Homme - anno II - n.04 - 27 dicembre 1854

L' li OMM J~. - • ·- •• -·-·--------------------------------------------------------- CORRESPONDANCEPARISIENNE. 20 Décembre 1854. Je ne vous ai jamais parlé rle l'immaculée Conception: J'espérais que ce triste scandale <l'hypocrisie ne serait point ùonné au monde et que la France de Voltaire, la France de la Révolution ne serait pas provoquée. Je me suis trompé : Les hommes noirs ont eu le courage de faire un concile à Rome, sur la mère du Christ, et de la déclarer imma_culée; pauvre et brave femme ! Lisez à cet endroit Salvator et Strauss. Donc les évêques, les cardinaux et le pape, étant en saint Conclave, ont fait ce dogme, et t<mte la Catholicité s'y prête. Eu France, les marguillers, les chanoines, ies gendarmes, les juges, les prêtres, les fonctionnaires rle toute robe et de tout état ont illuminé. Pas besoin n'est de vous dire que le Peuple a ri, et que les honnêtes gens étaient tristes. Pauvre France ! Elle payera cher la loyauté de ses souvenirs et la niaiserie de ses enthousiasmes. M. Bonaparte, qni est trës immaculé, comme vous savez, a pris la tête de la croisade, et s'est rendu, comme parisien, à St-Germain l' Auxerrois : c'est le crime complet, jusqu'à la bouffonnerie. Question d'argent : Cela revient toujours depuis le 2 Décembre ! On va faire un second emprunt de 500 millions. Le pays sera prochainemen~ invité à la souscription impériale, et, comme il y a Carême dans les ateliers et dans les fermes, on priera les gros banquiers de Paris de faire le reste. M. Rotsehilcl a refusé. C'est le Nestor du vieux temple. :Mais M. Pereire accepte, et vous connaissez III. Pereire ! Jadis, cet homme Saint-Simonien trarnillait au National, du temps de Carrel, et Pierre Leroux, qui est votre compagnon d'exil, a plus d'ur,e fois vu de sa prose. D,epuis quinze ou seize ans, les chemins de fer ont entraîné cet indomptable patriote de la finance. Aujourd'hui, gras et lâche, il rit de vos misères et de celles de la patrie et de celles de l'idée. Donc il complètera l'emprunt :· mais la querelle entre l'empereur et le pays n'est pas de bourse, seulement. On enlève aux campagnes les bras robustes ; on prend dans les villes tout ce qi n'est pas phtysique, rachitique, éclopé: la moisson humaine se coupe à pleine faux, comme au temps du premier empcrenr. Or je vous déclare que le vays ne comprend plus et ne veut plus ces coupes sombres. il paierait encore, pour la personuelle, pour les portes et fenêtres, pour le sel, le tabac et le vin, mais il ne veut pas qu'on lui vole ses enfants pour la gloire de Crimée. M. Bonaparte, qui a gardé la conscription, ne fera pas cette annét une seconde levée : la patrie ne comprend pas· et ne veut pas. Que vous dirais-je des salons ùe Paris? C'est toujours la même guerre, la même impertinence, les mêmes petits bons mots et la même làcheté. La vieille société française n'aime pas cet homme : elle discute ses actes, sa femme, son nez, mais elle a peur du droit qui va venir, et jamais elle ne regarde du côté de l'exil sans trembler. La vieille société française, c'est la marquise en 92. MM. Fortoul, Baroche, Troplong, Delangle, et Pietri, se sont rencontrés, il y a huit jours, chez cet oncle Jérôme qui siège au Luxembourg et 11uiest l'en-cai du /:'.OUvernement. Ils .disr.utaient, ces braves gens, sur les droits de la pensée et sur les moyens de relever, sans péril social, la liberté française. A la fin du diner, l\1. Fortoul, qui avait gardé la majesté du silence, s'est levé, et il a dit : " Je porte un toast au citoyen Albert ! - Souvenez-vous qu'il y a six ans à peine, le Luxembourg était à cet homme et à Barbès. - Comprenez-vous, maintenant, qu'il y a toujours danger, même ici, même entre nous, à parler de la liberté française ? " - Les autres burgraves se sont inclinés, et se sont évanouis ... Pauvre Fortoul, tu reverras Albert ! M. Bonaparte a refusé les dons patriotiques pour l'armée d'Orient; il a déclaré, clans le J11oniteur, qu'à lui seul il appartenait de consoler et de rémunérer nos gloires.- C'est de sa comédie : M. Bonaparte ne veut pas que le Peuple et l'Armée puissent s'entendre, même sur les tombes; il craint qu'on ne s'explique sur son compte, en enterrant les morts ; et il garde, pour lui seul, sa Crimée.- Qu'elle lui soit légère ! XXX. LE Q9 NOVEMBRE A NE,VCASTLE. L'anniversaire de la Révolution polonaise a été célébré dans la plupart des grands centres politiques de l'Angleterre avec une grande solennité. Nous recevons, entre autres, le compte rendu dn meeting de Newcastle-on-Tyne, présidé par M. W. Cook; un public nombreux et enthousiaste s·y pressait pour entendre ùes orateurs populaires comme W. Newton, Julian Harney, M. Shtck (rédactenr de l'Atlas), etc. Les résolutions suivantes ont été adoptées : " Le meeting déclare que le démembrement de la Pologne par les Etats despotiques, Russie, Autriche, Prusse, est un crime des plus noirs, un outrage sanglant à ces 11rincipes ùe Droit et rl'Equité qui sont la sauve-garde des Nations. Tout acte de résistance à ce crime, tout mouvement du peuple polonais contre les oppresseurs doit être regardé comme .saint et comme méritant les appla11dissements du monde entier. " Le meeting a célébré avec recueill~ment la mémoire des effo::ts héroYques des Polonais dans la grande lutte commencée le 29 Novembre 1830; et regrettant avec 1rne douleur 11rofonde l'insuccès de leurs efforts, il proclamf? sa foi dan~ le Droit imprescriptible de la Pologne à recouvrer son existence nationale, et sa conviction que le Devoir du Peuple anglais, dans la crise actue1le, est <l'aider les Polonais à recouvrer l'indépendance et la liberté de leur Patrie trop longtemps martyrisée. " Le meetin,g déclare que, les antécédents des gouvernants actuels, surtout ceux du comte d'Aberdeen, dans leurs relations avec la R~ssie depuis le congrès de Vienne jusqu'aux négociations act11elles à l'égard de ses agressions contre la Turquie; que leur faible et illusoire résistance - sinon leur connivence-avec le Czar, leurs refus et leurs délais avant de commencer la guerre ; que l'absence totale de tout secours à la Turquie, longtemps après l'ouve1ture des hostilités, les obstacles apportés à la conduite de la guerre par les Turcs ; que les machinations diplomatiques qui ont placé l'Autriche dans les Principautés comme un bouclier pour la Russie., inh.e ainsi en état d'envoyer son armée en Crimée pour combattre - et accabler peut-être -les armées anglaises et françaises; que leurs refus e,u leur négligence quand il eiît fallu s'allier à des Etats ou à des Nations menacées ou opprimées par la Russie - ont formé une telle masse de rnalversatio11s qu'il faut exiger leur destitution par la Couronne et leur mise en 1tccusation par le Parlement. "Le meeting croit d'ailleurs qu'il est devenu indispensable à la sécurité même de la Patrie - quelque soit le ministère qui préside à la direction de la guerre - que la paix ne soit pas conclue sans rétablir la Pologne comme Nation indépendante; sans garantir l'indépendance des autres Etats sur la 13altique en rendant la Fi11lande à la Suède et en annulant le traité p11r lequel l'Angletene et d'autres Etats ont assuré à la Russie la succession au trône de Danemark, faisant ainsi ùe la Baltique un lac russe; et, enfin, sans garrntir parfaitement à h Turquie le Droit exch..sif de gouverner des provinces et :-:es sujets sans contrôle et sans intervention d'aucun Prorectorat, religieux ou politique." Le meeting s'est séparé après avoir voté une a<lresse fraternelle et sympathique aux Polonais, et uu appel énergique au peuple anglais. Il s'est formé à Londres, <lans le même but, \111 Comité anglo-polonais, présidé par M. P. A. Taylor, et qui tient ses meetings, 10, Southampton Street, Strand, UNE PAROLE DE BENJAMIN CONSTANT. " Tout confirme cette maxime de Montesquieu, qu'à mesure que le pouvoir devient immense, li!.süreté diminue. " Non, disent les amis du despotisme, quand les gouvernemeHts s'écroulent, c'est toujours la faute ù11leur faiblesse. Qu'ils surveillent, qu'ils sévissent, quïls enchaînent, qu'ils frappent, sans se laisser entraver par de vaines formes. " A l'appili de cette doctrine, on cite deux ou trois exemples rie mes\Jres violentes et illégales, qui ont paru sauver les gouvernements qui les employaient. 111ais, pour faire valoir ces exemples, on se renferme adroitement dans le cercle d'un petit nombre d'années ; si l'on regardait plus loin, l'on verrait que, par ces mesures, ces goU\·ernements loin de s'affermir, se sont perdus. " L'usurpation ne peut donc subsister, ni sans le despotisme, car tous les intérêts s'élèvent contre elle, ni par le ùespotisme, car le despotisme ne peut subsister. La durée ,le l'usurpation e~t ùonc impossible. " Sans doute le spectacle que la France nous offre parait propre à décourager toute espérance. Nous y voyons l'usurpation triomphante, affichant le mépris des hommes, le dédain pour la raison. Autour d'elle se sont réunis tous les désirs ignobles, tous les calculs adroits, toutes les dégradations raffinées. La cupidité parait à découvert, offrant son opprobre comme garantie à la tyrannie. Le sophisme s'empresse à ses pieds, l'étonne de son zèle, la devance de ses cris, obscurcissant toutes les idées, et nommant séditieuse la vt>ix qui veut le confondre. L'esprit vient lui offrir ses services, l'esprit, 11ui, séparé de la conscience, est le plus vil des instruments. Les, apostats de toutes les opinions accourent en foule. Des transfuges habiles, illustrés par la tradition du vice, se glissent de la prospérité de la veille à la prospérité du jour. La religion est le porte-voix de l'autorité ; le raisonnement, le commentaire de la force. Les préjugés ùe tous les àges, les injustices de tous les pays, sont rassemblés comme les matériaux du nouvel ordre social. L'on remonte vers des siècles remplis; l'on parcourt des contrées lointaines, pour composer de !Jlille traits épars une servitude bien complète qu'on ]JUÎsse donner pour modèle. "Un pareil état est plus désastr~ux que la 1 révolution la plus .orageuse. On peut détester quelquefois les tribuns sfditieux de Rome, mais on est oppressé du mépr~ qu'on éprouve pour le sénat sous les Césars. On peut trouver durs et coupables les ennemis de Charles Ier, mais un dégoüt profond nous saisit pour les créatures de Cromwell. " Missionnaires de la vérité, si la route es(interceptée, redoublez de zèle, redoublez d'efforts ! Que la lumière perce de toutes parts! Obscurcie, qu'elle reparai~se; repoussée, qu'elle revienne! Qu'elle se re11roduise, se multiplie, se transforme! Qu'elle soit infatio-able comme la persécution! Que lP-suns marchent avec'\ourage, que les autres se glissent avec adresse ! Que la vérité se répande, pénètre, tantôt retentissante, et tantôt répétée tout bas ! Que toutes lee raisons se coalisent, que toutes les espérances :;e raniment, qne tous travaillent, ,que tous servent, que tous attendent! "La tyranme, l'immoralité, l'injustice, :sont tell.emeut contre nature, qu'il ue faut qu'un effort, une voix courageuse pour retirer l'homme de cet ab"ime; il revient à la morale par le malheur qui ré!<ulte de l'oubli de la morale• il revient à la liberté par le malheur qui résulte de l'oubÙ de sa liberté. La cause d'aucune nation n'est dé5espérée," Ne dirait-on pas que ces lio-nes sont écrites d'hier ? Les temps et les empere;rs se ressemblent moips la gloire, pourtant, ' Le premier N ::ipoléon avait fait à la France une situation de silence et de servitude que la France du jour a vu renaître : il la trompait et l'entraînait par ses victoires. Aujourd'hui, ses victoires sont _maig:reset la misère des âmes est plus grande que Jamms. . ~es p~roles de_ ~enjami11 Constant, quoique v1e1lles d un cle1m-s1è"I", sont conformes à nos malheurs. Le temps prés""t les m:... ;t~ et les doit méditer. Voilà pouro ..,,,;nous les cifou,. LA FRANCE ET LA RÉVOLUTION. Le premier pas à f,,ire pour fonder en 1848 la Liberté c'était l'établissement d'un seul pouvoir politique, d'un; Convention contenant en soi les attributions de la pui5sance législative et de l'exécutiv., ; le secoud, c'était la commune afiranchie et constituée sur des bases larges et fortes ; et le troisième, le remplacement de la magistrature par le jury, ce <lont je traiter~i maintenant. Notre organisation judiciaire a subi le contre-coup des changements par lesquels a passé notre organirntion politique. La nature des choses t<J veut ainsi : ttiut se tient, en effet, dans l'ordre social ; et, dès-lors, à chaque forme de gouvernement doit correspondr.e nécessairement une forme d'organisation judiciaire analogue. Il n'y a point d'exagération à dire que l'organisation judiciaire de l'ancien régime se <:ompos:iit d'abus de toutes sortes et en quantité presque infinie. Toutefois, il me: p~- i:,üt possible de les classer sous trois chef::. principaux : lo Le droit de rendre la justice était une chose, une propriété, faisait partie du patrimoine ; on en héritait, tout comme on héritait des terres, des maisons, du mobilirr ; on rn pouvait disposer par testament, douation entre vifs, échange, ve11te, etc. 2o Le pouvoir judiciaire empiétait sur les attributions du pouvoir législatif et de l'administration, apportait ainsi le trouble, le désordre dans les services publics, partant, dans la société tout entière. 3o Il y avait ùes tribunaux privilégiés et des formes de procédure privilégiées pour certaines classes de plaideurs privilégiés. On distinguait le délit commun du délit privilégié. Le droit de plaider était privilégié : il n'appartenait• qu'à certaines personnes privilégiées 'de défendre devant Îes tribunaux la \'ie, l'honneur, la fortune des justiciables; la loi ne reconnaissait mrme pas le droit naturel de la défense personnelle ; enfin, on ne pouvait forcer un président à accorder audience, un rapporteur à présenter son rapport ; et, la justice étant refusée inlléfiniment, les intérêts de chacun étaient toujo1irs compromis, souvent sacrifiés, rnéantis. ' L'Assemblée Constituante, qui a jeté les bases de notre, organisation judiciaire actuelle, abolit ces abus , elle res-. titua à la justice son cara~tère propre et essentiel : elle la considéra comme le droit et le. devoir de la société, et, parapplication de ce principe, elle en fit une prérogative de la souveraineté et une fonction publique. Elle en fixa nettement les attributions, et les circonscrivit rigoureusement dans le domaine des choses privées, où, en effet, elle a_ seulement autorité. Elle &opprima les priviléges, proclama l'égalité des justiciables et, sanctionnant le drc,it naturel de se défendre, elle suppnma la uuée innombrable et dé-. vorante de gens d'affaires ~ui assiégeaient les avenues du prétoire et envahissaient le prétoire lui-même, L'Assemblée Constituante fit plus : s'appuyant sur lo dogme de la souveraineté du Peuple, elle en avait tiré h pouvoir législatif et l'execntif ; conséquente à elle-même, elle donna au pouvoir judiciaire la même origine, et dis., posa que les magistrats de teus _lP:; degrés se.raient nommt:a p~r le Peuple. L'Empire alt~ra profondém~ilt l'œuvre de la Constt. tuante sous <leur. rapports principaux : D'un côté, I« Peuple fut dépouillé du pouvoir judiciaire, ainsi qu'il l'était d'ailleurs du pouvoir législatif et de l'exécutif, et la. nomination des magistrats fut attribuée exclusivement à l'empereur; <l'un autre côté, les cours impériales, espèces de parlements au petit 1)i,,,l furent instituées, et la gent

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==