'a pas enlevé un pouce de territoire à la Tnrynie. Au contraire, c'est une des parties, •actuellemcnr engagées dans cette guerre pour la cause de la juGtice, qui <1. pris un grand morceau du territoire turc. Tout le monde sait qu'en 1830, la France s'est emparée de l'Algérie, u11e dépendance de la Porte, et je crois même que jusqu'ici l'Angl~terre 11'a pas encore reconnu le droit de la France sur l'Algérie. Elle n'y a pas envoyé de consul, et elle s'est contentée de cette protestation parce qu'elle ne voulait pas offenser sou alliée sur ce point. ~Ecoutez! écoutez !) On nous répète sans cesse que nous sommes les juges et que 0 Je Czar est le criminel et que nous rendons la justice dans l'intérêt de l'Europe et du monde civilis6. • Quant à moi, je pense qu'avant de nous asseoir sur le tribunal, nous devrions avoir les mains nettes. Je ne pense pas qu'un juge reco1mu pQur .être anssi fripon que l'accusé, doive être maintenu sur son siège par l'opinion publique et autorisé à exercer ses fonctioas un jour après qu'il aura {\té reconnu pour tel. Eh bien ! c'est pourtant ce que nous faisons vis-à-vis de nous-mêmes, quand nous nous érigeons en j~ges du Czar. Nous avons beau nous mettre la main Stîr le cœur et dire complaisamment : '' Grâce au ciel ! nous ne ne sommes pas cornme les autres hommes qui prennent le bien d'autrui et s'emparent <lu territoire de leur prochain ; " nous ne disons pas la vérité. Nous avons pris dans l'Inde, au graud lVIogol, un territoire que couvre une population de cent millions d'hommes, près du double de la population de la Russie; nous avons pris le cap de BonneEspérance. Ce que nous avons fait là, nous l'avons fait partout ailleurs quand nous en avons eu l'occasion. Les autres nations ne nous regardent pas comme ce peuple immaculé que nous avons la prétention d'être : sons ce rapport, elles 11onsregardent juste comme une seconde Russie (rires). Oui, juste comme une seconde Russie,- ni meilleure, 11! pire. N 011s avons pris un territoire chaque fois que nous avons cru qu'il en valait la peine et que ses possesseurs n'étaient pas assez forts pour nous repousser. Ainsi, non seulement la Russie n'a pas reconnu n0tre autorité, mais le reste du monde se refuse à la reconnaître. Que sont devenus les beaux jours et la gloire de l'Ecole de Manchester, au temps de la League? Les frénétiques acclamatious se sont changées en gro- _qnements, et M. Cobden paiera de son siège parlementaire, à la première rencoutre électorale, la très fausse tiÎtuation qu'il a prise et qu'il s'obstine à garder. • M. Cobden a raison quand il dit qu'au point de vue de son pays, la guerre actuelle est une question d'i11térêt et non de principes. 1 JH. Cobden a raisonquè.lnd il rappelle que le vaste Empire britanniqucdt:s Indes est une expropriation contre-justice et par la force; mais il a tort lorsqu'il conclut à la paix quand même ; il a tort lorsqn'il clemaude au
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