la guerre, et qui fit qu'après avoir résisté si longtemps aux Romains, ils finirent par l'emporter sur leurs conquérants et les subjuguer à leur tour. Cette organisation sociale était la Tribu, la Tribu extension de la Famille et second pas dans le développement général du genre humain, la famille en étant le premier. Entre les tribus également victimes, s'établissaient naturellement des rapports, des liens créés par le voisinage; entre les tribus moins rapprochées, des prétentions contr~i~cs j de là, d'une part, les confédératiorts des tr~bus vo1s111ese,t, d'autre part, les luttes entre les confedérations; de là, un état de guerre permanent en Germanie et Gaule, et cet esprit guerrier si redoutables aux Romains. Et ce n'est pas tout. L'esprit guerrier et impatient du repos, ne recherche que combats et aventures ; la paix existait-elle entre les tribus, des expéditions se formaient et portaient la guerre à l'extérieur. Ainsi, chez les Germains et les Gaulois, l'esprit guerrier s'alimentait et se nourissait sans trève ni relàche. Après la conquête des Gaules par les Francs, Bourgui-_ gnons et Visigoths, l'état de choses que nous venons de décrire, ne changea point ; par conséquent, l' Armée ne nous apparaît pas encore ici. L' Armée ne se trouve pas non plus dans le régime fJodal. Sous ce rég!me hiérarchisé du sommet à la base par des droits et des devoirs S•! correspondant, la force militaire se composait des contingents que devaient et fournissaient à leur Suzerain les vassaux et vavassaux de tous les degrés. L'Armée, -- !'Armée proprement dite, - ne se montre que lorsque commence la grande lutte entre les rois de :France et les vassaux ùe la Couronne. • Evi<lemmeut, pour combattre et abattre la Féodalité, nos rois ne pouvaieut se servir de la Féodalité elle-même, il leur fallait un autre élément. Cet élément fut l'armée; ils prirent et entretinrent à leur solde des troupes, nationales et étn.ngères, et, par ce moyen, ils accomplirent l'objet de leur ambition, ils atteignirent le but qu'ils s'étaier;t proposé. Ainsi, à sori origine, l' Armée a servi à l'établissement de notre unité nationale ; ainsi, à son origine, l' Armée a été une institution essentiellement et éminemment progressive. Mais la transformation en toutes choses est la loi de ce monde. Avec la chûte de la Féodalité, l'armée perdit considérablement de son importance ; et si, de Louis XIV à la Révolution française, elle fut encore utile à l'extérieur,. elle n'occupa plus à l'intérieur qu'un rang secondaire, parce qu'en dehors et à côté d'elle, s'étaient développés et manifestés !'Agriculture, le Commerce, !'Industrie, - les travaux de la Paix, - qui déjà primaient l' Armée et se la subalternisaient. Telle est en effet la différence radicale qui sépare le Présent et l'Avrrnir et du Passé: c'est que, dans la Passé, la guerre, avec ses horreurs, semble avoir Gté la voie de l'av:mcement humanitaire; tandis qu'il est manifeste que la Paix avec ses bienfaits est- la condition sine quâ non des conquêtes <luPrésent et de l'Avenir. Enfin, la Révolution rle 1789 donne le coup de grâce à l' Armée. Car, lorsque le cri <l'alarme est jP.té, qui se lève pour défendre !'Indépendance nationale, la Révolution, la Liberté? La :N" ation tout entière. Hommes faits, enfants, vieillards, to11t s'enrôle, tout part. Dans cet élan généreux, sublime d'un pruple, qu'est-ce que devient l' Armée? moins qu'une goutte d'eau dans l'Océan; elle est engloutie, elle disparaît. La Philosophie de l'histoire Je notre pays démontre donc que l' Armée est un fait- social qui a accompli son œuvre, à supprimer par conséquent. Il y a plus. L'intérêt sac:-é du Progrès, la nature et l'esprit de la Démocraiie nous amènent à la même conclusion. • Est-ce qu'avec l' Armée la moindre réforme est possible pacifiquement? est-ce,que par elle, au contraire, les mesures les plus ~·étrogrades, les plus funestes, les plus criminelles n'ont pas chance de succès ? N'est-ce point sur l' Armée que comptaient les Bourbons de la branche ainée pour imposer à la France les ordonnances de Juillet? N'a-t-il pas fallu une Révolution pour le, arrêter dans leur attentat liberticide? u'en a-t-il pas fallu une autre pour balayer la corruption systématique et hideuse du règne de Louis-Philippe? Et, en dernier lieu, l' Armée n'a-t-elle pas été le bras violent du Coup d'Etat? n'a-t-elle pas acclamé la violation de la Constitution et des lois ? n'a-t-elle pas envahi le temple auguste de la R~présentation Nationale? n'at-elle p:is empoigné et encellulé comme des voleurs et assassins des Représentants <lu Peuple? ne s'est-elle pas, jusqu'au bout et à satiété, vautrée dans le crime? Regardez, regardez: le sang des Boulevards ne s'y est. point effacé; il y flamboie comme au premier jour, et crie Justice, Cl1itiment ! Ecoutez, écoutez: les f'.lchosdes bois, <lesmontagnes du Var, <l.esBasses-Alpes, de !'Hérault, de Lot et Garonne, de la Nièvre, de nos héroïques départements du Centre l?t du Midi, retentissent toujours des gémissements de nos frères égorgés par une soldatesque en délire! Et la guillotine redressée ? et Cayenne et Lambessa, ces deux guillvti nes sèches ? et le pain dur et amer de l'exil, - la mort lente de la no ;talgie, de la misère et de la faim ? et les femmes, les enfants, privés de leurs époux, de leurs pères, n'ayant pour ressource que la charité publjque? et, par dessus tout cela, la Patrie L•IlO)1~l E . opprimée jusque dans son cœur et son âme: hélas·, plus rien qui sorte de cette noble terre de France, naguère foyer de lumiere et d'amour, qui se répandait au dehors et profitait à l'humanité entière. Quel ami du Progrès, de la Civilisation et des Hommes serait assez insensé pour demander aujourd'hui la conservation de la chose par laquelle ont été perpétrés tous ces forfaits ? Condamnée an nom du Progrès, l' Armée ne l'est pas moins au nom de la Nature et de l'esprit de la Démocratie. La nature de la Démocratie. c'est que le peuplt:! s'oit souverain, c'est que sa volonté prévaille, domine et gouverne en tout et pour tout. Or, cela peut-il être. lorsqu'il y a en dehors du peuple, une foree passive énorme, soumise forcément à des volontés particulières ? N'y a-t-il pas à craindre, dans ce cas, que l'ambition ne se serve de cette force contre le peuple, et, même, par elle, ne le dépouille de sa souveraineté, de ses droits éternels et imprescriptibles, et ne le ramène en monarchie. L'esprit de la Démocratie c'est l'Egalité et la 1:,ib:rté, l'Egalité, en vertu de laquelle nous jouissons des mêmes droits et sommes soumis aux mêmes devoirs. La Liberté, qui fait que nous avons pleine possession de nous-mêmes, que nous sommei maitres de notn: destinée, et partant que nous pouvons penser , parler, croire, agir à notre guise, mais, bien entendu, sa11fla responsabilité morale et légale que nous imposent la raison, la morale et la loi. Or, par l'armée, !'Egalité et la Liberté s'évanouissent pour chacun et pour tous. L'exécution pure et simple des ordres reçus étant la loi militaire, il. y a. évidt'mment pour l'armée des droits et des devoirs qui heurtent les droits et les devoirs généraux ; et, ainsi, !'Egalité est violée en elle. Mais, violée dans l'armée, l'Egalité l'est fatalement en tout : car l'Egalité est essentiellement la réciprocité. Donc, avec l'armée, point d'Egalit~. Point de Liberté non plus. Dieu a fait de l'homme un être moral et libre. Il lui a donné la morale, la raison et la volonté : la morale, qui lui montre ce qui est bien et ce qui est mal; la raison, qui les distingue l'un de l'autre; et la volonté, par laquelle il peut accomplir ou non les prescriptions de la morale et de la raison. Or, l'obéissance passive supprime clans le soldat la morale, la raison, la Liberté : le voilà devenu une machine, comme un corps brut, dénué de la notion du bier1 et clu mal, et irrespomable. Ses chefs lui ordonnent d'arrêter, de frapper, de tuer, et il arrête, et il frappe, et il tue. Que ceux qu'il arrête, qu'il frappe, qu'il tue, soient des mandataires <lu Peuple, des défenseurs des lois, de bons citoyens, ses père, mère, frères, sœurs, que lui importe ? Est-ce que c'est là son affaire, à lui ? N'a-t-il pas été commandé pour cela? Ne devait-il pas obéir et n'estil pas en droit, par conséquent, cle se laver les mai us comme Ponce-Pilate, et de faire retomber sur autrui le sang innocent ? Mais, sans réciprocité, il n'y. a pas plus Liberté r1u'il n'y a Egalité. La Liberté ne souffre ni demi-mesures, ni demi-concE:ssions ; elle veut être tout entière, ou elle n'est pas. Donc, par l'armée, nous perdons la Liberté aussi bien que !'Egalité. Ainsi, motifs tirés cle la philosophie de l'histoire, du progrès et de l'amélioration sociale, de la nature et de l'esprit de la Dfmocratie, tout concourt et s'accorde pour solliciter la ruine <lel'arh1ée. Parce que la conscription fait sortir l'armée du sein du Peuple, on a cru longtemps que les sentiments, les idées, les inspirations du temps devaient finir par la pénétrer. Erreur grossière et fatale ! dans laquelle on ne serait pas tombé, si on avait considéré que, pour le soldat, la société générale disparaît derrière la petite société dont il fait partie, et que c'est dans cette dernière seille q'il vit, se développe et agit. Les moines, les Jésuites, toutes les corporations qui ont leurs règlements particuliers ne sontelles pas de nos jours ce qu'elles étaient autrefois ? Là où la canse est identique, l'effet est nécessairement identique. Mais hélas ! les nations, comme les hommes, ne s'instruisent que par l'expérience chèrement acquise. Cependant, même avant les horreurs de Décembre, que de faits accusateurs se dressaient contre l'armée ! SaintMéry, Transnonain, Mai 1839, la Croix-Rousse, Paris, J.,you éventrés par les boulets, décimés par les fusillades, et, dans ces grandes luttes, la ft.rocité constanta et horrible de la troupe, tout cela ne devait-il pas ·se présenter à l'esprit des membrP.s du gouvernement provisoire, des commissaires et agents du gouvernement, la plupart vieux lutteurs de la Democratie et de la Liberté, la plupart anciennes victimes de la monarchie ? Mais prenez garde, ncus dira-t-on, en abolissant l'armée, vous démantelez la Révolution et la livrez sans défense aux envahissements des rois de l'Europe absolutiste, C'est le contraire qui est vrai, répondrons-nous hardiment, car, à l'armée substituant le Peuple armé, la France debout, nous rendons la Révolution indomptable et invincible, bien loin de l'affaiblir. Lise::: philosophiquement les fastes militaires de la première République et de _l'empire, et vous remarquerez une différence sensible quant à la solidité entre les armées de l'une et de l'autre époque, différence qui va s'augmentant proportionnellement à la durée du régime impérial. C'est que les armées cle la République étaient la nation, et que celles de l'empire 11'étaient que ce qu'on appelle l'armée. L'armée nous a laissé conquérir deux fois, en 1814 et 1815 ; le Peuple armé eût alors sauvé la patrie, comme en 92. Regarrlez ce qui se passe sous nos yeux, la fameuse campagne de Crimée. Les Français y montrent les qualités militaires qui les distinguent: de l'entrain, de l'é!an, de la vigueur, de l'intrépidité ; cependant, si, au lieu de l'arm6e impériale, le Peuple armé étai.t là, je ne crains pas <l'avancer que la guerre y prendrait tout d'abord une autre physionomie, qu'elle y deviendrait et plus humaine et plus intelligente, qu'on n'y verrait point de ces monstrueux égorgements ù'hommes qui font horreur et pitié, et que la fortu11e s'y déciderait par quelques grands coups de génie et <l'audace qui épargneraient bien des malheurs, mais dont sont incapables les âmes criminelles des .crénéraux décembristes. 0 Fondre, en 1848, l'armée rlans la garde nationale n'offrait donc qu'avantages de toutes sortes, sans aucun danger. • H. MARLET. LA. SUISSE. Les montagnes de la Suisse, défendues p:n la valeur cle ses enfants, ont été jusqu'ici pour elle une garantie suffisante contre ses ennemis ; elle a pu, gdces aux couditions spéciales dans lesquelles elle se trouvait, défendre son indépendance et conserver sa libertés au milieu des despotes qui règnent en Europe. Elle a raison d'en être fière; sans sa position géographique, sans sa valeur, le sort de la Pologne aurait été peut-êtw le sien. l\fais elle a tort et grandement tort, satisfaite comm<::elle l'est de son passé, de ne pas songr.r à l'avimir, de ne pas voir que l'isokmcnt qui a été sa force va devenir sa faiblesse, de ne pas c0mpren<lre qu'elle n'a plus désormais pour ennemis certains despotes, mais le despotisme tout entier. Elle a tort de 11epas entendre cela dans le simple intérêt de sa conservc:tion, et elle devrait y songer aussi dans le devoir de sa mission comme nation, dans l'intérêt , de son honneur et de sa prospérité. Jusqu'à la Révolution de 184 7, la Suisse a vécu par la force de ses anciennes institutions ; emportée momentanément dans le tourbillon des grands événements européens, elle rentrait bientôt dans les traditions de sa vieille politique, et pendant que la Confédération s'isolait des autres peuples constitués en monarchie, chaque canton cherchait à améliorer sa condition particulière. On dut s'apercevoir en 1847 que les anciennes institutions n'étaient plus suffisa11tesà garantir l'intf\grité de la Suisse; que cette vie cantonnale dirigée par les inflnences étrangères, dans l'intérêt des autres gouvernements, se séparant d'un état qui n'avait aucune autre force, en aurait bientôt causé la dissolution ; on l'évita par une Révolution. La victoire couronna les efforts des amis de la liberté de la patrie. Quel en aurait dû être le résultat? Que, respectant les libertés des Cantons, en eût introduit entre eux et la Confédération un lien que ni l'un ni l'autre ne pussent ~nfreindre. On ne pouvait le trouver ailleurs que daus _unmtérêt co~mun, et pour qu'il 11e fût pas à la mer~1 de~ for.ces mtérieures, il fallait qu'il représeutàt aussi un mtéret e:l.:térieur. Or, quel ponvait être l'intérêt extérieur de la Suiss~ républicaine, si ce n'est celui du triomphe de la Liberté ? La ~uisse ~vait couvé le germe dans son sein pendant plusieurs siècles, le défendant cor1tre les infiueuces contraire~ qui ré~rn.Lient en Europe; depuis, ce germe a grandi, et quoique combattu par la force brutale, ii est devenu capable de la défendre à son tour. L'occasion était propice; les peuples qui entouraient la St:isse étaient en lutte avec leurs oppresseurs, elle n'avait qu'à leur tend:e la main. Les soldats ne lui manquent pas, elle en envoie tous les ans au Pape et au roi de Naples ! Elle aurait bien 11u en envoyer à l' Allemao·ne insurgée, à l'Italie, et aider la Hongrie par une di version sur l'Autriche. Dans cette hypothèse, la victoire aurait été, selon toute probabilité, assurée anx peuples et l'avenir de la Suisse sauvegardé. Mais ce n'était pas l'intérêt <les hommes qni se trouvaient à la tête cles affaires, ce n'était pas celui de l'avenir auquel ils visaient pour eux-même~. ~l y a une grande ressemblance entre ce qui arriva en Smsse, en 1847, et ce qui arriva en France en 1830. Les hommes qui avaient fait la Révolution se tournèrent co~tre elle, la diri~eant contre le principe aùquel ils <levaient leur élévation. James Fazy avait vu de JJrès le gou_v~rnement.de Louis Philippe ; tout en lui faisant l'oppos1t1011la plus acharnée, il avait su calculer les avantao-es pers~nnels qn'on pouvait tirer du système, et, dès qu'il le pu_t, '.l se fit dans sa patrie l'imitatenr au petit pied du roi citoyen. Au lieu de garantir la liberté des cantons des influences anfi-nationales? on chercha ~ les priver <le la liberté qui leur_ap~artenatt au P:ofit d un gouvernement fédéral qui s~h1ss~1~ce~ mêmes mfluences. ~11 lieu <l'unifier par la 11berte 1act10n cantonnale avec l action fédérale, on fit de l'autorité sur les caHtons, pour s'assurer l'appui des autorités étrangères ; au lieu de ne voir dans les cantons que de grandes communes, on essaya de les réduire au rôle de départements. La conséquence de cette politique a été, pour la Suisse l'affaibfüsement à l'intérieur c:omme à l'extérieur. '
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