Homme - anno I - n.44 - 27 settembre 1854

L'IlOMME. ______________ ___:_-=--:_::__ ____ -;--- ___ ~----- Les ùiverses colonies de la proscription française sont toujours rudement frappées, et le <levoir rempli nous -coC\.tera cher. A Jersey, cet oasis des vents, la mort nous d_écime.. En Suisse, en Belgique, en Espagne môme, les poltces alliées sout nuit et jour en chasse contre nos hommes, et_ en Angleterre, pays de solidarité fraternelle ... -pour les cluens et pour les chevaux, on nous laisse la grande liberté de la faim. Aussi, sous l'ac0aolante nécessité, 'les aéparts pour l'Amérique sont-ils de plus en plus fréquents, et chaque semaine emporte de 1~ouveaux soldats qui manqueront au rang. Qu'est-ce, ,pourtant, que cette Amérique où vont tous les rêves du désespoir? Voici qu .:lques <létails un peu trop empreints •peut-être de nostalgi·e et de désenchantement, mais que nous croyons utile de publier, dans l'intérêt et pour l'instruction de ceux qui restent. Ils sont extraits d'une lettre adressée par un des der~ niers émi~rants à un ami de Londres : " Ceux qui écrivent à Londres que tout va biel\ ici sont bien coupables, car c'est juste le contraire qu'il faudrait dire. Ce qui va mieux, c'est l'état de cuisiuier, tout le monde est d'accord à ce sujet, et cependant Pelletier n'a pu encore rien trouver. Plus de 2000 ouvriers menuisiers, charpentiers etc. sont sur le pavé, et Augsbu:ger, pas_plus f{Uelfs autres, n'est encore embauché. Le prix de la Journée est de 5 à 6 francs. Les meilleurs ouvriers cordonnier~ vont quelquefois.jusqu'à ,10 fr., c'est très rare, les mécaniciens, quand ils trouvent à se caser, gagnent de 6 à 12 f. Marche est obligé d'être manœ11vre à :30 f. par semaine ; ainsi, tu le vois, c'est bien loin de· ce que nous croyions. " Ceux qui gagnent le plus, ce sont les hommes forts, "igoureux, qui, toute une.journée, manient un marteau de 45 livres pour réduire des rochers en pavés ; leur journée varie de J 2 à 15 fr. Les hommes employés aux petits travaux ne gagnent que 3 fr. 60 cent. et sont obligés de donner 2 fr.50 de pension sans boisson aucune-; ainsi, tu le vois, c'est moins qu'en ELlrope. " Ce que l'on peut faire ici, c'est le commerce, mais il faut des fonds et c'est ce qui nous manque ; ·puis c'est un "enrc de commerce qui ne conviendrait pas à tous les fempéraments ; il faut faire banqueroute 3 ou 4 fois, brC\.- ler une ou deux fois son magasin et on réussit; quelques uns réussissent loyalement, mais c'e,t bien rare. Il y a encore l'agricultur~, mais il faut travailler longtemps., bien longtemps, et souvent on meurt avant d'avo!r ré_a~iséle fruit de ses sueurs. On ne voit prescp1e pas de v1C11lards de 60 ans. " " Somme toute, mauvais pays : 4 ou 5 incer,dies par jour, 2 ou 3 assassinats, une infinité Je banqueroutes, tel est le bilan de chaque jour. " Ne crois pas que je charge la situation, elle est exacte, et cela ne va pas mieux ailleurs ; dans ln maison où je suis il arrive chaque jour des ouvriers de toutes les parties rle l'Amérique; tous sont d'ac~ord pour dire que beaucoup meurent après avoir végété et que bien peu réussissent. (Comme partout, beaucoup d'appel6s, peu d'élus.) .Quand le choléra a dépeuplé un pays, l'ouvrage abonde pendant quelque temps, ceux qui restent sont pay6s très cher, mais bientôt cette nouvelle se répand, tout le monde y court; il y a affluence, trop plein et nécessairement déception et misère. Figure-toi qu'il arrive ici journellement et régulièrement une moyenne de deux mille émigrants! Serre la main aux amis et fais tous tes efforts pour ·empêcher de partir ceux ·qui voudraient venir nous rejoindre; misère ici comme là~bas, et de plus on est sans nouvelles du pays et on ne retourne _pas quand on voudrait. " Salut fraternel, .M....... " Ainsi le Nouveau-Monde serait aussi difficile aux pauvrei que l'Ancien! Nous ne croyons pas qu'il en soit tout-à-fait ainsi ; mais les deux srJciétés, sous des formes différentes, sont du même passé, du même sang, et se touchent en certains points. La jeune Amérique a beaucoup des vices de sa mère. . Que peuvent et que doivent faire, en ces extrémités, les proscrits, martyrs du devoir ? S'entr'aider et garder vivante la 'foi qui nous rallie, comme on le tente en ~elgique, à Jersey, comme on le tente à londr~s, quoique par groupe et séparément. . Si nous ne pouvons av.oir l'unité de personnel qm ~onnerait la concentration des forces, faisons tle notre mieux •dans ces groupes cl'adoption, et pour le pain et pourl'idée. N011s nous garderons ainsi plus dignes et plus forts, soit pour l'épreuve, soit pour la lntte ! LAQUESTIOSNOCIALE. Il faut que le travailleur s'empare révoluti~nnairement de l'instrument de travail. Cela est un des pomts les plus importants de la propagande que nous a~ons ~ faire si nous sommes vraiment socialistes et révolutionnaires. Cette prise de possession est nécessitée par l',impo_ssibilité reconnu12de faire participer tout le monde aux bienfaits de la propriété telle qu'elle existe aujourd'hui, e~ de la Mnveraineté politique q_ui en est la con!!équenee, 1mpossibilité qui ne laisse à la Révolution qu'une voie : celle que j'indique. . , . Cette prise de possess10n est encore necess1tée par les pr 1 ogrès mêmes de la science et de l'industrie, par l'introduction dans le travail de machines de plus en plus puissantes, de forces illirnitéés et impersonnelles comme la vapeur, l'électricité, l'air comprimé &&. Ce::point de la question mérite d'autant plus notre attention qu'il est un de ceux sur lesquels les économistes ont laissé à plaisir s'entasser les ombres. Certes, tout le monde admire, et moi le premier, les découvertes de la science et les applications magnifiques qui en sont faites à l'industrie. Comme tout le monde, dans cette science qui nom; rend maît:·e.~ du glob:: en nous ·le faisant connaîtr2, je vois la raison même du progrès. Dan::s ces machines que l'homme a créées, et qu'il a animées du souffle des forces invisibles et des fluides impondérables, je vois un monde d'esclaves puissants et terribles, mais admirablement obéissants, car ils 'ne souffrent pas à obéir, qui feront un jour pour tous les hommes ce que l'esclave faisait, au prix de sa vie, pour la famille aristocratique qui dans l'antiquité constituait toute la société. Oui, je vois tout cela, et je sais tout ce qu'on peut encore dire : que la vapeur forcera les peuples à la fraternité; que le télégraphe électrique leur ·permettra l'exercice direct de la souveraineté, rendant les assemblées de nombreux millions d'hommes sur d'immenses ·territoires aussi faciles que les réunions des quelques mille dcoyens d'une cité antique; que les ballons ..... . mais n'anticipons pas. Je sais que notre -plus grand adversaire, l'Eglise, traite les chemins de fer d'inventions diaboliques, et je me dis: cela est nécessairement bou, puisque les saints mrnistres de la sainte religion le condamnent si saintement. 111:aiscependant, malgré ces excell-enteB raisons, je ne puis pas trouver que le chemin de fer qui transporte en quelques .heures assez de troupes .pour écrase_r une ville révoltée soit, pour le moment, un agent de progrès. Je ne puis pas non plus me sentir pris de respect pour le t~légraphe jouant aux: mains des Bona partes~ et, quand je vois les populations, à certains jours de révolution, se rmr à la. destruction de q11elttuesunes de ces machines contre lesqu~lles leurs bras ne peuvent lutter dans le champ de la concurrence, je èherche la raison de cette haine ailleurs que dans la perversité de ces pauvres gens à qui il serait beaucoup -plus utile de clonner du tra\·ail et dP.s raiso11s que les épithètes si libéralement accordées, en tout pays, de brigands, de partageux, etc., le t'Out constamment appuyé sur .,f,'ultima ratio des. bayonnettes et de la prison. Il y a une raison à cette haine de certains ouvriers contre les machines, et une raison profonde. Seulement dans leur haine toute d'instinct, ils s'en prennent stupiùemeht à la machine, comme l'enfant qui bat le sol où il est tombé. Et les maîtres se gardent bien de faire sur ce point une véritable lumière ; et les économistes patentés du gouvernement, et les publicistes tolérés s'en gardent bien aussi : parce qu'ils savent "bien que le jour où l'ouvrier comprendra 'lue ce n'est pas la machine qui est funeste et détestable, mais l'ordre de choses au pro'fit dnquel elle agit, et qu'il ne faut plus songer à détruire la machine, mais à s'en emparer et à la faire agir au profit de tous; ils savent bien, dis-je, que ce jour-là la haine contre la machine s'évanouirn, et que la haine contre l'ordre de choses actuel, enfin éclairée, s'en prendra à la chose vraiment funeste et haïssable, le privilège du maître. Mais comment cette haine n'existerait-elle pas tant que les machines sont aux mains des riches un instrument de plus de l'exploitation de_spauvres ? Les bras de l'ouvrier peuvent-ils lutter contre la machine? Evidemment non. Partout donc où l'ouvrier est en concurrence avec la machine, il- est perfü1. Qui pourrait croire que l'ouvrier ait besoin, de r.aisot1ner pour comprendre cela? Il le sent : c est bien mieu-x. La preuve qu'il ne raisonne pas ou raisonne mal, c'est sa conduite : quelle plus grande folie que de ·s'en prendre à la machine! Cependant, ,si dans son raisonnement et dans sa conduite l'ouvrier a tort, dans son instinct il a raison. C'est à nous à éclairer cet instinct, à lui montrer la ,,oie qu'il cherche, ou bien nous manquons entièrement à n_otre fonction révolutionnaire; nous n'avons pas de raison d'être, et, dans ce cas, Bonaparte n'aurait pas clü seulement nous exiler, il aurait dü nous supprimer. Non, il n'est pas vrai que la vapeur, l'éle~tricité, toutes les forces naturelles découvertes par 1 homme soient des agents fatals du progrès. Ce sont des forces inconscientes et voilà tout. Comme le fer, l'or et la parole qui ont été à la fois agents de civilisation et agents d'oppression, les forces invisibles et les fluides impondérables n'ont en eux-mêmes aucune moralité. Ils rie sont ni bons ni mauvais que selon l'usage auquel la liberté humaine les fait servir. Par ces forces employées au bien, l'homme peut s'~- lever à un degré de puissance, d'intelligence, de liberté, de beauté dont il est impossible cle prévoir la fin. Par ces forces employées au mal, il peut descendre au dernier dègré de l'exploitation de l'homme par l'homme, à une décadence sociale complète. Il est bien commode de se dire : quoiq11'il arriyc, le progrès est dans le plan providentiel; le triomphe de la 1 justice n'est qu'une question de temps; rien ne rsaurait l'empêcher, et de s'endormir dans cette confiance béate que Leibnitz flétrissait du nom de raison paresseuse. Mais si le progrès est dans le plan providentiel, la liberté de l'homme y est bien plus encore, et le progrès humain est soumis à l'action de cette liberté humaine. Que le souffle de la création elle-même soit dans ces forces de la nature, je ne le nie pas; mais il est encore bien plus dans la volonté de l'homme qui dompte ces forces et en fait ses humbles esclaves. Il est donc absurde de dire que des forces inconscientes sont dlls agents fatals du progrès aux mains d'une volonté libre de qui ee progrès dépend. Supposons un instél'Tltque le socialisme est mort; que nul dans le monde n'élève de revendication contre la propriété, la religion, la cité telles qu'elles sont aujourd'hui constituées; que le capital, dieu véritable et unique de cette société, est reconnu sans contradiction comme juste, intelligent, bou, beau et infaillible en, soi ; que tous consentent que tout droit, toute force, toute vertu viennent du capital et y retournent, qu'arrivera-t-il? C'est qu'en moins de temps qu'on ne le croit généralement, la société offrira le s,pectacle de quelques richissimes propri6taires tenant en main toutes les forces sociales et forçant l'humanité tout entière à ne vivre que pour eux, à travailler et à mourir à leur merci. Le sort de !'Irlandais, voilà ce qui, dans cetre voie, attendrait l'immense majorit6 des hommes. Et les découvertes de la science, et la vapeur et les machines ne feraient que mener plus vite la société vers•cet idéal de la dégradation sociale. Cette supposition est-elle une pure fantaisie, une impossibilité, uae chimère? je le souhaite. Mais enfin on a vu des civilisations :::'éteindre, des nations perdre leur génie et leur puissance, et des lumières qui avaient brillé d'un éclat incomparable disparaître pour bien longtemps de la face du monde. Pour ma _part, en voyant quelquefois l'immense lâcheté des peuples envers les Ploutocraties qui les oppriment ; en me trouvant d'autrtfuis, au milieu des hommes les 1 meilleurs, obligé de me débattre contre les théories cle non-résistance qui laisseraient la tyrannie sans contradiction sur la terre; en entendant, parmi ceux même qui se disP.nt révolutionnaires et qui souffrent pour leurs opinions, des voix, échos inconscients du vieux monde, méconnattre les vérités les plus simpl~s, les d_roits les plus clairement lisibles au front de toute créature humaine, femme ou homme; je me suis demandé avec angoisse si les sociétés européennes allaient à une renaissance ou à une décadence complète, et si, de:: cette fièvre terrible, nous allions nous relever ou mourir. Sans doute la mort elle-même serait suivie d'une renaissance; mais quand? Dans toutes les choses-où la liberté h11maine se mêle, il n'y a rien de fatal; les sociétés européennes peuvent se sauver ou non, selon qu'elles oseront ou n'oseront pas franchir la crise terrible de la Révolution. Mais il faut bien le dire : au point où en sont arrivées les choses, la Révolution seule peut les retirer de la mort où elles s'en vont d'un pas rapide ; et il faut ·que cette Révolution soit profonde. Plus profonde elle sera, plus salutaire elle sera aussi. -011 conçoit que la Révolution ne serait pas nécessaire dans un société où les sciences sociales marcheraient du même pas que les sciences physiques, et où, en même temps que de nouvelles forces s'introduiraient dans l'industrie, de nouveaux rapports de justice s'introduiraient parmi 1es hommes. Mais puisqu'il n'en a pas été ainsi, et puisque les forces nouvelles, en l'absence ùe rapports de justice nouveaux, ne font que profiter à quelques-uns au lieu de profiter à tous, et mises ainsi au service du mal, du privilége, de lïnégalité, ne font qu'agrandir le mal dans des proportion~ monstrueuses, il faut forcer par le fait révolutionnaire l'introduction de ces rapports de justice nouveaitx dans la société. La considération ~es machines r1'est certes pas indispensable pour prouver que le travailleur a droit à l'instrument de travail; mais elle est très utile pour prouver qu'il doit le prendre révolutionnairement; que c'est pour lui une nécessité de vie ou de mort. Car de ce que la société a été en progrès dans l'application à l'industrie des découvertes faites dans les sciences physiques, et de cc qu'elle a été en retard dans l'application à l'associatiou humaine des découvertes faites dans les sciences sociales, il est résulté un état de maladie véritable qui ne peut être guéri que par une crise révolutionnaire, crise que nous avons mission de provoquer . Pour provoquer cette crise, il fa11tnous appuyer snr ceux qui y ont le plus grand intérêt et_éclairer cet instinct populaire qui se manifeste en mal, lui aussi, lorsqu'il s'en prend aux machines, mais qui se manifestera en bien lorsqu'il s'en prendra au privilège de l'exploiteur. Connaissons donc bien la situation .. Avant 89 la féodalité pesait sur le travailleur et sur la terre ; sur l'homme et sur la chose. Par la première Révolution française l'affranchissement seul de l'homme a eu lieu; la terre, l'instrument de travail est resté sous le domaine seigneurial du maître. L'homme y a gagné d'être libre en apparence (liberté d'aller et de venir si comiquement restaurée dans la constitution Marrast) mais d'être Yot16à la misère par la

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