Homme - anno II - n.06 - 10 gennaio 1855

L'HOMM.E. ~--·---- ----------------------------------------,-------------------- L'AGONIE ET LE PR:ÊTRE. ]fon clH'r ami, Le martyre ùes transportés serait incomplet, si le bourreau qui ùéchire les corps n'appelait i:oint à son ai<le le prêtre qni déchire les âmes. Chez l'homme noir, le Mal a des instincts rusés, une hüelligeute hypocrisie, des bruta~ités contenues en public, et ùes rages éclatant sous des ombres propices. Imitant Saint-Dominique le Patron encnirassé des tortionnaires pontificaux, - les Jésuites de la Guyanne pratiquent ces mots de l'évangile : compelle eos intrart, 11t impletur domus rnca,. et," se lassant des fruits lents c1ela parole de Dieu," ils substituent la \'iolence à lapersuasion. C'est que, à l'ilet de la 1\Ière et à l'ile Saint-Joseph, - comme, autrefois, le roi sanglant des Dominicains à Toulouse et à Béziers, - les sbires tonsurés <luVatican règnent en souverains, sont entourés de mercenaires et de ~oldats, bras séculier docile aux haines sacerdotales, - et ne redoutent pas une publicité funeste au crime. Nous, gens irréligieux, nous croyons qu'il faut tenir la foi jurée ; mais, eux, en vertu du pacte signé par leur chef et par l'homme du Deux-Décembre, ils diviuisent le parjure, - et, animés de l'esprit catholique, ils aJJathématisent les républicains expiant au milieu des -.ouffranccs et des misères, les aspirations de la conscjtnce, les élans du cœur, l'amour de la vérité, le respect du serment et le mépris de l'imposture. Si les victimes protestent énergiquement de leur -innocence qu'aucun juge n'a dtimentie, le délégué de la superstition romaine leur applique, d'une voix pateline, cette odieuse maxime empruntée au code des inquisiteurs : " il faut toujours supposer véritable le crime imputé à "un accusé." La justice et la morale, ces deux choses inconnues aux ministres clcs religions, peuvent-elles être insultées plus effrontément ? Tandi3 que M. Tionapartc, l'allié de III. 1\Iastaï, assassine les transport6s, - le prêtre, valet du Pape, e.;saie de les courber sous une résignation stupide, en leur offrant des messes et des crucifix. Le dimanche, entre une double haie de gendarmes et d'argousins, les transportés s'en vont, le dédain aux lèvres, subir une messe basse dans une vast~ baraque érigée en chapelle. En l 854-, le jour du vendredi saint, une déplorable farce y fut jouée : - debout, près de l'autel, le prêtre invita au ùaisemimt de la croix, ses "chers frères" qui gardèrent une immobilité de statues.- Alors, d'un geste arrogant, le despote en surplis, obligea la femme <lnsouscommandant Coste à donner l'exemple rlc l'adoration. Mais, pas un des transportés ne bougC'a. Les gendarmes au service de M. Bonaparte et du bon Dieu se ruèrent sur les récalcitr9.nts; ils e11 saisirent cinq ou six, les plus faibles, et les trainèrent aux pieds du glorieux apôtre de JGsns. Les autres, bravant les menaces de leurs geôliers, enjambèrent les fenêtres du saint-lieu. Le jésuite, blême et hautain, appela sur la tête des impies toutes les malédictions bibliques, - t:t, peut-être, roula-t-il entre ses dents épileptiquement serrées, cette miséricordieuse exclamation qu'inspirèrent, en 1799, à un apologiste du Catholicisme, 110sfrères aînés, les derniers J ncobins de la grande République : " Leur convorsiou est impossible; "•il faut donc obéir au commandement absolu d'extirper '' le mal d'au milieu de nous, sans aucnu égard à l'espoir " d'une conversion. Dieu ordonna aux Juifs cl 'exterminer " leurs ennemis vaincus; ainsi nous devons agir aYec les " Jacobins. Nous devons, par conséquent, ou tirer une "juste vengeance de cette abominab!e race de monstres, "ou nons résoudre à êtro rebelles AUX PRINCES ET A "nÏÈu. (1)" J'essaie de reproduire une scène horrible et qu'un témoin oculaire m'a racontée : - le jongleur papiste, <lont un ag9nisant repousse la boîte aux huiles, ne s'éloigne• pas <lnmalheureux qu'il importune; friand des douleurs qui précèdent le souffle suprême d'tm républicain, il savoure les. souffrances de cette agonie, les crispations des membres qui s'agitent, les intermittentes lueurs de l'œil qui s'éteint, les défaillances exhalant une sueur glacée ; il calcule la fugitive miuute où l'affaiblissement du cerveau amènera la perte du souYenir; - alors, il ve11t ttdm.inistrer l'infortuné qui trépasse et qui se débat instil)ctivement. Mais, le prôtre ordonne à deux forçats de comprimer les jambes et les hras du rebelle, " E~ 1.'A?>IARil.AXT sous J,Es DRAPS." Pendant qu'une étreinte ,i,charnée foit refluer le sang vers les nariues qui le rejettent, l'infàme charlatan commence les momeries de la dernière onction, - et il les achève sur un ca1lavre ! Le Père Boulogne, aumô11ier de lïlc 8aint-J oseph, paraphrasait âprement, en pleine chaire, cc sauvage cri de M. de 1\Iaistre : " Malheur aux princes qui aboliraient les supplices ! " - Ensuite, dans sa bouche frérnis1mnte, s'envenimaient des railleries amères : " Y ous Yous assou- (l) Réponse d'ttn théologien à la clemamJr d'un. àirccteur spirihœl, p::tr César Malanima, PnÊtn;. Toscan, profc:;!,CUr à l'univcr~itl! de .f>isc, U99, m:e~ (lpprob(lfion. plissez, enfin, démocrates inflexibles, - criait-il d'une voix sybilante ; vos torses déroid1s se courbent sous un travail attrayant et que réchauffe un soleil généreux ; Yos fronts superbes se courberont aussi, bientôt, sous les paroles des ministres d'un Dien de clémence et de paix." Le dédain seul répon1l à ces provocantes ironies. Les noirs émissaires du Prêtre-Roi sont impuissants à dompter lès inv;ncibles révoltes qu'excite, dans les âmes républicaines, une pro"idcuce " dont le trône est un échafand, " et qui, pour exister, abrutit les intelligences, asservit )a raison,'épaissit l'ignorance, étouffe la Liberté, déprave la morale, glorifie le mensonge, exalte la tyrannie et proclame la nécessité de la Terreur. Suivons m:tintenant les terroristes ensoutanés dans cette baraque infecte et décorée à.u nom d'hûpital, où s'achève la misérable existence du transporté. • Au chevet du moribond, à côté de l'insomnie, se <lresse nn impitoyable jésuite qui veut tourmenter ses victimes jusques dans les bras de la l\1ort; il a fardé son visage avec. m1 faux mélange de mansuétude et de compassion. Sur une funèbre couche, agonise Jean Bonnetti, c1.1ltivateur de l\far1osque. Le fils d'Ignace é.t'ie avidemment les progrès du mal; il at:.end qu'une li\·idité froide et avant-coureuse d'une fin prochai11cait affaibli l'intelligence du paysan d~s Alpes. Car, la main décharnée de Bonnetli a repoussé déjà le crucifix brutal du révérend, - et sc1 voix résolue a, plusieurs fois, rejeté l'offre d'un passeport céleste en échange d'une confession repentante. Des tressaillements annoncent au guetteur dn trépas que le dernier soupir est près d'être rendu. Aussitôt, il essaie d'épouvanter le mourant : il lui parle des flammes inextinguibles cle l'enfer catholique ; il lui montre !:,atan qui tient les griffes ouvertes. - Bonnetti, par un suprême effort, râle ces mots: " L'enfer n'existe que sur cette " terre; les rois et les prêtres en sont les diables maudits; " laissez-moi mourir en paix ! " Et il expira doucement. Sa bouche à demi- souriante exhalait une sérénite posthume. 1\L Bonaparte refusant aux cadavres de nos amis une fosse où les souvenirs s'agonouillent, permettez-1r.oi d'iuscrire, sur nos tables funéraires, ceux qui sont morts, comme Bonnctti, en mandissant le ministre vénal d'une religion qui bénit les ·assassins des Peuples. Voici les noms de ces martyrs : Raquin, épicier ile l'Allier; -Brun, maçon de l'Ardècfie; - Joseph Aillaud, ex-garde général; Sarley, maçon; Pierre Donnet, Magnan et Nicolas, cultivateurs, des Basses-Alpes; - Agen on, journaliste; Lonis Vcnasco, porte-faix, des Bouches du Rhône: - Bourrely, aubergiste, du Gard ; - Roumazeiller, Argeron, de la Gironde; - Amie], cultivatc•tu; Ressent, maçon; Vergely, plâtrier; Petit Gabriel, Raux André et Urbain Lignon, propriétaires, de l'Hérault; - Ac!olphc CMry, du Loiret ; - Cuisinier, fils, flottcnr; Delume, jardinier; Soubard, père, propriétaire; Soubard, fils ainé, maçon ; Robbin, cordonnier ; Sabatier, rnâtclassicr; Tapin et Trotey, menuisiers, de la Nièvre; - Lavoine, forgeron, de Saint-Quentin; - Gabon, maçon ; Jean Go11ot, charpentier; Hilaire, commis-négociant, <le Saône et Loire; - Louis Bruno, chaussounier, de Vaucluse. Ces champions de la Démocratie, tombés le front haut, laissent - virnnte protestation contre I\1, Bonaparte et ses complices - dix-neuf veuv<::set cinquante-deux orphelins, qui sont la proie de la misère, des regrets et de la faim. Bien d'autres ont succombé depuis que Jean Gonet, de Cluny, a provisoirement clos la liste mortuaire, er1 juin 18S4-, mois où notre martyrologe s'arrête. A cette époque, les forces des transportés s'épuisaient;· les corps dévastés par les flèches du soleil tropical, les fièvres ardentes, les tortures et les privations, s'affaissaient et se voûtaient. Vers la fin d'août, à travers CES groupes de squelettes vivants, la Mort s'apprêtait à faucher une ample moisson ; l'hôpital se gorgeait de mourants que le prêtre couvait de son œil fauve. La barbarie des noirs comédiens du Pape s'acharne parfois sur nos m~ribonds, avec les sauvages fureurs que déployait, au fond de ses cavernes muettes et sourdes, la milice dit Christ joyeuse.ment accroupie sur les hérétiques dont elle interrogeait les derniers frissons. Ces bour,eanx ont l'audace de s'écrier : " C'est pour le bien de ces impénitients que nous agissons ainsi ! " •- Arrière, arrière, sycophantes impudents ! On fait le bien avec le cœur, - et Je vôtre s'est pétrifié dans l'égoïsme, la fourberie, l'orgueil et la férocité. Est-il possible, ami, d'apaiser les indignations de sa conscience au spectacle de ces ignominies catholiques ? Notre dcv-oir n'est-il pas ile provoquer, p:ir tou:- les moyens, l'anéantissement d'une religion qui laisse, à ohacun de ses pas, une empreinte de boue et de sang? - Dans les bagnes de Cayenne, sous les ordres rlc Bonnard, succes:,eur de Fonrriclion, il reste encore cent quatrevingt-deux républicains. Avant six mois, le gendarme et le jésuite en auront fait un ]101ocanste à l\f. Bonaparte, l'assassin-parjure, l'élu du Dieu des prêtres. Salut fraternel. HIPrOI.YTE MAGE.N. Londres, 5 ja11vi(-r 1855. CORRESPONDANCE D'ORIENT. ~ ous me demandez quelles sont les raisons vraies rlu long intermède que subissent les armes; à cela je ne puis répondre d'une manière générale, n'ayant pas le secret des diplomaties; mais dans le cercle immédiat et très limité des faits militaires, Yoici ce que Je pense et ce que pense l'armée. Nous n'avons pas de général en chef. Depuis la mort de Saint-Arnaud, qui avait le droit des hautes fojies et le véritable commandement, il n'y a plus d'unité d'action. Canrobert et Raglan, Hamelin et Dundas, tous ordonnent, gouvernent, agissent isolément, chacun dans son rayon, sans se consulter et sans délibérer : quand les embarras arrivent, derrière la division des forces, ils se consultent, s'embr&ssent, s'encouragent, mais toujours trop tard, et les occasions s'envolent ! Voilà l'origine et la cause de ces victoires stériles, de ces rlemi-batail!es, qui n'ont jamais de cavalerie, et ~urtout de ces surprises de nuit et de brouillanl qui, toujours repoussées, n'en tiennent pas moins le soldat en halci11eet les tranchées en siège permanent. Ctla Yous fera comprendre également pourquoi l'on n'a pu jusquïci s'ent~n<lre sur un plan d'attaque générale et concertée, du côté de la terre et du côté de la mer. L'ennemi était toujours sur ses gardes, averti par l'attaque de terre, quanù les flottes ouvraient leur feu. Voici les dispositions cles camps : Les Français ne parlent que <lel'assaut, tandis que les Anglais ne songent qu'à ruiner l::t place, et snrtout la flotte, par le bombardement, d'aprè:,; toutes les règles de l'art des sièges. Cette différence dans les points de vue, amène l'anarchie dans les volontés et la haine entre les Alliés, car les sarcasmrs s'en mrlent. Oui, quoi qu'on en dise dans vos journaux, les Alliés se détestent, les g,'néraux comme les soldats : nous sommes sur le terrain et uous voyons de près les choses. Soyez certain, que sans la discipline et le péril commun, il y aurait, entre les deux camps, dts querelles terrible·s. L'officillr anglais est brave et sait tout endurer, mais il n'a pas ce que 11ous appelons l'esprit militaire ; il se tient à l'écart et ne vit jamais avec les soldats q1ü le connaissent à }Jeine. Il reste isolé, supérieur quand même, incapable de cette familiarité fr011che qui relie dans l'affection et l'intérêt communs la troupe et les chefs. L'officier français au contraire, se fait simple soldat, quand il est hors <les rangs : il vit et s'amuse avec son monde, soit à la tranchée, soit dans le camp. Del:\, entre les deux armées, une grande différence et. comme élan de combat, et comme 50li<larité dans les luttes. Le général Canrobert est moins que populaire, malgré ses ordres du jour. On n'a point confiance en son génie militaire. Quoique profondément méprisé, l'autre, le Saint-Arnaud aurait entraîné plus loin : on le croyait capable de toutes les audaces, comme de tous les crimes. Les officiers généraux sont jaloux les uns des autres ; mais il est vrai de dire qu'ils se prêtent un mutuel concours, sous la canonnade ennemie ; malheureusement les bataillons de réserve anglais n'appuient guères leurs camarades engagés, qu'à la dernièra heure, et malgré le secours des Français, ils subissent pu.rfois des pertes énormes. L'ennemi se bat bien et gagne to11sles jours en forces, par Pérekop. Quant à la place de Séb:tstopol, serionsnous maitres de la ,·ille et des forts du Sud, nous n'aurions pas encore fait granùe besogne, car c'est le Nord qui domine, et les Russes y sont les maitres dans des positions formidables: la première réduction qui nous a déjà tant coûté, n'est pas encore à bout, et quand viendra celle du Nord, je doute que nous soyons en mesure, à moins d'une armée nouvelle et d'un général qui ait le coup d'œil. Je ne p11is vous cacher, d'ailleurs, que l'armée française qui est toujours la même, soùs le feu, se bat pourtant sans enthousiasme. Quand nos soldats s'élancent, c'est le torrent, mais le grand esprit ne vit pas en eux, et je n'ai pas entendu, dans les rangs, un seul de ces cris qui entraînaient les phalanges dans les guerres saintes de la République. Les officiers se battent pour la promotion : l'idée de liberté n'est pas dans leur âme, le Deux-Décmbre les a tués! Soyez certain que les aigles ne reviendront de cette triste campagne, que blessées et bien malades! A vous, etc., XXX. CAMP DE BOULOGNE. 29 Décembre 1854. Depuis l'arrivée de cc bonapar•istc enragé qui a nom Du Tanlay, les douaniers de la Manche sont sur les dentr, ils ne dorment plus tranquilles. - Et nous encore moins. On nous fait souvent de petiles sitrprises de nuit afin de nous habituer à la vie des camps : celle de la semaine clernière était très comique : rÉveillés en sursaut au milieu de la nuit, nous attendim-es jusqu'au matin l'ordre de

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