Homme - anno I - n.53 - 29 novembre 1854

CORRESPONDANCPEARISIENNE. 25 Novembre 185-L Il y a dans le pays une 'anxiété profoucle, et Paris, le grand distrait, Paris lui-même est fort triste. _ Des dépêches de plus en plus rares et toujours muti- . lées, des fils électriques qui se rompent, entre deux batailles, des hâbleries de Journaux condamnés à la fanfare éternelle et rien de précis, rien d'exact, ni de sérieux sur k grand intérêt de la guerre qui tient tous les esprits en alarme. A chaque nouveau bulletin .... de victoire, les familles tremblent, car elles sont terribles ces victoires de la Crimée, et le Moniteur ne donne jamais ni le compte ni les noms des morts ; c'est à peine s'il daigne mentionner l€s officiers d'état-major et les hautes graines <lu commandement. Petits officiers, sous-officiers et soldats, tous restent enfouis sous les trophées, et le tas est toujours anonyme. ] 1 n'en est pas de même, tant s'en faut, quand il s'agit des altesses. Que le fils de 1\f. Jérôme Bonaparte qui est là bas pour l'honneur du nom, s'échauffe ou s'enfièvre, tontes les gazettes <lu Deux-Décembre chantent sa fermeté ... auguste fermeté qui est presque toujours sur le chemin de Constantinople! 'foujours est-il que les familles qui ont des soltlats en Orient sont très irritées, surtout dans les campagnes, et il y a tels villages du Midi, où l'on demande tout haut, en plein marché, que le gouvernement ouvre et donne ses comptes ... an moi us pour les funérailles. T~ut marche, ici, dans l'ordre accoutumé. Les espions officiels ou masqués surveil!ent, les sergents de ville et le~ gendarmes empoignent, les prêtres chantent et mentent, les magistrats jugent, les banquiers volent, tous les pouvoirs sont à la fonction et l'on ne vit jamais, <lisent l€s bourgeois de la digestion, un ordre plus profond dans les rues. Eh bien, allez au fond de cet ordre extérieur, officiel, • apparent : ouvrez les registres des tribunaux et faites les comptes, depuis la contravention jusqn'au crime, vous serez effrayé des contingents depuis Décembre. Jam ais la moralité générale n'avait été plus bas: tout est en J)rogression presque géométrique au pénal comme au correctionnel, et deux au nées d'une Révolution comme 48 ne donneraient pas à beaucoup près, en vols, en assassinats, en crim s de diverses espèces, la somme d'une année décembriste. Or tandis que d'une part, sous -J'influence générale d'un gouvernement de guet-apens, l'honneur public s'altère.et tombe, d'une autre les caractères s'affaiblissent, et les sinistres vont de pair avec les crimes. Ainsi l'on ne \"Ït jamais tant de suicides qu·aujourd'hui, Mus cette a,lministration-moclèle: ceux qui ne vont pas au mal, cherchent le néant, tant il est doux de vivre en pleine ère impériaJe ! • Lord Pa:mcrstou a ses grandes et petites entrées aux Tuileries, mais c'est presque toujours en comité privé que Bonaparte et lui tiennent conféren_c:e. lei, comme vous s;nrez, les ministres font tapisserie: cc sont les laquais dt l'anti-chambre. Lord Palmerston voudrait-il, comme on le dit assez gélléralement dans les salons politiques, proposer et faire accepter une entente plus cordiale c11tre les deux puissances, un concours plus actif et des forces de gncrre plus considérables? Son gouvernement l'aurait-il chargé de négocier pour nvoir le sang de 1a France, moyennant argent-comptant? Tant de régiments pour tant de millio:n~, et, an besoin, quelques avances qui ne vientlraicut pas mal, car Décembre est bien près de h banqueroute! Cette version peut être la. naie, mais cl 'autres prétendent qu'il s'agirait de régler à l'amiable et d'arréter en faro ille le compte des prises et les parts proportionnelles, si l'on fait la guerre à la Prusse au printemps prochai u. Bonaparte, affirment les polittques, ;1 directement écrit au Gouvernement àuglais, peur le mettre en demeure sur la question des Puissances allema11des, èt c'est pour cela que Palmerston, qui est le Pitt de la croisade c:ontre le 1111sse,aurait entrepris son voyage. Dans cette donnée, nous serions à la veille cles grands éboulements de Peuples et de Révolutions, et, ce qui nous fait croire quïl y a quelque chose de fondé dans ces graYcs rumeurs, c'est la parole de Bonapar'te lui-même. N'a-t-il pas dit: L'Empire c'est la paix - comme H avait dit précé<lemment: Je prNe serment <l.'inaltérable fidélité à la République une et indivisible et je jure de la àffendre. Prenez toujours la contradiction avec cet homme, et Yous serez dans le vrai. M. Baroche, qui est la pr6tention même, et l'illustre Trcplong, et le magn{fique Rouher, y compris le hautdigni'taire et petit-cœur Fortoul, toute la pléïade de Décembre a fait acc11eil et fête au Lord-Conseilicr et .Mi11istre; mai~ ce personnage, qui a 1<1regard froid et pénétrant, a deviné rapinemei1t cc qu'il y avait sous ces livrées, il n'a pas dit un mot en dehors des secrètes conférence~, et le salon Baroche prétend qu'il n'y a phis de Buckingham en Angleterre. Les bonnes traditions se perdent, s'est écrié :M:adame la Présidente : ce Palmerston n'a pas même de jarretièrl's. - 011, Mul1me, que nous eu avons connn de votre mo11de, qui 1,a,·uie!lt pas de La~,, voiià six aa-s..... . XXX. L'1lOMME. LA. FRANCE ET LA RÉVOLUTION. LA Rk:VOLUT)ON' DE Ff:VR!El~ 184S. Me voici arrivé à la Révolution de 184-8. Je suivrai la même méthode que précédemment. Je rechercherai d'une part, ce que cette révolution .avait à faire tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, et d'autre part ce qu'elle a fait. De la comparaison du but, et du devoir à l'acte, ressortira nécessairement le sens philosophique des événement~. Commençons par l'intérieur ; et, dans cet ordre de faits, par la question politique. Quelle était, sous le rapport poEtiqnc, l'œuvre qu'avait à accomplir la Révolution de 1848? Devait-elle conserver la monarchie? Devait-cllt! inaugurer la République? La momrchie nationale et constitutionnelle venait de tomber sous l'insurrection triomphante. La monarchie du droit divin avait été chassée en 1830. Le Bonapartisme n'existait qu'à l'état de souvenir et de sentiment, encore confus et indistincts. Evidemment, aucune monarchie n'était possible en France. Et la Régence? On dit, surtout en Angleterre : la duchesse rl'Orléa11s était populaire; ses sympathies pour les idée~ libérales n'étaient pas douteuses; et on en conclut qu'il nous eCltmieux valu, dans l'intérêt du progrès comme de l'ordre, tomber en Régence, qu'en R~pnblique, parce q11'ainsi nous eussions évité la Grise hÔrrible par laquelle nous passons en ce moment. Je comprends et je m'explique très bien cette m:rnière de Yoir. Contents de leur gouvernement qui sait être intelligent et sagement novateur, jouissant d'ailleurs des biens les plus essentiels de la société civile, - la liberté individuelle, !a sécurité des personnes, l'inviolabilité des propriétés et la liberté de la presse, - les Anglais aiment la monarchie constitutionnelle et, nuturellement, ils envisagent les affaires cfes peuples étrangers avee, les sentiments qui les animent. 1\Iais ce point de vue est, par rapport à nous, faux et trompeur. Il n'en était point chez nous, en 1848, de la famille d'Orléans, ce qu'il en est chez les Anglais de la famille de Bnù1swick. A cette ~poque, la farnill.e d'Orléans se trouvait en opposition aYec le sentiment du pays : j'en ai dit prccédcmment les causes; et, bien qu'o:1 étaqlît des difl'é'rences et <les distinctions entre les membres qui la composaient, néanmoins l'impopularité dont elle était l'objet en général, rejaillissait sur chacun de ses membres en particulier. Selon moi donc, la Régence était aussi impossible en France, à la Révolution ùe Février, que les autres espèces de monarchie. Du reste, il y a de cela une raison beaucoup plus .profonde l[Ue celles qne je viens tl'cxam.in,:r. Qu'est-ce qu'avait été la monarchie de Juillet? Un système de transaction reposant sur le dogme de la souveraineté du peuple. Or, <ln moment que ce système de transaction toI11hait, il devenait inévitable que le dogme de la souveraineté du pet:ple reprit tout son empire, produisît toutes ses conséqncnccs, et finalement aboutit à la République, qui en est l'expression suprême et complète. La Ré11ublique n'a donc pas été imposée à la France, ainsi que l'ont prétendu perfidement les réactionnaires, mais elle est sortie de la nécessité même des circonstances. Ainsi, le gouvernement légitime, à la Révolution de Février 1843, en vertu de la logique de l'histoire et de la force des choses, et à fonder dès lors, c'était bien le gouvernement républicain. J\Iais quelle espèce <le gouvernement fallait-il constitncr? La République n'est pas un gouvernement nouveau, elle a existé dans le passé, elle existe <lans le préscllt; et, à toutes les époques, elle s'est manifestée sous des formes diverses : ici elle a /:té oligarchique, là aristocratique, aillcur., démocratique. Parmi ces formes, laquelle convenait à la Franc,e ? Rvidemment la Démocratique, puisque toute aristocratie et tous privilégcs y aya~t été abattus, il ne s'y trouve qne des citoyens égaux en droit, qui ne se distinguent les uns des autres que par la fortune, la vertu ou le talent. I)onc République d'abord, puis République Démocrati•1ue, c'était le gouvernement nécessaire en France à la Révolution de Février. Mais ce n'est pas. tout. Comment fallait-il organissr cette Républi,p1e? L'inô.iviclu absorbé par le corps social, tel était le caractè::-e des républiques dans l'antiq,1ité. Mœurs, lois, institutions, tout tendait à ce but. Dans ces gouvPrnements, on ne possédait eu réalité 11i droits ni garanties : on n'était qu'un instrument au service de la communauté. Plus l'absorption de l'individu par la collectiv1t6 était intime, plus l'Etat était fort et puissant : car, alors, une passion unique faisait battre les cœurs et dirigeait les volontés : l'amour de la patrie. A cette passion les anciens donnèrent le nom sublime de vertu, vertu admirable en effet, puisque c'est par elle qu'ils accomplirent ces grandes choses qui étonnent nos petites âmes ! et Sparte ne fut la plus grande <les Répub1iques de la Grèce, q11e parcê que ce systt!me social y fnt lP. plus complètement et 1~mieux réalise. Cela n\t }Joint éch ppé à l'esprit si judicieusement observateur de Montesc1uieu. , I1 :,\:xprime ainsi à cet égard : "Lye11r,r;1.ce mêlant le lartin a,,ec l'esprit de justice, le plus d.ur e~·c:lav.ige .tYec / l'extrême liberté, les sentiments les plus atroces avec la plus grande modération, donna de la stabi1ité à sa ville. Il scmbLL lui ôter toutes les ressources, les arts, le commerce, l'argent, les murailles : on y a de l'ambition dans l'espérance d'être mieux: on y a les sentiments naturels; et un n'y est ni enfant, ni mari, ni père ; la pudeur même est ôtée à la chasteté. C'est par ces chemins que Sparte est menée à la gran<lenr et à la gloire ; mais avec une telle infailiibilité de ses institutions qu'on n'obtenait rie11 contre elle en gagnant des batailles, si on ne parvenait à lui ôter sa police."(Esprit des Lois, liv. IV, Ch. V,) La pensée suivant laquelle la République avait été organisée dans l'antiquité est celle qui a inspiré les philosophes et les publicistes du XVII le siècle .. Il s'agissait pour eux, comnie pour les anciens, de construire un mécanisme social où chaque individu ne fût qu'un engrenage. J.-J. Rousseau lui-même, malgré tout son génie, n'a pas entendu autrement le régime républicain. "Trouver nne forme d'association qui défende et protége de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, e1 par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qn'à lui même, et reste aussi libte qu'auparavant." Voilà en quels termes J.-J. Rousseau se pose le pro blême de l'organisation sociale, de la Démocratie; et voici comment il y répond : " Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté gtnérale ; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout." ( Contrat Sociol, liv. I, Chap VII, passim·.) Ainsi, pour J.-J Rousseau comme pour l'antiquité, la République n'était pas autre chose que le sacrifice absolu et complet de l'individu au profit de la collectivité. Est-ce d'après ces idées et ce plan que l'on devait édifier la République de 1848 ? Je ne le pen~e p s. Je crois qu'il me .sera facile <le'démontrer en peu de mots que J.-J. Roussea11, et avec lui les philosophes et les publicistes du XVIIIe siècle se sont tro pés dans cette matière sur le caractère de la civilisation moderne st sur ses conditions essentielles; et que, dès lors, pour l'accomplissement de l'œuvre considérable r'lont nous parlons, il fallait obéir à d'autres idées, suivre un autre plan. La civilisation de l'antiquité reposait sur deux principes : le principe de l'inégalité de nature entre les hommes et celui <le la fatalité. D'où la division de l'humanité en races supérieures et eu rat.:es inférieures, d'où le régime des castes et l'esclavage, d'où le vœ victis et ces guerres effroyables qui avaient pour objet la destruction ou l'asservissement de nations entières,· d'où enfin la croyance au Destin. ou à la toute puissauce des Dieux sur l'intention, la volonté et la conduite <les hommes. Deux principes absolument contraires forment la base de la civilisation moderne : le principe df: l'égalité de nature entre les hommes et celui de liberté. L'action du premier dans le monde a fait tomber et disparaitre les servitucles du passé ; l'action du second a relevé l'homme de sa <léché nce morale, et lui a donné pleine conscience de soi et sa destinée. S'il en est ainsi, la solution du problème politique ne doit pas être la même dans.. l'ère moderne que dans l'an-: tiquité. On comprend que l'antiquit6 ait sacrifié l'individu à la communauté : c'était là une organisation sociale conforme aux principes qui la gouvernaient. :M:ais faire la même chose aujourd'hui, ce serait précisément se mettre en contradiction avec les principes qui vivifient et mènent la civilisation moderne ! Maintenant que l'homme se proclame libre, responsable de sa destinée, il a droit à toutes les conditions de la vie matérielle, ~ntellcctuelle et morale. füre physique, il lui faut la sécurité de sa personne et de sa propriété ; être -intf.'lligent et moral, il lui faut la plPine et entière in<lé- }Jeudance de sa pensée et de sa croyance. De ni;is jours, le problème politique n'est <lonc pas simple comme autrefois; il est double: il nP s'agit pas seulement de constituer nn gouverùement, mais, eu outre, de sauvegardtr l'individ1ialité humaine; ou, pour mieux dire, il s'agit de bâtir l'édifice politique sur la liberté, c'est-à-dire sur la souveraineté de l'individu. C'est là e;e qui rend si difficile à accomplir l'œuvre politique de nos jours ; c'est en même temps ce qui donne à notre civilisation un caractère singulier de moralité et <le graudeu.r que n'avait point la civilisation de l'antiquité. H. MARU,T. ,, ERRATUM. - Dans i'!lrticle <lunuméro .52, ligne 16e, 1re colonne, au lieu de: srs tendances, ses projets, ses sectes; lisez : Sl's tendances, ses projets, ses actes. DE LA RÉVOLUTION" ET DE L'ITALIE. On p.i.rle de la religion : on voudrait rendre l'Italie prot~stante pour la délivrer dii Pupe ; mais ce ne sont pas les Italiens qui demandent à avoir le Pape, c·est au contraire le pape: qui veut rester en Italie., Les Italiens, sans se faire protestants, ont cherché à s'en débarrasser, et c'est l'étranger qui l'a remis sur son siège. On dit que cela est arrivé parce que l'Italie est catholique; mais la France l'est aussi selon _vous; elle l'est encore plus parce que vous <lites qu'elle a défendu la religion que nous avions attnql!ée dans son chef. Et pourquoi <lone ne pas appor.

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