qui vous ont fait ce que vous êtes vous sont venues des proscrits italiens des XVIe et XVIIe siècles. Vous parlez d'asile : est-ce à l'homme ou au corps seulement que vous entendez le donner ? Nous portons la patrie à la semelle de nos souliers : prétendez-vous qu'en foulant le sol des conspirateurs du Grütli, nous la secouions loin de nous comme une vile poussière? Nous emportons avec nous, comme les proscrits d'Israël le faisaient de leurs dieux, nos idées, nos serments, notre amour, le souvenir de nos frères morts ou mourants, les grandes espérances que Dieu murmure à notre berceau, le sentiment du devoir qui nous lie à leur réalisation. Exigez-vous que nous livrions tout cela, avant d'entrer sur votre territoire, à l' AutrichP.? Entendez-vous, comme les Jésuites, vous charger de nos corps à conditio~ d'abâtardir, d'atrophier nos âmes? 'Honte I L'asile des anciP.usrendait inviolable même le. crime : l'asile républicain du XIXe siècle ne peut-il pas même sauver la vertu? Nous conspirons, dites-vous, nous correspondons avec nos amis, nous leur disons de se soulever. Sans doute, nous le faisons : puissions-nous venir comme des plantes parasites, inutiles, le jour où nous ne le ferions pas ! Mai~,vous, qu'en savez-vous? Brisez-vous, ponr complaire à l'Autriche, le cachet de nos lettres? Et si vous le faites, ne sentez-vous pas, en les parcourant, quelque chose au cœur qui vous dit : ces hommes font lear devoir : nous ferions de même si, proscrits sur la terre Hrangère, nous· avions laissé notre patrie envahie, torturée, décimée par les soldats étrangers! Réprimez nos actes, Messieurs, quand ils sont publics 'et de nature à faire peser sur vous une responsabilité 'lue vous ne vous sentez pas en mesure d'assumer; c'est bien, mai:i1 ne fouillez pas, pour donner des gages au despotisme étranger, dans ce qui doit vous rester caché. Et lorsque, soucieux nous-mêmes de votre responsabilité, nous nous glissons ùans l'ombre, sans nous montrer, sans même serrer la main des amis que nous avons chez vous, sur votre frontière pour y rencontrer le regard d'un frère, ou pour regarder si rien ne remue sur cette terre de douleur qui git au-delà des Alpes, détournez vos yeux et accompagnez-nous de vos vœux. Messieurs, ~enez garde : Dien tient compte aux natiens comme aux individus de chaque violation d'un principe. Songez à l'avenir de ·votre pays. Et n'oubliez pas que la France .expie aujourd'hui par l'esclavage et la corruption le meurtre de Rome. Scptemôre, 1854.. Joseph MAZZINI. DE L'.A.RlilÉE. Les mfüces, soit 0natfonales, soit ~trangères, soit \."Olontaires, soit forcées, sont toujours le bras, le ressort, la base, la seule ou la meilleure raison _des tyrannies et des tyrans. Les armées modernes. avec leur perpétuité, annulent clansles modernes tyrannies jusqu'à l'apparence de la vie civile, détruisent la liberté~ et l'homme s:avilit à ·tel point qu'il ne peut ni dire, ni entendre, ni penser aucune chose politiquement vertueuse, juste, utile ou grande, De cette multitude de soldats oisifs, vils dans l'obéissance, insolents et féroces dans l'exécution, ~t toujours plus intrépides contre la patrie que contre l'ennemi, nait l'abus mortel d'un Etat dans l'Etat ; c'est-à-dire un corps permanent et terrible qui a des opinions et des intérêts contraires à ceux du pays ; un corps qui, par son institution vicieuse et illégitime, porte en lui-même rimpossibilité démontrée de toute vertu civile. L'intérêt des peuples, sous tous les gouvernements, es·t de n'être pas opprimés ou de ne l'être que le meins possible. Dans la tyrannie, les soldats, qui ne doivent avoir d'autre intérêt que celui du tyran qui nourrit et entretient leul' superbe paresse, les soldats sont nécessairement intéressés à opprimer les peuples le plus possible ; car, plus ils oppriment, plus ils :rnnt considérés, néc(lssaires et redoutés. Il n'en saurait être dans les tyrannies comme dans les républiques véritables, où les dissensions intérieures font partie de la vie publique, et où, sagement maintenues et employées, elles accroissent la liberté. Toute diversité d'intérêts, dans les tyrannies, accroit au contraire le malheur public et la servitude universelle ; d'où il résulte que le faible y doit être, pour ainsi dire, annulé, tandis que le fort s'y élève et s'énorgueillit outre mesure. C'est pourquoi, dans la tyrannie, la soldatesque est tout et le peuple rien. A peine a-t-elle revêtu la livrée de sa double servitude, que l'orgueil s'empare d'elle, comme si elle était moinesclave que les autres sujets. Dépouillés du nom de pays sans, ces soldats méprisent leurs égaux et se regardent commebien supérieurs à eux. Eu effet, dans la tyrannie, les véritables paysans, les cultivateurs, se déclarent euxmtmes inférieurs aux paysans soldats, puisqu'ils supportent cette race militante qui ose les mépriser, les insulter, les dépouiller, )es opprimer. Cependant, il ne tiendrait qu'aux peuples de se débarrasser de ces hordes brutales et mercenaires, s'ils voulaient un seul moment se rendre compte de Jeurs forces, car ils trouveraient qu'ils sont mille contre un. Il est vrai que si le peuple les craint et les hait, il ne l,ll hait jan)ais autant qu'ils le m,ritent et qu'il déteste le ' tyran. Ce· n'est pn5 là unt> des moindres preuves que, • dans la tyrannie, le peuple ne raisonne ni ne pense ; car s'il observait que, sans soldats, il ne pourrait plus exister aucun tyran, il les haïrait bien davantage. En augmentant les moyens d'user de la force, les tyrans ont augmenté à tel point la violence, que, si maintenant ces moyens 'Venaientà diminuer, la crainte diminutrait d'autant dans les peuples, et que peut~être la destruction de la tyrannie s'en suivrait. C'est pourquoi les armées, qui n'étaient pas nécessaires avant qu'on ne· dépassât de certaines limites, et avant que le peuple ne füt intimidé et retenu par une force effective et palpable, sont devenues depuis indispensables ; car il est dans la nature de l'homme que quiconque, pendant une longue suite d'années, a cédé à une force effective, ne se laisse plus effrayer par une force idéale. Il est donc certain que, dans l'état présent des tyrannies européennes, la cessation des armées permanentes entraînerait immfdiatemeut la cessation de la tyrannie. Le peuple ne peut donc e:spérer de se voir allégé de cette charge et de l'opprobre de stipendier lui-mime ses propres entraŒes, qui oublient si promptement leurs liens les plus naturels et les plus sacrés. Mais le peuple peut toujours avoir l'espérance, et non seulement l'espérance, mais la certitude de rejeter lui-même cette charge et cet opptobre, toutes les fois que, affermi dans sa volonté, il ne demandera pas à autrui ce qu'il peut prendre de ses mains, Chaque tyran européen solde autant de satellites, et plus qu'il ne peut en solder; il met à les entretenir sa jouissance et son orgueil; c'est le plus précieux joyau de sa couronne. Aussi, nourris de la substance dn p!:uple, ils sont toujours prêts à en boite le sang au moindre signe de leur maître. Les divers degrés de considération qu'on accorde aux tyrans divers sont en raison directe du nombre de leurs soldats ; et comme il ne peuvent réduire ce nombre sans affaiblir l'opinion qu'on a de le'Ur puissance, il est à croire qu'il ne cesseront pas d'épuiser leurs peuples pour conserver la forc-evivante qui les conserve eux-tnèrnes. Les tyrans, maitres pour un temps de l'opin"ion, ont tenté en Europe de persuader, et ont en effet persuadé anx plus stupides de leurs sujets, soit nobles, soit plébéiens, que leur milice était une chose honorable ; et en en portant eux-mêmes la livrée, en jou~nt la comédie de passe"t e·u·x-tn~mespar tous les •grades, en lui accordant une foule de prérogatives insultantes et injurieuses sur toutes l'es antres classes de PEtat, et principalement sur la magistrature, ils ont offusqué les intelligencès, e't passionné ·lenrs stupldes sujets pour cet exécrable métier. M.iis une seul'è observation suffit pour détru'ire cette boùffonne impoat1ire. Ou tu regardes les soldats comme les exécùteurs de la \·olonté tyrannique au dec'lans, et alors peut-il jamais te paraitre honorable d'exercer contre ton père, tes frères, tes parents, tes amis, une force illimitée et injuste? Ou tu les considères comip.e les défenseurs de la patrie, c'est-à-dire du lieu où tu es né pour ton malheur, où tu -demeures paT furce, ·où tu n'as ni lilier,té, ni sécurité pour ta personne et tes Mens ; et aloT-Ste semble-t-il honorable de défendre une patrie ainsi faite èt le tyran qui s'acharne à la détruire et à l'opprimer plus encore que ne le ferait l'ennemi 7 J-e ·conclus en conséquence : que la patrie n'-existant pas là où i-1 n'y -a ni liberté ni sécurit-é, porte-r les armes pour un tel pays est le plus infâme de tous les métiers, puisqu'il ne consiste qu'à vendre à vil prix sa volonté, ses amis, ses parents, son propre intérêt, sa vie et son honneur pour 11necause infâme ,et i11just~. ALFIÉRI. • L'INSURRECTIODNEBERLIN. ( btr<lil d'u,i1 Jiutoir, in/dite tl, ra .Rkolutillll a1k1'JO,.tll, JIIW Tlllotlor, JU.ROHER.) -Suite.- Le roi n'ose pas désobéir : il paratt. Ses traits dêcomposés dénotent un profond abattement. A son bras est penchée la reine, épouvantée, fondant en larmes et presque évanouie. Le couple couronné est tombé bien bas; il contemple de près ces cadavres livides et mutilés. La foule ordonne au roi de se découvrir, et le roi se découvre, sans prononcer une parole. En ce moment, les porteurs élèvent les bières comme pour approcher les morts de leur assassin, et les assistants éclatent en imprécations. - Le monarque pâlit de plus de plus en plus. Il était perdu. Tout-à-coup, une inspiration religieuse s'empare d'un individu et par suite de tous les assistants. Le peuple chante lentement et gravement un cantique de funérailles, et s'éloigne, emportant ses tristes dépouilles. L'homme, quel qu'il soit, qui prit cette _initiative, a sauvé la monarchie et perdu la liberté ! Humilié, comme ne le fut jamais on souverain des temps modernes, le roi put enfin se n~tirer. Mais son abaissement ne devait pas s'arrêter là. Il fut forcé de reparaitre une seconde fois sur la terrasse du chàtean, contluit par denx citoyens, pour promettre à la population l'armement immédiat. Il ne fit, poor ainsi dire, que répéter litt~raltmeht les paroles de l'un àe se!! guides. • Mieroslamki et ses frères d'armes polonais furent mis en liberté, et leur geôlier sa vit contraint de saluer leur marche triomphale. Le len1lemain, le monarque revint encore sur le balcon, la tête découverte, pour voir défiler la procession gigantesque qui conduisait les révolutionnairea tomMs à leuir dernière demeure : il rendit hommage aux martyrs de la. liberté, et ses yeux trou-.èrent des larmes devant les cetcueils qui renfermaient ses victimes. Si un roi pouvait mourir de honte, Frédéric Giiillaumet IV setait mort six fois en deux jours. Et cependant, la royauté parviut à se relever do ~U.e chute p'tofonde. Le citoyen Ledru-Rollin a dit, dans son discoun a• banquet du Châlet : qui dit unité d': l'Allemagne, di, dtmocratie de l'Allemagne. Rien n'est plus vrai. Depuis une génération, la pensée de l'unité allema11de et son symbole, le drapeau tricolore, avaient été prosc:rita. par les ptinces : -Ces couleur~ et cette idée cle,·aienr. sauver les princes. Le nautounier, qui •fait naufrage, e~ cramponne bien, à l'heure suprême, au rocher contre le. quel s'est brisé son navire. Après avoir, comme le Samson de la légende hébraïque~ éb'ranlé, ,le ses mains puissantes, les colonnes de l'édi. fke féodal, le peup1e ·de la Révolution se laissa, comtne lui, enlever sa force par une intrigue, et tendit gtupidement la nuque à l'ancit-n joug. , La cour était vaincue; mais, voyant que la nation ne savait pas profiter cle son triomphe, et que toute foi monarchique n'était pas éteinte, elle résol•1t de détourner l'attention publique, en appelant à son aide le grand mot de l'union germanique. Le 20 mars, la foule était encore assemblée dennt le château, et demandait, commtl la veille, à voir le roi, Il parut aussitilt, pour annoncer <\ll'il allait venir, à chevnl, au milieu des citoyens, et prier l'un cl'eux de lui remettre une bannière aux couleurs patriatiques. Toutes les mai~ sons en étaient alors paYoisées. Un immense drapeaQ fut détaché d'une fenêtre ; le souverain le sitisit et le porta lui-même; de plus, une écharpe nationale· était nouée autour de son bras, quelques princes et les nouveaux ministres marcha:ient à ses côtés. Devant lui, nn insurgé, le vétérinalre Urban qui jouissait de la faveur populaire, parce qu'il avait fait prisonnier le général Môllendorf, agitait une r.ouronne impériale, en carton doré. Ce joyau de baladin étalt de tirconstance pour nu empire de tréteaux. Deux bourgenis caracolaient antout du burlesque triomphateur. Au moment du départ du cortége, un autre drapeau tricolore (il ne pouvait y n avoir trop), fut hissé sttr le faite du palais. Le peuple applaudit à cette mascarade. Pauvre peuple 1 il croyait toujours à la parole royale; il se pressait pout voir le despote vaincu, pour lui baiser les mains, pota entendre et approuver· ses qiscours. Et les discoure ne manquèrent pas. Dans sa cavalcade, l'émule de Louis. Philippe en prenonça cinq, plus enthousiastes l'un que l'autre. L'Allemagne, la gr4ride Allemagne, se retrouvait dans chaque phrase. Ainsi, il disait " qu'il ne voulait rien usurper, en se mettant à la tête du mouvement allemœnd, et qu'il n'entendait pas enlever la couronne d'1m autre princP-. Il n'avait en •ue que de sauver l'Allemagne, parce qoe l'unité et la liberté allemandes étaient menacées, et qn'll fallait les protéger par la .fidélité allemande." Il sup. pliait les Allemands de se rallier autour de lni, jurant qn'il ne voulait rien d'autre que l'Allemagne nne et constitutionnelle. Il rappela que souvent dans l'histoir'e germanique, un prince vuissant avait saisi la banni~re de l'empire, et annonça qu'il voulait agir de cette façou. Il remercia les étudiants du bon esprit qu'ils avaient montré, et leur dit qu'il était tler de voit que la patrie possédait de pareils enfants. Devant la maison de Cologne, à l'endroit m@meoù trente-six heures auparavant, le démon de la bataille avait déployé ses plus sombres fureurs, il dit : "Citoyet1a! je sais bien que je ne suis pas fort par les armes de nos vaillants soldats, par les ressources de mon trésor rempli(! ?), mais que ma force me vient uniquement des cœurs et de la fidélité de mon peuple. N'est-ce pas, vous me donnerez ces cœurs et cette fidélité? Je vous le jure, je ne veux que votre bien et celui de l' Alle-; magne." Et la population battait des mains ...... Hélas!!! Cependant, la voix de Cassandre ·ne fit pas deCaut. Un. prolétaire, pâle et grêle, personnification vivante des souffrances des ouvriers, s'avança près du roi, et s'écria: u n'ajoutez pas foi à ce qu'il dit ; il ment. mes frères, il a toujours menti," Les bourgeois saisirent le malencontreux prophète et le maltraitèrent indignement. "Et quand "ous me déchireriez en morceaux, répondit-il, je n'en répèterais pas moins ce que j'ai dit : il ment, La garde nationale intervint pour le protéger. On l'enferma dans un corps de garde, mais on le mit bientôt en liberté. Le ·tour était joué. Les "Berlinois avaient combattu le roi de Prusse ; ils rendirent hommage Il l'empereur d'Allemagne. '
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