CORRESPONDANCEPARISIENNE. 27 Octobre '1854. Yingt mille francs de pension à Madame St.-Arnauù qui avait encaissé ùéjà les gras bénéfice:. <lu•Coup•ù' Etat, en Décembre, plus ics riches primes de chemins de fer payées au granJ assassin <les Boulevarts par l'agiotage reconnaissant et prosterné, - plus 300 mille francs donnés en <lot à la fille ainée de cet illustre maison, petit cadeau d~ sa Majesté III qui puise à pleines mains dans l'escarcelle de la France ! Les femmes, les mères, les filles-ouvrières, dans nos départements du Centre et du Midi, grignotent chaque jour, pour vivre, quelques maigres châtaignes de l'an dernier. Le maïs manque, même le pain de seigle mêlé d'avoine, et sur le budget, trésor commun qu'alimentent les rudes labeurs des champs, on prélève des pensions de vingt mille francs pour les douairiêres du crime, déjà riches à millions! Tant mieux, car \;ous ne sauriez croire cornbien tous ces gaspillages, (et celui-ci n'est qu'une vétille,) avancent rapidement l'édncation,du peuple. Que les coupe-jarrets <leDécembre aillent lui parler aujourd'hui des 25 francs parlementaires! Je vous ai dit, dans ma dernière lettre, que le trésor vide appelait emprunt, le budget faisant défaut, et que Bonaparte avait arrêté le grand projet d'une circulation forcée portaut valeur de 850 millions. Eh bien! la planche aux assignats impériaux est <léjà prète. Les quelques ministres qui, sans trop combattre, discutaient la mesure, se sont inclinés devant la volonté suprême, et la roue aux écus va tourner. - Il s'agit de pourvoir au présent, a dit Bonaparte; nous avons sur les bras la disette et la guerre. Quand demain vienrl.ra, nous songerons à demain.- Mais le créùit va souffrir ; mais les transactions et les entreprises s'arrêteront clcvant le papier-monnaie; mais le gouvernement et la société succcmbent déjà, l'un sous la tlette, l'antre sous l'hypothèque; mais le déficit creusant, cn·usant toujours, la Banqueroute est fatale! - Il faut Yivre:, messieurs les bourgeois, et comme disait Louis XV, après nous le déluge! Autre embarras, et qui ne serait pas moins grave que la guerre d'Orient ou la Banqueroute. On dit, dans les salons de Paris, les journaux se taisant par ordre, qu'un sous-préfet de Louis BonJparte aurait interdit le passage libre à travers la France, à :M:. Soulé, ambassadeur <les Etats-Unis en Espagne. L'ordre de réembarquement immédiat et sans phrases lui aurait été notifié par ce fonctionnaire: en sous-prdre, et cela de tel1e façon qu'il y aurait eu, contre le représentant américain, me11ace de violence et de genda,rmerie. Je ne'puis vous certifier le fait, le monde officiel et ses paperasses m'étant fermés : mais la chronique est généralement répar1due, et je la crois fondée, connaissant l'hommechef et ses rancunes. M. SoulP, d'abord, est français ; il représente avec honneur une république : - premier crime !-.e:i second lieu, M. Soulé a rudement châtié en Espagne l'insolence ile l'ambassadeur impérialiste Turgot et les petits airs princiers de M. le duc d'Albe, frère de l'épouse Eugénie. Enfin M. Soulé, fonctionnaire d'un état libre, a publiquement acclamé la révolution espagnole -qui a chassé Christine, en attendant mieux, ... et, par toutes ces considération~ il ne pouvait avoir libre passage à travers la France fles Bonaparte. Mais si les Etats-Unis prennent fait et cause sur le rapport de leur ambassadeur, (rapport déjà parti) ! ma,is si la guerre s'engage de ce côté ...... mais si l'Amérique oublie seule'!l}ent d'envoyer ses grains à la France en disette et ses cotons à 1'Angleterre ? Les orages arrivent! XXX. Le premier Bonaparte avait ses déportés, ses transportés, ses proscrits, ses captifs, comme son digne neveu, le fils d'Hortense, et, dans cette phalange lien moins nombreuse et persécutée que la nôtre, quelques-uns, comme nous, faisaient la guerre au crime couronné. Voici quelques réflexions de Benjamin Constant, l'exilé de Genève, sur l'usurpation, le despotisme et l'homme du premier Brumaire; elles valent la peine d'être rappelées, et, parfois, il est bon de laisser parler Ies morts. ( 1) NAPOLEON-LE-GRAND. :En pensant aux usurpateurs fameux que l'on nous vante de siècle en siècle, une seule chose me semble admirable, c'est l'admiration qu'on a pour eux. César, et eet Octave qu'on appelle Auguste, sont des modèles en re genre ; ils commencèrent par la proscription de tout ce qu'il y avait d'éminent à Rome, ils poursuivirent par la dégradation de tout ce qui restait de nobles, i~s :finirent (1) Extr~it d'une petite brochure belge, publiée pM notre ami Poupart, et où s~ trouvent, condensés et liés, lc,s meilleurs fragments cle La Boëtie, d'A.lficri et de Benjamin Constant. Comme dit l'~ditcur : C'e:;t de la moëlle 'de lion. par léguer nu monae Vitellius, Domitien, H&lîogaùale, et les Vandales ot les Goths. Un modèle plus remarquable ,encore, parce qu'il est plus près de nous, parce qu'il est apparu, non à une époque <le d6cadence, mais immédiatement a,pr~s une rénovation politique et sociale, c'est Napoléon le Grand. Seul, il a entrepris de ,défaire l'œuvre <le tout un peuple et ile repousser 1e temps en arrière, - comme sïl 11'était pas évident que le .temps 11'avance que parce que l'espace est rempli derrière lui ! Ce génie insulaire, égoïste, séparé des hommes par son égoïsme, comme une île est séparée <lu continent par la mer, ne comprenait de rapports avec eux, de même que l'ile avec le continent, que par la sujétion ou la domination; par la sujétion, si l'ile est faible ; par la domination, si elle est forte. Ne pouvant s'unir et se confondre avec ce qui n'est pas elle, il faut <1u'elle subisse le joug ou qu'elle l'impose. Tel était Napoléon; né à une époque de calme, livré à sa faiblesse personnelle, il n'eût été qu'un misanthrope, déclamant dans quelque retraite obscure contre la société, et lui payant avec humeur ses contributions. Né à une époque de bouleversement général et de fermentation universelle qui le portait des bas fonds à la surface du bouillonnement populaire , il devait être conquérant et despote ; il le fut. Jamais il 11esongea qu'à lui; sa vie entière le prouve. Il sert tour à tour tous les principes, toutes les forces prépondérantes, et les abandonne ùès qu'il les voit s'affaiss~r ou perdre du terrain. Son ambition 11e considère les choses, les événements, les situations que comme les degrés de l'échelle qui doit le faire monter au pouvoir. Il mérite la mort comme déserteur, comme meurtrier, comme violateur de la représentation nationale; mais comme il déserte à propos, qu'il violente à propos, qu'il tue à propos, c'est-à-dire quand il n'y a pas de danger à le faire, au lieu du supplice, c'est le trône qu'il obtient. Son égoïsme, qui voulait annuler tout ce qui n'était pas lui ou n'était pas à lui, fut la cause de sa chute, chute méritée à laqueile l'humanité applaudit; mais il fut aussi la cause de l'avilissement, <le l'épuisement, de l'amoindrissement de la France que son funeste règne laissa meurtrie, rninée, corrompue, abêtie, sans commerce, sans crédit, sans marine, sans littérature. Après tout ce fracas de bataiiles, tout ce sang répandu, tout cet éblouissement de gloire stérile, la };,rance vaincue perdait les frontières de la République et même celles de l'ancienne monarchie ! ...................................... . ..................................................................... On abuse les hommes quand on leur dit: " L'intérH du maitre est d'accord avec le vôtre. Tenez-vous tranquilles ; l'arbitraire ne vous atteindra pas. Il ne frappe que les imprudents qui le provoquent. Celui qui se résigne et se tait, se trouve partout à l'abii. '' Rassuré par ce vain sophisme, ce n'est pas contre les oppresseurs qu'on s'élève, c'est aux opprimés qu'on che:rche des torts. Nul ne sait être courageux, m~me par prudence. On ouvre à la tyrannie un libre passage, se flattant d'être ménagé. Mais quand l'arbitraire est toléré, il se dissémine de manière que le citoyen le plus inconnu peut tout à coup le rencontrer armé contre lui., Quelles que soient les espérances des âmes pusillanimes, heureusement, pour la moralité de l'espèce humaine, il ne suffit pas de se tenir à l'écart et de hisser frapper les autres. Mille liens nous unissent à nos semblables, et l'égoïsme le plus inquiet ne parvient pas à les briser tOU\, Vous vous croyez invulnérable dans votre obscurité volontaire, mais vous avez un fils,, la jeunesse l'entraîne ; un frère moins prudent que vous se permet un murmure; un ancien ennemi, qu'autrefois Yous avez blessé, a su conquérir quelqu'.influence. Que ferez-vous alors ? après avoir, avec amertume, blàm6 toute réclamation, rejeté toute plainte, vous plaindrez-vous à votre tour? Vous êtes condamné d'avance, et par rntre conscience, et par cette opinion publique avilie que vous avez contribué vous-même à former. Céderez-vous sans résistance? mais vous permettra-t-on de céder? n'écarterat-on pas, ne poursuivra-t-on point un objet importun, monument d'une injustice ? Des innocents ont disparu, vous les avez jugés coupables ? vous avez donc frayé la route où vous marchez à votre tour ......................... . Il n'est point vrai qu'aujourd'hui, plus qu'autrefois, l'homme soit disposé à se résigner au despotisme. Qu'une nation fatiguée de convulsions douloureuses, ou troublée par la confusion des idées discordantes qui se heurtent dans le chaos, ou effrayée de périls imaginaires habilement évoqués par des voix intéressées à l'entraver clans sa marche progressive, s'asso11pisse un instant sous la tyrannie, cette stupeur passagère ne peut ètre prise pour un état stable. Ceux qui disent qu'ils veulent le despotisme, disent qu'ils veulent être opprimés ou 11u'ils veulent être oppresseurs. Dans le premier cas, ils ne s'entendent pas; dans le second, ils ne veulent pas qu'on les entende. Voulez-vous juger du despotisme pour les différentes classes? Pour les hommes éclairés, pensez à la mort de -Traséas, de Sénèque; pour le peuple, à l'incendie de Rome, à la dévastation des provinces ; pour le maître même, à la mort de Néron, à celle de Vitellius. Ceux qui indiquent à l'usurpation le despotisme comme une ressource assnrée, nous entretiennE>nt perpétuellement du désir, du varn des peuples, et de leur amour pour un pouvoir sans boriies qui les comprime,' les enchaine, les préserve de leurs proprrs erreurs, et les empêche de se faire <lumal, sauf à lui en faire lui-même et lui seul. On dirait-qu'il suffit de proclamer bien franchement que ce n'est pas au nom de la liberté qu'on nous foule aux pieds, pour que uous nous laissions fonler aux pieds avec joie. J'ai vouln réfuter ces assertions absurdes ou perfides, et montrer quel abus de mots leur a servi de base. Il est curieux de contempler la succession des principaux actes arbitraires qni ont marqué les quatre premières années du gou\·ernement d~ Napoléon, dep,üs l'usurpatio1t à Saint-Cloud, usurpation qne !\Europe a excusée, parce qu'elle la croyait nécessaire, mais qui n'~st venue que lorsque les troubles intérieurs c1u'elle :,,'est fait un mérite d'apaiser, aYaient cessé par le seul usage du pouvoir constitutionnel. Voyez d'abord immédintement après cette usurpation, la drportation sans jugement de trente à quarant"e citoyens, ensuite une autre déportation de cent trente, qu'on a envoyés périr sur les côtes d'Afrique; puis l'établissement des tribunaux spéciaux, tont en laissant subsister les commissions militaires; puis l'élimination du tribunat, et 1a des' ruction de ce qui restait du système représ1·nta'tif, puis la proscr:ption de Moreau, le meurtre du <lue d'Enghien, l'assassinat de Pichegru, etc. Je ne parle pas des actes partiels, qui sont innombrables. Remarquez que ces anslées ~•euveut être considérées comme les plus paisibles de •ce gouvernement, -et -qu'il avait l'int~rêt le plus pressant à se donner toutes les appaTences de la régularité. Il faut que l'usurpation et le despotisme soient condamnés par leur nature à <les mesures pareilles, puisque cet intérêt manifeste n'a pn en préserver un usurpateur très .usé, très calme, malgré cles foreurs qui ne sont que <lesmoye11s.; -assez spirituel, si l'on appelle esprit la connaissance de la ,partie ignoble du cœur, indifférent au bien et nu mal, et qui, clans son impartialité, aurait peutêtre préféré le premier comme plus sûr; enfin, qui avait étudié tous les principes de la tyrannie, et ùont l'amourpropre eat été flatté de déploy.er une sorte <lemodération comme preuve <le dextérité! ........ . Etouffer dans le sang l'opinion mécontente, est la maxime favorite de certains profonds politiques. Mais on n'étouffe pas l'opinion : le sang coule, mais elle surnage, revient à la charge et triomphe. Plus elle est comprimée, plus elle est terrible : elle pénètre dans les esprits avec l'air qu'on respire ; elle devient le sentiment haLituel, l'idée fixe de chacun; l'on ne se rassemble pas pour conspirer, mais tous ceux qui se rencontrent conspirent. Quelqu'avili que l'extérieur d'une nation nous paraisse, les affections généreuses se réfugieront toujours dans quelques âmes solitaires, elles fermenteront en silence. Ancnn siècle ne sera jamais tellement déshérité par le ciel, qu'il présente le genre humain tout entier tel qu'il le faudrait pour le despotii-me. La haine de l'oppression s'est transmise cl'âge en âge. L'avenir ne trahira pas cette belle cause l 1.-\. FRANCE ET LA RÉYOLUTTON. LA RÉVOLUTION DE Ii89. - L'E1IPIRE ET LA RESTAURATION. Je voudrais me faire bien comprendre du lecteur. Pour remplir la tâche que je me suis imposée, j'aurais pu me contenter <l'exposer la situation de la France rlans le moment actuel, dans l'heure présente. Mais c'eut été là une méthode étroite, et par -conséqnent fausse. La situation actuelle de la France n'est qu'une transition entre une situation passée et une situation future. Commer1t, dès lors, arriver à connaitre cette situation ? Se parquer dans un coin du temps, c'est risquer de se tromper, que dis-je? c'est se tromper à coup sûr. Car, clans ce coin du temps, on n'aperçoit que quelques phénomènes; et, puisqu'il n'est point donné à l'homme de pénétrer directemlmt la. nature intime des choses, il est évident qu'il ne peut y parvenir que par l'observation dn plus grand nombre possible de phénomènes et de leur succession. Ces courtes considérations me paraissent suffire pour l'explication et la justification de la marche que j'entends suivre dans ces études. Mais il y a pl11s. A supposer que nous sachions bien quelle est la situation présente de r-a France, quelle a été sa situation p1ssée, au moins immédiate, nous ne saurions pas pour cela la France. Voici pourquoi. Toute nation - véritablement nation - est animée d'un esprit propre et déterminé, joue un rôle propre et déterminé, tend à un but propre et déterminé, par lesquels elle se différencie des autres nations. Cette propositior1, vraie à priori et philosophiquement, se trouve eu outre confirmée par le corps entier de l'histoire. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les. annales du genre humain pour s'en assurer. Est-ce qu'il n'est pas visible, en ~ffet, pour nous tenir à l'antiquité, que l'Inde, l'Egypte, la Grèce, Rome, douées d'aptitudes diverse:;, ont en même temps rempli des mi~sions diverses, successh·ement supérieur~s les unes aux autres, avançant successivement la civilisation générale, et <levnnt finalcme11t aboutir à 1~
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