Homme - anno I - n.53 - 29 novembre 1854

ter ce chef en France ou en Espagne, ou ailleurs ? Ces pays-là suivant toujours vos arguments, ont autant de titres que l'Italie au bonheur rie le possédPr. Qu'une Révolution arrive et la religion des Italiens ne les empêchera pas d'envoyer le Pape ............ à Jérusalem peutêtre. . Les Italiens ne sauraient être catlwliques; on a vu la chose de ti op près pour y croire. Est-c_e que ceux qui sont sur la scène se laissent prendre à la fantasmagorie? N'est-ce pas à Rome que Luther ~e décida à la Réforme? N'est-ce pas en Italie que Lamennais abjura le Catholicisme ? L'Italie ne saurait être protestante. Méprisant les momeries catholiques que la raison combat mais qui satisfont au moins l'imagination, elle ne voudra certes pas les changer pour les froides pratiques de la religion reformée. En Italie, be.iucoup de gens vont à l'église non pas seulement parce qu'on y est co11traint, mais parce que cela amuse; on n'irait pas du tout si on était libre, si on denit s'y ennuyer. Du reste l'esprit italien est logique de sa nature, et s'il ne reconnait pas l'autorité des Conciles et des Papes, il reconnaîtra encore moins celle des Sectes. Le principe du libre examen, une fois admis, conduit directement les Italiens au Rationalisme. Dans la superstition elle-môme, on reconnaît le peu de respect qu'on a pour l'autorité religieuse. Pour obtenir le fameux miracle de Saint-Janvier, on l'insulte, on le menace, et quand on croit le miracle accompli, on dit des sottises à tous les autres saints du Calendrier; c'est le ptuple qui veut prendre le paradis d'assaut et y parler en maitre; c'est la superstition, mais c'est la négation de toute autorité religieuse. On parle des prêtres: Le prêtre est le valet du puissant, et il vit puiss:int au milieu des malheureux; les premiers le méprisent et se moquent de lui, les seconds s'en moquent aussi le plus souvent, ma,is ils se recommandent à lui parce qu'ils en ont besoin; ils le craignent toujours parce qu'il peut leur faire beaucoup de mal; ils l'aiment quelquefois quand ii leur fait un peu de bien. Mais ce n'est pas au prêtre qu'ils se recommdndent, c'est l'aumôniE:rdu gouvernement qu'ils prient, c'est l'homme riche par rapport à eux, c'est l'ami du sei_qneur, non de celui du ciel mais de celui de la terre. C'est le prêtre qui fait nommer le maire et qui empêche le gendarme de dresser procès-verbal : le peuple ne craint pas le ministre de Dieu, mais celui qui peut le faire arrêter pour le compte de l'évêque, qui fonctionne comme commissaire. Le pauvre n'aime pas dans le prêtre le représentant de la religion, il aime quelquefois l'homme charitable ; s'il n'avait à donner que le Paradis ou !'Enfer, bien peu de gens s'adresseraient à lui ; personne ne le craindrait et on le haïrait moins. On tr1 a une preuve en Lomb trdie où le prêtre a eu jusqu'ici moins d',tUtorité. Je ne sais si cela a été un bien dans l'intérêt de la Révolution, mais c'est un fait que l' A.utrichc pendait les prêtres aussi bien que les autres, et le peuple qui ne les craignait pas, les courtisait moins et les aimait plus qu'ailleurs ; à présent que l' Autriche c11erche à leur donner de l'influence, on les déteste comme partout. J~n voilà assez ponr la religion, l'Italie reconnait la liberté de conscience comme un dro;t, la République ne peut pas le lui refuser. La Révolution a le devoir d'exiger que le CatholicismP, comme toute autre religion, respecte l'ordre moral, politique et social de l'Etat. Qu'elle fasse cela, et l'instruction aidant, il n'est pas à craindre que la religion lui fasse obstacle dans la voie de la civilisation et du progrizs; pourvu qu'elle ne se la ratt<tche pas comme institutio11, le Catholicisme n'est pas de force à la suivre et doit nécessairement tomber en route. Il est des gens qui croient qu'une fois que l'Italie aurait ses frontières naturelles, son indépendance, son unité même républicaine, elle s'arrêterait là. On a l'air de craiJ11dre que, trahie, pernécutée par presque toutes les nation, européennes, elle 11ese refuse au lien de solidarité ! Un cardinal -de l'église, un roi de Sardaigne ont prononcé un mot: l' Italia farà .da se, et ce mot est reproché aux Italiens comme une accusation pour le passé, comme un sujet de crainte pour J;avenir. Certainement, tant qu'on prendra pour la voix de l'ltalie la parole de ses maitres, les motifs <le suspicion et d'accusation ne fnont pas défaut. Mai:-;est-ce donc le peuple italien, l'Italie républicaine qui a dit cela? Il est vraiment malheureux qu'on 11011asccuse même des faits de nos ennemis. Oni nous avons refusé le baiser LamourettP. du général Oudinot, qui nous l'offrait cle la part de Louis Napoléon, quand il dis ,1t vouloir défendre la République romaine, mais c'était le baiser de Judas; nous n'aurions pas refusé la main fraternelle des hommes du ] 3 Juin, nous avons au contra;re acclamé citoyens Romains les Représentants -dela :Montagne. Venise n'a.-t-elle pas réclamé, comme d'une sœur, l'aide de la France? Ce fut le général Cavaignac, l'homme de la transportation en masse et sans jugement, qui la refusa. Et quelle qu'ait été la conduite p:tssée de différentes nations, il est désormais trop évident que la cause de la liberté a été perdue parce qu'on avait 0•1blié le dçvoir de solidarité, pour pouvoir do·uter qu'aucune d'entr'elles puisse encore tomber dans la même faute. Et après tout croit-on l'Italie si lâche qu'elle n'aurait pas eu le courage de se lever et de se défaire de ses ennemis qui la counent de boue et de sa11g, qui lui crachent :1 la ngure la foulant aux piecls, qui lui Tolent son or, L.HOMi\lE. qui battent ses femmes, emportent ses enfants et pendent ses hommes? N 011, elle n'est pas lâche ; Procida ne l'était pas plus que Brutm, et l'un comme l'autre purent souffrir comme elle souffre aujourd'hui de longues années et retarder leur justice vengeres:.e jusqu'au moment où ils furent sflrs de l'accomplir. Or, cette assurauce, c'est précisément de la solidarité révolutionnaire, de let soli- <larité républicaine que l'Italie l'attei:d. Sans une crainte, mal fondée, selon moi, que son , exemple ne füt pas suivi, vous auriez vu depuis longt~mps flotter en Italie le drapeau de l'insurrection, et ce drapeau aurait été celui de la République uuiverselle. Il êtait prêt (je puis rassurer) à l\1ilan, le G février, et il n'y a pas peut-être à présent une seule ville en Italie qui n'en cache quelqu'un dans ses m1us. Si cette union rarait aujourd'hui nécessaire pour commencer la lutte, elle le paraitra davantage pour en assurer les résultats; et on ue voudra certainement pas déchirer le drapeau qu'on a levé ensemble, sous lequel tous out 1.,ombattu, par lequel à tous a été assurée la victoire. Ce n'est donc pas seulement pour son indépendance que l'Italie est prête à se lever, ce n'est pas seulement pour son unité, c·est pour la République Démocratique, c'est pour la République Universelle. Que si on voulait dire q11ela condition de l'Italie n'est pas telle qu'elle puisse réclamer comme ailleurs l'application des rfformes sociales, que l'éducation du peuplP. n'est pas encore assez avancée pour les comprendre, qu'on diviserait par là les forces révolutionnaires, on serait dan:s le faux tout autant que pour les objections auxquelles nous avons déjà répondu. Je conviens que ce qu'on appelle le malaise social est en Italie moins sensible qu'ailleurs, cela se comprend facilement. La raison d'être de la révolution sociale se trouve dans la distance entre le développement des forces économiques et l'immobilité de la réaction. En Italie ces rl6veloppemE:nts ayant été moindres, cette distance ne peut être au:ssi grauùe q\1'ailleurs; mais ce n'est pas une raison pour empêcher ni pour retarder une révolution économique, puisque le dévE:!oppement dont j'ai parlé est le souhait et le besoin de la nation, son droit eti son avenir, l'iutérêt matériel de la Rérnlution. Dès qu'il aurait lieu, le même malaise qni se fait sentir ailleur3 se développerait en Italie d'une manière plus menaçante à cause de l'immobilité absolue que la réaction y a gardée jusqu'à ce jour. La cbsse prolétaire est moins malheureuse chez nous non parce que les causes de son malheur y manquent; mais parce que le pays étant· moins riche, le pauvre y ést moins pauvre. Cela va paraitre un paradoxe, mais on se convaincra parfaitement du contraire dès qu'on voudra réfléchir à l'organisme de la r6partition actuelle <le la richesse. La part du propriétaire étdnt toujours dans u_ne proportion directe et progressive avec l'accroissement de la richesse, il est évident que l'accroissement de misère du prolétariat doit suivre la même proportion. C'est à cause de cela que dans les pays les plus pauvres, le prolétariat peut avoir moins à souffrir; vous en avez la contre-épreuve en Angleterre. Si l'Italie ne veut pas être condamnée à la misère éternelle, elle ne veut pas non plu.; que le prix de ses effort8 pour la prospérité nationale soit la misère de la majorité de ses enf mts. Et c'est bien simple, qu'au lieu d'attendre les effets, elle veuille éviter les causes qui ont couté aux autres pays tant de lar!lles et de sang. D'autres nationalités eu sont réduites à la répression, l'Italie peut, veut, doit profiter de leur expérience pour faire de la prévention. Eh quoi, ne saurait-on donc voir l'injustice sociale que dans les résultats ? Les résultats la démontrent, mais elle dérive de causes qui existent en Italie comme partout aille•irs. Est-ce qu'en Italie la propriété n'est pas aussi privilégiée dans ses modes d'acquisition et de durée? Est-ce qu'en Italie le travail n'est pas autant qu'ailleurs l'esclave <lu capital? Est-ce que l'ouvrier n'est pas là, comme partout, un instrument dans les mains du capitaliste, dont on paye la manute11tior1 et moins encore? Les conséq11e11ces<le tout cela sont, chez nous comme aiileurs, que le pauvre devient chaque jour plus pauvre et le riche plus riche. En Italie, comme partout, le superfin s'accumule chez les uns en prenant toujours plus sur le nécessaire des autres; l'ouvrier de la campagne qui multiplie la valeur da la terre est volé de sa propriété, l'ouvrier de la ville qui crée des richesses, meurt à l'hôpital; la Révolu~ion doit empêcher l'accroissement de ces résultats en r.n éloignant les causes. On n'a jamais prétendu que pour éteindre le feu, on devait attendre que l'iucendie eût consumé la moitié cl'm1e ville. Le Socialisme est vieux en Italie. Les Gracques n'étaient que ùes socialistes, et je ne sais pas si Catilina l'était au fond de son cœur, mais il se servit du Socialisme pour soulever les masses, et les mas~es l'écoutèrent et le suivirent. Dans le Moyen-Age, on n'a qu'à consulter les statuts de nos villes pour se convaincre qu'on a toujours fait du 8ocialisme : les Papes eux-mêmes, pour attirer les peuples sous leur domination, les ont bien souvent pris à l'appât des réformes sociales. On me répondra que tout cela n'était pas du vrai Socialisme. Je crois que pour en juger il faudrait, mieux qu'on ne le peut, connaitre toutes les circonstances de ces différentes époques ; mais je ne veux pas discuter-; je consta:e un, fait, c'est-à-_clire que les Italiens ont toujour~ compris qu on ne pouvait pas rétablir l'ordre de la société par des r{>formes exclusivement politiques. Notre Socialisme, j'en conviens volontiers, n'a pas été bien souvPnt scientifique; mais si on voulait parlar de la :,,eience, je dirais qne Campanella date de bien plus. loin que Saint-Simon. La science n'est pas uécE:Ssaire pour sentir le besoin d'une Révolution sociale, elle l'est pour en assurer les résulta:s. De ce côté là, si le peuple italien n'était pas assez riche de son propre foncls, il le serait en v ajoutant la richesse ùes autres. • Si c'est un devoir et un gnnd intérêt révolutionnaire de rendre la science populaire, il ne sera jamais possible que tout le monde la possède au même de"ré • mais dès 0 ' que la science fait une conquête, elle appartient à tous. Fulton était américain et sos vapeurs parcourent tontes les mers ; bien peu de gen;; savent faire des machines, pourtant tout le monde eu use. Si la. cond,tion <le l'Italie ne lui a pas permis Je s'unir aux autres dans la discussion, elle en a profité; elle accepte la négatio11 accomplie ùu vieux monde; ellt accepte, à l'état où elle se trouve, l'affirmation pour l'avenir, sauf à la compléter par E:lle-même, dans sa condition spéciale, et d'accord avec les autres nations pour tout ce qui regarde l'intérêt général d~ l'Humanité. L'Italie doit peut-être à ses malheurs d'avoir pu évit:r cet enfantement douloureux qui suit toujours la discussion d'un principe qu'on cherche à dévelopoer, et qui, servant l'idée, entrave quelquefois la mar~he ,les faits. C'est pour cela que les forces révolntionnaires pourront, mieux. qu'elles ne l'ont fait ailleurs, converger au même but. Je parle de forces révolutionuaires, parce que je ne m'occupe pas de la division que le Socialisme peut causer entre la Révolution et ses ennemis; et je regarde encore une fois, comme ses ennemis non seulement ceux qui nient son principe, mais ceux aussi qui s'opposent il ses conséqueures. Tout homme qui a peur des ronséquences d'une Révolution, n'est pas révolutionnaire comme je l'entends. Son conceurs est sou vent un dan ;cr, son éloignement toujours uu avantage : l'expérience de tous les p<•uples l(l pro11ve. Les forces .révolutionnai reis sont les hommes dont la Révolution est appelée à reconnaître les droits et à garantir les intérêts; pour ceux-là l'idée sociale, bien loin de les diviser, les ralliera. Dites à l'ouvrier des vil!es, tu seras ton maitre; dites à l'ounier des campagnes, tu seras ton propriétaire, et on comptern, par le nombre des prolétaires, les soldats de la Rérnlution. L'idée sociale est même la seule, selon moi, qni puisse unir en Italie ,les masses sur un terrain rérnlutionnaire commun, terrain qui puisse prendre la place des préjugés, des habitudes, et réduire au silence les intérêts JJarticuliers. Il y en a bieu d'autres capables <l'enflammer le cœur et de monter la tête des Italiens, mais c'est elle qui pourra, désonm:is, armer leur bras. En ltalie . comme en France on se dit : '' Est-ce que nous ferions 1me Révolution pour avoir des qitarante-cinq centimes?" On sent bien l'houneur national froissé par la présence de l'étra11ger, b besoin ùe nationalité, le droit à 'une République, le devoir de la solidarité ; les âmes cl'éiite sont prêtes, pour ces saintes choses, à exposer leur vie ; mais les masses se deman<lent : " A q11,elleamélioration sociale aboutira tout cela? Qu'y gagnerons-noîts? " La réaction sait bien profiter de ces doutes et leur dit : " Vous perdrez à toute Révolution: vous aurez une Italie, " mais vous aurez la misère; vous aurez une République, " mais vous manquerez de tra..-ail." - N ou~ devons leur dire, et plus fort qu'eux : " Quand vous aurez une Italie, " vous aurez la richesse; quand vous aurez une R6pu- " blique, vous aurez du travail. La richesse justement dis- " trihuée, le travail justement rétribué. Puisque c'est la "la division des Etats qui appauvrit la nation, c'est le " despotisme du privilége qui réduit les individus à la " misère." • Nous 1-ie devrions pas nous contenter de leur dire : " Soyez maîtres de vous-mêmes," nous devrions ajouter: " pour que vous n'ayez plus de maîtres d'aucune sorte." Et ces paroles anraient certainement de l'écho, parce que l'idée révolutionnaire en Italie, comme partout ailleurs, est dirigée contre tous les maîtres ; et ce n'est pas parce qu'elle eu a plus que les autres peuples, qu'elle peut désirer d'en garder quelques-uns. C'est au contraire une raison pour les haïr tous d'avantwe. Le püysan veut certainement délivrer le sol de la patrie de la présence ùe l'étranger, mais il veut aussi que ce sol soit sa propriété. Le bourgeois ma11dit le fisc qni s'empare de sa fortune, mais il maudit le prêtre qni_s'impose à sa conscience. Le prolétaire ne veut pas de l'autorité gouvernementale qui empêche la liberté de ses actions, mais il ne se plaint pas moins de celle du cepital qui lui ôte le produit de son travail. Je le répète encore une fois, l~esoin d'une Révolution sociale, quoique moins discuté par rapport aux moyens, est, en Italie, si généralement senti comme but, qu(! je crois impuissante toute tentative révolutionnaire qai voudrait l'effacer de son 1wogramme. Et ne serait-ce. point pour ne l'avoir pas affirmée assez nettement que plusieurs ont échoué ? Une discussion sur ce point sortirait de~ limites que je me suis imposées dans mon travail, je n'ai voulû prouver que deux choses, savoir : 1 ° La marche générale de la

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