Homme - anno II - n.04 - 27 dicembre 1854

hesoignense et famélique des hommes de loi fut réinstallée dans ses fonctions et emplois privil.:giés. Qu'arriva-t-il de là ? Que la plupart des anciens abus reprirent existence et vie. On n'eut pas, comme avant 89, un corps de magistr«ture en quelque sorte indépendant et souverain, on en eut un, au contraire, essentiellement dépendant; mais, malgré la différence. l'action des deux magistratures fut la même sur le Peuple ; seulement, tandis que celle d'autrefois opprimait pour son propre compte, celle de nos jours a opprimé et opprime pour le compte du pouvoir cxécutif,-empereur, roi, 11résident de République, n'impor~e. Ainsi fut abattue la Liberté politique. La Liberté civile ne le fut pas moins. Les magistrats ont été institués à vie, sous prétexte d'as5urer leur indépendance, ce qui ne l'a nullement assurée, le ponvoir exécutif nommanl naturellement iL ces fonctions les individus faits pour le joug, et, eu outre, nourrissant incessamment en eux le scrvilisme p:::r l'appàt de l'avancement tt des honneurs qu'il tient dans la main, et qu'il verse sur ,qui lui plaît, c'est-à-dire sur qui le sert le mieux. Mais si l'institution à vie n'a pas atteint so11but, si elle n'a pas donné le bien recherché, elle a produit eri revanche un mal incalculable que le législàteùr eùt prévu très assurément, s'il avait été c<mduit par l'amour de la justice et le sentiment de l'intérêt général. Accorder pour leur vie à 1111celasse d'hommes la prérogative de statuer comme juges sur la fortune, l'honneur, la liberté de leurs concitoyens, quelle immense et exorbitante prérogative ! N'était-ce pas ouvrir pleine carrière aux mauvaises passions de ces hommes ? N'était-ce pas leur livrer, pieds et poings liés, cette fortune, cet honneur, cette liberté, qu'ils ont charge pourtant de sauvegarder ? Malheureusement, les faits ne justifient que trop la logique de nos raisonnements ! Je défie qu'on trouve dans l'histoire de nos cinquante ,dernières années, et sous tous les gouvernements que nous avons eus, un service politique, un seul, auquel la magistrature se soit refusée. Ce n'était pas assez, semblet-il; il fallait qu'elle devint instrument de ce qui s'appelle le se.cond empire, tyrannie monstrueuse et abominable, sans foi, lois ni règles, qui mena<:e, ô crime! d'étouffer dans leur essence même la civilisation et le progrès, lts conquêtes du pa:,sé, du présent et de l'ave1:ir. Sous le rapport purement civil, le tableau n'est pas ))lus édifiant. Que d'impuretés se c-tchent sous la toge ! Combien de cours d'appel où l<!sYices les plus hideux débordent et font scandale ! Combien de tribunaux <le première instance où la justice et le droit périssent étran- _glés par l'animosité, la haine, la vengeance ! Si je voulais mettre à nu les visages, les portraits se présenteraient en foule sous ma plume ; mais je ne Jcscendrai pas dans -cette bouP., je resterai sur les hauteurs sereines des consi- ·Ùérations philosophiques et générales : la dignité du sujet et celle du lecteur le veulent également. En 18.48, la corruption profoade, endémique, irrémé- ..<liablcde la magistrature frappait tous les yeux. Il n'y .avait pas à hésiter. Si, pour conquérir la Liberté, il fal- ,lait alors abattre la centralisation et mettre le Peuple en _pleine possession et jouissance de la Commune, il ne falJait pas moins abattre la magistrature et mettre le Peuple ,en pleine possession et jouissance <le la ·Justice. L:i Liberté n'existera, en effet, que lorsque, incarnée dans les fostitutions et les faits, elle nous e~1,·eloppera cle toutes parts, elle nous sera devenue l'atmosphère où nous ·vivrons, l'air que nous respirerons. Or, il est visible que ]a réalisation de la double réforme dont nous parlons eût .été un grand pas pour la conquête de la Liberté. Mais comment mettre le Peuple en pleine possession et jouissance de la justice? Mon Dien ! il n'y a pour cela qu'un moyen, c'est d'universaliser le jury, c'est de rendre le Peuple juge du civil ainsi que du criminel. La Liberté . politique et, la Libtrté civile le commandent impérieusement; et, si peu juriste que je sois, je ne crains pas <l'affirmer que la nature des choses juridiques ne s'y oppose _point. Qu'est-ce qu'une République démocratique ? Un gou- ·vernemer.,t où le Peuple, souverain, fait par lui-même tout .ce qu'il peut bien faire, et par ùes délégués ce qu'il ne peut pas bien faire lui-même. Qu'est-ce à dire ? Ceci .apparemment : que le Peuple doit se réserver expressément les pouvoirs et fonctions qu'il peut exercer, et qu'il ne doit déléguer que ceux pour lesquels son incapacité est positive et absolue. Si ces conditions sont remplies, le Peuple sera souverain, la Liberté politique régnera ; si .elles ne le sont pas , la souveraineté du Peuple et la Liberté politique ne seront qu'illi1soires, en dépit des constitutions, chartes et déclarations des droits, parce que des volontés particulières se seront substituées à la volonté générale, dans des cas où elles n'avaient pas qualité pour le faire. Dans l'espèce, le Peuple ne peut-il pas exercer clirectement sa souveraineté ? Je pense qu'il ne me sera pas difficile d'établir qu'il le peut, et que, par conséquent, l'en priver c'est le dépouiller de son droit et immoler la liberté politique. Qu'est-ce qu'un jugement? La comparaison d'un fait avec la loi. Si j'analyse cette définition, dont l'exactitucle ne saurait être contestée, je trouve qu'un jugement se compose de trois éléments, d'un fait, d'une loi et de leur rapport ; que, pour qu'on puisse rapporter le fait à la loi, jl est d'absolue nécessité que le fait et la loi soient au L'HOMME. préalable posés et formulés ; en autres termes, que le fait, la loi et leur rapport forment un syllogisme, dont le fait est la majeure, la loi la mineure, et le rapport du fait à la loi la conclusion. Que si, dans toute contestation judiciaire, il faut tout d'abord et séparément d&tenniner le fait, il suit que cela n'appartient qu'au Peuple, en vertu du principe fondam~ntal qu'en République démocratique le Peuple doit faire par lui-même tout ce qu'il peut bien faire. Donc la nature même de la matière appelle ici l'exercice <le la souveraineté du Peuple; donc, ici, la liberté politique peut être facilement constituée. Je connais les objections. On dit : Dans tout procès, le fait et le droit sont indissolublement mêlés, les questions à juger sont complexes ; Ear exemple, dans un contrat, en dehors du fait, qui plus est, pour mettre le fait en lumière, il y a à rechercher cc que c'est qu'un contrat, quelles en so11t les conditions essentielles, quelle a été l'intention des parties, etc., questions de droit ; dans 1me hérédité, il y a à cons:dérer les questions de la qualité de l'hérédité, de la réserve, de la quotité disponible, etc, questions <le droit également; et ainsi to11jours, quel que soit l'objet en litige. Ces raisons ne me to11chent pas, quelque gra\'es qu'elles soient; et voici pourquoi : ,c'est que mon argumentation est supérieure à celle de mes aÙ\'ersaires et la domine. Je pars, moi, de la Raison, de ses loi!t logiques, rigoureuses, éternelles. La Raison est une, ses lois sont unes. Contre la Raison et ses lois, il est absolument impossible qu'il y ait une autre Raison et d'autres lois. Donc, l'abjection soulevée contre moi ne tient pas et tombe, donc la séparation du fait d'av~c la loi est possible. Elle est si bien possible qu'elle se pratique en Angleterre et aux Etats-Unis. Qu'importent les abus de la justice dans ces deux pays ? Ai-je besoin de dire qu'ils ne dérivent pas de la séparation <lu fait d'avec la loi, mais d'autres causes que je n'ai pas à expliquer ici. Comme on le voit, c'est en m'appuyant et sur la théorie et sur l'.expérience que je propose la réforme jncliciaire radicale dont il s'agit. 1\fais il y a plus : par l'i1istitution du jury au civil comme au criminel, la liberté ciYile est aussi bien réalisée que la liberté politique. Pour remplir son objet, la justice doit être prompte, facile, impartiale. J'admets qu'a,·ec des corps de magistrats il soit possible d'obtenir les deux premiers points ; mais le troisième échappe ; hommes de localité, les magistrats sédentaires ont des préférences, produites par de bons ou de mauvais sentiments. Dans de pareilles conditions, bien loin que c~ soit l'impartialité, ë'est la partialité qui dicte les arrêts; et la Liberté ci,·ile disparait. Avec le jury, des magistrats ambulants remplacent les corps de magistrats sédentaires ; et alors, l'impartialité est assurée, car des magistrats se rend11nt temporairement dans les localité~ où ils ont à administrer la justice sont forcément dirigés par la voionté <lerendre à chacun ce qui lui appartient . De ce qui précède, il s1Iit, si je ne me trompe pas, que l'établissement du jury, tant au civil qu'au criminel, était nécessaire en 1848 pour la fondation de la République et de la Liberté. H. MARLET. VARIÉ'rÉS. BO~NEVILLE. Au milieu de ces crises terribles qui secouent le monde jusqu'en ses fondements; sous l'effort du génie révolutionnaire dont le souffle, trombe embrâsée, court sur la vieille société pourrie, la ro11le et l'enveloppe en la purifiant <ln faite à la base, bien des êtres humains disparaissent, la plupart ignorés et destinés à l'être dans tous les temps et à travers tous les ébranlements. Ils laissent à peine un souvenir circonscrit dans le petit cercle où se tenaient leurs affections et leur utilité restreintes . D'autres s'en vont emportant avec eux un peu ne l'idée humanitaire en fermentatiCln dans leur tête féconde, et aussi le haut sentiment du cœur qui devait l'appuyer. C'est l'histoire des champs dt bataille : beaucoup de chair à canon, pour user de l'atroce expression d'un Bonaparte, puis quelques têtes pensantes unies à des cœurs vaillants, héroïques parfois . Mais de même qqe des êtres affectueux et loyaux ont coutume, la boucherie de guerre achevée, d'aller cherchant dans l'ombre les restes inanimés de l'ami, afin de marquer, sous le modeste rameau de la tombe, la place où il tomba ; de même aussi l'histoire, vigilante et ju.ste, va fouillant les chroniques , les récits et les souvenirs longtemps perdus, afin d'exhumer du champ de l'oubli lamémoire de ceux dont la vie brille par une grande pensée, une noble action, un beau jour. Nous venons remplir ce devoir envers l'un des nôtres, Bonneville, homme de grand cœur, qui le premier osa proclamer dans la Bouche de fer, numéro du 21 et du 23 juin 91, la nécessité de la République. Aujourd'hui, pour tout esprit sérieux et juste, ce n'est plus en discussion. La forme républicaine, en effet, porte en elle tout ce 11uido_itfaire plus larges et mieux éclairées les voies de l'humanité ; e.lle contient l'idée métaphysique de Dieu, le juste absolu, c'est-à-dire la distribution équitable du bien~être pour les hommes dans l'avenir. Mais il n'en ét.1it pas ainsi au temps dont nous parlons. Au .pre~ mier mot de Rép11blique, les Jacobins s'étaient indignés et, le l 3 juillet, Robespierre était bien dans leur pensée en disant : " Je ne suis ni républicain, ni monarchiste." Il en était de même aux Cordeliers et même à la Commune. Ni le maire de Paris, Pétion, ni Danton, ni Brissot n'exprimèrent leur pensée sur la forme de gouvernement. Le seul journal qui se prononçât nettement et avec énergie pour la République, ce fut la Bouche deftr, dans les numéros du 21 et dn 23 juin, - journal alors rédigépar Bonneville. Son collaborateur, Fauchet, était dans l'évêché du Calvados, où il venait d'être appelé. Certains trouvent Bonneville trop souvent clans les nuagP.s, non toutefois sans rendre justice à la remarquable lucidité de son esprit dans les crises graves et périlleuses, plus hardi, plus franc que son ami Fauchet, Bonneville soutenait contre lui la non possibilité d'asseoir la Révolution sur u11e base religieuse qui ne serait autre chose qu'un replâtrage philosophique du Christianisme; laquestion de la royauté était alors fortement agitée. Bonneville l'appréciant avec une grande lucidité d'esprit, jugea l'institutio1, finie et repoussa les formes bâtardes sous lesqnelles d'intrigants hypocrites essayaieat de la ramener. " On a effacé du serment, disait-il, le mot infâme de "rois, - plus rle rois, plus de mangeurs d'hommes! on •~changeait le nom jusqu'ici, et l'on gardait toujours la "chose. - '' Point de régent, point cle dictateur, point de protec• " teur, point d'Orléans, point de LafayE:tte. - " Je n'aime point ce ~hilippe d'Orléans qui prend justement ce jour pour monter la garde anx Tuileries, ni son vère, qu'on ne voit jamais à l'Assemblée, et qui vint se montrer hier sur l., terrasse, à la porte des Feuillants. - " Est-ce qu'une nation a besoin d'être toujours en tutelle? - " Que nos départements se confédèrent et déclarer,c " qu'ils ne veulent ni tyran, ni monarque, ni protecteur, '' ni régent, qui sont des ombres de roi, aussi funestes à '' la chose publique que l'ombre de cet arbre maudit, le " Bohom-Upas, dont l'ombre ei;t mortelle." Toujours plei11 de courage et d'enthousiasme révolutionnaire, Bonueville, dans un a1itre numéro, s'écriait : " Enfin, on •a retrouvé nos piques du 14 Juillet ! on " nous rend uos piques, frères et amis ! la première " qu'on a vue à l'Hôtel-de- Ville a été saluée de mille ap- " plaudissements, qu'est-ce que nous pourrions crain- " dre? - " Avez-vous vu comme on est frère, quand le tocsin " sonne, quand on bat la générale, quand on est . délivré " des rois ? - • "Ah! le malheur est que ces moments ne reviennent " que rarement ! " Le courage de Bonneville à propos du gouvernemnnt républicain, avait bientôt amené la polémique sur ce terrain ; mais il fallait à l'ardent républicain quelque chose de ferme et de juste,il ne voulait pas s'accommoder au goût des prôneur;;, flasques ou perfides, de telle ou telle république passée. " Il ne suffit pas, répliquait-il, de dire " République ; Venise aussi fut République. Il faut une " communauté nationale, un gouvernement national. - ·' Assemblez le peuple à la face du soleil, proclamez que "la loi doit être souveraine, jurez qu'elle règnera seule. " - Il n'y a pas un airi de la liberté sur la terre qui ne " répète le serment. " Bonneville écrivait ces lignes le jour de la Fête-Dieu, et donnait le jour du vote comme le meilleur à choisir pour la consécration de cett~ fête. Républicain mystique, il avait confiance dans l'infaillibilité de la raison générale. Cela est vrai si l'on raisonne en perspective de la somme de l'intelligence communo dans l'avcmir, l'instruction et l'éducation ayant nettoyé jusqu'ici les voies couvertes des détritus pestilentiels de la monarchie; mais le cœur est oppressé doul9ureusement à l'aspect de l'ignorance élevant un Bonaparte à la Présidence, et forgeant ainsi de ses mains lès armes qui vont bientôt servir à la trahison du parjure-meurtrier. Toutefois, en écouta\Jt, Bonneville, on ne saurait n'être point tonché de cette foi jeune, ardente, enthousiaste, renclant hommage à la moralité. humaine. Le dictionnaire historique <le Bo~illé ne donne point le nom <leBonneville. Mme· Roland en parle pourtant dans ses lettres. Nous ne lui connaissons aucune notice biographique, bien que sa qualité de rédacteur de la Bouche de Fer eût dû le mettre en lumière. Toutefois, il est j11ste de rappeler à ce sujet une note de M. J. Michelet. Bonneville était petit-neveu de Racine, et il l'a souvent " imita, copié même (par droit de famille, dit-il) dans son " poème mystique qu'il appelle une tragédie : l'Année "MDCCLXXXIX, ou les tribuns du peuple. Il y a quelques beaux vers. Nous terminons cet article par un fragment du récit de Tissot, professeur de philosophie, qui vit Bonneville à Paris en l 824. " Il traînait ses derniers jours au fond d'une arrière- ,, boutique, rue des Grés l 4, où il avait été recueilli par '' une vieille marchande de bouquins, presque aussi '' pauvre que lui, et qui était restée son admiratrice en- ,, thousiaste. Elle cachait son dérnuement avec une ,, exquise pudeur dans le bien. - Pour la rassurer, il •' fallait la certitude d'une communauté de sentiments ei

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