Homme - anno I - n.49 - 1 novembre 1854

I réalisation de l'unité matérielle des nations, condition nécessaire pour la propagation et le triomphe de l'unité morale que le Christianisme a apportée au monde? Et ce que nous venons de sign~ler dans l'anti~~1_ité, nou~ pourrions le signaler dan~ l ère modern:. S 11 en ~st ainsi, pour arriver à connaitre la France,. il nous :st. mdispensable de savoir quel est son esprit, sa mission, son but. Tout c<:la a été mis en lumière. Maintenant examinons les faits. Grâce à ces prémisses, ils seront pour nous clairs et très intelligibles. Jamais Révolution n'a été plus agitée, plus tourmentée, n'a eu plus à lutter, plus à combattre que la Révolution de 1789. Elle a eu sur les bras et la moitié de la France et l'Europe tout entière; si l'on ajoute à cela les divisions, les compétitions des partis, les passions <leshommes, bonnes ou mauvaises, so11levéesjusque dans leur derni~re profoncléur les intérêts contraires se heurtant les uns contre les ' I' autres dans des luttes acharnées et suprêmes, on aura une idée approximative, quoiqu'imparfaite, des efforts qu'elle a eu à faire, des forces qu'elle a eu à déployer. Et cependant elle est sortie victorieuse de la tempête. D'après certains écrivains, le succès de la Révolution n'est dil qu'aux fan tes de ses ennemis. Suivant enx, con\>ocation <les EtatsGénéraux, hésitation, variation de conduite, faiblesse en présence des premiers acte_s de l'Assemblée nationale ~~ en face <le l'émeute, ce seraient les fautes de la monarclne française ; défaut d'accoi:d, de concert, insuffisance et mauvaise combinaison des moyens, ce seraient celles des monarchies européennes. Raisons puérile~ et vaines. La Révolution cle 17S!) n'a triomphé que parce qu'elle devait triompher. Et elle devait triompher, parce qne, d'une part, elle était le clroit, - tout à la fois l'application de la morale évangélique et de la. philosophie; et que, d'une autre part, elle était la résultante et le complément de la c.ivili-sation a11tér.ieure de la France. Ces principP.s <le liberté et d'égalité qu',elle a proclamés, qu'elle a inscrits sur ses_drape~ux et _ses monumeuts, qu'elle a· réalisés dans ses lois, ne sont-ils pas en etfct des conséquences des dogmes chrétiens de l'unité morale du genre humain, de la fraternité et rlu dévouement? Cette conciliation qu'elle a voulue de la puissance sociale et cle l'indépendance individuelle, de l'autorité et de h liberté, n'est-ce pas ce qu'avaient rêv~ ponr le bonheur <lu genre h11main les pe.nseurs et les philosop'.1es_? E~ e1lfli~, si le passé de la Fra?ce a un. sens, une s1gn1ficat1,on, _il est évident qu'après 1affranclussement «es serfs, l œbolition de la féorlalité, la fondation de l'unité nationale et de l'unité de langue, d.evait venir la fondation de l'unité sooiale c,'cst-à-clire l'égalisati0n derni&e et complète cles membres de la commirna11té française. Légitime et philosophiquement et historiquement, l_aRévolution devait être invincible. Elle l'a été en effet. Rien n'a pu la surmonter. Et elle s'est faite chair et os; et elle est pleine de vie et de force; et l'avenir est à elle. Sous la royauté constitutionnelle de Louis XVI et sous la République, la Révolution avait surtout agi sur elle-rnêm~; elle avait' peu rayonné au dehors. Cependant, par cela même qu'elle est la vérité et le droit, 1~ Révolution française n'-est point égoïste, elle est essent1clleme11t humanitaire; et, d'un autre côté, elle est -poussée par J1intérêt de sa conserl/ation à s'attacher les peuples étrangers pa-r l'identité des idées _et. des _insti_tutions. Ac~omplir cette: œnvre, ce fut la m1ss1-0n lustonque et prov1dentiellr. échue à Napoléon. . Il en est qui disent que le peuple français n~est point fait pour la liberté, et qu'il doit être mené par une baguette de fer. Blasphème abominable! Comment ! Ce peuple qui, depujs prè~ de ~eux cen~s ans est un fo'!er de lumière, ce peuple qui a fait révolut10n sur révolution au nom de la liber té, ne serait pas fait pour jouir de cette sainte et douce chose! Pareille affirmation n'est rien moins qu'un véritable non-sens. Le ~eu~lc français, c'est le soldat de la liberté : toute sou h1sto1re le dêmoutre. A certaines époques, il est vrai, il a consenti ~ ce que la statue de la liberté .fût voilée : ainsi, par ex~mple, pendant la Convention et sous l'Empire. Mais cr_éées par les circon~tances politiques du temps, ces deux dictatures devaient être essentiellement momentanées et cesser avec les circonstances qui les avaient produites; et c'est pour aYoirméconnu cette condition de lenr existence, qu'ell~s ont fi.ni l'une et l'autre par une catastrophe. A l'avènement du consulat et de l'Empire, chflcun sen - tait cette situation morale. Bonaparte est nommé consul pour dix ans, 1: 8 Mai l ~92. " ~l _eût voul~, dit-il, ter- " miner à la paix sa carriere politique. ~ais _le_Sénat a "jugé q11'il devait au peuple encore ce sacrifice, 11se conformera à la volonté du peuple ! " Le 2 août de la même année, il est nommé consul à vie. Il dit: " Contrnt d'avoir été appelé, pa1· l'ordre de celui "de qui tout émane à ramener l'ordre et l'égalité sur la "terre, j'entenclrai sonner la de 1 rni~r_e heure sa~s, re~ret, " comme sans inquiétude sur l opmion des generat1ons " fotures. " Le 4 mai 1804, il est nommé empereur héréditaire. La motion en est faite au Tribunat, adoptée par le Sénat conservateur, " afin d'assurer au peuple français sa dignité, "son indépendance, et son territoire, et d'empêcher_ le " le retour du despotisme, de la noblesse, de la féodahtiS, "de la servitude et de l'ignorance, seuls présents que "puissent faire au peuple les Bourbons, s'ils revenaient " jamais. " On le Yo1t, c' egt 11aret au nom de la Révolution que f,• liO~l11E. Napoléon e~t [levé sur le parnis. Sen:ir la .Révoluti~n, voilà le mau<lat qu'il a n·çu: in hoc signa i,rnces. .l\fa1s, bient&t, sa personnalité et son orgueil l'enivrent et l':1,cuglent. Il va jusqu'ù. s'imaginer que c'es_t à sa pers~nne que la France a sacriHé les libertés publiques, et quelle est heureuse et fière de ne penser, de ne parler et de n'agir que par lui. Malgré le changement <les circonstances et sans nécessité aucune, il continue en cons,équence à faire le vide et le silence dans le pays. Cependant :l sent bien que cet ét,lt de chos~s est ~normal et qu'au dix-neuvième siècle et en plemc paix un des;otisme comme le sien ne peut être durable. C'est pourquoi, pour l'étourdir, il jette la nation dans des guerres sans fin. Guerres fatales où sa perte est m~rquée d'avance. Car, s'il s'arrête un moment, la Révolut10n se relève et réclame ses droihs. Il faut qu'il marche, qu'il marche toujours, comme le Juif-Errant; il faut qu'il ajoute sans cesse les victoires aux victoires, les conquêtes aux conquêtes. Et puis, à supposer même qu'il eut soumis l'univers à sa domination, après? ...... Après il se serait trouvé encore face à. face avei: la Révolution. Ainsi, il est visible que Napoléon n'a succombé que parce qu'il a menti à la Révolution. . , . Cè qni clémqntre la vérité de cet~e m:1111~rede voir, c'est, d'une part, la nature <les sentiments mvoqués par les rois de l'Europe dans leur lutte suprême contre Napoléon ; et, d'autre part, la nature des idées et des inst~tutions qui ont présidé à l'établissem_ent ,le _la Uf::staurn~1on. Napoléon avait abandonné, avait trahi la l1évo~ut1on; eh bien, les rois de l'Europe tournent contre lai cette arme puissante dont il aurait <lù se servir. C'est an nom_ de la liberté qu'ils font appel à leurs peuples. A ce en magique, l'Europe se soulève to:1t entière, se_ précifite _ comme une avalanche sur la France, et en a raison d autant plus facilement que celle-ci, séparant sa cause de celle de Napoléon, laisse, impassible, s'accompiir le destin. Maintenant, qu'est-ce que la c,hattc de Louis XVIII ? Mais cette charte c'est la Révolution. Et, en effet, les principes de 17S9 qu'elle reconnait et proclame, le :égime représentatif qu'elle rétablit, tout cela n'est-ce pomt la Rérnlntion? Ainsi, la Révolution sort triomphante <les désastres mêmC:s où elle semblait dernir s'engloutir. C(·pendant, Napoléon était tombé pour lu! avoir été i11fülèle; la Restauration, à son tour, a pén par la même cause. Et d'abord, elle était entachée cl'un double vice orio-inel suffisant pour amener sa ruine : <l'une part, se 0 ' rattachant à la tradition mon!lrchique, s'ap:r,uyant sur le droit divin des rois, elle heurtait le dogme <le la 8ouveraiaeté du peuple, dogme de la France non,·cll~; et, d'autre part, sortie de l'i1~vasio11étrangère, <ln s~,~ des malheurs publics, elle avait contre elle le: patr1ot1smc national. Et puis ensuite, comme si elle était meuée par la fatalité, elle semble prendre à tàche ù.e se mettre en tontes choses en opposition avec le pays. Elle affiche des sentiments, dc-s idées aristocratiques, elle inquiète les propriétés révolutionnaires, elle se vante de son amour pour l'anoien régime et elle cherche à le refaire autant qu'il est en elle; et enfin, elle se met à h. discrétion du clergé. Aucun gouvernement n'a. été aussi insensé que celui de la Restauration ! Von,1oir_et tcmcr je ne sais quel replâtrage monstrueux cl;, 1 a_11c1~nnesociété dans la France actueJle, France d egahté mtellectuelle, morale, politique et sociale l Donne_r au parti ultramontain la domination chez une nation qui, <lans tous les temps et sous tous les régimes, a repoussé et nié cette domination et a sauvegardé l'incUpendnnce du pouvoir civil relativement au pouvoir religieux! f'o!ies sur folies! Quos vult perdere Jupiter dementat ! En orposition sur tous les points avec la France de la Révolut1on, la Re~- tauration n'était point viable ; tôt ou tarcl, elle devait disparaître. Les Or<lonnances de •J nillet n'ont été que l'occasion de sa chO.te; plusieurs fois avant 1830, cette occasion avait failli se présenter; et, si elle n'était point venue en 1830, elle aurait surgi plu:; tard: Dès sa naissance la Restauration était condamnée à la mort, en vertu de la 'nature même.de son orgauisation, de ses principes et de ses tendances. Quoiqu'il en soit, q,ie résulte-t-il de tout ceci? C'est que, depuis 1789, un principe nouve_au meut la Fran_c.:e, le principe d'égalité, dont la Révolut10n e_s_lta p~rso~mfl.- cation; que ce principe a créé une soc1eté qui lm est semblable, société d'égalité sous toutes les fac:es, dans tous les éléments de l'ordre social ; que c'est là la France réelle et vivante· que l'Empire et la Restauration n'ont ' l' • péri que pour avoir méconnu cet état de choses et avoir combattu ; q1ie c'est là la base, semble-t-il,_ sur laquelle on doit construire, si l'on veut élever de soh<les constructions; et que tout ce qui n'est point édifié sur elle, est comme un château de cartes destiné à tomber sous l'effort le plus léger, sous la moindre secousse. H. MARJ.ET, VARIÉTÉS. Voici une des .figures les plus froides et les plus sombres de l'histoire : elle a ~té ~essinée par Edgard Quinet dans son dermer hvre sur la République des Provinces-Unies. Philippe II a, comme Louis XI, son caractère spécial parmi les tyrans : mais il nous appartient; il est bien de hi. famille ! P H I L I PP E IIAucun siècle n'a écrit plus que le XVIe, et dans ce siècle aucun homme plu» que Philippe IL Assurément il croyait avoir enveloppé son gouvernement de mystères. impénétrab!es. Retiré dans sa cellule _de_l'Es:-urial comme dans sa Caprée, personne ne surprenait pma1s un mouvement de sa physionomie ni un accent de sa parole. Lorsqu'il recevait des députations, il gardait encore uu silence de pierre; il se contentait de se pencher vers l'épaule rie son ministre, qui balbutiait quelques mots insignifiants à sa place. Se~ secrétaires avaient deva11t eux l'exemple de la proscription d' Antonio Pcrez, <le l'assassinat d'Escovedo. Voilà ùonc un homme parfaitement garanti contre la renommée ou l'indiscrétion des murailles. Il a enseveli plus profondémtnt qu'aucun prince srs secrets d'Etat dan_s les entrailles de la ter:·e. De rngues rumeurs pourront, il est vrai, circuler parmi la foule tremblante; mais ces bruis'sourds, qui garantira q11'ils sont vrais? Où seront les témoins <lece règne? Parmi tant de meurtres projetrs_, accomplis et niés, qu'elle trace restera? Qui jan:ais a entendu le roi donner u11ordre? Pour les plus petits détails, il s'est contenté d'écrire furtivement à son secrétaire assis à quelques pas de lui. Il a e1.foui son règne comme un crime. SinO'nlière justice de l'histoi-re ! Ce même homme qui a tout r:lt pour se dérober à la postérité est anjourd'hui plus déma~qué qne ne l'a été aucun prince. Ce roi casanier est surpris au grand jour. Gràre à la manie Lle to:1t, écrire pour tout, cacher, ces secrets d'Etat si bien. gardés. ces projets de meurtre si bien conduits, ces complots éternels, tes échafau,b dressés, ces agonies étouffées dans le font! des forteresses, ces bourreaux masqués, ces mensonges mom·trueux, ces piéges tc11clus tt la bonne foi de l'univers, tout cet arsenal de tortures, d'embO.ches. qtrn l'on croyait si saYamment enfoui, apparait aujourd'hui en pleine lumière. Avec l'immense correspondance de Ph!- lippe II, 1111 témoin terrible §?rt de la forter~sse de S~~ mancas, où les papiers d'Etat étaient restt>s ensevelis jusqu'à nos jours. Ce qui n'était qu'une ombre, un? r~- meur populaire, éclate dans ces pages chargées <le l écriture du roi. L'histoire avait eu le pressentiment de ces œuvrcs ténébreuses~ elle avait, comme Cassandre, reconn11 le meurtre à l'orleur clu sang; mais ces réYélations posthumes ne lais~e11t pas <levous frapper quand vo11s tenez Jans vos mains le sccnu officiel. J'ai v11l'Escurial désert ; il n'y restait pas un moine ponr faire la ganle autour <lu spectre de Philippe II. C'est à ce moment que les murs ont parlé. Avant qne·l'on possédât cette r.orresponclance, on n'a. vait jamais touché du doigt la grande embûche qui cnYeloppe les peuples des Pays-Bas pendant plus d'un demisiècle. L'histoire ma11<1uait cle base. Heureusement Philippe II a pris soin de révéler lui-même le c0té secret des choses et de montrer le nœud <le l'affaire. Il confie très nettement sa pensée au seul homme qui ait mission de l'entendre et de la juger, au pape. Q•rnnd, par-dessus la tête de toutes les nations courbées et muettes, on entend ce dia]oCYuedu roi catholique et du pontife romain. l'un déclara~t clans quel piége sanglant il veut faire tomber ses peu plis, l'autre acceptant· et consacrant le piége; quand on voit ces deux hommes, qui ~iennent (1, cette heure presque toute la terre sous leur mam, trame:r l'immense conjuration en des dépêches officielles que chacun peut lire aujourd'hui, il est impossible <le ne pas reconnaitre que l'histoire a fait un pas. Quelle est cette pe11sée secrète, nœucl de tout le xvre siècle, dans l'esprit de Philippe II et <lePie V? La voie~ telle que le roi l'expose ~ous le sceau du s~cret .. Le ro1 promet un pardon à ses peuples suspects d h~rés1e, cela est vrai • mais que Sa. Sainteté ne se scanrlahse pas : ce ' . , pardon publié, annon~é, juré 1 , _n'a aucune _valeur, n étant pas autorisé par l'Eglise. D mlleurs le roi pardonne volontiers l'injure qui le touche; il n'a pas le droit de pardonner l'injure faite à Dieu : la. vengeance que l'on doit au ciel reste sous-entendue, pleine, entière, malgré le serment de mansuétude. Philippe II sera clément ainsi qu'il l'a juré; Dieu, par la main de l'~rmée espagnole, mettra, s'il le faut, tout un peuple au gibet. Le bourreau tombera à l'improviste sur les dix-sept provin~es; il les châtiera par le fer, par la fosse, au besoin jusqu'à leur totale destructitm. Ainsi seront conciliés la parole royale, le sermentjuré, ce que l'on doit aux hommes et ce que l'on doit à Dieu. La conscience tranquillisé~ par ce pacte, Philippe II se prépare à_ extermine:, s'il l_efaut, to~s ses peuples. Il a la paix antique du pretre qm accomplit un sacrifice humain .......................... . Le fils de Charles-Quint n'est pas seulement un monarque, c'est un système, c'es_t l'idéal du_r?i t~l ~ue l'institue le concile de Trente : voilà pourquoi Je dirais volontiers avec un écrivain : J'aime Philippe II : j'aime cette longue, froide figure de marbre, inexorabl: corn.rue _un ~ppareil de logique, qui ne laisse rie~ à désirer m à mventer. Si le concile de Trente pouvait être représenté la couromic sur la tête, je ne _pourrais me le figuret auh'e-

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