Homme - anno I - n.50 - 7 novembre 1854

CORRESPONDANCEPARISIENNE. 4 Novembre 1854. Les conspirations s'organisent, les intrigues se croisent, les ligues ennemies se forrnent dans l'ombre, et, quoique la police en dise, la police qui touche de toutes mains, cette fois ce lle sont pas les rouges. Le clergé séculier, cette léproserie de l'espri~ humain, est en permanence dans ses couvents, dans· ses c:loîtres, au fond de ses abbayes: les curés des villes et les simples desservants eux-mêmes or,t des réunions hebdomadaires .. Les grands-vicaires, les évêques, les archevêques et dignitaires des Chapitres se sont donné rendazvous à Paris, et, depuis deux mois tiennent conférence, comme en ces beaux jours de la Restauration où l'on débattait la sainte loi du sacriiége. Et quel est le motif apparent, officiel, avoué de toutes ce~ rencontre:; et discussio11s pies? C'est. .. l'immaculée conception de la Vierg1J, pour lequel problème on doit aller en concile à Rome ! Quelques préfets, sous-préfets et maires ayant appris par leurs agens, que les notables du parti légitimiste prenaient part dans certaines provinces à ces religieux conclaves, ont cru faire preuve de zèle, en dénonçant en haut lieu carlistes et prêtre.s comme en flagrant délit di::conjuration. 111aissi les hoyalistes sont des ennemis, comme rivaux, les prêtres sont nécessaires, comme chefs J'abrutissement, et puis, les évêques font de si belles harangues aux majestés, quand elles vont doter les autels ou les cloches ! On a donc, enjoint aux maires, aux sous-préfets et à tous administrateurs, dans l'Empire français, de respecter les saintes réunions de la famille sacerdol'ale, et de ne point l'inquiéter dans la sainte incubation de ses niaiseries immaculées. Vous ne sauriez croire combien ce triple vicieux de· la chair, de l'esprit et du cœur qn' on appelle Bonaparte, a peur de ces robes noires qui traînent dans les sacristies: elles peuvent conspirer tout à l'aise : on n'osera pas ·les inquiéter, et c'est à peine si les francs-maçons qui leur forit concurreuce, (hélas! bien triste concurrence) peuvent aujourd'hui continuer leurs affiliatioi1S malgré l'appui du gros Murat, leur Bœuf-Apis. Que sortira-t-il de ces nouvelles menées cléricales ? Rien de bon pour l'Empire-transition, ce qui nous inquiète peu, mais rien de bon non plus pour l'esprit humain : car il y a toujours, en ces ténèbres monacales, une conspiration contre les iJées ! On parle d'une autre révolution qui ne va pas jusqu'à l'enfant du miracle, Henri V,. mais qui nous rendrait Persigny. Vous connaissez ce juif-transfugi:: - il est passé protestant, jadis, pour faire sa cour à la princesse Hélène - ctui s'appelle FJuld, Achille Fould? Entr'autres attributions de grand intérêt et de premier honneur, on avait confié à ce Judas-Shyllock le gouvernement absolu des grands théàtres de Paris. En quelques mois, il en avait fait des Lup:mars à son compte ; il insultait les femmes, il biffait les engagements, il proscrivait les pièces, les auteurs, les comédiens; il distribuait les rôles, ce grand pleutre ! - Il était le paclischah de toutes ces boutiques, depuis la taverne aux couplets, jusqu'à la scène de Meyerbeer et de Rossini. Cela a duré quelque temps, - le monc1e tles coulisses qui a faim, étant fort prudent et réserYé : mais un beau jour, les Yrais talens ont parlé haut,· tout haut, et quelques uns en face, - c'étaient ·des femmes. - Les scandales, alors, ont couru la rampe : on a tout dit, tout révélé, tout dénoncé, les pots de vin, les contrats ignobles, les séductions payées, les passe-droits, lei. infamies de l'engagement, les résiliations forcées, tous les mystères enfin du Mécènes-goujat. Voilà pourquoi Persi 6ny nous revient, dit-on. Après son Verrès le vaucleville aurait, donc, son Sully? Defiezvous en. Mais cela n'est rien, et l'opinion qui a le ùégotH de tontes ces misères, porte ailleurs son intérêt et ses regards. 011 ne sait rien de l'Orient, depuis un grand mois, dans cette intelîigente ville de Paris qui, le soir, après les affaires, étudie la politique et toutes les grandes ou _petites évolutions, soit de la guerre, soit des idées. Ce silence qu'on ue saurait expliquer, avec des moyens de communication 1-i faciles ·et si puissants, ce sileuce effraie lçs intért'tS et contriste les àmes. - S'il y avait de bonnes nou-relles, disent les bourgeois, el1es seraient affichées; placardées, commentées; elles feraient tapisserie le long,des murs et l'on entendrait les deux canons de l'empire, la gueule d'airain des Invalides et le fausset de 1\1. Sibour. - On ne dit rien? - Donc les armées ~!liées sont en peine, la gloire ne vient pas et l'exp6dition est perdue: mauvaise chance pour le crédit et pour les affaires cet hiver ! Encore du sang français qui coule au r.iisseau, disent les prolétaires; encore des hablerics <l'Empire et d'empe1·eur qui se liquident en cadavres ! Gra.nd Saint-Arnaud, que vous avez laissé là une belle chance aux armes francaises ! T~ut le Nord distillateur de grains est aux abois. Les moulins's'arrêtent, les chaudières se vendent, les livres de commerce mut aux syndics et les fai1iites encombrent les tribunaux de commerce. Qu'y foire? BonaJJarte qui est en guerre avec la Russie, pet'd un ~e ses greniers, Odessa. Bonaparte qui ser:.i demain peut-être en guerre avec l'Amérique perdra· le second _grenier, les Etats-Unis, et Bonaparte qui est en guerre avec la nature-Providence compte déficit d'uu tiers dans sa récolte de l'année ! Voilà ))Ourquoi la meule ne doit plus broyer, et les grains ne doivent plus fermenter pour le trois-~ix : meurent les indu_stries et les intérêts engagés, l'Empire-paix. s'est fait tant d'ennemis qu'il a besoin de tout garder, pour .ses captifs, même l'avoine! • XXX. CAMP DE BOULOGNE. 31 Octobre 1115i. Nous voilà condamnés à passer l'hiver dans ces maudites baraques où nous sommes 1111 peu moius inondés pendant le jour, mais plus gelés la nuit. Afin d'améliorer notre position, on nous fait construire de petites casernes et des chapelles. Le 4le et le 4e de 'ligne, au camp d'Herfaut, ont été chargés d'une rude et périlleuse besogne. Ils font des briques et crtusent des puits po•ur extraire de la terre glaise. Deux soldats du 4e y ont été engloutis par un éboulement ; l'un a été asphyxié, l'autre a eu les côtes brisées; mais on espère~ dit la Patrie,' que son état s'améliorera. Cette vie abrutissante d'exe'rcices et de marches militaires uous est odieuse, nous p1éférerions affronter les boulets russes et le Choléra clans les plaines de Sébastopol et de Varna que de moisir ainsi à l'ombre de ce pouvoir brutal et superstitieux. :nfalgré les scandalE:s, les omnibus et les théâtres, je puis vous assurer que l'armée est la partie la moins corrompue de cette société ratapoiliste patrouée par le clergé, la magistrature et autres e~- pèces d'industries qui finissent leur temps. Comme en Décembre 1851, on fait toujours appel à ses appétits grossirrs et l'on croit à 1wtrc amour. Vous devez bien vous douter que notre enthousiasme est forcé. Aux revues, le colonel, le commandant et tous les serre-files ont l'œil s1ir uous et excitent les braillards. l\Iais à la chambrée, quelle différence ! Et comme c'est réjouissant d'enteudre gloser sur ce faquin cléo-uisé en 1 • b N apo éon, mcapable de commander une escouade de caporal. Ou rit beaucoup des airs qu'il se donne le jour des· grandes manœuvres, courant, criant, jurant à droite et à gauche, et s'imaginant, qu'à lui seul, il fait mouvoir une armée de vingt-mille hommes. On parle aussi de cette piété édijiante, qui, an dire du Constitutionnel, électrise toute l'armée, des petite:, chapelles qu'il nous fait bâtir, des médailles à la Ste. Vierge et à Ste. Eugénie, en or pour les généraux, en plomb pour les soldats. Malhe11reusement, toutes ces superstitions propagées p:i.r ce jésnite en bottes à l'écuyère, augmentent l'influence des robes noires sur les campagnes environnantes et occasionnent des scènes-ignobles ; ainsi dernièrement nous faisions une marche militaire et nous traversions le p~tit village d'Aubervilliers près llfontreuil; eu J>assant pr~s de l'égli3e, nous vlmes une pauvre fille de 17 ans· qui était assommée par une populace furieuse. On l'accusait de jeter <les sorts sur les troupeaux et les fermes, et de plui> elle était mal vue du curé, nous dit un habitant avec une sainte indignation. L'adjoint du maire était parmi les assommeurs, il a été condd_mné pour ce fait à vingt-cinq francs d'amende. Les notes <ln rnré sont à la mode depuis que notre impératrice e~pagnole accorde ses faveurs et se;; pensions aux postulants not6s par ces :Messieurs. Un pauvre a ainsi attrapé une bonne petite pension pour une bûche du St.-Sacrement présent6e à sa i\Iajesté lors de son passage à Amiens. Cette bûche a fait grand bruit, l'Univers a crié au mirµ.cle et elle est maintenant déposée sous le maitre-autel de la cathédrale. Tous les généraux ·et les colonels du camp ont pétitiouné pour avoir <les médailles de la Ste. Vierge, qu'on distribL1era aux 11lus méritants. Ces médailles ont pour origine l'escarmouche Corneumse, ce duel mystérieux accompli dans la nouvelle tour de Nesle. Voici l'histoire qui drpuis longtemps fait le tour du camp : Ori dit que sa Majest6 voulait marier le général en question et qu'il lui destinait une dot de cent mille fran.cs déposée un certain soir clans son cabinet. Trois hommes se trouvaient à côté; deux maréchaux et le fiancé. A la fin clu souper, sa Majesté s'aperçut qu'il manquait la moitié de la somme; elle demanda des explications : qes explications on en vint aux gro~ mots, Alors le gén~ral furieux de la cléconfüure qu'il éprouvait, et quoiqu'inférieur en grade, insulta et provoqua l'un des maréchaux. Quelques minutes après, l'affaire était bàcléc, et l'on rapport ,it, chez lui, le malheureux général mort d'une attaque d'apoplexie... • Pour toute absc,lution, le vainqueur reçut ordre d'aller prendre les eaux d'H yères, avec injonctiou de l'impératrice rle se coufesser, de communier et de porter une médaille sai11te en or; ce qu'il exécuta fidèlement. Depui. ce temps, les médailles tombent comme la grêle sur l'armée, gràces à cette chaste créature et à son <ligne époux, dont la mission, nous llit souvent l'aumônitr du régiment, rst de régé11érer la France, de pw:ifier l'Angleterre et d'en ex! irper l'hérésie. Vous êtes heureux, vous proscrits, de ne pa~ être té- ,, moins de toutes ces turpitudes! Nous en verrons hieu d'autres, car la haine de ces gens-là contre la démocratie est l"aroud1e et sauvage. Autour de nous, ce ne sont que regards hc1ineux et défiants, imprécations, cris de coli:re Et jurements clignes de l'écurie! A qua1i1dla fin de toutes ces hontes? ... Tout à vous, Un suspect du camp de Boulogne. CHRONIQUE D'ANGLETERRE. La cour d'Angleterre est triste, dit-on, mais triste jusqu '~ la mort. Et pourquoi ? Quelque poney <l'Ecosse a-t-11 ~rébu_ché dans le grand parc de Windsor et jeté bas un petit prince? Le Ier Napoléon, échappé des Invalides, a-t-il pris le com_manùement <lu camp de Bonloo·ne ou le 1) .h o ' 1n1c , ce roi des frêlons a-t-il dessiné quelque ride impertinente et mal élevée? -Rien <le tout cela, mais le Bo~aparte l II arrive av:c Madame Eugénie, et les portraits des ancêtres qu1 sont dans la g~ande salle de Charles II ont été trouvés la face tournée vers le mur. Il pa~ait_que les aïeux, (grâ?e à quelque rancnne royalement md1gnée) ne v~1.dent pomt assister à l'étrange rencontre_- Ils ne cnm~rennent pas, ces anciens, qn'on mette sa mam dans la m~m déloyale du parjure, de l'assassinat, du faux serment; 11s ne Cùmprennent pas qu'on festoie quanti on est ÙP. lignée vraie, avec,des aventures épou:;ées'. Passons, ceci est l'affaire des augu ;tes! L'Angleterre, qui est tout entière à la guerre d'Orient ~,e regarde jamais du côté de l'Irlande ; elle y preud de~ Jockeys, des servantes, des valets pour ses chiens et pour s<::schevaux, mais elle n'a point souci de l'Irland!i en guenilles, de l'Irlande affamée ... Or, q11'elle y prenne garde : l'Irlande émigre, jour par jour ; les terres du landlord sout abandonnées, et c<::ttepépinière de sold1ts ne pourra lui donner bientôt deux mille recrues par an! Ceci est à prendre en sérieuse considération : III. Bonaparte, d'un jour à l'autre, pourrait l'entrainer -pour raison d'alliance en Orient - dans une guerre contre l'Amérique: Or l'Anglettrre trouverait sur les flottes des Et:-its-Unis un tiers de ses marins qui désertent depuis vingt ans, parce qu'on les paie mieux et qu'ils ne sont point fouettés. 1: An~leterre trouverait dans les Etats, dans les ports de l Umon, presque toute une Irlande émigrée qui se battr~it ~ontre elle av_e~ toute la grande rage des races, des h1s_to1re~et, des religions_ ennemies: l'Angleterre, enfin, pourrait voir d un moment à l'autre suspendre l'envoi des co~ons et l'envoi des céréales. Or, ce serait là l'Angleterre pnse aux deux flancs et deux fois affamée ! Les nouvelles de la guerre sont m:i.uvaises ici; l'opinion cruellement outragée par des dépêches-mensonges est aujourd'hui dans un état d'irritation qui se traduira bientôt en meetings contre le gouvernement. On lui a laissé tout faire, à ce gouvernement, on lui a tout donné, argent, hommes et confiance ; mais il en a si tristement usé que la revendication sera terrible ! C. C. DE LA RÉVOLUTION ET DE L'ITALIE. On a tort, selon moi, de chercher les cause11d'une Révolution dans des faits purement nationaux. Les Révolutions, les vraies Révolutions ne sont pas autre chose que des évolutions essent.iellement générales ; elles sont à l'humanité ce qne les cataclysmes dont parlent les géo:ogues sont au giobe. Comme ceux-ci, elies pell\·ent remuer un pays plus qu'un autre, mais toutes les fois qu'une Révolution est restreinte dans les limites d'une nationalité je n'ose pas l'appeler de ce grand nom; je n'y vois qu'u~ incident de la Rérnlutipn genérale, un commencement quelquefois, mais 9ui doit s'étendre sous peine d'avorter. Je vois dans l'histoire plusieurs commotio11s lor::aleset particulières,je n'y vois que très peu de R-évulutions: les premières vari_ablei,;,.diverses, incertaines clans les moyens et le but ; 111cons1dérées comme la passion, chano-eantes comme les circonstances; les secondes pers6vérantes, calmes, pliant quelquefois, ne reculant jamais, ayant toujours la même direction, poursuivant int:xorablement le même but ; celles-ci sont la marche de l'huma11ité, les autres n'en sont, selon moi, que les accidents. Les Révolutions ont un autre caractère spécial qui le3 distingue de ce que j'?.ppelle commotions; leur levier est toujours un principe dont l'unité se retro 1 Jve dans toutes les formules, tantlis que autres dériveut des faits et peuveut avoir rles conséquences essentiellement di verses. C'est pour cela que nous disons : une Révolution peut durE:r des siècles et produire des événements <liv<::rsdans la diversité cles lieux et des circonstances, sans cesser d'être h même, malgré la variété de ses résultats, puisque ceux-ci ne sont pas ses résultats directs, mais ceux des commotions que la Révolution a produites. Au milieu de tout cela, le principe avance toujours, il avarice clans ses différentes expressions, et la Révolution n'est accomplie que lorsque toutes les formules s'absorbent dans une solution supérieure qui rl-pond au principe lui-même. Nous disons encore: la Révolution est une et erle s'ap-

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