Homme - anno II - n.03 - 21 dicembre 1854

graves problèmes que nous venons de poser ; justifions successivement chacune de nos assertions. Et d'abord, traitons de la Centralisation et de la Commune. "Nature nous a touts faicts compaignons," dit quelque part Etienne de la Boëtie. Rien de plus profondément vrai que cette pensée de l'illustre ami de Montaigne. Ce n'est point l'état de nature, c'est l'état social qui est dans la nature. La société est notre élément, comme l'eau au poisson, l'air aux oiseaux. Hors de la société, nous trouverions immanquablement la mort ; dans la sociétli seule nous pouvons puiser l'être et la vie. Le besoin de sociabilité qui nous est inhérent se manifeste sous plusieurs formes, crée diverses sociétés particulières au sein de la grande société du genre humain qui renferme toutes les autres sociétés. JI crée la Famille. Fondée sur l'attrait qui porte les deux sexes l'un vers l'autre, sur la nécessité de la reproduction et de la conservation <le l'espèce, la famille repose en outre sur les sentiments les plus nobles du cœur, sur les pensées les plus hautes de l'esprit. Dans cette communion des biens r.t des maux, des joies et des douleurs d'ici-bas, quelle vaste carrière ouverte à l'amour, au d6vouement, au sacrifice! Quelle source féconde et inépuisable des qualités qui font l'honnête homme et le citoyen! car tout se tient dans l'ordre moral; et les vertus privées produisent les vertus publiques, aussi naturellement qu'un arbre produit son fruit, de même que, réciproquement, les secondes impliquent les premières. Ah ! ceux qui imputent à la Famille d'enfanter l'égoïsme, d'étouffer en nous les devoirs civiques et généraux, ignorent en vérité tout c<: qu'il y a d'inspiration patriotique dans l'accomplissement des devoirs tendres r.t délicats de la Famille. Il crlie la Nation. D'une part, la Nation nous procure la sécurité, nous protège clans nos personnes et nos biens; et, d'autre part, elle élargit notre horizon, elle 9.grandit et élève notre être intellectuel et moral, et, par le rôle qu'elle joue au milieu des autres nations, nous fait acteurs des révolutions du grand drame humanitaire. Il crée l'Humanité. La conception en vertu de laquelle nous voyons l'Homme dans tout être semblable à nous, hom.o smn eJ ,iihil humltni à me alienum puto ; de plus les sentiments, les id6es, les faits qui découlent de cette conception fondamentale, :voilà ce qu'est l'Humanité. Par la Famille, par la Nation, no11spourrions être réfractaires aux autres .familles, aux autres natio11s; mais par l'Humanité, nous communions avec tons les hommes, et nous comprenons, qu'au-dessus des devoirs de la Famille et de la Nation, il y a ceux de l'Humanité, compris tous clans cette formule sublime de l'Evangile: Aime ton prochain comme toiméme. Mais ce n'est pas tout. Il y a, en outre, un ordre de relations que ne satisfont ni la Famille, ni la Nation, ni l'Humanité; la première se renfermant dans une sphère tout-à-fait étroite et intime, et les deux autres embrassant une trop vaste étendue. J'ai des rapports particuliers avec des personnes qui habitent la même localité que moi; j'ai à m'occuper avec eux d'intérêts <levoisinage ; pour cela, il nous faut nous réunir, discuter, prendre des décisions: les décisions prises, les faire exécuter par quelques-uns des nôtres délégués à cette fin; nous faire rendre compte <lece qui a été fait; nous avons à prendre garcle à tout ce qui peut porter atteinte à la santé publique et aux bonnes mœurs, cette précieuse santé de l'âme; nous avons à éclairer nos rues, à les paver et tenir en bon état, à entretenir nos routes et à en ouvrir de nouvelles, s'il y a lieu; nous avons besoin d'une maison J'école pour nos enfants, etc. Et combién de choses ne passé-je pas sous silence? car les objets qui no11ssont communs sont aussi nombreux que variés. La Commune a pour but de satisfaire cette multiplicité infinie de besoins. Cela posé, qu'est-ce qu'est la Commune en France? La sujette, la serve, <lu pouvoir eentral, représentant la Nation. Pour tout, l'autorisation de ce dernier lui est nécessaire; elle ne peut marcher, se mouvoir toute seule. De là, surabondance de la vie au centre, dépérissement et atonie dans lts membres : de là, cl6sordre dans le corps social. Affranchir la Commune du pouvoir central, c'est évidemment l'unique moyen de faire circuler la vie et le mouvement partout, de faire de la France une nation réellement robuste et vigoureuse. Et il y a plus. En même temps que, par l'affranchissement de la Commune, vous donnez satisfaction à des besoins essentiels de l'homme, vous obtenez le double résultat qui suit, dont l'importance n'est pas moindre: en premier lieu, vous simplifiez l' A~mini~tration, vous délivrez le pays de la lèpre clu fonct1onansme, et, prenant moins au contribuable, c'est-à-dire à tout le monde, vous augmentez d'autant la richesse générale; et, en second lieu, vous opposez au pouvoir central un obstacle capable d'en arrêter les envahissements. Mais, pour cela, il ne suffit pas d'affra~chir la C?mmnne, il faut en outre la fonder fo.rte et pms!!ante. C est ce dont uous manquons, aussi bien que de la liberté communale. Sont-ce des Communes, je le demande, que ces aoglomérations de deux ou trois hameaux épars, érigés p~urtant en communes tout comme nos grandes villes? L'HO~1~lE. est-ce que dans de si étroites limites, il peut y avoir lieu à la moindre activité intellect.uelle, morale, politique ? est-ce que là où on est pauvre et sans ressources on peut faire quoi que ce soit pour l'intérêt commun ? est-ce c1ue, d'ailleurs, de si chétives communes peuvent servir de boucliers à la Liberté ? Pour toutes ces fins, il faut, en affranchissant ya Commune, la réorganiser sur de larges et soli,les fondations. Et qu'on n'essaie pas de nous accabler sous l'ac.cusatiomde Fédéralisme? Rien ne serait plus injuste. Qu'estce que c'était que le FédéralismE:? Les vieilles races, les anciennes provinces de notre France qui, encore mal agrégées et soudées, aspiraient à reprendre leur individualité propre et distincte. Le régime communal que nous proposons est une chose tout-à-fait différente. Il est même évident que, par les agglomérations qu'il établit, il brise les liens qu'avait créés la Province; et qu'ainsi il fortifie l'Unité, bien loin de la disjoindre. Mais si l'Unité est conservée, sauvée, la Centralisation tombe. C'est que la Centralisation a fait son temps : bonne entre les mains de nos rois pour la fusion en un seul peuple des Normands, Picards, Champenois, Bourguignons, Provençaux, Gascons ; boirne entre les mains de la Convention pour la ruine de la société féodale et monarchique, elle ne nous convient plus à nous, précis6ment parce qu'elle a accompli son œuvre. Ce n'est point la Centralisation, mais la Liberté que nous avons, nous, à conquérir et à nous assimiler. Personne, plus que moi, n'admire les hommes de la Convention, leur dévouement héroïque, leurs travanx gigantesques. Mais que notre admiration pour eux ne nous jette pas dans une fausse voie! Nous ne devons pas refaire cc qu'ils ont fait, mais le continuer. La Centralisation qui leur fut levier de liberté nous est instrument d'oppression. Matérialisée sous le premier empereur, jésuitisée sous la Restauration, polluée sous Louis-Philippe, elle a été tuée par le coup d'Etat. Un gouvernemen~ républicain peut-il se servir de l'armée qu'a employée pour son brigandage la. Bête immonde de Décembre? Ajoutons, pour terminer, que, depuis 1848, le paysan français a conquis son droit de cité. Ceux qui ont vécu dans nos campagnes, qui y ont parlé, qui y ont écrit, savent combien il y a là d'éléments excellents, admirables, que le verbe républicain une fois semé y produisait bien vite ses fruits, que les monarchies de toutes couleurs y étaient con:;puées, honnies, sifflées, et que le scrutin de 1852 y aurait donné une majorité républicaine écrasante~ ils savent qu'au jour de la lutte il y ent un frémissement et une indignation universelle, et que pn,sque partout il n'y dépendit point des masses qu'on n'y remplît le devoir tout entier. Or, pour le paysan, la cité c'est surtout la Commune, la Commune où il a sa maison, son champ, si vigue, les paturages où paissent ses bestiaux, les bois où.il coupe son chauff'age, la Commune où se trouvent les objets de son affection, et la nombreuse famille qui l'entoure et les eendres de ses ancêtres. Le paysan a gagné la Commune; qu'il en jouisse : c'est son droit; et c'est le devoir des Républicains de la lui donner. Les considérations ci-dessus développées se présentaient pour le plus grand nombre en Février 184-8; et, nous y appuyant, nous ne craignons pas d'affirmer hautement et avec la plus profonde conviction ~ue, LA COMMUNE LIBRE ET FORTEMENT CONSTITUÉE devait être l'une des premières et principales pierres de l'édifice républicain. H. MARLET. Errata du dernier article : col. 3 lig. 12 au lieu de : le temps a opposés en toutes choses, lisez : le temps a apportés en toutes choses. - Même col. lig. 22 au lieu de : sa marche serait fortement entravée, lisez : sa marche serait forcément- Fin de la 3me col. au lieu rle : ils sont là qui s'embarquent, lisez : ils sont là qui s'emhusquent. EUGÈNE BEÔTHY. L'exil et la mort font leur œuvre. Le:; proscrits tombent dans la fosse qui n'a pas le temps de se refermer. Nous avons mené déjà bien des fuuéraillt1s, nous avons dit l'adieu suprême sur bien des cercueils renfermant <le glorieux martyrs, mais nous restons debout et forts, car notre foi grandit dans les épreuves, car chaque cadavre qui roule à la tombe est une affirmation révolutionnaire. Celui qui vient de mourir loin de la patrie si ardemment aimée, si grandement servie, loin de ses frères qu'il espérait revoir peut-être, celui q11ivient d'expirer à Hambourg - un exil dans l'exil - était Eugène Beothy, membre illustre de la Diète hongroise. C'était un de ces hommes forts qui épuisent leur âme dans les luttes du patriotisme; qui répandent leur sang, si le pays veut leur sang; qui rayonnent par la parole quand les peuples ont besoin des grands enseignements et qui donnent enfin leur vie quand ils n'o\1t plus que leur vie à donner. Beüthy avait été soldat- presque enfant, il avaitJté entrainé dans cette sanglante épopée qu'on appelle les guerres de l'empire. Mais comme tous les hommes de pensée il avait fait des champs <le bataille une école de méditation. Il y avait rencontré les rois pour apprendre à les haïr, les peuples pour les aimer; et il avait rapporté au foyer retrouvé bien des pensées douloureuses, mais fécondes, qui devaient murir dans son cœur et enflammer cette éloquence qui restera une des gloires de la tribune de notre pays. Né dans le comitat de Bichar, pays frontière de Transylvanie, EugèneBeüthy se fit remarquer de 1815 à 18::W, dans les assemblées du comitat, par l'énergie du caractère, par l'éclat de sa parole, par la hauteur de ses vues en matière politique et administrative, par sa passion de l'indépendanc~. C'était un de ces hommes coulés en bronze et tout d'une pièce, qui ont des amitié;; ardentes et des haines vigoureuses; une ee ces âmes qui ne fléchissent jamais et qui se répandent comme des flammes sur les assemblées qu'elles entrainent; aussi, disait-on <lelui, quand ses cheveux eurent blanchi dans les tempêtes parlementaires : c'est itn volcan couve,·t de .neige ! Nous ne connaissom pas de carrière plus noblement suivie, de vie plus pleine de glorieux labeurs, pas de conscience plus haute, pas d'honneur plus pur, et ce nom est bien un de ces noms qui doivent resplendir au livre <l'or de la démocratie européenne. Envoyé en 1830 à. la Diète, il devait garder jusqu'à l'exil son siège cle lléputé, qu'il choisit dans les rangs de l'opposition la plus avancée dont il fut souvent le chef énergique et désintéressé. En 1831, il fixa les regards par sa gén6reuse motion en faveur <le l'héroïque Pologue; vigoureuse catilinaire qui a11rait entrainé le gouvernement autr:chie11 daus la v11iedes grandes réparations, si un pareil gouvernement, école de làcheté, de perfidie et de trahison, vouvait être touché par autre chose que par un intérêt sordide et une basse avidité. L:i lutte contre la goule autrichienne, lutte opiniâtre. lutte sans merci et, jusqn'à la mort, c'est toute la vie d'Eugène Beèithy. Les hasards ,le la dcstin6e l'avaient fait naitre dans la communion catholique, mais la vigueur cle son esprit et la généreuse logique de son cœur l'avaient fait l'apôtre de toutes les libertés. Il fut le défenseur des Protestants opprimés et revendiqua pour eux la liberté de conscience. Il l'obtint, et, chose remarquable! dans le naufrage des libertés de la Hongrie, deux choses sont se11les restées debout: la liberté de conscience et les mariages mixtes, œuvre de Beüthy, et l'émancipation des paysans, œuvre de Kossuth! - deux grancls actes! deux beaux noms! - la patrie ne les oubliera pas, ni celui qui vient <lemo11rir dans l'abnégation, dans l'exil, dans la pauvreté, dans la foi républicaine; ni celui qui reste debout, puissant et glorieux lutteur, s11rla brêche aujourd'hui comme hier et préparant par sa grande propagande l'avenir de la 1-tépu- • blique hongroise. La Révolution de 1848 trouva Beothy au parlement. Les controverses et les polémiques n'avaient point épuisé le combattant de l'opposition. Il était prêt pour les luttes nouvelles et agrandies. Cette fois, c'étaient la vraie vérité, la vraie liberté qui rayonnaient! cette fois, c'était avec le vieux et inique despotisme qu'il fallait s.e prendre corps à corps! C'étaient les vieilles erreurs, les préjugés, les priviléges, les usurpations, les oppressions qu'il fallait combattre! C'était le vieux monde qui croulait! C'était l'aurore d'un monde nouveau. C'était la lioerté en France, la liberté à Rome, à Venise, à 11'.lilan,à Vienne I C'était la liberté en Hongrie, la liberté et le i.entiment républicain partout, et aussi partout la solidarité dei. peuples ! Eugène Beüthy se retrouva jeune et fort pour l'action ; commissaire du gouvernement dans le Banat, il fut plein d'énergie et d'activité ; commissaire aux armées et près du g6néral Bem, il fut plein de résolution et de bravoure. Hélas! la France tomba polluée par le cynique et sanglant profanateur! ~orne, la Rome républicaine, retomba sous la robe du pontife persécuteur, Vcnise, l\Iilan. Vienne, libres un jour, retombèrent sous le joug, et la Hongrie, trahie à son tour et vendue à l'Autriche, retomba aux mains de ce Néron amoindri, ce hideux FrançoisJoseph qui est aussi un empereur ! Tout était perdu, hormis la conscience du devoir accompli; tout, hormis l'honneur, hormis l'espérance et l'avenir. Avec Kossuth, âont il resta l'ami fidèle et dévoué, Beothy fut condamné à mort et pendu en effigie, il fallut fuir et le proscrit commença sa vie errante. L'Angleterre fut la première étape, l'Angleterre pays des merveilles constitutionnelles! Le proscrit, le penseur vit le système en plein rapport, le peuple en haillons, le Parlement et la Cour en ~arosses somptueux. Il vit le travail aux prises avec la faim, l'exploitation de la misère, les femmes exténuées ralant sur les métiers pour un salaire déri~oire, l'enfance hâ,·e, chétive, rachitique, encombrant les ateliers meurtriers, et toute cette grandeur industrielle un des cercles de l'enfer de Dante !-le socialiste s'éloigna.- Il y avait en France l'ombre d'une République, il voulait essayer de la France. Il vit les orgies <le la pré:,idence, un faux Bonaparte, un faux général, un faux empereur; il vit le crime de Décembre, les horreurs du boulevard Montmartre, les prisons pleines, les casemates encombrées, les convois pour la déportation, il vit le monstrueux empire qui se perpétrait ; La France n'était plus la :France, il SE: sauva. Il vint ici, à Jersey, parmi nous qui l'aimions. Il vou-

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