.. DELATYRANNIE. Vivre sans âme est le mei11eur expédient pour vivre longuement et avec ~écurité sous la tyrannie; mais je ne veux pas enseigner les règles de cette ignoble végétation. Chacun peut les trouver dans sa propre peur, dans sa propre bassesse, dans sa position p'us ou moins servile et fatale, et enfin dans le triste et continuel exemple du plus grand nombre. • Je rp'adresserai donc à ce petit nombre d'hommes qui, dignes de naître dans un gouvernement libre, sont jetés par le sort toujours injuste au milieu de l'ignoble troupeau de ceux qui, n'exerçant aucune des facultés humaines, ne connaissant ou ne gardant aucun des droits de l'homme, en usurpent cependant le nom. En montrant à ce petit nombre comment 011peut vivre qitasi-homme sous la tyrannie, je gémis d'être obligé de leur donner ces préceptes, hélas! trop çontraires à leur libre et magnanime nature ; mais je fais comme le chirurgien qui, ne pouvant guérir immédiatement une plaie, cherche au moins à calmer la souffrance du patient. Lorsqu'un homme, sous la tyrannie, est par sa nature capable d'en sentir tout le poids, mais que faute de forces propres ou étrangères, il est incapable de le rejeter, il doit avoir pour principe fondamental de se tenir toujours éloigné du tyran, de ses satellites, de ses infâmes honneurs, de ses emplois iniques, de ses vices, de ses leurres, de ses corruptions, des murs, de la terre qu'il habite, et de l'air même qu'il respire. Ce n'est que dans cet éloignement total et sévère qu'un tel homme cloit chercher, non pas tant sa propre sécurité que l'estime dt! soi-même et l'intégrité de sa réputation. En agissant ainsi, il pourra s'estimer plil-s encore que s'il était né libre sous un gouvernement juste, puisqu'il a su se rendre libre au sein de L'esclavage ; si, outre cela, cet homme ne se trouve pas dans la funeste nécessité de pourvoir :::ervilement à sa subsistance, qu'il recherche, puisqu'il ne peut acquérir la gloire de I'actlon, qu'il recherche avec ardeur et persévérance celle de penser, de parler et d'écrire. Mais comment penser, parler et écrire dans un gouvernement monstrueux où une seule de .ces trois choses est un délit capital ? Penser pour son propre soulagement, et pour trouver dans le juste , orgueil de celui qui pense une compensation à l'humiliation de celui qui sert; parler avec le petit nombre des bons, dignes à ce titre de compassion et d'amitié ; écrire enfin pour être ntile au plus grand nombre,_ et fai~e la noble contrebande des idét s en dépit des douanes de l'oppresseur. Tout homme courageux peut affranchir son pays du tyran, mais il ne l'affranchit pas pour cela de la tyrannie; il faut à cette œuvre le concours du peuple 011 du plus grand nombre, - non pas expressément le concours matériel, mais le concours moral. Or, ce concours ne peut s'obtenir que par le mépris et la haine excités dans les cœnrs de tous contre l'oppresseur; et ces sentiments n'y peuvent être excités qu'à la longue, par les moyens de propagande indiqués ci-dessns. Quand l'efüt est produit, la minorité entreprenante et hardie choisit son jour et passe tout à coup de la pensée à l'action ; les masses approuvent et donnent leur inertie _pour auxiliaire à l'agression contre le tyran. Mais il .y a un moyen plus efficace et plus prompt ·d'agir sur la multitude, et ce moyen c'est le tyran qui le fournit par ses propres excès. L'homme le plus vertueux et le plus humain se trouve donc dans la malheureuse nécessité de désirer que ces excès du tyran se multiplient, se pressent et s'aggravent afin que 1'opi- , nion et la volonté universelles changent avec plus de rapidité et de certitude, et se consolident inébranlablement. Si un tel désir paraît injuste et cruel au premier aspect, que l'on se rappelle qu'il ne peut arriver de changements importants parmi les hommes sans de grands, périls et de grands dommages, et que les peuples n'ont jamais passé qu'à travers le sang. et-les pleurs de la servitud.~ à la liberté. Tout ce qui est précieux cot\.te cher. Un excellent citoyen peut donc, sans cesser de l'être, souhaiter ardemment ce mal passager, car, outre qu'il met fin subitement à de non moindres et plus durables dommages, il en doit naître un bien immense et permanent. Ce désir n'est point blâmable en lui-même, puisqu'il ne se propose d'autre fin que l'avantage réE:l et durable de tous. Et le jour arrive où un peuple autrefois opprimé et avili, se sentant libre, heureux et puissant, bénit ces calamités mêmes qui, d'une vile et misérable mnltitude d'esclaves corrompus, ont fait une nation glorieuse d'hommes fiers, Yertueux et fortunés. Il y a des gens r1ui disent : " Mais puisque vous avouez " qu'il y a des tyrannies modérées et supportables, pour- " quoi les dévoiler et les proscrire avec tant d'ardeur et " d~ haine ? " - Parce que les plu:s cruelles injures ne ~ont pas celles qui offensent le plus cruellement; parce que les maux doivent se mesurer à leur &tendue et à leurs effets plutôt qu'à leur violence ; parce que, enfin celui'qui vous ôte chaque jour quelques palettes de sang, vous tue .à la longue aussi bien que celui vous épuise les veines d'un seul coup et vous fait languir davantage. Toutes les facultés de notre âme engourdies, to11s les droits de l'homme ameirîdris ou confisqués, toutes le~ volontés magnanimes empêchées ou détournées du vrai, mille et mille autres outrages semblables et continuels qu'il serait trop long de détailler, et, quand la vie de Thomme consiste avant tout da.n! l'âme et l'intelligence, vivre dans une L'IlOM11-E. crainte de tous les instants; n'est-ce pas là une mort perpétuelle ? Et qu'importe à l'être huma!n, 11ui se sent né pour penser et agir ouvertement, de G0I_J.serveern tremblant la ·vie du corps, sa propriété et ses autres biens ( toujours mal assurés) s'il perd en même temps, sans espoir de les récupérer jama:.is, tous les biens les plus pr.écieux de l'âme ? 'ALFIERI. Nous regrettons de ne pouvoir publier en entier, aujourd'hui, la lettre de Georges SAND ERS, cons"ul américain à Londres. Nous la donnerons en denx parties : elle s'adresse au Peuple français. C'est un heau travail sur lequel nous aurons à discuter, mais que nous voulons d'abord faire connaître. .45, Weymouth Street, Portland Pl(lce. Londres, 4 octobre 1654. ·PEUPLE DE FRANCE! Ancieas et puissants alliés de l'Amérique révolutionnaire! Après douze mois dans votre voisinage, ayant eu avec vous des rapp-orts intimes, je connais assez l'état présent de l'opinion en France, en ce qui concerne plus spécialement ·mon pays, pour ne pouvoir m'empêcher, en quittant l'Europe, <lem'expliquer sur quelques appréhensions de votre part, appréhensions qui, je vous le déclare comme citoyen américain, engagent l'honneur de mes compatriotes. . On accuse l'Amérique de ne pas s'inquiéter des hontes et des souffrances de ce peuple auquel uous sommes si redevables pour notre indépen<l:mce nationale,-d'accepter les calomnies adroitement lancées contre ses plus honorables et ses pl11s purs patriotes, - d'aider moralement Napoléon III à étouffer la voix ·de l;:ipresse de'France, - de s'unir avec lui pour déclarer que le peuple ae France mérite son sort, n'étant ·capable que d'anarchie et n'étant propre qu'au despotism~; enfin, que les Américains aiment mieux et ont plus de confiance en tous autres républicains qu'en ceux de France. • Devant ces accusations, uucnn franc Américain ne peut se montrer indifférent. Le péché d'ingratitude nationale est un des plus monstrueux, et dans lequel chaque individualité est engagée. Par conséquent, av.ec. toute l'énergie dont je suis capable, je repousse la croyance du peuple français en notre indifférence envers lui. Quand bien même ma lettre ne devrait passer que sous les yeux d'un seul Français, soit en France soit hors de France, je ne partirai pas sans dire que l'Amérique est toujours ardemment sympathique à ce peuple qu'elle a, le premier, appris à aimer dans les jours de notre obscurité la plus sombre. Comment pouvons-nous mus oublier! Il faut alors arracher les peintures nationales des salles du Congrès, faire que chaque histoire <les Etats-Unis clev.ienne une fausseté, a.Itérer tous les livres d'enseignement, efü1.cerles noms des villes et comtés de beaucoup de nos Etats, rejeter à chaque instant de la vue et de l'ouïe les témoignages de notre profonde obligation et de notre reconnaissance passionnée. Partout, dans les Etats-Unis, les noms français rappellent au peuple 011 apprennent à l'étranger, qu'un grand fait dans le drame national a imprimé ponr toujours le souvenir de la France sur chaque page de l'histoire d' .Amérique. Le plus riche pays du monde, le cœur du Kentucky, fut couvert de noms français par les vaillants pionniers, les compagnons de Daniel Boone, qui firent les premiers retentir la cognée clans ces magnifiques forêts, au moment même ou le sang français coulait pour l'indépendance àméricaine. Le lieu de ma naissance, le jardin <le ce charmant pays, porte le nom de 11 Fayette, et, pès de là, Paris, Versailles et autres noms français sont donnés et conservés en souvenir perpétuel de votre assistance. Nous n'oublions pas que c'est à la source d'où nous provenait cette assistance que nous sommes redev ,bles de la plus grantle part de notre s11ccès. Nous savons que c'est à la Démocratie française que nous le devons : c'est à l'idée républicaine grandissant et progressant alors que le .roi fut contraint de céder. Les gouvernements en France, et les administrations en Amérique, ont disparu et disparaissent ; mais vous, vous êtes toujours le peuple envers lequel nous avons une dette, et nous, nous sômmes toujours le rieuple qui en a profité. C'est l'instru tion donnée à la jeune.sse américaine dans ces écoles publiques qui font le palladium de nos libertés municipales, écoles que j'espère voir se propager en France, au lieu de bayonnettes reluisantes dont votre pays est maintenant couv _rt; éclatant et solennel témoignage! Puisse l'Europe, bientôt, remplacer partout l'exercice de caserne par la lutte de l'école, et puissent les enfants de la prochaine génération connaître aussi peu d'armées organisées que nous aux Etats-Unis, où plus des trois quarts du peuple n'ont jamais vu un soldat du gouvE:rnement. Pour vous, Français, nous regrettons les erreurs de jugement de La Fayette aux époques cri.tiques de votre histoire, mais pour nous, Américains, nous ne le connaissons que comme l'ami ancien et dévoué de la République américaine. Sa conduite éclatante remplit une belle page, honorable pour l'humanité, daus l'histoire de notre révolution. Sa réponse aux commissaires américains à Paris, quand ils lui dirent franchement que la cause américaine dénnée d'amis était languissante, est conservée comme sujet religieux d'exhortation pour notre jeunesse. " Plus votre cause est tombée en discrédit dans l'opinion publique, plus grand sera l'effet de mon propre appui. Pnisque vous ne pouvez vous procurer un vaisseau, j'en _achèterai et en équiperai un à mes frais et j'entreprendrai de transmettre vos dépêches au congrè1 s." Il abandonna tout, vint à nous d'au-delà de)'Océan, demanda à payer les dépenses, et combattit comme volontaire dans nos régiments nus et sans souliers. Quels noms, demande un orateur améric:ain, se maintiennent dans l'histoire comme les héros, les patriotes vertueux et dévoués?... Un caractère les marque tous : ils ont été audacieux et ils ont souffert pour le pays qui les a vu naitre. Qui, avant La Fayette et Kosciusko a jamais mttrché, seul, au combat pour les droits de l'hom~c, dans la caYse d'un Peuple faible, méprisé et inconnu? Les apôtres, les hommes de la Révolution, doivent s'incliner devant cette dernière preuve de désintéressement vis-à-vis de l'étranger. • .Quand, pour répondre à une invitation de notre pays tnomphant et prospère, La Fayette nous visit1 dans se vieill· sse, le peuple se leva sur tous les points du territoire, dans 1m transport de reconnaissance et d'admiration, pour rendre hommage aux souvenirs gue sa _présence faisait renaitre. Dans plusieurs circonstances, l'Am"ér-ique a répondu à l'écho de la France. Elle l'a. plus spécialement •témoigné chaque fois que le peuple s'est vengé lui-même. La Marseillaise n'a jamais retenti ,dans les rues de Paris sans que, p.ortée par la voix puiss2.nte,de la Démocratie, elle n'ait pr?~uit ~n écho fraternel en Amérique ; d'imposa11tes mamfe.stat10ns, avec-drapeaux et-devises, dans nos principales villes, ont prouvé l'intérêt que nous prenons à chaque Révolution du peqple fran,çais pour b conquête de ses droits. Un ~méricain .ayant visité Paris en 1848, et y retournant mamtenant, peut presque ressentir en lui le feu violent, quoique étouffé, de 1'-iudignation, qui doit enflammer le cœur de chaque citoyen français, en voyant substituer un chant effémiué de salon, comme l'antienne 1,iationale, aux accord!s vibraF.ts de cet hymne historique, qui réveilla toujours les plus nobles sentiments dans le cœur du peuple; tandis qu,e maintenant, même après une victoire chèrement achetée, il n'est pas un Français qui ne puisse célébrer ce triomphe par ce cha11t inspiré de liberté ! Vous l'attrib11en,,z, cependant, j'en suis sûr, à un motif honnête, lorsque je vous <lirai que la résistance de l' Amérique républicaine, à l'oppression gouvernementale, fut spontanée, irrépressible et non calculée. C'est que nous avions de puissants et r11des ennemis parmi nous aussi bien qu'au dehors; c'est que nos fermiers, nos marchands et 110smécaniciens cornbattaient les troupes bien disciplinées et bieu payées cl 'une armée rég11lière pendant trois longues et cruelles annt'ies, gagnant sans aide l'importante bataille ·de Saratoga, avant la reconnaissance par la France de notre indépendance. Il ne s'est ja:mais produit dans l'histoire dn monde, dit nn de nos plus honorables hommes d'Etat, de prns hauts exemples de noble aud:1ce, de rudes souffrances, de patience héroïque, que pendant cette Révolution. Dans quelqfüs districts, tout le pays, depuis les montng11es jusqu'à la mer, fut envahi par une force accablante. Les produits de l'industrie périssaient sur le lieu où ils étaient créés, ou étaient consommés par l'ennemi. Le sol était abreuvé du plus pur sang de nos. concitoyE:ns - <les ruines noires et fumantes inJiquaient la pla.ce où avaient été les habitations de leurs enfants. Mai3, malgré tout, l'esprit de liberté survivait et se montrait invincible. Ce ne fut que dans la septième année <le nos combats corps à corps qu'il nous vint de vous un secour.; décisif, qui nous permit enfin de terminer cette guerre d'une manière glorieuse, par la réunion des flottes et des soldats de De Grasse, de Saint-Simon et de Rochambeau avec les soldats, depuis longtemps fatigués et souffrants, de 110s bien-aimés Washington et La Fayette, à Yorktwn. Revenons à la question actuelle: les Américains en France. PermE:ttez-moi, d'abord, de repousser tout jugement• des Français, e11fait de dignité et de respect de soi-même pour les Américains, si ce sentiment est basé sur la conduite récente de deux hommes connus comme des Bonaparte <l'Amérique; en les dévoilant, ce sera prémunir le public contre cette grossièreté. Dans le but jésuitique de donner un vern}s américain à la violatiou des droits de la France, ces deux hommes ont été attirés comme des mouches stupides dans les trames de Saint-Cloud ; et là enivrés par le poison du rusé et infatigable corrupteur, ils sont devenus, par un seul et mllmt: acte, parties volontaires de l'immense mépris qu'on a essayé de jeter sur les femmes américaines dans la personne de la mère de l'ainé des Bonaparte. Cette dame, fille d'un puissant citoyen des Etats-Unis, personne aimable, pure et grâcieuse, fut dépouillée du nom de son époux légitime ; et cet homme très commun, Jérome Bonaparte, la rejeta de la société dans la position ·irrégulière de mère privée de ses droits, privée de toute protection et de sa dignité d'épouse. Grâce à l'usurpation du traître président de la République françttise, le petit-:ffü de madame Patterson, avec
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