\ CORRESPONDANCEPARISIENNK 30 septembre H354. La nouvèlle Polliee. • 'L'Empire vient de se fortifier : il n'avait dans Paris 1 que sept ou huit cents de ces policiers ù livrée, qu'on appelle ser.r;entsde ville, il vient d'élever à près de trois mille ce chiffre de sa maison. Les feuilles du gouvernement et les journaux-1)atois •qn'il entretient à l'étranger glorifient Louis Bonaparte, à -l'endroit de cette grande mesure importée d'Angleterre: ili félicitent l'ancien constable Je Londres de n'avoir pas oublié les enseignements de l'exil, et, d'après eux, Richelieu devinant Cromwell, n'était rien à côté de cet urriver- •sel génie qui ~a du prince Albert au }JOliceman! Avant de chercher et d'expliquer ce que peut valoir en France cette illustre création proposée, couvée, pondue par l'expérience exotique de notre César, permettez-moi · de vous dire qu'il y avait un bésoin pressant, le besoin 'de placer quinze cents ou deux mille bandits de l't>x-société du dix décembre, héros la veille du Coup d'état, exécuteurs-coupe-jarrets à l'heure de la crise, et, _le lendemain, complices inutiles, acteurs trop compromis, espè- . ces ignobles et dangereuses. On avait quelques temps employé ces guenillards du crime à courir derrière les voitures de la cour. Ils je. taient en cris rauques l'hosannah des populations empressées : à défaut de suspects, ils arrêtaient les passants ; ils insultaient les femmes qui ne saluaient pas l'impératrice que vous savez, et, chaque soir, ils allaient toucher. au guichet de la rue Jérusalem l'émolument-sportule de la cérémonie. ' •D'autres servaient, ceux-ci comme moutons, ceux-là. comme guichetiers-1ourmenteurs dans les geôles, daus les casemates, sur les pontons, dans les colonies algériennes, et même à l'ile du Salut, où, pour cause de climat et de . fièvre, ils avaient double ration d'eau-de-vie, d'argent et de vin. Mais toutes ces honorables fonctions de hérat1lts-hnr- ' leurs derrière les chars, de mousquetaires-e,;pions et de . geôliers-bourreaux ne pouvaient entretenir la grancle armée clu guet-apens. Les huit mille de la veille s'étaient •multipliés, non comme les pains sur la montagne, mais comme les grenouilles après l'orage- il _y avait pluie de crapauds. Il faut bien le dire d'ailleurs, Monsieur César évite depuis quelque temps les grandes fêtes du populaire et les marches triomphales; il ne voyage qu'en chemin de for à grande vitesse; il n'est tranquille qu'au mîlieu des soldats; il n'aime plus l'enthousiasme des foules à tant par cri ra11que et voix avinée; il rêve de Saint-Nicais-e ! ~ donc, la bande des débarcadères, des processions et des cortéges· a vu diminuer son personnel: le chœur est moins nombreux, le dieu se cachant ! D'un autre côté, les prisons, les pontons, les casemates et les colonies africaines sont moins peuplés qu'aux jours de la granùe gloire, après Décembre. Là, comme dans l'exil, beaucoup sont morts, quelques-uns se sont échappés et d'autres, triste phalange, sont rentrés, passant sous les fourches du malheur. De cela ·qu'est-il résulté'? C'est que les fonctionnaires évincés et les anciens complices restés sans emploi (double plèbe du crime!) ont fait accord dans Paris contre les repus et demandé place à table dans la caverne. De grand cœur on les aurait fait fusiller ; mais en Décembre, il y eut tant d'-o-rdres sauvages qui sont épars aujourd'hui; il y a tant de secrets qu'on n'a pas brùlés •et tant de confidences qui vivent, menaces vengeresses, •qu'on a mieux aimé ne pas heurter de front les préto- . riens du guet-apens, et voilà pourquoi, d'un coup, on crée deux mille sergents de ville! Maintenant, qu'est-ce que le sergent de ville et qu'est- •ce que le policeman? Sont-ce deux jumeaux-flaireurs ·mis au monde par la même politique, entretenu:;, dotés pour le même service, ayant même Rature, même loi, ,même fin? Non, certes: le sergent cle ville est extrait, en général, des couches abruties et criminelles de la caserne : il porte encore une espèce de harnais militaire et s'en va par les rues tout armé, comme un mousc1uetaire d'abattoir : le sergent de ville n'est pas un agent municipal, un fonctionnaire de la sû.reté publique, ayant certificats de quartier et références solides, comme disent les Anglais : le sergent de ville, c'est le mouchard en costume, investi par l'administration policière, sur titres inconnus du pu- -blic, et s'en allant par la ville, surveiller, saisir, empoi- . gner, aux ordres ou caprices de l'autorité qui le paie. Le policeman, au con.traire, n'entre au service public •qu'après la preuve faite de ses bons antécédents et sur ,garanties sérieuses données au quartier. Il est véritable- ·'l'Ilent fonctionnaire de la cité dans son district, et ce n'est pas une créature, non plus qu'un agent passif de l'administration. Il marche, Juif-Errant des nuits, sans 'pistolets et sans épée. Enfin, il n'a pas eu la triste occa- •sion d'ensanglanter les rues dans vingt guerres civiles, tandis qu'à Paris, depuis vingt-quatre ans, les sergens de ville, insolents, provocateurs, ont mis la main et l'épée dans toutes nos tragédies. Il résulte de là 'que ·ces hommes ·dont l'origine est in- , connue, rlont la moràlité est suspecte, que ces hommes 'qui ont commis tous les crimes au service de la politique, L'U OMME. He seront jamais acceptés par la population parisienne et n'auront jarn/tis son concours. Cc n'est pas que ce peuple ne voulùt •prêter main-forte aux agents de la sûreté publique, mais il craindra longtemps, et sous l'Empire avec justice, il craindra toujours de servir, en venant en aide sur appel, quelqù'exécution siliistre, quelque lâche guet-apens de la police contre les citoyens ! La nouvelle institution de M. Bonaparte, ne réussira donc pas, encâchée qu'elle est et _par ses vices d'origine et par les tristes-souvenirs de son pass6 : Paris aura non des policemer1 comme on en voit en Angleterre, mais bien deux mille reîtres de plus, comme on n'en trouve nulle part, sauf dans les empires et les cavernes. Le peuple, après février, avait mieux compris la police de sûreté publique. Il la faisait lui-même, et les assassins comme les voleurs se tenaient à l'écart. Si chaque quartier de Paris, en ce temps de fièvre et <l'honneur, avait, s:ir titres vérifiés, nommé ses agents, si les iutéressés eux-mêmes avaient choisi leurs hommes, la ville aurait pris confiance et la population aurait donné concours ; niais sans ces conditions <l'élection et de moralité l'on ne fera jamais rien. Et l'on n'aura que l'empire des mouchards ! XXX. SUR LA FRANCE ET LA RÉVOLUTION. D.:ns l'antiquité, les yeux du monde ét:üent fixés sur la Grèce et sur Rome. Pourquoi? Parce que la Grèce et Rome étaient les dpux plus grandes nations de ce temps ; la première, par les sciences, les lettres et les arts; la seconde, pur la politique et • par la guerre ; parce que l'une avait allumé le flambeau de l'intelligence humaine; parce que l'autre en dispersait les rayons par la politique, la guerre et la conquête. Les yeux du monde moùerne, depuis un siècle, sont fixés sur la France. •Pourquoi? Parce que la France possède cette grandeur souveraine qui caractérisait autrefois la Grèce et Rome. . ü ue esquisse rapide du passé de la France démor1trera la vérité de 11otreaffirmation. Lorsque le Christianisme vient proclamer le dogme de l'unité morale du genre humain, et poser par là le point de départ et la base de la civilisation moderne, quelle est la nation qui se convertit la première ù la doctrine nouvelle, à la foi nouvelle? La France. Quelle est, ensuite, la _nation qui la propage avec le plus de persévérance; qui la soutient, qui la défend avec le plus de courage, et qui contribue le plus à en assurer le triomphe et la domination ? La France. D'où sortent ces missionnaires innombrables, qui v·ont portex en tous lieux la parole chrétienne? De la France. Quelles sont les armes qui repo11ssent les débordements des barhares du Nord et du :Midi, et sauvent la civilisation renaissante? Les armes de la France. Aussi bien, dans ces temps, la France était appelée la fille ainée de l'Eglise ; et son nom était devenu comme un nom commun par lequel on désignait les peuples de l'Occident. Continuons. L'œuvre de la 1nopagation et de la Jéfense du Christianisme achevée, la France en commen<.:eune autre non moins considérable. Cette œuvre est double: intellectuelle et sociale. D'une part, elle devient un foyer de lumièrns, q1ü rayonne sur toute l'Europe. Et, d'une autre part, elle entreprend la transformation chrétienne <lel'organisation sociale léguée par le Paganisme. En effet,, e~t-ce qu'aux XIe, XIIe et XIIIe sièclex, l'université de Paris 1.'est pas le centre du mouvement intellectuel de l'Europe? Est-ce que, ·d'un autre côté, ce n'est pas en France qu'éclatent ave<.:le plus de puissance la Révolution des Communes et l'affranchissement des Serfs ? La France ne s'arrête point. Anx XIVe et XVe siècles, elle chasse !'Anglais, elle se délivre de l'invasion étrangère ; elle constitue son unité nationale. Lorsqu'anivent la· Renaissance et la Réforme, elle paie S<'. dette de sang et d'idées. Elle a ses guerres religieuses. Elle a ses grands docteurs et ses grands écrivains. Au XVIIe siècle, il s'agit pour elle d'une autre tâche. Elle crée son instrument intellectuel; elle forme et fixe sa langue, qui devient la langue de la raison, de la logique, du bon sc:1s, de la philosophie, de la politique, du goût et de la politesse ; et elle produit ces chefs-d'œune de l'esprit humain, qui exciteront dans tous les temps, dans tous les lieux, l'admiration des hommes, tant qu'ils seront sensibles aux beautés de l'art et de la littérature? Viennent les XVIIIe XIXe sièclPs. Au XVIIIe siècle, l'unit~ nationale de la F rnncr est fondée ; son instrument intellectuel, sa langue est cr éc. Que fait-elle alors? Elle entreprend une nouvelle œuFc, achèvement et complément des œuvres réalisées. A l'unité nationale et à l'unité de langue elle s'efforce d'ajouter l'unité sociale. Tel est le caractère des XVIIIe et XIXe siècles. Et, en effet, d'abord, n'est-ce pas là le caractère de la Révolution de 1789? Les derniers vestiges de la féodalité extirpés, les droits seigneuriaux abolis, les inégalités sociales détruites, la liberté et l'égalité reconnues et consacrées par la loi ; et d'un autre côté, les inégaltés de province à province, de ville à ville, abatturs comme les inéga:ités <le personne à personne; uu seul peuple, un seul pouvoir, uae seule loi existant désormais sur le territoire français: toutes ces institutions, tous ces faits ne sont-ils pas <les signes manifestes et éclatants des efforts de la France, au XVIIIe siècle, pour réaliser l'unité sociale en son sein? Et, ensuite, est-ce que ce n'est pas là aussi le caractère du XIXe siècle? Est-ce qu'il n'est pas clair, évident comme la lumière du jour, que la mission de la France au-XIXe siècle n'est que la continuation. et le développement de sa mission dans le XVIIIe ? •• Telle a été, telle est la France. Or, la nation qui a fait toutes ces choses est, assurément, grande entre toutes. Et c'est pourquoi on s'explique très bien qu'elle excite au plus haut point l'attention et la curiosité des nations étrangères. Mais, si je ne me trompe pas, ce n'est pas seulement par sympathie, par admiration pour la France 1iueles nations étrangères ont à s'en inquiéter; mais en outre pour elles-mêm<?.s. Voici pourquoi. les 11ations agissent et réagissent les unes sur les autres. Ce fait, vrai dans tous les temps et dans tous les 1,ays du globe, l'est surtout aujourd'hui, et particulièrement pour les nations européennes. Car la vapPur, l'imprimerie et la télégraphie électrique ont fait disparaître les distances, les froritières et les douanes qui les séparent et les divisent. L'Europe forme, à l'heure qu'il est, comme une :,rnle nation, comme une seule famille. Donc, les nations européennes ont intérêt à connaître ce qui se passe en France. Mais il y a plus. S'il existait dans le monde une nation qui le remue lorsqu'elle s'agite, tandis que tout s'y arrête lorsqu'elle se repose, - nation essentiellement initiatrice et paraissant chargée par la Providence de faire prévaloir les nouveautés nécessaires ; et si cette nation était la France, combien l'intérêt qu'ont les nations étrangères à la co1111aître deviendrait plus pressaut ! Or, qui ne voit que, depuis son origine jusqu'à nos jours, la France a été constamment à la tête du progrès et de la civilisation? Le triompha du christianisme, les croisades, le mouvement des communes, l'affranchissement des serfs, - tous ces grands faits du passé ne sont-ils pas dùs surtout à son initiative? Dans le présent, son influence éclate comme le soleil. En effet, est-ce que, depuis soixante ans, elle ne transforme pas le monde à son image? Est-ce que ce ne sont pas ses idées qui l'ébranlent et le font penser ? Est-ce que cc ne sont pas ses mœurs, ses habitudes, ses mocles qu'il se propose pour modèles et qu'il cherche ù imiter? Est-ce que ce n'est pas son souffle qui a arraché des concessions au despotisme européen, et a fait pousser quelque peu de liberté là où régnaient la servitude et Je silence? Aussi bien, il faut le dire : en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, il n'y a en jeu que les destinées de l'Angleterre, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, quelque puissantes que soient d'ailleurs ces nations. En France se jo11ela destinée du genre humain. S'il en est ainsi, étudier et savoir la France c'est le problême le plus considérable de notre temps. Qu'est-ce que la France? - Quels sont ses sentiments, sos idées, ~es passions, ses tendances? Que contient-elle en soi? Où va-t-elle ? Quel est son rôle dans la civilisation générale? C'est ce qu'il nous faut savoir, non point s(mlement dans l'intérêt de la France, mais, en outre, clans l'intérêt de l'Europe, car où elle va l'Europe ira. La France est l'avant-garde de l'Europe sur la route de la civilisation. D'une part, on dit : si la France nous paraît morte, à l'heure qu'il est, c'est une fausse apparence; elle est toujours vivante et bien vivante. Le régime qu'elle subit n'est qu'une épreuve. Les épreuves sont néccss,1ires aux nations comme aux hommes. llais attendez un peu ; et vous la verrez belle de liberté et de force continuer sa mission providentielle, c'est-à-dire mener plus loin la civilisation générale par l'amélioration successive et pacifique de la condition morale et matérielle de l'humanité. D'une autre part, on répond: ld France d'aujourd'hui n'est plus la France d'autref0is, la France Jes premiers temps du Christianisme, cette France d'amour et de foi , - la Fra}1ce des Croisades, -· la li'rance de Louis XIV ' - la France du XVIIIe Siècle, - la France de 89 et de 93 ; ce n'est plus qu'une horde hideuse de Barbares qui n'ont pour mobile que les appétits <le la brnte, et qui ne tendent à rien moins q,µ'à la destruction de h Société et de la civilisation pour s'en partager les dépouilles. Il faut se garder d'~lle comme d'une bête féroce ; et Louis Bonaparte qui l'a musclée mérite la reconnaissance du genre llllmain. De ces deux opinions, quelle est la vraie ? La France doit-elle donner au monJe l'ordre, le progrèc;, la liberté, h. civilisation ? D ,it-elle, âu contraire, le mener au désordre, à l'ai .'«r,.,nic, au cahos ? Voilà la question qu'il s'agit de résoudre. Je l'aborderai froidement, sév~rement; j'examinerai, je pèserai scrupuleusement les raisons pour et les raisons contre; et je chercherai à la résoudre sans passion et sans partialité, avec les seules forces de l'intelligence et de la logique. Cependant, dès l'abord, mon patriotisme se révolte et proteste contre cette opinion qui veut que la France soit dégénérée et en décadence. Oh! ma chère et noble patrie, 11011, tu n'es pas dégénérée! non tu n'es pas en déca-
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